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2.  OBJECTIFS DE LA REGULATION DE L'EFFORT DE PECHE

2.1  Critères à definir

Bien reconnaître les buts d'un programme d'aménagement des pêches en facilite considérablement la conception. Dans certains pays, ces buts ont déjà été clairement énoncés et on a défini les critères qui permettront de juger des options possibles en matière d'aménagement. Dans d'autres, toute personne participant aux échanges de vues peut avoir une perception individuelle des buts fondamentaux, mais le débat public concerne seulement les stratégies adoptées pour les atteindre. Que ces objectifs soient explicites ou implicites dans les délibérations sur les principes d'action, ils sont souvent nombreux, divers, conflictuels et exigent la prise en considération de compromis. Les buts précis à viser lorsque l'on examine des mesures d'aménagement possibles varient dans l'espace et dans le temps et ils évoluent en fonction des conditions extérieures. Néanmoins, cinq objectifs généraux sont souvent identifiés: conservation, performances économiques, buts sociaux (spécialement équité), practicabilité administrative et acceptabilité politique. Etant donné que nous nous intéressons ici à la régulation de la mortalité par pêche dans le cadre ainsi défini, nous analyserons brièvement chacun de ces objectifs.

2.2  Conservation

La régulation de l'effort de pêche se justifie le plus souvent par la nécessité de conserver les stocks de poissons. De fait, c'est là une des principales raisons qui ont motivé le réexamen approfondi du Droit de la mer il y a une dizaine d'années.

L'objectif fondamental de la conservation d'un stock est d'en d'assurer le rendement à long terme. On a pu constater dans les stocks très appauvris des échecs du recrutement qui réduisent pendant un certain temps leur capacité d'assurer un rendement soutenu. Le problème est bien reconnu, mais il n'en est pas résolu pour autant, car, dans bien des cas, le recrutement est extrêmement variable et il n'est pas facile d'évaluer à quel degré d'amenuisement du stock il risque de baisser.

Le problème est aggravé par le fait que les données s'accumulent typiquement avec beaucoup de lenteur et que les méthodes d'évaluation des stocks telles que l'analyse des populations virtuelles (VPA) ne permettent pas de faire des prévisions valables pour l'avenir (Gulland, 1977; Pope, 1979; Pope et Shepherd, 1982).

Souvent, les données sur le recrutement et sur la taille du stock obtenues par analyse des populations virtuelles ne sont pas suffisamment probantes pour justifier une réduction du volume de la pêche tant que le processus d'échec du recrutement n'est pas très avancé. En conséquence, l'exploitation a tendance à se poursuivre jusqu'à ce que le stock soit gravement épuisé et qu'une très forte réduction, voire une fermeture complète de la pêche, devienne nécessaire. Les exemples abondent: hareng de la mer du Nord, hareng atlanto-scandinave, anchois du Pérou, sardine californienne, etc. Saetersdal (1980) a fait l'historique de beaucoup de pêcheries de ce type.

Dans les cas où l'on observe une forte baisse du recrutement, on n'en sait pas assez sur les processus en cause pour que les experts scientifiques soient en mesure de prévoir la vitesse de reconstitution du stock lorsque la pêche est réduite ou arrêtée. Il semble que certaines espèces soient restées peu abondantes pendant de longues périodes en l'absence d'exploitation. Ses exemples bien connus sont la sardine californienne (MacCall, 1980), le hareng du banc Georges (Anthony et Waring, 1980) et la sardine vivant au large du Japon (Kondo, 1980). Un cas tout a fait typique est celui du hareng de la mer du Nord (Anon, 1982). L'importante et prévisible reconstitution des stocks de poissons de l'Atlantique Nord après les guerres de 1914–18 et de 1939–45 est souvent évoquée. Toutefois, elle faisait principalement suite à une situation d'exploitation trop intense des jeunes individus déjà recrutés (“growth over-fishing” et non pas d'échec du recrutement.

Lorsqu'une espèce reste peu abondante après avoir été surexploitée, on observe aussi parallèlement des modifications de l'abondance d'autres espèces. Particulièrement remarquables sont les oscillations interdépendantes de l'abondance des communautes d'anchois, de sardines et de scombridés au large du Pérou et du Chili, de la Californie et de l'Afrique du Sud-Quest. La théorie écologique prévoirait leur remplacement par des espèces analogues, mais, étant donné la nature des données sur les pêches, il est impossible de quantifier ces phénomènes. Daan (1980) a passé en revue les principales situations de ce type et, selon lui, le “remplacement” est rarement exact ou simple.

