Quand on parle de pertes alimentaires, une première considération qui s'impose est celle qui distingue les produits vivriers périssables des produits non périssables ou conservables (voir au deuxième chapitre le tableau 4 comparant les propriétés des céréales et celles des plantes à racines et tubercules du point de vue de leur aptitude au stockage). Dans une de ses études faisant le bilan des pertes de manutention ou d'intervention après-récolte pour les produits périssables, le programme spécial de prévention des pertes de la FAO présente les conclusions suivantes : si les opérations de récolte, de mise en stock (entassement et/ou conditionnement en entrepôt), de stockage et de transport ont été défectueuses, les pertes se répartissent comme suit :
| moisson | 5 - 8 % |
| mise en stock | 15 - 20 % |
| stockage | 5 - 10 % |
| transport | 10 - 12 % |
| soit un total théorique de | 35 - 50 % |
En réalité, en faisant un calcul cumulatif, on trouverait des pertes moyennes moins élevées ; il n'empêche qu'elles restent considérables. Si la situation est meilleure, bien sûr, pour les produits non périssables, elle n'est pas toujours satisfaisante et pourrait être améliorée. C'est ce qui ressort, par exemple, d'une étude asiatique sur la chaîne post-récolte des grains (céréales). Cette étude a analysé les pertes des principales opérations et estimé en pourcentage celles qui pourraient être évitées. Ses conclusions sont les suivantes : chaque année, 5 % des pertes dues à un mauvais suivi et à un mauvais contrôle de l'humidité d'une part, et 5 % des pertes dues à des problèmes de manutention, de stockage et de transformation d'autre part, pourraient être évitées (étude de P. Douglas, G. Dubrick, G. Sullivan - ASEAN).
A ce propos, signalons que dans les pays industrialisés, les producteurs de grain considèrent comme normal qu'il y ait 1 % de coulage en moissonnage-battage et 2 % en stockage, ce qui fait déjà 3 % pour ces deux seules opérations. La règle courante est plus restrictive puisqu'elle estime que le taux de pertes acceptable au bout de 9-10 mois de stockage est de l'ordre de 0,75 à 1 %. Quant au montant des pertes accepté dans le secteur commercial, il est normalement de 0,75 %.
Une étude argentine a calculé l'incidence financière des pertes après-récolte sur les coûts en termes de gestion commerciale. Les chiffres sont les suivants :
Tableau 24 : Incidence des pertes dans les coûts de la gestion commerciale
(Source : C.E.Fru., Cor, Argentina, 1993)
| % de pertes | Kg de denrée commercialisée |
Coût par kg en $ E.-U. |
Hausse du coût en % |
| 0 | 1,047 | 0,65 | 0 |
| 5 | 0,995 | 0,68 | 5 |
| 10 | 0,942 | 0,72 | 11 |
| 15 | 0,890 | 0,76 | 17 |
| 20 | 0,838 | 0,81 | 25 |
A l'instar de l'évaluation des pertes, le calcul ou l'estimation des coûts et des prix de revient présente beaucoup de difficultés, sinon d'incertitudes, si l'on veut tenir compte des multiples paramètres en cause. Il convient, notamment, de bien préciser si l'on affaire à l'économie « rationnelle » d'un pays industrialisé ou à celle d'un pays en voie de développement. Malgré cela, les résultats chiffrés gardent toujours une valeur relative et restent tributaires d'un cadre socio-économique qu'il ne faut pas oublier. Ces difficultés sont sans doute une des principales raisons pour lesquelles les données économiques sont peu développées dans la littérature sur les systèmes et les pertes après-récolte.
Les chiffres de coûts (en valeur monétaire ou en pourcentage) que l'on trouvera dans les tableaux ci-après proviennent de sources disparates et concernent trois fonctions essentielles de la filière post-récolte des céréales : le battage, le séchage et le stockage. On commencera par une étude sur un projet rizicole du Mali (projet Harpon) qui a comparé les coûts du battage traditionnel (manuel) et du battage mécanisé (avec ventilateur), en mentionnant en parallèle les pertes correspondantes :
| prix du battage en % | pertes de grain en % | |
| battage traditionnel | 12 % | 5-10 % (6 mois au moins après la moisson) |
| battage mécanisé | 8 % | 2 % |
| battage actuel (batteuses Votex) |
4,5 % | ------ |
On constate que les nouvelles techniques de battage réduisent sensiblement les coûts aussi bien que les pertes, sans parler du gain de temps et du soulagement de la peine.
Dans le manuel du NRI (Rome, 1994, non publié), on trouve un tableau détaillé sur le séchage du paddy, comprenant les spécifications techniques du séchoir et les différents coûts unitaires de trois variantes dans le système de séchage, pour faire passer le taux d'humidité du paddy fraîchement coupé, de 20 à 14 %. On ne retiendra ici que quelques données significatives de ce tableau et, pour chaque variante, le cas du petit volume soumis au séchage :
| Lot unitaire d'une cellule | Lot recyclé en séchage | Grain en flux continu | |
| Capacité en volume du séchoir (tonne) | 2 | 5 | 5-10 |
| Performance de séchage en tonne/jour | 6 | 15 | 60 |
| Investissement pour séchage seul ($ E.-U.) | 800 | 15000 | 40000 |
| Coût annuel total | 960 | 6300 | 19200 |
| Coût par tonne ($ E.-U.) | 4,0 | 10,50 | 8,0 |
On se contentera de relever les différences de coût unitaire par tonne, montrant que la formule la plus réduite en volume s'avère être la plus économique et que le séchage en flux continu est moins coûteux que le recyclage d'un lot. Les résultats complets de ce tableau, qu'on trouvera ci-après, confirment cette conclusion puisque, en grand volume, la formule la plus économique est celle du flux continu, après quoi vient la première formule (lot unitaire), enfin la formule de « recyclage ».
