J.B. Raintree
John B. Raintree, sociologue du Réseau pour les essences polyvalentes d'Asie, travaille au Projet de Recherche/développement sur les forêts et le bois de feu (F/FRED), Institute for Agricultural Development, Université de Kasetsart, Bangkok.
Evaluation du potentiel de divers modes d'interaction entre chercheurs et agriculteurs fondée sur les recherches entreprises par le Centre international pour la recherche en agroforesterie (CIRAF).
La recherche dans les exploitations agricoles va des expériences rigoureuses sur le plan statistique aux expérimentations informelles à base d'observations réalisées par les agriculteurs. D'aucuns iraient même jusqu'à y inclure certains types de suivi et d'évaluation de projets. Comme l'ont noté Hocking et Islam (1990), la caractéristique essentielle de la «recherche» au sens large est l'observation et l'information de retour sur les résultats afin de modifier l'action future.
Les modes d'interaction entre chercheurs et agriculteurs diffèrent selon le type de recherche à l'exploitation qui est entrepris. En dernier ressort, c'est le mode d'interaction qui détermine à qui «appartient» la recherche. L'encadré de la page 14 décrit quatre modes possibles d'interaction entre les chercheurs (et d'autres spécialistes n'appartenant pas à la communauté) d'une part, et les «agriculteurs» (et d'autres membres de la population locale destinataires de l'assistance extérieure), de l'autre. Les quatre types d'interaction comportent tous une certaine forme de «participation», mais il est évident qu'ils diffèrent complètement les uns des autres quant au degré de participation locale. On examine ci-après les points forts et les points faibles des trois approches qui comportent le degré de participation le plus élevé, d'après l'expérience du Centre international pour la recherche en agroforesterie (CIRAF) en matière de recherche agroforestière à l'exploitation.
Au cours des années 80, les chercheurs du CIRAF ont mis au point une approche de la recherche agroforestière à l'exploitation du type «systèmes agricoles», basée sur la méthodologie D&D (diagnostic et conception) (Raintree, 1987a; Raintree, 1987b; Rocheleau, Weber et Field-Juma, 1988; Scherr, 1990). Grâce à cette approche de type consultatif, la participation des agriculteurs à la recherche avec les chercheurs professionnels s'est accrue. Néanmoins, les chercheurs du CIRAF ont constaté que le modèle consultatif comporte des lacunes importantes car il ne permet pas toujours de mettre au point des technologies agroforestières qui puissent être réellement adoptées.
Modes d'interaction entre les chercheurs et les agriculteurs
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Prescription |
Consultation |
Participation |
Action catalytique |
Interaction |
Les chercheurs donnent des conseils aux agriculteurs en se fondant sur ce qui, d'après leurs propres connaissances(ou croyances), convient le mieux a ces derniers; des chercheurs d'un haut niveau professionnel effectuent toutes les recherches et des agents de vulgarisation tentent de faire «accepter» ces résultats aux agriculteurs. |
Les chercheurs et les agents de vulgarisation consultent les agriculteurs afin de mieux comprendre leur situation, les chercheurs tiennent ensuite compte des informations obtenues pour concevoir des technologies destinées aux agriculteurs; ce sont habituellement les chercheurs qui fixent les priorités et conduisent la recherche; mais ce sont les agriculteurs qui décident en fin de compte d'adopter ou de refuser les résultats de la recherche; les agriculteurs sont souvent invités à collaborer à la recherche à l'exploitation. |
Les chercheurs et/ou les agents de vulgarisation ouvrent avec les agriculteurs un dialogue portant sur leurs problèmes et leurs besoins en matière de recherche; les agriculteurs et les communautés locales identifient leurs propres priorités de recherche; les recherches répondant à ces priorités sont menées conjointement par les chercheurs et les agriculteurs, souvent au sein de groupes cibles de cultivateurs qui partagent les mêmes problèmes ou intérêts. |