S'il peut arriver que les espèces de remplacement aient une plus plus forte valeur marchande unitaire, on n'a aucun moyen de prévoir exactement quelles espèces, le cas échéant, tireront profit de l'appauvrissement d'une espèce cible. En général donc, on a tendance à considérer tous les effondrements du recrutement comme des phénomènes à éviter. De fait, même si le stock se reconstitue après que l'on ait arrêté ou réduit son exploitation, il peut y avoir de graves perturbations économiques dans le secteur de la pêche et dans celui de la commercialisation (McSween, 1984).

Une complication additionnelle causée par les modifications de la structure des communautés et des modes de pêche a fait l'objet d'une étude théorique (May et al., 1979; Andersen et Ursin, 1977). Elle intervient lorsque la pêche se concentre tout d'abord sur une espèce prédatrice, puis, à mesure que celle-ci se raréfie, se réoriente vers les proies devenues plus abondantes. Le rendement à long terme de l'espèce prédatrice risque donc de se ressentir à la fois d'un effondrement possible du recrutement et d'une réduction de la quantité de nourriture disponible.

Ces considérations ont eu beaucoup de poids dans l'élaboration des législations applicables aux communautés où les mammifères marins figurent parmi les grandes espèces prédatrices. Les articles de la Convention pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antartique (CCAMLR) lient explicitement le taux d'exploitation de la proie la plus importante, le krill, au maintien de la capacité des prédateurs de se nourrir convenablement de cette ressource. Ces facteurs sont également pris en considération dans le plan d'aménagement de la population d'anchois californien, qui prévoit spécifiquement une “réserve de fourrage” destinée à la consommation par les prédateurs (McInnis, 1984).

Un problème différent se pose dans les pêcheries tropicales multi-spécifiques où opérent des chalutiers. En tels cas, la régulation de l'effort de pêche total appliqué à la communauté est nécessaire pour empêcher des modifications irréversibles ou économiquement préjudiciables de la composition par espèces.

En Thaïlande, en Indonésie et en Malaisie, la proportion de poissons de rebut tend à augmenter à mesure que l'exploitation d'une pêcherie se développe. Si la production reste relativement constante, la composition fondamentale par espèces de la communauté se modifie en faveur d'individus plus petits et, généralement, de moindre valeur marchande.

On en sait assez peu sur la dynamique des interactions entre ces communautés de poissons (voir Pauly, 1981), mais il serait possible de modifier le schéma de mortalité par pêche qui leur est imposé de manière à empêcher ou à réduir le type de modifications de la composition par espèces qui a été observé.

Cette tendance s'explique en partie, comme pour tous les stocks de poissons exploités, par une modification de la composition par âge des captures, la proportion de jeunes individus augmentant à mesure que la pêche se développe. Mais, dans ces systèmes tropicaux, on observe parallèlement que les espèces de petite tailles deviennent elles aussi plus abondantes. Ces espèces sont caractérisées par des taux de mortalité et de recrutement éléves et elles sont capables de remplacer les espèces à croissance plus lente, mais initialement plus abondantes. Toute une variété d'interprétations ont été proposées suivant ces simples principes écologiques (par exemple, Gulland, 1977; Pauly, 1979a, Caddy, 1984a). Ce ne sont guère que des métaphores, mais elles permettent de se rendre compte des problèmes rencontrés dans ces pêcheries. Dans le cas de telles communautès, il importe d'assigner à la pêche un but approprié. Il peut être défini en termes biologiques, par exemple l'obtention d'une prise maximale équilibrée de poissons dépassant une certaine taille, laquelle permettra peut-être aussi d'obtenir un rendement économique élevé. La situation est toutefois compliquée par certains facteurs: ainsi, les crevettes sont petites, mais ont une haute valeur marchande.

Il est clair que l'établissement d'objectifs de conservation pour des stocks ou pour des communautés soulève un certain nombre de problèmes interdépendants. La plupart semblent liés au maintien de la capacité de production de la ressource. Si les réglementations adoptées ne réussissent pas à limiter la pêche, si bien que cette capacité de production se trouve réduite pour longtemps, alors on peut considérer que l'on a échoué. De fait, les critères biologiques à appliquer en matière de conservation peuvent être ramenés à la simple notion que les modifications de l'abondance de la communauté ou des espèces cibles doivent être réversibles sur un laps de temps raisonnable. Il est intéressant qu'un libellé de cette sorte existe déjà dans la Convention pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique.

