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6. Commerce et sécurité alimentaire

Selon les estimations de la FAO, 815 millions de personnes souffrent de sous-alimentation dans les pays en développement (tableau 10). Les deux tiers des personnes sous-alimentées vivent en Asie, mais l'incidence de la sous-alimentation est la plus forte en Afrique subsaharienne, puisqu'elle touche 33 pour cent de la population totale.

Ces chiffres sont inquiétants si l'on considère l'engagement de la communauté mondiale à s'attaquer aux problèmes de sécurité alimentaire, sa capacité de produire un volume plus que suffisant de denrées alimentaires et d'utiliser des systèmes d'information modernes pour déterminer les endroits exacts où ces vivres font défaut et mobiliser des moyens de transport rapides pour déplacer ces produits dans le monde entier.

TABLEAU 10
Indicateurs de l'alimentation et de la faim, par région

 

Asie de l'Est

Amérique latine et Caraïbes

Proche-Orient et Afrique du Nord

Asie du Sud

Afrique subsaharienne

Pays en développement

Consommation alimentaire par habitant (kcal/personne/jour)

 

1964-66

1 957

2 393

2 290

2 017

2 058

2 054

2000-02

2 874

2 848

2 975

2 397

2 247

2 659

 

Millions of people undernourished

 

1990-92

275

59

25

291

166

817

2000-02

152

53

39

301

204

815

 

Millions de personnes vivant dans la pauvreté (1 $EU/jour)

 

1990

472

49

6

462

227

1 218

2001

271

50

7

431

313

1 089

             

Source: FAO, 2003a, 2004b et Banque mondiale, 2005b.

Ainsi qu'il a été mentionné dans des chapitres précédents, il est peu probable qu'à elle seule, une plus grande ouverture au commerce international conduise à des améliorations majeures de la croissance économique ou de la réduction de la pauvreté, et il en est de même pour la sécurité alimentaire. Des politiques complémentaires, y compris des investissements publics dans des stratégies de croissance et la mise en place de mécanismes de protection en faveur des pauvres sont essentielles pour garantir que la libéralisation du commerce soutienne les stratégies de sécurité alimentaire. L'expansion des marchés par le commerce peut en effet offrir des possibilités de croissance, promouvoir l'efficacité et éliminer les contraintes d'échelle et de portée dans le cas des petites économies à faible revenu dont les marchés intérieurs sont limités. Le présent chapitre examine la question de la sécurité alimentaire et la façon dont le commerce et sa libéralisation peuvent contribuer à l'accroître.

La participation au commerce international donne accès aux pays à des marchés plus importants pour leurs produits. Elle leur permet en outre d'accéder à des disponibilités alimentaires plus importantes et meilleur marché que s'ils devaient compter sur leur seule production intérieure. Le commerce international est également une voie puissante de transfert de technologies, sans lequel les perspectives d'augmentation de la productivité se trouvent considérablement réduites.

C'est cette capacité du commerce international à favoriser la croissance économique, réduire les inégalités et accroître la sécurité alimentaire que la FAO souhaite promouvoir. La FAO reconnaît que la participation accrue au commerce international est un élément fondamental d'un ensemble de politiques qui favorisent la croissance économique et réduisent la pauvreté et l'insécurité alimentaire.

Qu'est-ce que la sécurité alimentaire?

La sécurité alimentaire existe lorsque toutes les personnes ont, à tout moment, un accès physique, social et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive, pour satisfaire leurs besoins et leurs préférences alimentaires afin de pouvoir mener une vie saine et active.

La FAO concentre son attention sur quatre dimensions de la sécurité alimentaire:

Par vulnérabilité, il faut entendre toute la gamme des risques qui menacent les personnes d'insécurité alimentaire. Le niveau de vulnérabilité des individus, des ménages ou des groupes sociaux dépend de la mesure dans laquelle ils sont exposés aux facteurs de risque et de leur capacité de faire face ou de résister aux situations difficiles. L'insécurité alimentaire est un phénomène complexe, attribuable à divers facteurs dont l'importance varie selon les régions, les pays et les groupes sociaux, et au fil des ans (figure 26). Ces facteurs peuvent être regroupés en catégories qui représentent les quatre domaines suivants de vulnérabilité potentielle:

Pour assurer leur réussite, les stratégies visant à éradiquer l'insécurité alimentaire s'attaquent à ces causes sous-jacentes en combinant les efforts des organismes qui opèrent dans des secteurs divers tels que l'agriculture, la nutrition, la santé, l'éducation, les services sociaux, l'économie, les travaux publics et l'environnement. Au niveau national, cela signifie que les différents ministères ou départements doivent combiner leurs compétences complémentaires et leurs efforts en vue de concevoir et de mettre en œuvre des initiatives intersectorielles intégrées qui interagissent et sont coordonnées au niveau décisionnel. Au niveau international, diverses institutions spécialisées et organisations de développement doivent collaborer en tant que partenaires dans une initiative commune.

Le commerce en général et le commerce agricole en particulier, ont une influence tant directe qu'indirecte sur ces aspects de la sécurité alimentaire. Par exemple, dans la mesure où la participation et l'intégration accrues au commerce international encouragent la croissance économique, augmentent les possibilités d'emploi et le revenu des pauvres et des personnes souffrant d'insécurité alimentaire, elles facilitent l'accès aux produits vivriers. Par ailleurs, l'ouverture au commerce agricole peut accroître la sécurité alimentaire en augmentant les disponibilités alimentaires pour répondre aux besoins de consommation, et réduire la variabilité des approvisionnements alimentaires en général.

Corrélations entre le commerce et la faim

L'intégration accrue des marchés internationaux a soulevé de nombreuses préoccupations concernant le fait que l'ouverture des marchés agricoles pourrait mettre en péril la sécurité alimentaire dans les pays en développement, et plus particulièrement que l'exposition aux marchés internationaux pourrait augmenter l'instabilité des disponibilités et des prix alimentaires, en désorganisant les marchés et en diminuant les incitations à la production locale. Cette crainte est-elle fondée?