Les agents favorisant la recherche» interagissent intensivement avec les agriculteurs, en assurant un accès aux informations extérieures et/ou en faisant office de catalyseurs dans les processus expérimentaux d'apprentissage et de décisions des agriculteurs eux-mêmes avec l'aide de l'agent catalyseur, les agriculteurs effectuent leurs propres recherches expérimentales non formelles au sein de la communauté dont ils font partie. |
Points forts |
Moyen efficace et rentable de Transférer un ensemble défini et bien établi d'informations techniques à des bénéficiaires bien disposés; fonctionne mieux quand les bénéficiaires demandent eux-mêmes le transfert (par exemple, acquisition commerciale d'une technologie avancée par un secteur moderne ou participation des agriculteurs à des programmes de cultures d'exportation qui ont déjà fait leurs preuves). |
La planification de la recherche est plus appropriée grâce à l'apport des agriculteurs; les chercheurs ont le sentiment que leurs recherches sont plus constructives et ils peuvent être heureux de consulter les agriculteurs tant qu'ils conservent le contrôle des priorités de recherche; cette méthode est plus coûteuse qu'un simple transfert de technologie, mais permet, de façon assez rentable, d'orienter la recherche vers les besoins locaux. |
Du fait que les agriculteurs interviennent directement dans les prises de décisions pour établir les priorités de recherche et concevoir les technologies, le taux d'adoption des résultats de la recherche tend à s'accroître; en outre, l'implication des agriculteurs dans la recherche tend à favoriser l'adoption plus rapide des nouvelles technologies par l'ensemble de la communauté. |
Partant d'une tradition de recherche autochtone informelle qui est aussi ancienne que l'agriculture elle-même, cette approche a les meilleures chances d'obtenir des résultats adoptables au niveau local. |
Points faibles |
Si le transfert est entrepris à l'instigation du groupe d'origine, des techniques inappropriées, dangereuses ou non adoptables peuvent être imposées à des bénéficiaires mal disposes ou crédules, ce qui entraîne des taux d'adoption bas et/ou des conséquences négatives imprévues. |
Bien qu'elles soient mieux adaptées aux besoins locaux, les techniques sélectionnées n'ont pas toujours un taux d'adoption élevé parce qu'elles restent «étrangères» dans leurs modalités ou leur objectif, ou que les agriculteurs disposent de moyens plus faciles et qu'ils connaissent mieux pour traiter les mêmes problèmes. |
La participation de la communauté à la prise de décisions prend du temps; les spécialistes et les assistants bénéficiant d'une formation appropriée sont en nombre insuffisant, car l'engagement à plein temps de chercheurs professionnels entraînerait des dépenses excessives et les agents de vulgarisation n'ont généralement pas les qualifications de recherche requises. |
Un séjour de longue durée dans la communauté locale est nécessaire; envoyer sur le terrain des professionnels hautement qualifiés revient cher, le personnel paraprofessionnel qualifié est insuffisant faute de formation au rôle d'agents catalyseurs du changement; les questions de durabilité à long terme peuvent ne pas être traitées de façon exhaustive sans aide extérieure. |
Les agriculteurs et les chercheurs ont souvent des opinions divergentes quant à l'ordre de priorité des problèmes
Au cours des premiers essais à l'exploitation réalisés par le CIRAF, les chercheurs ont eu tendance à écarter des problèmes indiqués par les cultivateurs, tels que «manque d'arbres d'ombragé» ou «d'arbres fruitiers» parce que, à l'époque, ceux-ci ne présentaient pas à leurs yeux un grand intérêt du point de vue de la recherche. Pour les chercheurs, la baisse à long terme de la fertilité des sols, qui avait été diagnostiquée, était bien plus préoccupante; elle affectait la productivité de tout le système d'utilisation des sols et, fait non négligeable, elle offrait aux chercheurs un champ de recherche plus vaste et plus intéressant. Les agriculteurs étaient d'accord pour considérer cette baisse de fertilité comme un problème, mais ils n'étaient pas convaincus que l'on pouvait faire grand chose pour y remédier; aussi ne lui accordaient-ils qu'une faible priorité.