2.3  Rentabilité économique

En l'absence de règlementation, l'évolution du regime d'exploitation vers l'équilibre bioéconomique s'accompangne d'une inefficacité économique croissante. Lorsqu'une pêcherie se développe, il est possible que les coûts tendent initialement à diminuer, car la meilleure localisation des ressources les plus abondantes entraîne une plus grande efficacité. Mais à mesure que la pêcherie attire un effort accru et que les stocks s'amenuisent, les coûts tendent à augmenter et les recettes par unité d'effort à diminuer. Le changement intervient en général lorsque les fonds de pêche les meilleurs ou les plus proches commencent à être surexploités et qu'il devient nécessaire d'opérer dans des zones moins attrayantes.

En théorie, l'équilibre bio-économique est atteint lorsque l'absence de profits décourage les nouvelles entrées. En pratique souvent, divers facteurs, y compris le manque de renseignements sur les conséquences des entrées, font que les coûts dépassent en fait les recettes moyennes. Les effets sur le niveau des revenus tirés de ces pêcheries sont d'une gravité correspondante. Dans beaucoup de cas, lorsque les pêcheurs ont acquis des compétences particulières et que les bateaux sont d'un type spécial, le retrait de la pêcherie est difficile. En conséquence, les flottilles qui opèrent dans des pêcheries à accès libre intensément exploitées ont tendance à se composer de bateaux relativement vieux ayant à bord des pêcheurs âgés.

Si, initialement, la pêche peut être réglementée dans un souci de conservation des ressources, une autre préoccupation importante peut être le faible niveau des revenus dans ce secteur. Parmi les principaux buts à atteindre figure donc l'amélioration des résultats économiques, ce à quoi on peut évidemment parvenir par une augmentation du produit économique moyen qui sera obtenue soit en accroissant les recettes moyennes soit en abaissant les coûts moyens.

Obtenir d'une pêcherie un gain économique maximum est rarement le principal objectif de aménagement (Bain, 1984). Toutefois, un examen minutieux des coûts et des bénéfices de la réglementation s'impose si l'on veut que la pêche ait une valeur économique au lieu d'être une charge pour un pays. Cette remarque vaut aussi bien dans l'optique des profits et pertes du secteur de la pêche que dans celle des recettes publiques qu'il peut assurer et dans celle des coûts publics que suppose la réglementation en raison du travail accru de rassemblement de données, de recherche, d'administration et de contrôle.

Une question connexe, du plus haut intérêt pour beaucoup de pays, est celle de savoir si de nouvelles réglementations permettront d'accroître les recettes en devises (peut-être grâce à une augmentation des exportations de produits de la pêche) ou si elles donneront lieu au contraire à des ponctions importantes sur les réserves.

Les politiciens et les administrateurs publics font rarement état de l'efficacité économique. Les préoccupations qu'ils expriment concernent plutôt les taux élevés de chômage, les faillites, et la stagnation ou la diminution des revenus. De tels effets économiques sont souvent le résultat d'une augmentation des coûts (prix du carburant, taux d'intérêts, etc.), de la faible demande de produits de la pêche, ainsi que de la réduction des ressources disponsibles. Etant donné que les pêcheurs entrent beaucoup plus facilement dans une pêcherie lorsque les prix montent ou que les ressources de poisson deviennent plus abondantes qu'ils n'en sortent lorsque les conditions se dégradent, la préference, peut être donnée à reduire les fluctuations de la quantité de poisson capturée. En outre, les porte-parole de l'industrie de la pêche insistent sur la nécessité d'un approvisionnement uniforme et prévisible pour assurer sans interruption le fonctionnement des ports et des installations d'entreposage frigorifique et de congélation, l'utilisation des moyens de transport, et la conduite des activités de transformation et de distribution, ainsi que l'utilisation des diverses catégories d'engins par un nombre minimum de pêcheurs (McSween, 1984).

Pour obtenir le meilleur produit économique d'une pêche d'un volume quelconque, il faut veiller tout spécialement à la qualité du poisson au moment de la capture et au moment où il parvient au consommateur. Il faudrait donc promulguer des réglementations propres à encourager la pêche à l'époque de l'année où la qualité atteint un niveau acceptable et à assurer l'acheminement des quantités capturées dans un système de transformation et de commercialisation permettant de maintenir cette qualité.

Du point de vue commercial, il faut également se préoccuper de la taille acceptable pour le poisson débarqué et cela, en général, pour assurer que la transformation soit économiquement viable: une taille minimale est par exemple nécessaire pour obtenir de bons filets. Mais il y a parfois lieu aussi d'autoriser la capture à diverses tailles pour répondre aux besoins de différents marchés. De même qu'il existe à la fois une demande de viande de veau et une demande de viande de boeuf, les consommateurs de poisson peuvent avoir des préférences variables. Un exemple extrême est celui du hareng: pêché pour ses oeufs, il n'est guère attrayant comme poisson de consommation, mais s'il est pêché en vue d'obtenir le meilleur produit de consommation possible, le marché des oeufs reste insatisfait.

