Agriculteurs itinérants Connaissances techniques locales et gestion des ressources naturelles en zone tropicale humide |
Katherine Warner
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Version française: | |
Coordination/édition technique: | Jean-Marie E. Laurent |
Traduction: | J.P. Laügt |
Révision: | Colette Caron |
Maquette: | ESCP S.r.l., Rome |
Illustrations: | L.V. Pacual Cervera |
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En 1990, dans le cadre de son Programme de foresterie au service du développement communautaire, le Département des forêts de la FAO a publié sa quatrième note sur la Foresterie communautaire, intitulée «L'éleveur et ses décisions en matière de gestion des ressources naturelles dans les zones arides et semi-arides d'Afrique». Ce document entreprenait de combler une lacune en faisant le point sur les connaissances accumulées par les populations rurales en matière de gestion des arbres et des forêts en liaison avec leurs systèmes de production.
Katherine Warner, anthropologue spécialiste des systèmes d'exploitation en culture itinérante, nous donne maintenant la matière de cette huitième Note. «Cultivateurs itinérants» met en relief la somme de connaissances techniques locales appliquées par les agriculteurs pratiquant les cultures sur brûlis et la jachère forestière, lorsqu'ils prennent des décisions relatives à la gestion des ressources. Cette étude, qui rassemble des informations de diverses provenances et analyse une pratique souvent critiquée par les planificateurs forestiers et les spécialistes de l'environnement, vient à point nommé. L'auteur ne prétend pas que les cultivateurs itinérants puissent continuer indéfiniment à pratiquer leurs systèmes agricoles, compte tenu notamment de la concurrence exercée par d'autres utilisations de la terre et des arbres sur les zones en jachère. Mais elle fait néanmoins observer que l'on peut tirer des enseignements précieux de l'expérience acquise par les cultivateurs pratiquant le brûlis et la jachère forestière, en ce qui concerne l'utilisation durable des forêts tropicales. L'auteur avance par ailleurs des suggestions en vue de l'élaboration de systèmes fondés sur les connaissances acquises et mises en pratique par ces agriculteurs hommes et femmes, qui ont appris à assurer l'existence de leur famille dans un environnement tropical difficile.
Cette étude a été réalisée sous la conduite de l'Unité de foresterie communautaire et avec le concours d'un groupe de travail interdépartemental, et elle a bénéficié des apports critiques de plusieurs personnalités extérieures. Elle a été en partie financée par le fonds fiduciaire «Arbres, forêts et communautés rurales», qui a pour vocation de contribuer à l'amélioration des conditions d'existence des femmes et des hommes des zones rurales dans les pays en développement, notamment des plus pauvres, par le biais de leur participation accrue à la gestion des ressources tirées de l'arbre et de la forêt. Cette publication sera suivie par diverses études consacrées tant à la gestion privée de l'arbre, qu'il s'agisse de celle de l'arbre isolé à fins multiples ou de ses diverses utilisations dans le cadre d'arrangements spatiaux particuliers - dont l'agroforesterie traditionnelle ou la gestion communautaire des espaces boisés. Nous souhaitons que cette série d'études contribue à démontrer l'importance des stratégies de gestion des ressources et des connaissances locales, et permette d'appuyer plus efficacement les populations dans leur propre effort d'amélioration de leurs conditions de vie, actuelles et futures, grâce à une meilleure gestion de la forêt et des arbres.
M.R. de Montalembert
Directeur, Division des politiques et de la planification forestières
Département des forêts
La culture sur brûlis/jachère intégrale se pratique, aujourd'hui comme autrefois, dans toute la zone tropicale. C'est un système d'utilisation des terres fondé sur «un mode de vie traditionnel, réglant les activités de l'année à l'échelle de la communauté tout entière, très largement autonome et revêtant un caractère rituel», dominant encore aujourd'hui dans les minorités tribales de l'Asie du Sud-Est et de l'Amérique du Sud, ainsi que chez un petit pourcentage, en diminution constante, d'agriculteurs africains (Conklin 1957:2). L'agriculture sur brûlis n'est toutefois qu'un des éléments de l'agro-écosystème global, même s'il est parfois dominant. Cet agro-écosystème comprend non seulement l'agriculture, mais aussi les activités de cueillette en forêt, de chasse, de pêche, et parfois, des cultures de rente.
Dans le passé, la pratique du brûlis a été trop souvent perçue comme une façon d'exploiter, et non pas de gérer, les ressources naturelles de la zone tropicale humide. Or les recherches récentes, et la réinterprétation de travaux antérieurs, montrent qu'il y a bel et bien gestion des ressources naturelles. Dans le cas de la culture sur brûlis intégral, la gestion est axée sur l'entretien de la diversité, perçue comme extrêmement précieuse, de l'écosystème forestier. Certes, des arbres sont abattus, mais le fait que seules de petites trouées soient ouvertes, avec désherbage sélectif, et plantation ou protection d'arbres, aide effectivement la forêt à reprendre sa place. Les autres ressources, par exemple la faune terrestre et aquatique, sont elles aussi gérées dans une perspective d'ensemble qui fait passer l'avenir et l'intérêt des générations futures avant les besoins immédiats. Les systèmes de jachère et de culture sur brûlis ne sont pas rigides mais savent s'adapter, et répondre avec souplesse aux changements se produisant dans le milieu, ou aux déplacements d'un terroir à un autre.
