La principale question à poser dans une étude consacrée aux méthodes de régulation de l'effort de pêche est évidemment la suivante: pour quelle raison les administrateurs des pêches doivent-ils s'efforcer de contrôler cet effort?
Il est certain que ce contrôle n'a rien de nouveau. Pearse (1980) indique qu'en France le chalutage était déjà réglementé au dix-septième siècle et la plupart des pays qui ont une pêche industrieller ont également fait des tentatives dans ce sens. Les raisons d'une telle intervention peuvent être considerées, comme théoriques ou pratiques, ou les deux, selon l'optique individuelle.
En 1949, Michael Graham a été l'un des premiers à prendre simultanément en considération les données empiriques et les aspects théoriques fondamentaux qui justifient le contrôle de l'effort de pêche. Depuis, beaucoup d'autres, mais surtout Hardin (1968), ont étudié la nécessité de réglementer l'accès à bien commun.
Les considérations économiques fondamentales sont dues à Gordon (1954). Son analyse s'appuie sur une théorie économique simple et elle laisse effectivement présager le scénario ci-après en l'absence de contrôle. Dans les premiers stades du développement d'une pêcherie, les ressources sont abondantes et les pêcheurs réalisent des taux de capture et des profits élevés. Cela attire de nouveaux venus dans l'entreprise et encourage ceux qui étaient déjà là à augmenter leurs investissements. Mais la pression croissante exercée sur le stock de poissons entraîne son appauvrissement, ce qui a pour effet d'intensifier la concurrence entre les pêcheurs pour l'exploitation de ressources de moins en moins abondantes. Les taux de capture et donc les profits tombent à un niveau où les recettes permettent tout juste de couvrir les coûts salariaux et les dépenses d'investissement, autrement dit, en langage économique, à un niveau où la rente économique (valeur des quantités débarquées moins coûts de la capture et de la livraison du poisson) est complètement dissipée.
Ce résultat du “libre accès” est très différent de celui obtenu lorsqu'une pêcherie a un propriétaire exclusif (Scott, 1955). Celui-ci peut en effet en tirer une rente, ce qui encourage fortement à faire aussi bien la part de l'avenir que celle du présent pour l'exploitation des stocks de poissons. Les coûts de l'exploitation s'en trouvent en outre très réduits.
Théoriquement, le régime d'exploitation auquel tend à se stabiliser une pêcherie à accès libre peut correspondre ou non à un niveau d'effort de pêche où la taille du stock est inférieure à la limite de production du rendement maximum équilibré (MSY). En pratique toutefois, lorsqu'il s'agit de poissons ayant une haute valeur marchande, cet équilibre bio-économique se situe souvent à un niveau d'effort de pêche très supérieur à celui qui permettrait d'obtenir le MSY, déterminant un grave appauvrissement de la ressource.
Cette description simple de l'équilibre bio-économique ne peut être considérée comme une représentation exacte des événements. Chaque cas d'espèce est compliqué par un certain nombre de facteurs qui ont pour effet de modifier les détails sinon l'ensemble du tableau présenté par une pêcherie à accès libre. L'essential est de bien se rendre compte que le stock de poissons et la pêcherie qu'il alimente subissent tous deux l'influence d'un certain nombre de facteurs exogènes. Ceux-ci tendant à produire des déplacements et des modifications des courbes des rendements, des revenus et des coûts et il n'existe pas de véritable équilibre dont les conditions puissent être caractérisées; de fait, dans le monde réel comme dans celui de la conjecture, il vaut mieux considérer la notion d'équilibre comme une métaphore donnant une idée moyenne du comportement du système à longue échéance.
