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Régimes de propriété communautaire en forêt: simple vestige du passé?

M. McKean et E. Ostrom

Margaret McKean travaille au Département des sciences politiques à l'Université Duke, Durham, Caroline du Nord, Etats-Unis.

Elinor Ostrom est codirecteur de l'Atelier de théorie politique et d'analyse des politiques à Université de l'Indiana. Bloomington. Indiana, Etats-Unis.

Stephen A. Dembner (voir encadré p. 4) est rédacteur d Unasylva.

Charlotte Hess (voir encadré p. 13) est Directeur des Services de la Bibliothèque et de l'information de l'Atelier de théorie politique et d'analyse des politiques à l'Université l'Indiana, de Bloomington, Indiana, Etats-Unis.

Examen du rôle potentiel présent et futur des régimes de propriété communautaire dans la conservation et l'utilisation durable des ressources forestières.

Des habitants de Mbazzi (Ouganda) expliquent comment ils exploitent et aménagent leurs forêts en préparant une carie de leur village qui se rapporte aux forêts de Namungo et Lwamunda

Jadis, les régimes de propriété communautaire que les communautés appliquaient à l'aménagement des forêts et d'autres ressources pour en tirer des avantages à long terme étaient très répandus dans le monde. Certains ont peut-être disparu pour des raisons naturelles, les collectivités ayant opté pour d'autres systèmes, notamment face à l'évolution technologique et économique, mais dans la plupart des cas, c'est la législation qui semble les avoir éliminés. Ce phénomène a pris deux formes principales. Dans certains cas, de tels régimes, si élaborés et durables qu'ils fussent, n'avaient jamais été codifiés, et ont peut-être tout simplement été ignores dans les premières tentatives d'un pays d'officialiser et de codifier des droits de propriété sur les ressources en question (par exemple en Indonésie, au Brésil et dans la plupart des pays d'Afrique subsaharienne), Dans d'autres cas où des régimes de propriété communautaire étaient reconnus juridiquement, les réformes agraires ont parfois transféré tous ces droits à des individus (droit de clôture au Royaume-Uni), à l'Etat lui-même ou aux deux (Inde et Japon).

Le Programme arbres, forets et communautés rurales de la FAO et la gestion collective des forets

S.A. Dembner

Le Programme arbres, forets et communautés rurales (FTPP) est un programme d'action de la FAO qui associe les ressources et activités en matière de foresterie communautaire du Programme ordinaire de la FAO a celles de quatre fonds fiduciaires. L'objectif du FTPP est de consolider les institutions régionales, nationales et locales qui, a leur tour, renforcent l'aptitude des populations locales a aménager et a utiliser les ressources naturelles il vise aussi a approfondir la compréhension et la connaissance d'une large gamme d'activités de foresterie communautaire dans le monde entier.

Le développement des connaissances dans le cadre de ce programme a été axe sur trots domaines complexes: les méthodologies de participation; la gestion des arbres et des terres boisées au niveau local; et la vulgarisation, la formation et les communications. Des le départ, il était évident que la gestion des arbres et des terres boisées au niveau central comme au niveau local exigeait une parfaite compréhension des régimes de faire valoir des arbres et des terres (propriété, organisation et régie). Le FTPP a réalisé un document théorique, un manuel de terrain et plusieurs études de cas sur les techniques d évaluation rapide utilisées pour mieux comprendre et analyser les modes de faire valoir au niveau des politiques et sur le terrain.

Il s'agit aussi d'un thème auquel les gouvernements, en particulier ceux qui vent en transition vers une économie de marche, s'intéressent de prés pour l'orientation des politiques. De nombreux pays étudient actuellement d'autres solutions que la propriété et la gestion par l'Etat des terres forestières et, malgré les fortes pressions qui s'exercent en faveur de la privation individuelle, il est souvent évident que ce mode de faire-valoir n'est peut-être pas toujours le plus approprie. La gestion collective des ressources forestières par les populations qui vivent dans les forets ou a proximité de celles-ci fait l'objet d'une attention croissante. Il s'agit toutefois d'un sujet complexe et on manque d'informations.

Comme point de départ, le FTPP a examiné et analyse la documentation sur la gestion collective des forets en Asie, en Amérique latine et en Afrique sahélienne. De cet examen, il est ressorti que, bien souvent, la gestion des forets sous forme de propriété collective au niveau local est une approche ancienne, et qui reste toujours viable. Il est aussi apparu que ces systèmes de gestion supposent un ensemble de relations complexes entre groupes villageois et institutions locales; entre les individus et les lois qui régissent les forets; et entre l'Etat et les villageois.

Il n'y avait pas de cadre théorique approuve pour l'examen de la gestion collective des forêts, et l'on ne comprenait pas non plus suffisamment bien, d'un point de vue scientifique, queues étaient les variables responsables de la réussite OU de l'échec de ces systèmes. Le FTPP a donné constitue un petit groupe consultatif charge de décider des moyens qui permettraient de mener une action productive.

Le (troupe consultatif a recommande la définition d'une stratégie pour la collecte et l'analyse d'informations sur la régie locale des ressources forestières, ainsi que la constitution d'une base de données, et c'est ainsi qu'est née l'idée d'un programme de recherche sur les ressources et les institutions forestières internationales (RIFI).