Tableau 25 : Caractéristiques du séchoir, rendement et coût estimatifs pour du riz récemment moissonné (paddy)
(Source : Wimberly, 1983)
| Lot unitaire d'une cellule | Lot recyclé en séchage | Grain en flux continu | ||||
| Petit | Grand | Petit | Grand | Petit | Grand | |
| Caractéristiques du séchoir | ||||||
| Capacité en volume du séchoir (tonne) | 2 | 100 | 5 | 10 | 5-10 | 10-25 |
| Consommation approximative de courant | 3 | 10 | 15 | 25 | 15-20 | 25-50 |
| Flux d'air Approximatif (m3/s per tonne) | 50 | 23 | 56-85 | 70-100 | 85-115 | 115-140 |
| Température approximative de l'air de séchage(oC) | 43 | 43 | 60-80 | 60-80 | 60-80 | 60-80 |
| Capacité approximative des brûleurs(kW) | 30 | 1,200 | 600 | 1,200 | 1,200 | 2,400 |
| Performance Estimatée | ||||||
| Rendement de séchage (t/day) 20% à 15% d'humidité | 6 | 10 | 15 | 30 | 60 | 100 |
| Capacité de séchage annuel(tonnes) (40 days/year operation) |
240 | 400 | 600 | 1,200 | 2,400 | 4,100 |
| Coût estimatifs (US$) | ||||||
| Investissement pour le materiel de séchage | 800 | 6,000 | 15,000 | 24,000 | 40,000 | 50,000 |
| Coût Annuel Fixe | 240 | 1,800 | 4,500 | 7,200 | 12,000 | 15,000 |
| Coût Annuel Variable | 720 | 1,200 | 1,800 | 3,600 | 7,200 | 12,000 |
| Coût Annuel Total | 960 | 3,000 | 6,300 | 10,800 | 19,200 | 27,000 |
| Coût par tonne | 4,0 | 7,50 | 10,50 | 9,0 | 8,0 | 6,75 |
Selon des études sur l'économie et la gestion de la filière post-récolte des céréales, on considère qu'en France, le coût du stockage représente 12 % de la valeur du grain. Le calcul de coûts que l'on trouve dans la synthèse sur les Journées techniques d'Accra, déjà citée, a le mérite de comparer le rapport coût/bénéfice entre 3 greniers différents, après 6 mois de stockage. Il s'agit toujours d'essais sur la conservation du maïs au Bénin, donc dans un environnement rural et artisanal, pour comparer les performances de plusieurs greniers améliorés par rapport à un grenier témoin traditionnel. Le maïs était stocké en épis non déspathés et les deux greniers améliorés avaient la capacité suivante : BT 2 = 2 tonnes, BT 3 = 6 tonnes. Le document donne les précisions suivantes : « le coût du stockage comprend les coûts de construction, de traitement phytosanitaire et de mise en stock. Le rapport coût/bénéfice est la plus-value réalisée en différant la vente du grain » :
Tableau 26 : Coûts du stockage de maïs en épis non déspathés, en grenier amélioré et traditionnel au Bénin
(Source : FAO, Journées techniques d'Accra, 1994)
| Type de grenier | Coût du stockage | Coût/bénéfice après 6 mois |
| BT 2 | 4.300 FCFA/tonne | 2.125 FCFA/tonne |
| BT 3 | 3.150 FCFA/tonne | 2.600 FCFA/tonne |
| Témoin traditionnel | 4.100 FCFA/tonne | --------- |
On le voit : grâce à l'amélioration technique des greniers, le stockage devient une opération financièrement bénéficiaire (voir ci-après tableaux 27, 28 et 29).
Tableau 27 : Evolution de la teneur en eau des grains
(Source : Journées techniques d'Accra, FAO, pp. 53-54)
| Diamètre du grenier | A la récolte en % | Après 3 mois de stockage en % | Après 6 mois de stockage en % |
| 2 m | 19,75 | 15,3 | 12,6 |
| 3 m | 20 | 15,8 | 13,6 |
| 4 m | 20.7 | 16,7 | 15,4 |
| Témoin | 18,9 | 15 | 11,7 td> |
Tableau 28 : Dégâts dus aux moisissures (% de grains moisis)
(Source : Journées techniques d’Accra, FAO, pp. 53-54)
| Diamètre du grenier | A la récolte en % | Après 3 mois de stockage en % | Après 6 mois de stockage en % |
| 2 m | 2,3 | 2,9 | 3,4 |
| 3 m | 3,4 | 5,7 | 5,1 |
| 4 m | 4,2 | 11,4 | 10,7 |
| Grenier traditionnel | 2,9 | 3,0 | 3,2 td> |
Tableau 29 : Pourcentage de perte en poids due aux insectes
(Source : Journées techniques d’Accra, FAO, pp. 53-54)
| Diamètre du grenier | A la récolte en % | Après 3 mois de stockage en % | Après 6 mois de stockage en % |
| 2 m | 0,4 | 0,7 | 1,3 |
| 3 m | 0,2 | 0,6 | 0,9 |
| 4 m | 0,9 | 0,9 | 1,3 |
| Grenier traditionnel | 0,6 | 1,6 | 6,2 td> |