Un équilibre bio-économique de cette sorte implique un certain nombre d'inconvénients économiques, le premier et le plus évident étant que les coûts de l'industrie de la pêche tendent à devenir excessifs et que la société ne retire donc pas de sa ressource halieutique les avantages qu'elle pourrait en escompter. Un autre corollaire de l'analyse de Gordon a été mis en lumière par Clark (1977). Ce dernier note que, lorsque le secteur de la pêche tend vers l'équilibre, les pêcheurs les plus efficaces, ayant des coûts de substitution élevés - c'est-à-dire la capacité et la possibilité de travailler ailleursquittent cette branche d'activité. Les pêcheurs restants sont les moins efficaces, à qui ne s'offrent guère d'occasions de s'employer ailleurs. Doucet (1984) met ce problème en évidence dans le cas des pêcheurs de la baie de Fundy et diverses communautés de pêcheurs isolées en donnent d'autres exemples.
Indépendamment de ces handicaps économiques, il peut y avoir aussi d'importants problèmes de conservation de la ressource. Dans certaines pêcheries pélagiques, les taux de capture ont tendance à se maintenir à un niveau élevé, même alors que le stock exploité s'amenuise. La conséquence de cet accroissement de la “possibilité de capture” parallèlement à l'appauvrissement du stock peut être une grave surexploitation. Des exemples impressionnants en sont donnés par les pêcheries d'anchois péruvien et par celles de harengs de l'Atlantique Nord (Saetersdal, 1980; Ulltang, 1977; Butterworth, 1983; Troadec, Clark et Gulland, 1980).
Il faut souligner que les problèmes de conservation ne concernent pas seulement les espèces pélagiques, car le phénomène de la surexploitation, au sens biologique, se rencontre partout.
Pour la plupart des espèces, d'importantes baisses de productivité se sont produites lorsqu'une réduction du stock de reproducteurs s'est associée à un recrutement inférieur à la normale. Ce n'est pas ici le lieu d'étudier en détail le problème des rapports entre la stock et le recrutement. Néanmoins, il vaut la peine d'en rappeler certains aspects. Tout d'abord, le recrutement est extrêmement variable (Hennemuth, Brown et Palmer, 1980) et quoique le degré de variation soit trés différent d'un groupe à l'autre (Beddington et Cooke, 1983), il est dans une large mesure imprévisible pour la plupart des stocks. Les divers modèles de corrélation entre le stock et le recrutement, de celui de Ricker (1958) à celui de Shepherd (1982), permettent de mieux comprendre les schémas de recrutement possibles, mais ils ne permettent en rien de faire des prévisions (Garrod, 1983). Le point important est que la reduction de la taille du stock a tendance à s'accompagner d'une baisse du recrutement qui peut toutefois rester peu importante si le degré de réduction du stock est modéré. Mais, étant donné la nature des données sur les pêches, il est extrêmement difficile de déterminer quelque limite de la taille du stock à laquelle on peut s'attendre à un changement important. Par conséquent, la fixation arbitraire d'une limite de préservation à respecter (taux d'exploitation audessous duquel le stock ne serait jamais réduit) semble être le meilleur moyen de se garantir contre un mauvais recrutement.
Les observations ci-dessus s'appliquent à des stocks individuels mais, dans certains cas, la productivité de communautés tout entières peut être réduite, par exemple, lorsqu'une pêche au chalut est à même de prélever toute une sélection d'espèces dans la communauté de poissons. Il en est ainsi, par exemple, dans le golfe de Thaïlande et au large de l'Indonésise et de la Malaisie (Pauly, 1979a; Majid, 1984).
Ces considérations suggèreraient que le problème principal est de conserver à la ressource une productivité biologique élevée. Soulignous toutefois qu'il ne suffit pas d'édicter, voire de mettre en oeuvre avec succès, un ensemble de règlements visant à assurer la conservation biologique pour résoudre tous les problèmes économiques et sociaux. En tel cas, même si des réductions catastrophiques de la ressource sont devenues moins probables, le libre accè à la pêcherie entraînera néanmoins un développement des opérations qui atteindront le niveau où la rente économique sera dissipée et où la pêche exigera de tels investissements qu'elle sera en moyenne peu rentable.