Dans l'esprit des agriculteurs, ce qui constituait une priorité, c'était de trouver une solution de type vulgarisation, c'est-à-dire une réponse logistique immédiate permettant d'accroître les disponibilités locales de semences d'arbres d'ombrage et d'arbres fruitiers. Si l on avait adopté une approche plus participative, selon laquelle les agriculteurs auraient établi eux-mêmes les priorités, ces problèmes auraient été traités dès le début, et les agriculteurs, libérés de ce souci, auraient pu par la suite s'engager davantage dans les activités de recherche plus intéressantes. Ainsi, les premières expériences à l'exploitation de cultures en bandes et d'autres techniques d'aménagement des sols ont été peu concluantes, faute de participation suffisante des cultivateurs. En n'abordant pas les problèmes qui, pour les agriculteurs, étaient les plus importants, les chercheurs ont risqué de ne pas réussir à ouvrir avec ceux-ci un dialogue constructif. Cela montre que tout programme de recherche à l'exploitation doit comporter une petite composante de vulgarisation.
Les agriculteurs et les chercheurs adoptent souvent des stratégies radicalement différentes pour ce qui est des priorités des problèmes
C'est souvent essentiellement parce que les chercheurs ne connaissent pas les stratégies existantes ou parce qu'ils n'apprécient pas suffisamment le degré d'intérêt local pour celles-ci qu'ils comprennent mal la situation locale, dans l'approche consultative. Même avec les meilleures intentions, cet écueil peut difficilement être évité. Ce phénomène a été bien dégagé dans les premières expériences à l'exploitation réalisées par le CIRAF, dans le district de Machakos (Kenya) lorsque les chercheurs, qui tentaient de promouvoir une stratégie d'aménagement des sols du type «engrais vert» (cultures en bandes) ont rencontré l'opposition des agriculteurs qui avaient déjà adopté une stratégie d'«engrais brun» (utilisation du fumier produit par le bétail nourri en enclos) (Vonk, 1983).
L'expérience à l'exploitation est elle-même le principal moyen de communication avec les agriculteurs
L'approche pratiquée par les premiers chercheurs du CIRAF s'inspirait du désir sincère d'engager les utilisateurs locaux des sols dans les activités de conception. Bien que rien n'empêche une utilisation plus participative de la méthodologie de D&D, la plupart des premières applications sont restées dans les limites de la méthode consultative, car c'étaient habituellement les chercheurs qui sélectionnaient en dernier lieu les technologies devant servir de prototype pour la première série d'expériences dans l'exploitation agricole.
Cette approche n'est pas nécessairement mauvaise, tant que la conception initiale est considérée non pas comme une solution définitive, mais plutôt comme l'exposé d'ouverture d'un long dialogue dans lequel les agriculteurs peuvent présenter leurs propres idées en modifiant le prototype. Dans le cas des cultures en bandes de Machakos, les agriculteurs ont introduit une modification en utilisant les haies de légumineuses arbustives plantées suivant les courbes de niveau pour obtenir du fourrage plutôt que de l'engrais vert. Sous cette forme, ils ont dûment apprécié le système d'agroforesterie. En outre, les haies suivant les courbes de niveau conservaient au moins une partie de leur efficacité de moyen de lutte contre l'érosion, et la fertilité des sols était améliorée conformément à la stratégie d'«engrais brun» des cultivateurs, grâce à l'augmentation de la quantité de fumier fourni par le bétail nourri en enclos.
