Gestion des ressources forestières communautaires
En juin 1968, dans le titre d'une allocution prononcée devant l'American Association for the Advancement of Science (Association américaine pour les progrès de la science) qui mettait l'accent sur te besoin de contrôler la croissance démographigue rapide, un professeur américain de biologie a inventé une expression qui a eu des effets considérables sur la gestion des ressources naturelles par les populations locales. Dans The tragedy of thé commons (la tragédie des communaux), désormais célèbre (réimprimé dans Science en décembre 1968), Garrait Hardin a défini (à ton) les ressources communautaires comme des terres non aménagées, ouvertes à tous, des no man's lands, inévitablement condamnées à la dégradation.
L'article de Hardin (et sa thèse dominante, diffusée largement et développée dans de nombreuses publications ultérieures) a eu une influence puissante sur la promotion de politiques en faveur de la privatisation individuelle ou de l'appropriation et de la gestion par le gouvernement des ressources naturelles communautaires, et notamment des espaces forestiers et des arbres. Souvent, les ressources nationalisées par les gouvernements n'étaient pas des terres librement accessibles, mais plutôt des copropriétés privées, gérées par les communautés locales. Paradoxalement, les gouvernements, en s'attribuant la propriété et en assumant la responsabilité de la gestion des ressources, ont provoqué l'effondrement de nombreux systèmes de gestion des communaux, donnant ainsi naissance de fait au type même d'accès libre qu'ils entendaient combattre. L'article de Hardin a en outre contribué à sensibiliser toute une génération de sociologues au problème de la dégradation des ressources et au rôle des communautés locales dans l'aménagement durable.
Aujourd'hui, près de 30 ans après la publication de The tragedy, of the commons, l'expérience négative de l'expropriation des ressources communautaires qu'ont faite les gouvernements a entraîné un réexamen du potentiel de la gestion collective; et la base de données sur les tentatives pratiques de rétablir ou de renforcer les systèmes de gestion des ressources communautaires ne cesse d'augmenter. Le présent numéro d'Unasyva est axé sur ces deux aspects relatifs aux ressources forestières.
Dans l'article principal. M. McKean et E. Ostrom analysent le rôle potentiel présent et futur des systèmes de propriété communautaire dans la conservation et l'utilisation durable des ressources forestières. J.T. Thomson et C. Coulibaly donnent des exemples de la renaissance d'initiatives locales au Mali, dans le domaine de l'aménagement des forêts communautaires.
Dans des articles complémentaires, N.S. Jodha et M. Sarin étudient l'aménagement de s forêts communautaire s en Inde. Sur la base d'une étude intéressant les zones sèches de l'Inde, Jodha décrit comment les ressources coliectives constituent un élément important du patrimoine communautaire, formulent des observations sur le déclin de ces ressources et examinent les interventions du secteur public dans ce domaine. Sarin analyse le Programme conjoint d'aménagement des forêts - tentative prometteuse, encore que non dépourvue d'imperfections - de restaurer les terres forestières publiques dégradées et d'en faire profiter les populations locales en établissant un équilibre entre intervention de l'État et autonomie des communautés. L'auteur souligne la nécessité d'affronter les problèmes d'inégalité entre les femmes et les hommes dans le cadre du programme.
Au Portugal, après plus de 40 années de contrôle étatique, les baldios ou communaux ont été restitués en 1976 aux populations locales. R. Brouwer analyse comment les baldios, forêts claires et pâturages convertis en grande partie en forêts denses de pins par le service forestier pendant la période du contrôle national, fournissent à nouveau aux communautés villageoises des produits et ressources essentiels.
T.A. White et C.F. Runge entreprennent une évaluation empirique des fracteurs expliquant le succès de l'aménagement collectif des bassins versants en Haïti.
M. Merlo présente une analyse coûts-avantages de l'aménagement communal des forêts dans l'Italie septentrionale, faisant valoir qu'il est toujours valable dans le contexte socio-economique présent. Un élément clé d'un contrôle local ou collectif efficace est la reconnaissance juridique, c'est-à-dire la volonté et l'aptitude des gouvernements à légitimer les mécanismes de contrôle local et à leur donner des pouvoirs. S. Rudrappa, L. Zongmin et J. Bruce examinent les méthodes de foresterie communautaire en Chine, où la loi est l'aboutissement et non pas le point de départ du changement social.
Il ressort des arguments théoriques et des exemples pratiques fournis dans le présent numéro d'Unasylva qu'il y a des circonstances où les régimes de propriété communautaire constituent la forme la plus appropriée d'aménagement des forêts une approche autosuffisante, participative, qui donne des bénéfices durables et assure la conservation des ressources. Hardin a modifié sa position et soutient maintenant que la «tragédie des communaux» est inévitable uniquement lorsqu'il n'y a pas d'aménagement. De nombreux gouvernements voient d'un eil nouveau le potentiel des régimes de propriété communautaire pour l'aménagement des forêts. Il n'y a toutefois pas de solution simple au problème de la gestion des ressources forestières. Il s'agit de poursuivre l'analyse systématique des régimes de propriété communautaire afin de mieux comprendre leur potentiel, sans perdre de vue les diverses options institutionnelles existantes en vue de la gestion et du développement durables des ressources forestières.