Les figures 27 et 28 montrent le commerce agricole (exportations plus importations) en tant que part du PIB agricole par rapport à deux mesures de la faim: i) le pourcentage de la population qui est sous-alimenté et ii) la prévalence d'enfants de moins de cinq ans dont le poids est inférieur à la norme. Les différences de volume du commerce prenant un certain temps à avoir un impact sur la sécurité alimentaire, il y a un décalage de trois ans dans la mesure de l'ouverture du marché. Si le commerce agricole était vraiment nuisible pour la sécurité alimentaire, un niveau élevé d'ouverture serait associé à un pourcentage élevé de personnes sous-alimentées dans la population, expectative qui n'est pourtant confirmée par aucun des deux schémas. Sans impliquer de rapport de causalité, les données disponibles ne donnent pas à croire que la participation active au commerce agricole est associée à des niveaux élevés de sous-alimentation, au contraire.

Toutefois, il convient de noter également la grande dispersion des données indiquées dans les figures. Chaque niveau d'ouverture du marché est associé à toute une série d'indicateurs de la faim, ce qui suggère que l'impact du commerce agricole et de la libéralisation du commerce sur la sécurité alimentaire est atténué par un grand nombre d'autres facteurs tels que les marchés, l'infrastructure, les institutions, et les conditions générales de cette libéralisation du commerce. L'importance du bon fonctionnement des marchés en particulier ne peut être surestimée.

Les données n'indiquent pas l'existence d'une relation négative entre le commerce agricole et la sécurité alimentaire; au contraire, une plus grande ouverture des marchés est associée à une baisse des niveaux de sous-alimentation. Bien que cette affirmation soit valable en général, il est vrai aussi que certains ménages sont perdants dans le processus de libéralisation du commerce, qui compromet leur sécurité alimentaire. Il importe donc que les réformes commerciales soient accompagnées d'une réforme des politiques nationales, afin de renforcer les effets positifs du commerce et d'atténuer les effets négatifs qu'elles pourraient avoir sur les populations sous-alimentées.

Comme indiqué au Chapitre 5, la croissance économique découlant de l'agriculture et associée à une croissance des activités rurales non agricoles peut avoir un impact positif important sur la réduction de la pauvreté et de la faim, à condition de garantir un accès égal aux actifs privés et publics. L'agriculture est déterminante. En effet, l'augmentation des revenus agricoles augmente la demande de biens non agricoles, stimulant les revenus ruraux non agricoles et élargissant la croissance du revenu dans les zones rurales.

Le commerce agricole peut soutenir une stratégie de développement basée sur l'agriculture, et la libéralisation du commerce des produits agricoles peut avoir des effets bénéfiques. Les pays développés peuvent y contribuer en s'ouvrant au commerce des produits de base et des produits transformés agricoles et en empêchant leurs programmes nationaux d'appui à l'agriculture de placer des produits de base subventionnés sur les marchés mondiaux au détriment des producteurs des pays en développement. Par ailleurs, les pays en développement peuvent veiller à ce que leurs propres systèmes commerciaux permettent de stimuler autant que possible la croissance du secteur agricole.

Les données sur la libéralisation du commerce présentées au Chapitre 4 montrent que les gains les plus importants réalisés par les pays en développement sont le résultat de leurs propres mesures et réformes nationales de libéralisation du commerce. À cet égard, comme il est mentionné au Chapitre 3, il convient de noter également que le secteur agricole peut aussi être fortement touché par des politiques protectionnistes visant d'autres secteurs de l'économie.

Libéralisation du commerce et sécurité alimentaire

Le commerce agricole peut jouer un rôle important dans la réduction de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire, mais les effets précis de la libéralisation du commerce sur la sécurité alimentaire demeurent complexes. Au niveau conceptuel, il est possible d'examiner la relation entre les réformes commerciales et la sécurité alimentaire dans un cadre réforme-réponse-résultat (figure 29) (FAO, 2003b; Morrison, 2002; McCulloch, Winters et Cirera, 2001).

Pour un ensemble de conditions données, une réforme - dans ce cas la libéralisation du commerce - modifie les prix relatifs. Ces variations de prix et donc d'incitation suscitent alors une réponse de la part des ménages en termes de production et de consommation. C'est cette réponse qui détermine le résultat en termes de sécurité alimentaire du foyer. Ce résultat peut être une amélioration ou une détérioration, selon les conditions générales. Ces conditions peuvent être regroupées en trois catégories: la fonctionnalité du marché, les caractéristiques du travail et les ressources.

La fonctionnalité du marché se rapporte à l'environnement institutionnel et général en tenant compte des réformes autres que la réforme commerciale en cours. Elle comprend également les infrastructures physiques et techniques telles que les réseaux de transport et de communication. Les caractéristiques du travail englobent les aspects humains, notamment l'éducation, le niveau sanitaire, les actifs et le niveau préexistant de sécurité alimentaire. Les ressources représentent les conditions matérielles telles que les ressources naturelles, le climat, l'éloignement, la spécificité des terres, la proximité géographique des frontières, etc. Le cas de la libéralisation du commerce des noix de cajou au Mozambique (encadré 10) illustre le rôle important que jouent les conditions d'ensemble dans le succès ou l'échec de la libéralisation.

ENCADRÉ 10
La libéralisation du marché de la noix de cajou au Mozambique

Le Mozambique a libéralisé son secteur de la noix de cajou au début des années 90 en réponse aux recommandations de la Banque mondiale. Les opposants à la réforme ont affirmé que cette politique n'avait guère amélioré le sort des petits cultivateurs tout en acculant à la faillite les entreprises de transformation implantées en zone urbaine. McMillan, Rodrik et Welch (2002) se sont appuyés sur la théorie du bien-être pour analyser les données disponibles et rendre compte des effets de la réforme en termes de distribution et d'efficacité. Ils ont évalué à 6,6 millions de dollars EU par an les avantages directs découlant de la réduction des restrictions sur les exportations de noix de cajou brute, soit environ 0,14 pour cent du PIB du Mozambique. Toutefois, ces avantages ont été largement annulés par le coût du chômage dans les zones urbaines. Le gain net pour les producteurs n'a probablement pas dépassé 5,3 millions de dollars EU, soit 5,30 dollars EU par an pour un ménage moyen de producteurs. La perte de revenu réel enregistré par les salariés urbains a été estimée à environ 6,1 millions de dollars EU, soit pratiquement l'équivalent du gain d'efficience direct résultant de la libéralisation. L'échec de la réforme s'explique semble-t-il par la méconnaissance de certaines réalités fondamentales. En premier lieu, ce sont les négociants et les intermédiaires, et non les paysans pauvres, qui ont le plus bénéficié des effets positifs de la réforme. Ensuite, dans la mesure où le marché mondial des noix de cajou brutes est moins concurrentiel que celui des noix de cajou transformées, le Mozambique a souffert de la détérioration des termes de l'échange. Enfin, la mauvaise gestion politique de la réforme a sérieusement limité les gains dynamiques qui auraient pu en résulter.

