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CHAPITRE V: LE CAPITAL SOCIAL COMME INSTRUMENT DE REGLEMENT


5.1. Dans la commune du Koussan (forêt de Diangoumérila) le capital social le plus quotidien, le plus manifeste est l'usage des relations traditionnelles pour chercher solution à toutes circonstances. Le “cousinage à plaisanterie” qui naît entre deux communautés (et même à l'origine entre deux individus), laisse la liberté à tous de s'assimiler à un groupe social afin d'user des larges facilités possibles. A la fois école de maîtrise de soi, de réthorique, de dépassement de soi, de bonne humeur, de conduite surveillée, le cousinage à plaisanterie est aussi un garde-fou pour la société qui la pratique: on y fait recours de façon directe ou indirecte mais efficace pour obtenir ce que l'on ne pourrait obtenir par des relations ordinaires.

Les hommes de castes sont dépositaires d'un certain nombre de secrets de toutes les familles de la communauté. Forgerons, ils ont circoncis tous les hommes et par conséquent ils ont versé le sang de chacun et de tous et, à ce titre, ont conclu un pacte entre eux et ceux qu'ils ont purifiés. Forgeronnes, elles ont excisé des jeunes filles. Griots, ils constituent la mémoire des hauts faits, mais aussi des bassesses passées des familles que les héritiers peuvent ignorer et surtout qu'ils ne voudraient pas voir étaler au grand jour. Or, dans la société africaine les castes sont considérées comme des objecteurs de conscience. Elles sont certes discrètes, mais personne ne prendrait le risque de les défier publiquement. Par ailleurs c'est grâce au talent des griots en particulier et aux hommes de castes qu'un homme noble se surpasse ou reste en deçà de ses pairs. Cette capacité de nuisance et ce talent de magnifier comparables à une capacité de faire chanter, font des hommes de castes des amis recherchés donc écoutés et obéis.

Un troisième élément du capital social dans le Koussan est la batterie de sanctions dissuasives et fonctionnelles pour pérenniser les solutions obtenues auprès du gwatigi et du conseil des Sages. En effet, après un accord suite au règlement d'un litige, les deux parties reconciliées paient chacune une amende dont l'utilisation est collective. C'est une façon de dire qu'il n'y a ni vainqueur ni vaincu. La conscience collective considère comme déshonorant d'en arriver à payer cette amende, d'où l'extrême rareté des conflits dans le Koussan.

5.2. Dans le Samori l'efficacité de la décentralisation exige de prendre en compte les institutions qui ont un rôle essentiel: celui de constituer la société civile et de jouer le jeu de négociation parce que la majorité des citoyens se reconnaissent dans ce type de valeur partagée. C'est pourquoi l'usage du capital social à travers ses composantes, peut calmer à tout moment les dérapages inévitables et nombreux au cours de l'application et de l'interprétation des textes.

Dans les relations économiques, on tisse des relations de “sinankuya” (cousinage à plaisanterie), afin de dédramatiser les futurs conflits d'intérêts: à la place de ce qui devrait être une violence armée, on prépare une violence verbale conventionnelle dans une réthorique “pimentée”.

Dans le Samori, les sinankuya dénotent toute la portée des pactes de sang interlignagers dans le renforcement du caractère des ethnies. La plaisanterie prévient, atténue, module, gère les conflits de façon durable.

L'autorité coutumière recèle des capacités de négociation pour maintenir la cohésion sociale et protéger le cadre de vie rural. Cette dynamique positive hommes-ressources naturelles a été renforcée par l'entretien d'un cadre de concertation entre les institutions foncières coutumières et modernes grâce à la pratique de l'homologation des actes de médiation.


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