On pourrait avancer que l'écart entre les idées des chercheurs et celles des agriculteurs est trop fort, même au départ, et qu'il pourrait facilement être réduit si on laissait les agriculteurs concevoir d'abord leurs propres solutions techniques. On peut cependant répondre qu'en limitant au minimum l'apport de conception des chercheurs, on ne favorise pas forcément l'amélioration des revenus des agriculteurs. Dans le cas des cultures en bandes, les agriculteurs locaux n'auraient peut-être jamais pensé à essayer la nouvelle technique des «haies à fourrage plantées dans les terres arables» (qu'ils ont immédiatement adoptée), si les chercheurs ne leur en avaient pas démontré l'efficacité.
Cas plus ou moins favorables
Jusqu'ici, cet article n'a considéré la recherche consultative que dans l'hypothèse du «cas le plus favorable»: les chercheurs s'intéressent vraiment à la nouvelle technologie et sont sincèrement disposés à dialoguer avec les agriculteurs à ce sujet. Dans la pratique, toutefois, leur ouverture d'esprit est souvent bien moindre.
Comme l'a expliqué un chercheur à l'exploitation, ayant une longue expérience au Zimbabwe, si l'approche «consultative» n'a qu'une utilité limitée, c'est sans doute à cause du comportement des chercheurs vis-à-vis de ce qui se produit après la série initiale de consultations:
«Les chercheurs ont tendance à se vanter de leurs capacités et à s'imaginer qu'une fois que la D&D et la liste des interventions agroforestières ont été identifiées, ils connaissent toutes les réponses et qu'il ne reste plus qu'à en faire l'essai et la démonstration sur les exploitations pour qu'elles soient adoptées par les agriculteurs. En réalité, la situation est beaucoup plus complexe que le travail initial de diagnostic ne le laisse supposer, et les gens de l'extérieur doivent vivre et travailler pendant un an au moins dans une région pour pouvoir concevoir des solutions appropriées. Comme cela est impossible pour la plupart des chercheurs professionnels, l'importance de faire participer des agriculteurs locaux au processus de recherche en cours est une fois de plus mise en lumière» (Clarke, 1990).
En dernière analyse, il y a peu de chances qu'une amélioration, même notable, de l'approche consultative, puisse se substituer à la participation locale au processus de recherche et de développement technologiques. Même dans le cas le plus favorable, il est peu probable que les chercheurs réussissent à prévoir tous les aspects de la réaction des cultivateurs à de nouvelles techniques. Bien que les consultations répétées permettent de faire des corrections, il vaut sans doute mieux prévenir les problèmes que les résoudre, comme on peut le faire en rendant tout le processus participatif dès le départ.
Etapes des essais de recherche à l'exploitation effectués par le CIRAF au Kenya occidental
Activité de recherche |
Participation |
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Chercheurs |
Agriculteurs |
Vulgarisateurs |
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Réunion de diagnostic |
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Atelier de conception |
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Visites sur place |
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Sélection des ménages |
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Plan des essais |
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Plantation |
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Gestion des cultures |
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Gestion des arbres |
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Evaluation après plantation |
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Suivi des essais |
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Appréciations des agriculteurs |
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Note: (Ö ) indique que les chercheurs se sont limités à donner des conseils. Dans le modèle participatif, la recherche à l'exploitation repose sur le fait que les chercheurs renoncent volontairement à une partie de leur autonomie habituelle de décision, pour ouvrir un dialogue plus intéressant avec leurs collègues agriculteurs. Avec le temps, des variantes des procédures de D&D du CIRAF ont vu le jour, aussi bien au CIRAF même (Rocheleau, 1984) qu'à l'extérieur (Buck, 1989). L'un des traits dominants des nouvelles méthodes participatives était l'utilisation de groupes afin de «socialiser» les procédures de D&D et déléguer davantage de pouvoir de décision aux communautés locales.