L'analyse de nombreux exemples de pratiques traditionnelles indique que l'agriculteur adoptant la culture sur brûlis intégrale réussit dans la mesure où il accepte les contraintes liées aux processus naturels et associées à l'étalement sur toute l'année de la période végétative et à la succession écologique rapide se produisant dans la zone tropicale humide, et en tire le meilleur parti possible. La mise à profit des processus naturels, alliée à une connaissance intime des micro-environnements présents dans la forêt et dans les champs, et des besoins de chaque plante cultivée en fonction du «micro-site», permet au système de culture sur brûlis de réussir là où d'autres systèmes d'utilisation de la terre ont échoué.
Quel qu'ait été leur succès passé, les agro-écosystèmes fondés sur le brûlis ne peuvent servir de modèle pour l'avenir des zones tropicales. La forêt tropicale, qui est le fondement de ces systèmes, régresse bien trop vite sous les pressions combinées de la colonisation par des agriculteurs sans terre, des entreprises d'exploitation forestière et des besoins financiers des pays. Pourtant les connaissances techniques locales accumulées par les sociétés pratiquant la culture sur brûlis intégrale peuvent contribuer à l'amélioration de la gestion des ressources naturelles et à l'élaboration de systèmes agro-écologiques durables.
Les agriculteurs pratiquant la culture sur brûlis peuvent participer activement à l'élaboration d'agro-écosystèmes nouveaux, capables de s'accommoder d'une base de ressources de plus en plus sollicitée. Il est nécessaire d'effectuer des recherches de terrain avec les communautés rurales en vue de mettre au point de nouveaux systèmes culturaux permettant d'intensifier leur système de culture sur brûlis classique. De telles recherches pourraient aussi déboucher sur des innovations utiles aux petits agriculteurs sédentaires des tropiques.
Il est par ailleurs recommandé d'initier les agents de vulgarisation agricole et forestière aux principes généraux des systèmes de culture sur brûlis: mise à profit des différentes caractéristiques du micro-environnement, intégration des arbres dans les agro-écosystèmes des petits exploitants, et perception de l'agriculture comme étant un élément de l'agro-écosystème général.
ORGANISATION DES NATIONS UNIES POUR L'ALIMENTATION ET L'AGRICULTURE
Rome © FAO 1994
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CHAPITRE 1 CONNAISSANCES TECHNIQUES LOCALES, AGRICULTURE ITINERANTE ET GESTION DES RESSOURCES NATURELLES
Connaissances techniques locales et gestion des ressources naturelles
Les connaissances techniques locales
Les ressources naturelles de la zone tropicale humide: forêt et sols
Comment définir l'agriculture itinérante?
Qui sont les cultivateurs itinérante?
CHAPITRE 2 L'AGRICULTURE ITINERANTE COMME STRATEGIE DE GESTION DES RESSOURCES POUR LES TROPIQUES
Culture sur brûlis et sols tropicaux
Mobilité et entretien de la forêt
Variations entre systèmes de culture sur brûlis
Entretien de l'agro-écosystème
La culture sur brûlis: une forme de gestion forestière
La dynamique des agro-écosystèmes: développement d'un système de production local
L'élargissement de l'éventail des cultures tropicales
Mise à contribution des processus naturels
CHAPITRE 3 LE SYSTEME «CULTURE SUR BRULIS-JACHERE»
Généralités: variantes et similitudes
Structure des établissements humains
Autonomie des ménages en matière de prise de décisions
Le cycle «cultures sur brûlis-jachère»
Récolte, rendements et transformation
Gestion des ressources: la chasse et la pêche comme éléments de l'agro-écosystème
Le rôle des pouvoirs publics et des organismes donateurs
FIGURES
Figure 1. Modélisation de la dynamique de l'écosystème forestier tropical avec cultures sur brûlis
Figure 3. Asie du Sud-Est: classification topographique locale
Figure 4. Amazonie: classification locale des sols
Figure 5. Asie du Sud-Est: classification locale des sols
Figure 7. Asie du Sud-Est: indicateurs du moment auquel commencer à défricher le champ
Figure 8. Calendrier agricole Desanâ
Figure 9. Indicateurs locaux de la venue des pluies et du meilleur moment pour le brûlis
Figure 10. Asie du Sud-Est: indicateurs locaux du moment des semis
Figure 11. Calendrier de pêche et de cueillette Desanâ
TABLEAUX
Tableau 1. Etendue de la zone tropicale humide chaude (millions d'hectares)
Tableau 2. Effets des méthodes de déboisement sur l'écoulement superficiel et l'érosion
ENCADRES
Encadré 1. L'anxiété et l'adaptation: le brûlis chez les Tagbanwa de Palawan