D'une certaine manière, la présente communication est un avertissement. Un certain nombre de pays développés se sont déjà heurtés à beaucoup des problèmes précités. Il y a dans l'industrie de la pêche une surcapacité considérable, car la puissance de pêche des flottilles est beaucoup trop importante par rapport aux quantités généralement capturées. En outre, de nombreux stocks de poissons sont surexploités, en ce sens que leur capacité d'assurer un rendement à long terme a fortement diminué.
Une erreur commise par certains pays est qu'ils ont tenté de remédier à ces maux de l'industrie de la pêche avec des subventions. On voyait là à l'origine, un moyen simple et efficace de soulager la situation difficile des communautés à faible revenu. On ne se rendait pas compte que de telles subventions ont un effet perturbateur fâcheux sur la position de l'équilibre bio-économique: lorsqu'on en fait bénéficier l'industrie de la pêche, l'équilibre s'établit à un plus haut degré de non-rentabilité économique, car le subventionnement signiefie souvent que la capacité reste à l'intérieur de ce secteur au lieu de le quitter (Brochmann, 1984a).
On allègue quelquefois qu'avant l'instauration presque universelle des zones économiques exclusives (ZEE) dans le cadre du nouveau Droit de la mer, le libre accès aux pêcheries était à l'origine de beaucoup des problèmes liés à la surexploitation des stocks de poissons et à la surcapitalisation des opérations. Cela est vrai dans une certaine mesure, mais on ne saurait trop insister sur le fait que l'on peut se heurter à des difficultés semblables à l'intérieur d'une ZEE nationale. Nous reviendrons plus loin sur cette question, mais il est un point à préciser dans la présente introduction.
Lors du développement d'une pêcherie, la vitesse d'accroissement de la capacité de pêche peut constituer un grave problème devant lequel l'organisme de réglementation chargé d'instituer des mesures de contrôle et la communauté scientifique chargée d'évaluer les effets sur la ressource se sont souvent trouvés désarmés dans le passé. Les exemples classiques abondent, le plus célébre étant probablement celui de la pêcherie d'anchoveta au large du Pérou (Glantz et Thompson, 1981).
Ayant instauré leurs ZEE, de nombreux pays ont cherché à développer leur industrie de la pêche avec l'aide d'organismes d'aide bilatérale, de banques internationales de développement et autres institutions. En principe, une telle assistance est accueillie avec satisfaction et, si elle est convenablement mise en oeuvre, elle peut être très fructueuse. On notera néanmoins que les programmes de développement de ce type peuvent aggraver la tendance à des investissements trop importants par rapport aux moyens de surveillance et de contrôle. Nous reprendrons ces questions plus en détail.
Enfin, il est un problème lié à l'équilibre bio-économique qui se fait jour en l'absence de réglementation, à savoir la concurrence entre différents groupes de la communauté de pêcheurs. Dans une situation de libre accès, il arrive souvent que les navires à forte intensité de capital soient plus compétitifs quoique la rente économique totale soit nulle. Si l'accès à la pêcherie est contrôlé, il se pourrait que des bateaux à moindre intensité de capital soient plus rentables (Tillion, 1984).
Ces problèmes sont frappants dans la concurrence entre les opérations industrielles conduites au large avec des chalutiers et les opérations artisanales limitées à l'étroite bande côtière. Ces conflits ont donné lieu à des mesures de réglementation remarquables: l'interdiction du chalutage dans les eaux indonésiennes en est un exemple récent (Sardjono, 1980).
Ayant envisagé tous les problèmes possibles en l'absence de réglementation de la pêche, il n'est que raisonnable de se demander: quelles sont les solutions? Un certain nombre de méthodes de contrôle de l'effort de pêche ont été essayées, avec un degré de succès variable. Elles seront examinées et évaluées dans la partie à suivre de la présente communication. Il importe toutefois de préciser les critères d'évaluation et c'est ce que nous ferons dans la prochaine section.
Après avoir passé en revue les diverses techniques de contrôle et examiné la question de l'évaluation du degré de succès ou d'échec obtenu avec chacune d'elles, nous envisagerons dans la section finale les possibilités de contrôle de l'effort de pêche dans plusieurs grands types de pêcheries.