Socialiser la recherche à l'exploitation: importance des méthodes de groupe
La manière la plus simple de renforcer la participation dans un processus consultatif est d'inverser la proportion habituelle de chercheurs et d'agriculteurs. Normalement, en recherche consultative, une équipe pluridisciplinaire de trois à sept chercheurs interroge un seul agriculteur. La plupart des agriculteurs se sentent alors dépassés et renoncent à participer. Si l'on inverse ce rapport déséquilibré - en envoyant un ou deux chercheurs participer à une réunion de 10 à 20 agriculteurs - on change radicalement la dynamique de l'interaction. Les agriculteurs discutent davantage entre eux au lieu de se limiter à répondre aux questions des chercheurs, et les informations obtenues traduisent beaucoup plus fidèlement leurs opinions réelles.
Dans la variante participative de D&D mise au point par CARE International (Buck, 1989), on donne aux agriculteurs la possibilité de participer plus activement à la prise de décisions tout au long du processus, en utilisant des méthodes telles que interviews de groupe, réunions communautaires afin de déterminer les problèmes prioritaires et les questions de recherche, et groupes autonomes du voisinage existants pour les activités de recherche et de vulgarisation.
Réunion avec des agriculteurs et des vulgarisateurs au Kenya
L'utilisation des mécanismes de groupe permet aussi l'emploi plus rationnel des ressources de recherche qui sont limitées. Des plans d'essais peuvent être proposés et discutés au cours de débats de groupe, des intrants peuvent aussi être distribués, et les activités de collecte de données peuvent être mieux coordonnées. Les informations fournies en retour par les agriculteurs, qui sont d'une importance cruciale dans la recherche à l'exploitation, sont aussi obtenues plus rapidement grâce aux discussions de groupe. Norman et al., (1988) signalent que, si des groupes existent, les journées sur le terrain sont plus intéressantes et plus animées, et la compétition entre les groupes (facteur positif pour la motivation des agriculteurs) est stimulée. Recherche consultative et participative
Les travaux récents de l'équipe de recherche à l'exploitation du CIRAF, à Maseno (Kenya occidental), englobent nombre des innovations présentées précédemment tout en lançant de nouveaux moyens de structurer l'interaction entre les agriculteurs, les chercheurs et les vulgarisateurs, afin que la recherche donne de meilleurs résultats. La participation des agriculteurs n'est pas portée au maximum mais celle des chercheurs professionnels n'est pas non plus réduite au minimum.
Cette approche est née d'une tentative de l'agronome et du statisticien travaillant à l'exploitation du CIRAF qui souhaitaient venir à bout des difficultés d'ordre statistique inhérentes à la recherche en agroforesterie à l'exploitation, où la variance expérimentale est très élevée, en raison du grand nombre d'interactions et de facteurs non maîtrisés qui existent dans les systèmes agroforestiers (Shepherd et Roger, 1991). A l'issue de cette période d'interrogations scientifiques, on a conclu que les questions sur l'identité («qui») des interactions forestières, qui requièrent des conceptions expérimentales contrôlées de façon rigoureuse, sont probablement trop délicates et trop simplistes sur le plan agronomique pour être d'un grand intérêt dans la recherche à l'exploitation et qu'il est préférable de les réserver aux chercheurs des stations. L'équipe du CIRAF a conclu que l'utilité réelle de la recherche à l'exploitation est de permettre de savoir «comment» et «pourquoi» les agriculteurs adoptent certaines pratiques agroforestières et non d'autres. Ce sont ces questions qui influent le plus directement sur la conception des techniques agroforestières qui réussissent; ce sont aussi les questions auxquelles la recherche dans l'exploitation agricole peut seule apporter une réponse.
En pratique, cette réévaluation a abouti à donner un fondement plus rigoureux à la recherche à l'exploitation, basé sur une appréciation précise de l'importance des estimations des agriculteurs, celles-ci constituant le principal produit de la recherche agroforestière à l'exploitation. Enfin, la méthodologie ainsi mise au point a placé les agriculteurs au centre du processus de recherche à l'exploitation, sans pour autant limiter les chercheurs à un rôle accessoire. Elle reconnaît aussi le rôle déterminant que peuvent jouer les agents de vulgarisation dans ce type de recherche. Le tableau de la page 16 résume les diverses étapes que comporte cette méthode, appliquée aux essais à l'exploitation actuellement menés par le CIRAF au Kenya occidental.