2.4  Objectifs sociaux

Lorsque l'évolution vers l'équilibre réduit la rentabilité moyenne d'une pêcherie à accès libre, certains pêcheurs en souffrent davantage que d'autres. De fait, il en est parmi eux qui sont susceptibles de si bien s'adapter aux nouvelles conditions qu'ils réalisent de bons profits en dépit de la médiocre situation générale de leur secteur. Dans certains cas, la faillite s'annonçant imminente, des tentatives peuvent être faites pour accroître les captures en allongeant le temps de pêche ou en opérant dans des zones précédemment inexploitées. Toutes ces réactions à la situation auront tendance à réduire encore la ressource de poisson et se répercuteront sur le reste de la flottille.

Tout cela peut conduire à une animosité entre les pêcheurs et même, quelquefois, à des actes de violence. Beaucoup de réglementations dont les pêcheurs eux-mêmes sont les instigateurs visent souvent à réduire l'agitation sociale au sein d'un même groupe ou les désordres opposant des groupes différents.

Le plus difficile pour les administrateurs des pêches est de choisir entre les diverses mesures possibles qui auront pour effet d'améliorer la situation d'un groupe donné au détriment d'un autre. Lorsque ces groupes sont qualifiés “nos pêcheurs” et “leurs pêcheurs”, les décisions sont assez prévisibles.

Toutefois, il y a de nombreux choix délicats lorsqu'un groupe doit être expressément favorisé. Bien souvent, le fait qu'il y a traitement préférentiel ne peut être déduit que des mesures qui ont été prises, car il n'est pas de bonne politique de faire ouvertement du favoritisme. Nous citerons quelques cas de préférences explicites. Dans certaines pêcheries, les pêcheurs à temps complet bénéficient d'un traitement spécial par rapport aux pêcheurs à temps partiel. Ceux qui pêchent pour leur propre consommation ont la priorité sur les pêcheurs commerciaux et ces deux groupes ont un droit de préférence plus élevé que les pêcheurs sportifs (quelques interversions étant possibles dans certains pays). Dans beaucoup de pays, la définition du statut de pêcheur côtier relativement à celui de pêcheur hauturier est une question difficile. L'ordre de préférence est souvent établi en fonction de la taille des bateaux et implique un choix difficile entre les artisans-pêcheurs et les flottilles industrielles. Les pêcheurs qui opèrent à bord de leurs propres embarcations sont quelquefois avantagés par rapport à ceux qui travaillent sur des bateaux appartenant à des sociétés (qui peuvent être des entreprises de transformation). Un traitement différent est également réservé aux pêcheurs qui n'exploitent qu'une seule ou quelques pêcheries et aux opérateurs hautement diversifiés; la préférence est quelquefois accordée en fonction du port d'attache ou du lieu de résidence des pêcheurs et les différents groupes ethniques sont aussi traités différemment.

Même lorsqu'un groupe justifie un statut plus élevé aux yeux du gouvernement, il reste encore à décider dans quelle mesure il convient de le favoriser. Si l'on place les intérêts des artisans-pêcheurs avant ceux de la flottille industrielle, faut-il satisfaire pleinement le premier groupe avant d'offrir la moindre chance au second?

Dans la plupart des cas, les décisions d'intêret général avantagent implicitement de quelque façon un groupe plutôt qu'un autre. Par exemple, la décision de soutenir le développement de la pêche peut aller à l'encontre des intérêts des artisans-pêcheurs. Si ses effets ne sont pas reconnus, les conséquences sur le plan de la justice sociale risqueront d'inspirer de profonds regrets aux autorités responsables de l'aménagement.

Que quelques groupes benéficient d'une considération spéciale ou qu'un traitement égal soit réservé à tous, un examen attentif des mesures d'aménagement doit permettre de vérifier qu'elles sont conformes à la notion de traitement loyal et équitable des diverses catégories de pêcheurs. Toutefois, le concept d'équité est très complexe et sujet à toutes sortes d'interprétations. Par exemple, la définition d'une part équitable des captures peut se rapporter à une année donnée ou à une moyenne sur une série d'années. Le concept d'équité peut également avoir trait à la répartition du revenu, aux conditions d'accès (par exemple, saisons d'ouverture de la pêche, restrictions relatives aux engins ou délimitation de zones de pêches ou à la procédure utilisée par le gouvernement pour examiner les options possibles. La question de savoir quelle définition de l'équité il y a lieu d'utiliser effectivement peut se révèler très difficile à trancher dans la pratique. Par exemple, les pêcheurs sportifs peuvent se plaindre qu'une part excessive d'une espèce particulière soit capturée par les pêcheurs commerciaux, ces derniers protestant quant à eux contre le fait que le pêche est ouverte pendant plus longtemps aux pêcheurs sportifs.