L'élément clé pour réaliser ces gains dynamiques aurait été un engagement crédible sur une nouvelle politique de prix - éventuellement complétée par des programmes compensatoires - qui aurait rendu attractifs pour les agriculteurs, les entrepreneurs et les salariés les investissements lourds nécessaires. La libéralisation aurait pu relancer le secteur rural en inversant la tendance en matière de plantation d'anacardiers. En milieu urbain, elle aurait pu donner le signal d'une restructuration de la production en encourageant des investissements plus rationnels. Mais les agriculteurs ont refusé de planter des anacardiers, les industriels de la transformation ont refusé d'investir ailleurs et les salariés ont refusé de chercher d'autres emplois.

Source: McMillan, Rodrik et Welch, 2002.


Dans la mesure où les prix varient réellement à la suite d'une réforme du commerce (voir l'étude sur la transmission des prix au Chapitre 5), les ménages ont différentes possibilités de réponse (production): intensification ou expansion de la production existante; diversification ou modification des intrants (par exemple, l'utilisation de main-d'œuvre extérieure); ou poursuite de la production existante. Un grand nombre de personnes souffrant de pauvreté ou d'insécurité alimentaire sont exclues des mécanismes officiels du marché; ainsi, en l'absence de politiques visant à les relier directement aux marchés, elles sont susceptibles de poursuivre la même production. Pour ces ménages, la réforme du commerce ne peut pas, à elle seule, avoir des effets bénéfiques.

La réponse en matière de consommation (demande) détermine le niveau de sécurité alimentaire par le biais de l'accès, de la disponibilité et de la stabilité. S'agissant de l'accès, l'une des principales questions concerne l'aptitude des ménages à acheter des produits alimentaires. Elle dépend de deux indicateurs: le revenu et le prix des produits alimentaires. La question est de savoir si les ménages sont capables de produire suffisamment de denrées alimentaires ou de gagner suffisamment d'argent pour acheter les produits qu'ils ne sont pas en mesure de cultiver eux-mêmes.

La disponibilité est nécessaire pour garantir que les ménages convertissent la demande en consommation. Une ouverture accrue au commerce aura tendance à améliorer les liens avec les marchés d'exportation, qui peuvent être utilisés, à leur tour, pour relier les communautés rurales pauvres aux produits alimentaires importés.

Le commerce peut également avoir des répercussions sur la stabilité. Certaines études empiriques (par exemple, Anderson 2000) indiquent qu'une plus grande ouverture des marchés agricoles augmente la stabilité des prix au lieu de la perturber: autrement dit, si les pays souhaitent assurer des disponibilités alimentaires stables et prévisibles, c'est l'ouverture des marchés, et non pas l'autosuffisance, que les pays devraient chercher à accroître. En effet, une ouverture accrue des marchés permet aux produits alimentaires de se déplacer des zones d'excédent aux zones de déficit et augmente la capacité des régions déficitaires de s'alimenter, tant à l'intérieur du pays que d'un pays à l'autre (Runge et al., 2003).

La question de l'ampleur et de la direction du rapport entre la libéralisation du commerce et des situations particulières d'insécurité alimentaire est de nature empirique. Bien que l'ouverture du commerce puisse contribuer à améliorer la sécurité alimentaire, cette libéralisation n'est pas sans problème. En effet, les variations des prix relatifs et la réallocation des ressources productives qui en résultent peuvent avoir un impact négatif sur la sécurité alimentaire de certains ménages.

Dans la pratique, le dépistage des effets des réformes de la politique agricole sur la sécurité alimentaire des ménages est problématique. De nombreux facteurs influencent les conséquences des réformes au niveau des ménages et celles-ci sont susceptibles d'avoir des effets tant négatifs que positifs. Deux dimensions entrent en jeu. D'une part, différents types de ménages dans des circonstances différentes peuvent être touchés de différentes manières, l'effet immédiat d'une réforme étant positif pour certains et négatif pour d'autres.

D'autre part, il faut considérer la dimension temporelle. En principe, l'ouverture des marchés devrait apporter des avantages à long terme; toutefois, de nombreux ménages sont confrontés à des coûts importants, en particulier à court terme. En effet, la réforme de la politique impose des ajustements au niveau national au fur et à mesure que la structure des incitations économiques se transforme et que les facteurs de production sont réorientés vers les secteurs dans lesquels le pays a des avantages relatifs.

Faciliter l'ajustement, tout en réduisant tout impact néfaste sur les ménages pauvres et souffrant d'insécurité alimentaire, représente un défi majeur de politique générale. Les politiques mises en œuvre doivent être de nature à accroître la capacité des ménages de répondre aux nouvelles incitations. À cet égard, l'accès à des marchés qui fonctionnent bien, surtout les marchés du travail, est essentiel. Il importe en outre de mettre en place des mécanismes compensatoires et de protection sociale pour aider les ménages vulnérables touchés par les effets négatifs de la réforme.

La réforme des politiques commerciales offre des débouchés aux pauvres et aux personnes souffrant d'insécurité alimentaire, mais le processus d'ajustement doit être soigneusement géré et assurer la protection de ces groupes sociaux. Les études de cas examinées ci-dessous illustrent ce point.

Études de cas de réformes macroéconomiques et commerciales

Les pays qui ont libéralisé leur commerce agricole au cours des deux dernières décennies dans le cadre de programmes d'ajustement structurel et de l'Accord sur l'agriculture ont obtenu des résultats divers en ce qui concerne la sécurité alimentaire. La FAO a récemment réalisé 15 études de cas18 . en vue d'examiner les effets des réformes des politiques macroéconomiques et commerciales sur la sécurité alimentaire (FAO, 2005a). On trouvera dans la section ci-dessous une synthèse des études et des principaux résultats de celles-ci, ainsi que leurs conséquences pour la politique du point de vue de la sécurité alimentaire.