Arrosage de plantules pour des essais agroforestiers au Kenya
L'équipe actuelle de chercheurs à l'exploitation du CIRAF a veillé à ce que la conception des essais reflète bien les intérêts des cultivateurs. La recherche porte sur les techniques suivantes: cultures en bandes, jachères améliorées, remblais à fourrage, plantations en bordure, et essais conçus par les agriculteurs. L'orientation et le contenu participatifs du programme de recherche sont évidents.
La méthodologie est en grande partie conçue pour exploiter la dynamique de groupe. Après le diagnostic, les chercheurs procèdent à une première sélection de groupes techniques spécialisés. Toutes les décisions clés sont ensuite prises par les agriculteurs (groupes et individus) concernés, y compris la désignation d'un petit groupe de ménages qui participera aux activités expérimentales à l'exploitation. Les chercheurs font ensuite la sélection finale parmi les personnes ainsi désignées par les agriculteurs. Les activités de groupe se poursuivent dans le cadre de chaque groupe prioritaire pendant toute la durée des essais.
Des réunions de groupe, des discussions au sein des petits sous-groupes et des visites aux lieux d'essais sont organisées, afin d'obtenir des informations en retour sur l'approche participative, de connaître les appréciations des agriculteurs et des agents de vulgarisation sur la mise en place de l'expérimentation, d'expliquer les procédures de collecte des informations, et de recueillir les suggestions des agriculteurs. Pendant toute la durée des essais, un certain nombre de mesures et d'observations sont faites. Les agriculteurs qui souhaitent noter eux-mêmes toutes observations concernant le travail, la main-d'uvre et les autres intrants utilisés ainsi que les résultats, reçoivent des carnets et des stylos et on leur apprend à tenir les registres. A la fin de chaque campagne agricole, on demande aux agriculteurs de donner leur avis sur la nouvelle technologie. Les évaluations des agriculteurs, les modifications qu'ils appliquent et les raisons expliquant leurs décisions au niveau de la gestion constituent les données les plus importantes tirées de ces essais.
Ce qui est remarquable dans cette méthode de recherche, c'est l'ampleur de l'interaction libre entre les chercheurs, les agriculteurs et les vulgarisateurs. Les chercheurs donnent aux agriculteurs de grandes possibilités de présenter leur propre approche de la nouvelle technologie, sans renoncer à leur rôle de partenaires actifs de la recherche. En outre, les chercheurs structurent suffisamment le processus de recherche à l'exploitation pour que les personnes de l'extérieur puissent se convaincre de la validité et de l'applicabilité importante des résultats de la recherche. Les agents de vulgarisation collaborent en permanence aussi bien avec les agriculteurs qu'avec les chercheurs, ce qui leur permet d'être bien placés pour vulgariser, le cas échéant, de nouvelles techniques ayant fait leurs preuves, tout en facilitant le processus de développement technique.
Ateliers d'innovation du Bangladesh
En matière de recherche participative à l'exploitation, il est indispensable de pouvoir identifier, le cas échéant, les bonnes innovations des agriculteurs et faciliter la transmission des informations de retour aux communautés sur les enseignements tirés, au niveau collectif, des expériences. Ainsi, un groupe peut acquérir plus de connaissances qu'un agriculteur isolé. Les chercheurs du CIRAF et les agents de vulgarisation qui coopèrent sont à l'affût des innovations des agriculteurs pendant les essais à l'exploitation et s'efforcent de comprendre comment et pourquoi les cultivateurs modifient les technologies expérimentales.