L'équité est un aspect social extrêmement important à considérer pour l'évaluation des mesures de réglementation de la pêche, mais ce n'est pas le seul. Par exemple, les pêcheurs se plaignent souvent de ce que l'on ne tienne pas suffisamment compte de leurs objectifs professionnels individuels lors de l'établissement des réglementations. Nombreux sont ceux qui choisissent ce mode de vie parce qu'ils souhaitent être indépendants, vivre au grand air une vie stimulante, sans être embrigadés, avec un plein sens d'identité et la fierté de leur profession (Thompson, 1984). En outre, beaucoup d'entre eux font valoir que leur héritage culturel ne leur permet pas une autre image d'eux-mêmes. Ils désirent aussi avoir beaucoup de latitude pour le choix des espèces cibles, de la taille et du type des bateaux à bord desquels opérer, des engins à utiliser, de l'époque de l'année (et des semaines, jours et moments du jour) où la pêche est autorisée et de la zone des opérations. Une telle souplesse signifie pour eux facilité d'entrée et de sortie d'une pêcherie donnée.

S'il peut suffire d'un engagement minimal du gouvernement pour réaliser les objectifs sociaux précités, d'autres domaines préoccupants appellent quelque type d'intervention. A mesure que le nombre de pêcheurs augmente dans une pêcherie donnée, il faut veiller de plus près à rationaliser leurs opérations et à réduire les conflits entre les groupes d'utilisateurs. Le public peut être préoccupé par le taux de chômage chez les pêcheurs ou dans des communautés de pêcheurs particulières. Il peut également s'inquiéter de la désorganisation possible de groupes sociaux particuliers au cas où les stocks de poissons accessibles à une communauté de pêcheurs vivant dans une zone éloignée viendraient à s'épusier ou à être préemptés par un groupe de pêcheurs à grand rayon d'action.

2.5  Faisabilité administrative, dispositions d'application et coûts

Il faut évidemment que l'administration puisse assurer l'application des réglementations, car celle-ci suppose un calendrier de mise à exécution, une surveillance et un contrôle convenables. Mais il y a un autre critère de jugement essentiel, qui est le coût et la faisabilité de leur application. Les deux points critiques sont les suivants.

Le premier concerne l'ampleur de la surveillance à exercer sur les activités menées dans la pêcherie: le type et le degré de surveillance nécessaires, et la nature et la quantité des données à rassembler, diffèrent selon les réglementations adoptées. Le second a trait à la manière dont les pêcheurs interprètent une réglementation et à leur attitude à son égard. Si les dispositions prises sont compliquées, difficiles à comprendre et que les pêcheurs ont l'impression qu'elles vont à l'encontre de leurs intérêts, alors leur mise en application se révèlera coûteuse.

2.6  Acceptabilité politique

La principale question que doit se poser un gouvernement avant d'adopter un ensemble de dispositions réglementaires ou de renforcer le système existant est peut être celle-ci:“En avons-nous les moyens”? Les aspects à envisager ne sont pas seulement les coûts purement financiers que nous avons dejà évoqués, mais aussi le retrait possible d'un soutien politique limité. L'intensification des dispositions légales peut susciter des critiques et avoir pour effet d'amoindrir le pouvoir politique. Mais ce risque existe également si l'on s'abstient d'intervenir lorsque les captures diminuent ou qu'il y a des conflits entre différents groupes de pêcheurs.

C'est, entre autres, parce qu'ils se rendent compte des coûts politiques que la plupart des gouvernements adoptent une approche progressive en matière d'aménagement des ressources. Sauf s'ils trouvent des arguments irréfutables à l'appui de mesures radicales, ils se contentent généralement d'apporter des changements modestes aux précédentes réglementations ou bien ils en adoptent de nouvelles qui sont, pour le moins, manifestement analogues à celles appliquées ailleurs dans le pays. Par exemple, un pays qui impose des périodes de fermeture de la pêche pour certains stocks de poissons peut en faire de même pour une pêcherie qui n'était pas réglementée antérieurement en s'attirant moins de critiques politiques qu'un pays qui n'a jamais instauré de fermetures saisonnières en vue d'aménager une quelconque ressource ressource de poisson ou de faune.


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