Caractéristiques structurelles des pays étudiés

Les caractéristiques structurelles d'une économie, l'existence et le fonctionnement des institutions de commercialisation et le cadre antérieur des politiques générales, ont tous une incidence importante sur les résultats des réformes et le caractère approprié d'autres processus de réforme dans des contextes nationaux particuliers.

Les pays étudiés par la FAO sont à des stades de développement différents dans leur évolution d'une économie agraire à une économie industrialisée. Ils varient d'économies agraires à faible revenu (Malawi, République-Unie de Tanzanie) dont la majorité de la population est engagée dans des activités agricoles, à des pays à revenu moyen et à faible densité de population rurale (Chili et Pérou). Dans les pays à revenu moyen, les transformations structurelles ont déjà réduit l'importance de l'agriculture en ce qui concerne l'économie nationale, les consommateurs et les revenus ruraux. En raison de la taille considérable de leur population, de leur répartition entre les zones rurales et urbaines et de l'importance absolue de leurs secteurs industriels, l'Inde, et plus particulièrement la Chine, sont des cas particuliers dans le contexte de ces études.

L'agriculture représente plus d'un quart du PIB dans neuf des 15 pays, dépassant 35 pour cent dans cinq d'entre eux. Le Chili et le Pérou sont des exceptions du fait que l'agriculture représente moins de 10 pour cent du PIB dans les deux cas.

Dans l'ensemble, ces caractéristiques structurelles signifient que les effets de la libéralisation du commerce sur l'économie et le bien-être des consommateurs et ceux des réformes de la politique commerciale sur l'agriculture et la population rurale seront différents. Dans les pays agraires à faible revenu, l'impact de la croissance agricole, en raison de l'importance de ce secteur à ce stade de développement, est susceptible de jouer un rôle plus important dans la réduction de la pauvreté que dans les pays à revenu moyen. Dans les pays de cette dernière catégorie, bien que l'incidence de la pauvreté soit plus grande dans les zones rurales, le nombre absolu de pauvres est faible par rapport à celui des zones urbaines.

Contexte et nature des réformes

Au cours des années 50 et 60, la plupart des gouvernements des pays de l'échantillon sont intervenus dans leur économie dans le but d'accélérer le processus de développement par une industrialisation rapide. La stratégie typique poursuivie était une stratégie de substitution des importations, dont la contrepartie dans le secteur agricole était l'autosuffisance. À cet égard, les pays ont mené des politiques typiques de celles qui sont examinées au Chapitre 3.

Les défis et dilemmes fondamentaux auxquels ils étaient confrontés étaient les suivants: i) comment inciter les agriculteurs à la production (prix rémunérateurs et stables) tout en maintenant les denrées alimentaires de base à un prix abordable et l'approvisionnement en produits agricoles pour la population non agricole (principalement les personnes/consommateurs vivant dans les zones urbaines) et ii) comment corriger le dysfonctionnement du marché, y compris le manque de marchés, dans la fourniture de services de base au secteur agricole (crédit, intrants essentiels, informations techniques et informations sur le marché, infrastructure de commercialisation et de distribution, etc.). L'intervention de la plupart des gouvernements visait à influencer les prix à la production et les prix des facteurs de production et à fournir des services de base au secteur agricole. Dans certains cas, cette intervention a couvert tous les produits agricoles, tandis que dans d'autres, elle s'est limitée à des produits stratégiques, destinés soit à la consommation intérieure, soit à l'exportation.

Du point de vue macroéconomique, de nombreux pays de l'échantillon avaient vécu des périodes de croissance économique relativement rapide durant les années 60 et 70, avant que la détérioration économique ne rende une réforme des politiques nécessaire. Dans bien des cas, ces réformes ont été précipitées par une crise économique marquée par une faible croissance et des déséquilibres macroéconomiques graves, tels qu'une inflation élevée, des déficits fiscaux, des déficits de la balance commerciale et des problèmes critiques dans les secteurs financiers liés en partie à la crise de la dette extérieure au début des années 80. Dans l'ensemble, ces contraintes ont entraîné des réductions budgétaires importantes et, ce qui touchait particulièrement le secteur agricole, des réductions spécifiques des crédits subventionnés, des programmes de commercialisation et des infrastructures.

Dans l'ensemble, l'objectif primordial des programmes d'ajustement structurel et de libéralisation du commerce était de rendre l'agriculture intérieure plus orientée vers le marché. La principale stratégie adoptée pour réaliser cet objectif était la réforme sur plusieurs plans: réduction de la protection, déréglementation, privatisation et stabilité. Les éléments les plus importants de ces réformes politiques en ce qui concerne le commerce agricole étaient les suivants:

L'ordre chronologique et l'ampleur des réformes effectuées ont varié d'un pays à l'autre et, dans certains cas, les politiques ont été inversées. Cependant, dès le début des années 90, les tarifs avaient été considérablement réduits dans la plupart des pays et ils l'ont été davantage encore en 2001 (voir tableau 11). Dans le cas particulier de l'agriculture, les tarifs moyens appliqués en 2001 étaient inférieurs à 25 pour cent dans tous les pays sauf trois: l'Inde, le
Maroc et le Nigéria. Les barrières non tarifaires ont été en grande partie remplacées par des tarifs. Un problème majeur demeurait cependant: la volonté des gouvernements de protéger leur secteur agricole contre les fluctuations mondiales des cours et de compenser les subventions à l'exportation.

Conséquences des réformes pour l'agriculture

Tendances des prix intérieurs

On constate, depuis une vingtaine d'années, une tendance à la baisse des prix réels du marché international d'un grand nombre de produits de base agricoles, en particulier le maïs, le riz, le café, le cacao, les arachides et le coton. Ce déclin s'est néanmoins périodiquement renversé. Les fluctuations des cours ont touché certains produits plus que d'autres.