Au Bangladesh, des chercheurs travaillant à l'exploitation ont mis au point une approche plus structurée, en utilisant les ateliers d'agriculteurs comme moyen d'identifier les novateurs (Abedin et Haque, 1991). Au cours de ces ateliers informels organisés dans les stations de recherche, dans les écoles rurales et les centres communautaires, les agriculteurs sont invités à venir parler de leurs innovations. La discussion peut alors être très animée et un nombre surprenant d'innovations peuvent être présentées. Jusqu'ici, il semble que l'utilité principale de ces ateliers ait consisté à faciliter l'instruction des chercheurs et des agents de vulgarisation grâce aux agriculteurs. On pourrait probablement faire bien davantage pour faciliter et renforcer les connaissances que les agriculteurs peuvent tirer directement les uns des autres, mais ce début est déjà prometteur. Quand la recherche à l'exploitation doit servir de catalyseur, les spécialistes extérieurs ont pour rôle de faciliter la recherche informelle des cultivateurs en stimulant les activités de groupe et en donnant accès à l'information extérieure. Les approches catalytiques accordent une importance très variable à cette dernière fonction.
L'approche, dite de «recensement des problèmes», donne simplement pour rôle à l'agent du changement extérieur (qualifié dans ce cas d'«agent de vulgarisation») de faciliter le processus de groupe; il n'intervient en revanche que peu ou pas pour donner accès aux informations extérieures (Couch, 1991).
«L'agent de vulgarisation doit laisser le groupe mener à bien sa tâche sans intervenir. Il doit avant tout se préoccuper du processus de groupe, non de son contenu. On entend par processus de groupe la façon dont le groupe communique: qui parle avec qui; dans quelle mesure chaque membre participe; quels membres, le cas échéant, sont ignorés; qui joue un rôle dominant; si des informations clés sont supprimées, etc. Il est absolument essentiel de se tenir à l'écart des activités du groupe et de laisser les membres faire leur travail.»
Un point de vue moins extrême a été exprimé par Raintree et Hoskins (FAO, 1988) qui décrivent un modèle de rôle catalytique combinant des éléments de vulgarisation classique et une recherche participative qu'ils appellent agent de «vulgarisation R&D» (ER&D):
«En tant qu'agent du changement, l'agent ER&D aurait pour rôle de catalyser le développement, l'adaptation et/ou l'adoption par les populations locales de technologies appropriées. Il peut le faire en coordonnant l'accès de la communauté aux informations susceptibles de lui être utiles à l'intérieur du réseau international et en stimulant les processus créatifs au sein de la communauté grâce auxquels l'information exogène utile vient compléter les connaissances techniques des autochtones et est élargie à de nouveaux domaines d'adaptation... En tant que membre (et souvent organisateur) d'une équipe R&D, à base communautaire, l'agent du changement ER&D servirait non pas de messager d'une bureaucratie éloignée, mais de catalyseur intérieur d´ un système de flux d'informations qui s'enrichissent mutuellement. Ce qui est vulgarisé, ce n'est pas simplement un ensemble particulier de techniques, mais une approche participative autonome pour résoudre les problèmes en général.»
Ainsi, l'agent catalyseur a la possibilité de «faciliter la communication» comme le dit Couch, sans accepter les contraintes inhérentes à sa propre participation. La question critique est toujours «de qui cherche-t-on à faciliter les processus mentaux?» la réponse, dans les deux cas, est «ceux de l'agriculteur».
Le Projet d'agroforesterie et de foresterie communautaire de l'organisme «Save The Children Fund», à Nakorn Sawan (Thaïlande), offre un autre bon exemple d'«activisme catalytique». Si leurs apports d'information sont importants, les agents de changement participant à ce projet cherchent avant tout à faciliter les activités de R&D de la communauté locale, en appliquant un certain nombre de méthodes de groupe novatrices basées sur la coopération avec les organisations locales existantes; sur la vulgarisation agriculteur - exploitation par l'intermédiaire de réseaux d'agriculteurs - démonstrateurs; et sur un appui souple au travail des agriculteurs novateurs et des animateurs d'opinion sous forme de modestes apports en matériaux, en information et en aide en cas de problèmes.