Les variations des prix internationaux sont le résultat de nombreux facteurs. Pour la plupart des produits de base tropicaux, tels que le café, le cacao et le thé, l'augmentation des disponibilités au niveau mondial (du fait d'une productivité accrue et de l'émergence de nouveaux producteurs) a été la principale cause de la tendance à la baisse des prix internationaux. Cependant, dans le cas des denrées alimentaires de base telles que les céréales, la viande, les produits laitiers et les huiles comestibles, qui font en général concurrence aux importations dans les pays de l'échantillon, la baisse de prix internationaux est due principalement aux niveaux élevés des subventions intérieures et des subventions à l'exportation appliquées par les pays développés. Les marchés agricoles internationaux les plus faussés par des niveaux élevés de subventions et de protection comprenaient les céréales (blé, maïs et riz), le sucre, les produits laitiers, les viandes et les oléagineux.

En l'absence de politiques intérieures visant à soutenir les prix agricoles, la tendance à la baisse des cours internationaux se traduit par une tendance semblable des prix réels à la production. Cela peut également s'appliquer aux produits semi-négociables tels que le sorgho, le millet, le manioc et l'igname, dont les cours, à long terme, ont tendance à suivre ceux des principales céréales.

Dans certains cas, les réformes ont été associées à des augmentations des prix intérieurs réels à la production (Guyana, Nigéria, République-Unie de Tanzanie et Ouganda) durant chaque période de réforme. D'autres pays, notamment le Cameroun et le Kenya, ont connu des périodes d'augmentation des prix réels à la production et des périodes de baisse. Dans d'autres pays encore, les périodes de réforme se sont caractérisées par une baisse des prix réels (par exemple le Guatemala et le Malawi).

Les causes du caractère hétérogène des réponses des prix aux réformes sont complexes, mais les études réalisées font ressortir des facteurs déterminants, qui peuvent être regroupés en gros en deux catégories: ceux qui agissent sur les prix à la frontière et ceux qui modifient le prix au sein de l'économie intérieure, que ce soit en conséquence d'interventions directes sur les prix ou de facteurs institutionnels. Dans l'ensemble, les périodes de hausse des prix intérieurs réels ont été liées à des dévaluations du taux de change réel. Par ailleurs, le relâchement du contrôle de l'État sur les prix et les systèmes de commercialisation a conduit, dans certains cas, à une hausse des prix à la production, en particulier dans le cas des produits agricoles d'exportation. En revanche, la libéralisation des importations semble avoir contribué à faire baisser le prix intérieur réel de certains produits de base.

Les deux exemples suivants illustrent ce point: au Chili, un système de contrôle par l'État des prix et de la commercialisation destiné à maintenir les denrées alimentaires à des prix abordables dans l'économie intérieure a été supprimé et le taux de change réel dévalué. Par rapport à la période qui a précédé cette réforme (1964-73), ces changements ont entraîné une hausse importante des prix intérieurs réels de tous les produits agricoles, y compris le blé, le maïs, le bœuf et le sucre, mais tous ces prix ont enregistré progressivement une baisse au cours des années 90. Dans l'ensemble, les réformes ont réussi à améliorer la transmission des fluctuations des cours internationaux aux prix intérieurs, à l'exception du prix du blé et du maïs, en raison de l'application d'ajustements automatiques dans la protection des frontières du fait du mécanisme national de sauvegarde (fourchette de prix) (figure 30).

Au Ghana, les réformes ont provoqué une baisse des prix intérieurs réels à la production de cultures vivrières de substitution aux importations, y compris le maïs, le riz et l'igname (figure 31). Le prix intérieur à la production du cacao, produit d'exportation majeur, a augmenté. Le cacao semble avoir bénéficié de la libéralisation du taux de change, mais il n'en a pas été de même pour les produits de substitution aux importations qui ont souffert des conséquences des tendances des prix mondiaux et de la libéralisation des importations.

Tendances de la production

Les données montrent que la production a réagi positivement à l'augmentation des prix réels, et négativement à leur baisse; toutefois, cela n'a pas toujours été le cas. Les tendances de la réponse de la production se sont avérées presque identiques dans le cas des produits d'exportation et des cultures vivrières. Des 150 cas pour lesquels des données relatives aux fluctuations des prix et de la production ont été fournies, la réponse dans la direction escomptée ne s'est produite que dans 66 pour cent des cas, 34 pour cent d'entre eux ayant rapporté soit une augmentation de la production lors de la baisse des prix, soit une diminution de la production face à la hausse des prix. Au Kenya et en République-Unie de Tanzanie, la production sectorielle a baissé, malgré une augmentation des prix réels. L'effet contraire s'est produit dans le cas du Malawi et du Pérou, soit une augmentation de la production de toute une gamme de produits en dépit d'une tendance des prix à la baisse.

Dans l'ensemble, la réponse de la production aux variations des prix est disparate. Cela indique que, bien que les producteurs réagissent à une combinaison d'incitations par les prix (déterminées aux niveaux international et national), les autres contraintes connexes ou leur atténuation sont, semble-t-il, des facteurs décisifs qui déterminent si une réponse se produit ou non durant la période de réforme (étant entendu que ces réponses inattendues peuvent être dues à des décalages de la réponse par rapport aux réformes), ainsi que l'ampleur de la réponse.

Comme dans le cas des fluctuations des prix, les causes du caractère hétérogène des réponses de la production sont multiples. Ainsi qu'il est mentionné ci-dessus, certaines d'entre elles ont trait à l'évolution des conditions du marché mondial. Lorsque les possibilités d'exportation augmentent par suite de l'ouverture d'un marché précédemment protégé, l'expansion des exportations peut se produire même lorsque la baisse des prix internationaux est plus pleinement transmise aux producteurs nationaux, en raison de réductions simultanées des restrictions des exportations locales.

De même, l'augmentation des prix intérieurs peut ne pas traduire une hausse des prix à la production, car des acteurs plus influents de la chaîne d'approvisionnement bénéficient du revenu accru qui découle de l'accroissement des cours mondiaux. Dans d'autres cas, les politiques nationales et les changements institutionnels peuvent contribuer à expliquer la réponse de la production. Par exemple, des augmentations sensibles des prix des intrants peuvent atténuer l'effet potentiel des accroissements des prix de la production; il arrive aussi que la suppression du soutien accordé au crédit rural ait un effet négatif sur la production.

Tendances du commerce

On relève des différences appréciables entre les pays dans la croissance relative des exportations et des importations agricoles et, par conséquent, dans la direction de l'évolution du rapport importations vivrières - exportations agricoles (tableau 12). Après une période de forte croissance durant la première et/ou deuxième moitié des années 80, le taux de croissance des exportations a baissé pendant les années 90, tombant brusquement pendant la période 1992-97 pour tous les pays à l'exception du Chili et du Sénégal. Dans la plupart des cas, cette tendance est liée à la baisse des prix des exportations plutôt qu'à la diminution de leur volume.

TABLEAU 11
Droits NPF appliqués et consolidés (pourcentage)

 

Droits NPF appliqués

Droits NPF consolidés

 

Année

Produits
agricoles

Tous produits

Année

Produits
agricoles

Tous produits

             

Afrique

             

Cameroun

1994

24

19

     

2002

24

18

1998

80

-

Ghana

1993

20

15

1995

97

92

2000

20

15

     

Kenya

1994

43

35

1996

97

96

2001

23

19

     

Malawi

1994

31

31

1996

111

76

2001

16

13

     

Maroc

1993

29

25

1997

66

43

2003

52

33

     

Nigéria

1988

37

34

1995

150

119

2002

53

30

     

Sénégal

2001

15

12

1996

30

30

Tanzanie, République-Unie de

1993

28

20

1995

120

120

2003

20

14

     

Ouganda

1994

25

17

1996

77

73

2003

13

9

     
             

Asie

             

Chine

1992

46

43

     

2001

19

16

2001

14

10

Inde

1990

66

66

     

2001

42

32

1996

115

49

             

Amérique latine

             

Chili

1992

11

11

     

2002

7

7

1999

26

25

Guatemala

1995

14

10

     

2002

11

7

1999

51

38

Guyana

1996

23

12

1998

93

58

2003

23

12

     

Pérou

1993

18

18

     

2000

17

14

1998

31

30

             

Source: WITS, 2003, Banque mondiale/CNUCED.

TABLEAU 12
Valeur totale des importations alimentaires par rapport à la valeur totale des exportations agricoles

Pays

Ratio moyen

1970-84

1985-94

1995-2002

       

Afrique

     
       

Cameroun

0,2

0,3

0,3

Ghana

0,2

0,4

0,6

Kenya

0,2

0,2

0,4

Malawi

0,1

0,2

0,2

Maroc

1,3

1,1

1,6

Nigéria

2,2

2,5

3,0

Sénégal

1,2

2,1

3,7

Tanzanie, République- Unie de

0,2

0,3

0,5

Ouganda

0,1

0,2

0,4

       

Asie

     
       

Chine

0,8

0,5

0,7

Inde

0,6

0,4

0,5

       

Amérique latine

     
       

Chili

2,8

0,2

0,3

Guatemala

0,1

0,2

0,3

Guyana

0,3

0,2

0,3

Pérou

1,2

1,9

1,4

Source: FAO.

Dans certains cas, non seulement on constate une augmentation de la valeur totale des exportations, mais la libéralisation du commerce semble aussi avoir encouragé la diversification des produits d'exportation. Bien que l'importance économique des exportations de produits tropicaux traditionnels se soit maintenue, les produits non traditionnels, tels que les fruits du Chili et du Guatemala, les fleurs coupées et les haricots verts du Kenya ou les asperges du Pérou, ont connu une croissance appréciable. En revanche, dans la plupart des cas, les importations alimentaires ont augmenté en moyenne plus rapidement que les exportations agricoles. L'effet net sur la balance commerciale agricole varie d'un pays à l'autre.

Dans un grand nombre de pays africains, les importations de denrées alimentaires ont augmenté non seulement en raison de la diminution des restrictions appliquées aux frontières et des fluctuations des taux de change, mais aussi parce que la production alimentaire par habitant au cours des années 90 a baissé dans certains pays (Kenya, Maroc, Sénégal et République-Unie de Tanzanie) (tableau 13).

TABLEAU 13
Variations du pourcentage de la population sous-alimentée, de la production alimentaire, de la pauvreté rurale et de la croissance économique (pourcentage)

 

Pourcentage de la population sous-alimentée

Variation du pourcentage de la population sous-
alimentée

Croissance réelle de la production alimentaire par habitant1

Incidence de la
pauvreté rurale2

Croissance réelle par habitant3

PIB

Valeur ajoutée
agricole

1979-81

1990-92

2000-02

1990/92-
2000/02

1989/91-
2001

Début
années 90

Fin
années 90

1990-2002

1990-2002

                   

Afrique

                 
                   

Cameroun

22

33

25

-8

6

59,6

49,9

-1,2

2,0

Ghana

64

35

13

-22

48

63,0

49,0

1,9

0,7

Kenya

24

44

33

-11

-6

46,3

59,6

-0,7

-1,5

Malawi

26

49

33

-16

67

-

66,5

1,1

5,1

Maroc

10

6

7

1

-17

18,0

27,0

1,1

3,8

Nigéria

39

13

9

-4

18

48,0

76,0

0,3

0,9

Sénégal

23

23

24

1

-3

-

-

1,0

-1,1

Tanzanie, République- Unie de

28

35

44

9

-22

41,0

39,0

1,1

0,8

Ouganda

33

23

19

-4

1

59,4

39,0

3,6

1,0

                     

Asie

                 
                   

Chine

30

17

11

-6

74

32,9

3,2

8,2

2,9

Inde

38

25

21

-4

13

30,1

21,0

3,7

0,6

                     

Amérique latine

                 
                   

Chili

7

8

4

-4

25

39,5

23,8

4,2

1,6

Guatemala

18

16

24

8

3

-

-

1,2

0,1

Guyana

13

21

9

-12

84

45,0

40,0

3,5

3,8

Pérou

28

40

13

-27

51

70,8

64,8

1,3

2,0

                   

1 Croissance globale de la production alimentaire par habitant entre 1989/1991 et 2001 en prix constants de 1989/1991.

2 Pourcentage de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Les années de début et de fin varient selon les pays dans le tableau mais se situent généralement entre 1990 et 2001, à l'exception de la Chine pour laquelle l'incidence de la pauvreté correspond à 1978.