Ce qui différencie cette sorte d'action - recherche catalytique de la recherche participative à l'exploitation du CIRAF, c'est que, sans que l'agent catalyseur doive renoncer à s'engager intellectuellement dans le processus R&D, le succès de la recherche n'est pas conditionné par sa compréhension. Andrew Middleman (communication personnelle) raconte l'histoire d'un remarquable agriculteur - innovateur du projet de Nakorn Sawan: cet agriculteur a non seulement développé son exploitation, dont il a fait un modèle d'agroforesterie durable admiré dans la région, mais il a mis au point une théorie complète de l'exploitation, «système vivant», en s'inspirant librement des concepts écologiques modernes et de l'antique théorie sanscrite des humeurs pour exprimer ses nouvelles idées. Les agents qui ont collaboré au projet ne peuvent prétendre comprendre réellement la pensée de cet agriculteur, mais ils n'en ont pas moins servi de catalyseur à ses expériences. La recherche doit être adaptée aux questions auxquelles elle entend répondre. Pour répondre à toutes les questions qui doivent être traitées afin de promouvoir un développement forestier et agroforestier durable, il peut être nécessaire de combiner plusieurs approches différentes. De ce fait, aucun des quatre modes de recherche examinés ici ne saurait prétendre être le seul «politiquement correct».
Néanmoins, dans le climat actuel de responsabilité croissante, un programme de recherche en agroforesterie qui ne comporte pas une approche participative à un niveau quelconque a généralement peu de chances de réussir. Un bon programme tente de réaliser un équilibre entre les divers modes de recherche, avec des échanges libres et actifs d'informations et de rétroinformations entre les chercheurs professionnels, les agents de vulgarisation et les agriculteurs.
Ce n'est pas parce que l'on reconnaît la valeur des connaissances des populations locales et que l'on applique les principes de participation que l'on doit ignorer le fait que de nombreuses communautés rurales sont sérieusement en difficulté parce que les méthodes d'utilisation des sols ne sont pas rationnelles. Bien que les nouveaux systèmes d'utilisation des sols doivent être basés sur les connaissances techniques locales et sur les méthodes traditionnelles et s'intégrer à celles-ci sans apport de nouvelles idées et de nouveau matériel végétal, beaucoup de communautés locales sont condamnées. L'archéologie nous a fait découvrir bien des cultures disparues qui n'ont pas réussi à s'adapter aux changements de l'environnement. Minimiser les risques écologiques que courent les communautés rurales sous prétexte d'attachement aux traditions locales est une forme de respect destructrice et mal orientée.
Pour que les projets de plantations arboricoles soient justifiés, ils doivent jouer un rôle actif: ils doivent non seulement faciliter l'application et le développement ultérieur des connaissances techniques locales, mais aussi fournir de nouveaux modèles que les populations locales peuvent mettre à l'essai. Bien que les populations locales soient, en dernière analyse, les meilleurs juges de ce qui leur convient, il n'est pas raisonnable de s'attendre à ce qu'elles puissent bien juger tant qu'elles n'ont pas eu la possibilité de mettre une innovation à l'essai comme il faut.
Il faut reconnaître que le point de vue le plus réaliste et le plus authentiquement utile à long terme est d'admettre que les populations locales et les experts extérieurs ont chacun des domaines spécialisés de connaissances qui, s'ils sont réunis, confèrent une base plus solide à la recherche et au développement que s'ils restent isolés. Abedin, Z. & Haque, F. 1991. Learning from farmer innovations and innovator workshops: experiences from Bangladesh. In B. Haverkort, J. van der Kamp & A Waters-Bayer, eds. Joining farmers' experiments. London, Intermediate Technology Publ.
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Source: Ndufa, Ohlsson et Shepherd (1992).Recherche participative à l'exploitation
La recherche à l'exploitation du CIRAF dans les années 90
Rôle de catalyseur de la recherche à l'exploitation
Conclusion
Bibliographie