3 Pourcentage annuel moyen.
Source:
FAO, 2005a; Banque mondiale; FAO, 2003b.

Incidence des réformes sur la sécurité alimentaire

Les répercussions des réformes sur la sécurité alimentaire sont difficiles à évaluer directement et il est préférable de les saisir à l'aide d'une série d'indicateurs qui englobent à la fois les éléments macroéconomiques (niveau national) et microéconomiques (niveau des ménages). Ces indicateurs peuvent être classés en fonction des trois principaux aspects de l'insécurité alimentaire: la disponibilité, la stabilité et l'accessibilité.

Disponibilités alimentaires globales des pays à l'étude

Au cours des années 90, on constate un lien étroit entre la production vivrière par habitant et la disponibilité d'éléments nutritifs par habitant. L'indice de production alimentaire par habitant a augmenté pour 11 pays, où l'on note des améliorations appréciables; par contre, cet indicateur s'est aggravé dans le cas du Kenya, du Maroc, du Sénégal et de la République-Unie de Tanzanie, le Maroc et la République-Unie de Tanzanie ayant été particulièrement frappés (voir tableau 13).

Parmi les pays dont l'indice de production vivrière a décliné, seul le Kenya a échappé à un déclin simultané des disponibilités d'éléments nutritifs. En d'autres termes, même si les devises n'ont pas été un facteur limitant, d'autres facteurs sont manifestement entrés en jeu, qui ont empêché les importations de denrées alimentaires de compenser le déficit de la production. Cela est probablement dû à l'effet de la production sur les revenus ruraux et au fait que l'alimentation dépend du niveau des revenus. Des revenus insuffisants se traduisent par l'absence du pouvoir d'achat nécessaire pour encourager les marchés à importer des produits vivriers en quantité suffisante.

Durant la période qui a suivi 1995, la part des importations de denrées alimentaires dans la totalité des importations a augmenté dans tous les pays de l'échantillon, à l'exception de la Chine, de l'Inde et du Pérou (voir tableau 14). La tendance à la hausse de cette part est due à des facteurs multiples, tels que la croissance démographique et économique, la libéralisation des échanges et l'assouplissement des barrières douanières. Cependant, une augmentation des importations de produits alimentaires par rapport aux recettes totales des exportations (biens et services) suggère que la sécurité alimentaire au niveau national, telle qu'indiquée par la capacité d'importation, se trouve de plus en plus menacée. Après 1995, ce coefficient a augmenté pour huit pays, en particulier le Sénégal, la République-Unie de Tanzanie et l'Ouganda, où il était particulièrement élevé (plus de 20 pour cent).

Sécurité alimentaire des ménages

Tout impact de la politique sur la disponibilité, l'accessibilité et la stabilité des approvisionnements alimentaires au niveau national est atténué par divers paramètres institutionnels et régionaux qui affectent les ménages individuels. Les tendances de la sécurité alimentaire des ménages peuvent être évaluées à partir de données sur la pauvreté et d'estimations du pourcentage de personnes sous-alimentées.

Les pays qui ont connu des taux de croissance relativement élevés du PIB réel par habitant ou de la valeur ajoutée réelle des produits agricoles par habitant au cours des 10 dernières années signalent des résultats positifs quant au nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté (voir tableau 13). Il convient de noter cependant que, dans ces pays, la réduction de la pauvreté varie souvent d'une région, ou d'une catégorie d'agriculteurs, à l'autre.

Les indicateurs de pauvreté sont en général moins encourageants dans les pays où la croissance du PIB réel a été relativement faible au cours de la dernière décennie. Les études de cas indiquent que l'effet des réformes de la politique sur le revenu des ménages ruraux dépend grandement de la performance du secteur agricole, notamment en ce qui concerne la production vivrière, et de la réponse globale de l'économie. Ce lien reflète l'importance relative des fonds agricoles et non agricoles dans le revenu des ménages ruraux. La pauvreté est plus susceptible de s'aggraver dans les pays où les indicateurs de croissance, après la réforme, n'étaient pas adéquats.

La sécurité alimentaire peut être mesurée non seulement en fonction des niveaux de pauvreté, mais aussi à partir des données disponibles sur la sous-alimentation. Les chiffres estimatifs de la sous-alimentation et leurs tendances sont résumés dans le tableau 13. La plupart des pays ont ressenti les effets des réformes entre 1990 et 2001. En 2000-02, la République-Unie de Tanzanie a été la plus touchée par la sous-alimentation, avec 44 pour cent de la population affectée, alors qu'elle était inférieure à 10 pour cent au Guyana, au Nigéria et au Maroc et inférieure à 5 pour cent dans le cas du Chili.

Selon les estimations de la FAO, le pourcentage de personnes souffrant de sous-alimentation a baissé dans 11 des 15 pays au cours de la période 1990-92 à 2000-02, le Guatemala et la République-Unie de Tanzanie étant les seuls pays où le taux de sous-alimentation a sensiblement augmenté. Au cours des années 90, on constate une corrélation étroite entre l'évolution de la prévalence de la sous-alimentation et l'évolution des disponibilités alimentaires moyennes, en particulier la production vivrière par habitant (figure 32 et tableau 14).

TABLEAU 14
Protéines et calories disponibles par habitant, 1980/82-1999/2001

 

Calories (cal/jour)

Protéines (g/jour)

 

1980-82

1990-92

1999-2001

1980-82

1990-92

1999-2001

Afrique

           
             

Cameroun

2 260

2 123

2 240

57

51

56

Ghana

1 661

2 094

2 621

38

46

54

Kenya

2 164

1 924

2 044

56

51

53

Malawi

2 269

1 886

2 164

66

51

54

Maroc

2 772

3 017

3 002

73

84

81

Nigéria

2 065

2 559

2 768

49

57

63

Sénégal

2 343

2 283

2 275

67

67

63

Tanzanie, République-Unie

2 186

2 078

1 970

54

51

48

Ouganda

2 139

2 291

2 371

49

55

57

             

Asie

           
             

Chine

2 400

2 708

2 974

56

66

85

Inde

2 067

2 368

2 492

51

57

59

             

Amérique latine

           
             

Chili

2 646

2 612

2 851

71

73

78

Guatemala

2 332

2 352

2 160

59

60

55

Guyana

2 517

2 350

2 536

61

61

73

Pérou

2 143

1 979

2 602

55

49

64

             

Source: FAO.

Effets différents au sein des pays

Dans le secteur agricole de chaque pays, les réformes ont touché les producteurs différemment, selon le type de production. Dans l'ensemble, les producteurs d'exportations en ont bénéficié, de même que les salariés travaillant dans les secteurs de la production et de la transformation de produits agricoles d'exportation. Par contre, les producteurs faisant concurrence aux produits d'importation, qui ont perdu dans une certaine mesure leur protection, ont été défavorisés à court terme. Toutefois, leur bien-être à long terme dépendait de leur capacité d'accroître leur productivité ou de modifier leurs cultures. Dans bien des cas, la flexibilité des agriculteurs s'est révélée insuffisante pour ajuster leur production ou leurs cultures et cette catégorie d'agriculteurs aura probablement subi des pertes à long terme.

Dans l'ensemble, les producteurs de biens non échangeables ont été moins directement touchés par les réformes commerciales, mais il se peut qu'ils aient souffert indirectement de l'évolution de la consommation en faveur des produits d'importation meilleur marché, ou qu'ils aient bénéficié indirectement de l'augmentation éventuelle du prix des produits d'exportation. Les petits exploitants agricoles produisent en général des biens non échangeables et les membres de leur ménage ont tendance à travailler plutôt dans le secteur rural non agricole. Ainsi, les ménages des petites exploitations agricoles ont bénéficié des réformes dans la mesure où des possibilités d'emploi se sont présentées dans le secteur rural non agricole, mais il reste à savoir si cette augmentation de l'emploi est une conséquence directe de la libéralisation du commerce.

On constate également des différences entre les effets sur le revenu réel des consommateurs urbains et sur celui des consommateurs ruraux. Le fait que les ménages à faible revenu, qu'ils soient urbains ou ruraux, consacrent une grande partie de leur revenu à l'alimentation est bien établi. Dans la mesure où la libéralisation du commerce entraîne une baisse des prix, le revenu des ménages pauvres à consommateurs nets peut augmenter en chiffre absolu. Il est certain que les consommateurs à faibles revenus, tels que les petits exploitants qui sont aussi souvent des consommateurs nets, ont bénéficié de la libéralisation du commerce, car la réduction de la protection a entraîné une baisse du prix des produits alimentaires par rapport aux salaires. C'est manifestement le cas pour les pays où les exploitants agricoles représentent une petite proportion de la population (le Chili, par exemple) et où la plupart des agriculteurs sont salariés. Toutefois, lorsque l'agriculture représente une part importante des emplois et que les agriculteurs sont indépendants, la perte de revenu des agriculteurs pauvres risque d'annuler tout accroissement du revenu net du fait des produits d'importation dans l'assortiment des biens de consommation essentiels.

Résumé des conséquences des réformes

Le contexte infrastructural et institutionnel dans lequel fonctionne l'agriculture, l'ordre chronologique des réformes et la cohérence de leur mise en œuvre comptent parmi les facteurs significatifs qui influencent leurs résultats en ce qui concerne la sécurité alimentaire.

Avec la réduction de la réglementation des prix et des systèmes de commercialisation par les gouvernements et l'assouplissement des barrières tarifaires, en particulier pour les produits d'exportation, les prix de soutien se sont améliorés dans presque tous les pays étudiés. Les variations du taux de change réel résultant soit des politiques en la matière, soit de l'inflation, ont exercé une influence particulièrement grande sur ces incitations. Lorsque les taux de change sont demeurés à un niveau surévalué ou qu'ils se sont revalorisés à la suite des réformes, les prix de soutien agricoles ont perdu de la valeur et le contraire s'est passé lorsque les taux de change ont baissé.

L'amélioration des prix de soutien agricoles a entraîné une hausse de la production dans deux tiers des cas, mais d'autres facteurs ont dominé l'effet incitatif dans les autres pays. La suppression du crédit rural et une hausse des prix des facteurs de production comptent parmi les causes de la réponse faible ou négative des approvisionnements. Dans bien des cas également, quand des réformes institutionnelles ont été entreprises pour diminuer les interventions gouvernementales dans les marchés agricoles, le secteur privé n'était pas toujours équipé pour prendre la relève des activités du gouvernement, avec pour conséquence une longue période d'insuffisance des services fournis aux producteurs.

L'agriculture destinée à l'exportation a davantage bénéficié des réformes que les secteurs de production agricole faisant concurrence aux importations. Un secteur d'exportation dynamique contribue à réduire la pauvreté et l'insécurité alimentaire, mais les producteurs des secteurs faisant concurrence aux importations, notamment les petits producteurs dont les actifs sont inadéquats, peuvent subir des pertes, en particulier lorsqu'ils n'ont pas la capacité de s'adapter à d'autres possibilités de production ou d'emploi.

Le rythme d'atténuation de la pauvreté dépend de la performance économique globale, c'est-à-dire de la création de possibilités d'emploi dans les secteurs agricole et non agricole à un rythme plus rapide que le taux de croissance démographique. Dans les économies principalement agraires et où la pauvreté est en grande partie rurale, la performance économique dépend aussi grandement de la performance du secteur agricole. Par conséquent, dans ces cas-là, toute amélioration des prix agricoles contribue positivement à réduire la pauvreté.

La hausse des prix peut cependant avoir des effets défavorables sur la sécurité alimentaire, à moins que des mesures ne soient prises pour veiller à ce que les ménages ruraux pauvres bénéficient réellement du processus de réforme.

Principales conclusions

Les réformes de fond entreprises par les pays étudiés reposent sur l'hypothèse qu'une plus grande orientation vers le marché améliore la performance du secteur et, à la longue, favorise la réduction de la pauvreté et augmente la sécurité alimentaire. Bien que les résultats des expériences de réforme réalisées dans les pays soient mitigés, un certain nombre de thèmes cohérents se dégagent des études de cas.



18 Les études de cas couvraient les pays suivants: Asie: Chine et Inde; Amérique latine et Caraïbes: Chili, Guatemala, Guyana et Pérou; Afrique du Nord et Proche-Orient: Maroc; Afrique subsaharienne: Cameroun, Ghana, Kenya, Malawi, Nigéria, Sénégal, République-Unie de Tanzanie et Ouganda. Pour un examen de la méthodologie employée, voir également FAO (2003b, Chapitre 11).


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