La recherche n'est pas un des aspects prépondérants du travail de la FAO et l'Université de l'Indiana, qui est un grand centre d'excellence en matière de gestion collective et qui possède une importante base de données sur la gestion collective des systèmes d'irrigation, a accepte de diriger l'établissement de la base de données forestières. Le fait que l'Université de l'Indiana ait accepte ce rôle et que de nombreuses autres organisations et institutions soient disposées a apporter leur collaboration sur les plans intellectuel et financier a convaincu le FTPP qu'un financement initial et un appui devaient être accordes pour la création du RIFI. Conformément au principe de la FAO qui consiste a renforcer les institutions des pays en développement, le FTPP a apporte son concours a l'établissement de centres du RIFI en Bolivie, au Népal et en Ouganda, et contribue aux efforts visant a en créer d'autres.

En même temps que l'établissement de cette base de données, le Comité consultatif a recommande que soient entrepris des travaux sur cinq sujets particuliers: le contexte juridique de la gestion collective; l'incidence des conditions du marche sur la gestion collective; les colts et les bénéfices économiques de la gestion collective; les questions d'équité; et la gestion des conflits. Le FTPP poursuit ces études, en particulier celle sur la gestion des conflits. Une série géographiquement équilibrée d'études de cas a été entreprise pour mieux comprendre la façon dont les populations locales gèrent actuellement leurs conflits et pour estimer l'aptitude des institutions communautaires traditionnelles a régler les différends avec des groupes extérieurs (par exemple pouvoirs publics, intérêts des sociétés d'exploitation forestière et autres intérêts commerciaux, ONG nationales et internationales, etc.), et le recours effectif ou possible aux institutions indiciaires modernes.

Parmi les nombreuses raisons avancées pour justifier la suppression de la propriété communautaire des forêts, on a soutenu que la propriété individuelle ou publique permettrait d'utiliser plus efficacement les ressources et de les protéger mieux à long terme. Mais, bien souvent, il est évident que les systèmes gui ont remplacé les régimes de propriété communautaire n'ont pas réussi à promouvoir l'aménagement durable des ressources. Dans bien des cas, le transfert à des tiers des droits de propriété dont jouissent des groupes d'utilisateurs traditionnels décourage la surveillance et l'utilisation limitée de la ressource, et transforme les propriétaires protecteurs en braconniers, accélérant ainsi l'épuisement des ressources que l'on s'efforçait justement d'éviter. D'où le regain d'intérêt aussi bien pour les enseignements à tirer des régimes passés et présents de propriété communautaire qui fonctionnent bien (voir McKean, 1992a; 1992b; Netting, 1981; Berkes, 1992; Agrawal, 1994) que pour la possibilité de relancer la propriété ou l'aménagement communautaires, le cas échéant, en tant que remède pratique.

Le présent article commence par offrir une définition de propriété communautaire et examine ensuite les avantages potentiels de ce type de régime pour la gestion et l'aménagement des ressources forestières. La dernière section fait le bilan des connaissances actuelles sur les régimes de propriété communautaire qui ont réussi dans le domaine des forêts.

Qu'entend-on par ressources communautaires et régimes de propriété communautaire?

Dans cet article l'expression «ressources communautaires», employée se réfère aux qualités matérielles d'un système de ressources et non aux institutions sociales que les hommes lui ont associées. L'expression «propriété communautaire», ou ,«régime de propriété communautaire» est utilisée pour désigner un type de droits de propriété selon lequel un groupe d'utilisateurs partage des droits et des obligations vis-à-vis d'une ressource. Par propriété, on entend des institutions sociales et non des qualités naturelles ou matérielles inhérentes à la ressource. On a évité l'expression très courante de «ressources de propriété communautaire» car elle risque de faire confondre la notion de propriété (institution sociale) avec celle de ressource (partie du monde physique et biologique). [NDLP: l'étude scientifique de ce domaine étant relativement récente, la question de la définition des termes n'a pas encore trouvé de solution. Le lecteur retrouvera l'expression «ressources de propriété communautaire» dans d'autres articles de ce numéro. Cependant, la distinction entre ressources et institutions peut être dégagée du contexte.]

Les ressources communautaires présentent deux caractéristiques définies. En premier lieu, il est coûteux de mettre en place des institutions pour en exclure des bénéficiaires potentiels, cas qui s'appliquent aussi aux biens et services qualifiés généralement de biens publics. Les gens sont donc incités à exploiter, voire à surexploiter, les biens collectifs sans investir dans leur conservation ou leur aménagement. En deuxième lieu, les produits récoltés par mm individu ne sont pas accessibles à d'autres ils peuvent être soustraits et se font concurrence au plan de la consommation, à l'instar des biens privés et sont de ce fait sujets à épuisement.

Femme tissant une natte de paille sur le versant des montagnes prés de Pokhara (Népal)

Il est étrange que l'expression «propriété communautaire» soit entrée dans le langage pour indiquer non pas une forme de propriété mais plutôt la non-propriété, ou l'accès libre aux ressources pour lesquelles n'ont pas été définis des droits ni des obligations (Gordon, 1954; Scott, 1955; Demsetz, 1967; Alchian et Demsetz, 1973). On sait trop bien que l'accès libre entraîne l'exploitation inefficace et l'épuisement des ressources. L'accès libre ne donne de bons résultats que si la ressource n'a guère besoin d'aménagement, c'est-à-dire si la demande est trop faible pour justifier l'aménagement. Dans un système de propriété communautaire, au contraire, un groupe d'individus donné partage des droits sur une ressource. Ainsi, il y a propriété plutôt que non-propriété (des droits et non une absence de droits) et ces droits sont communs non pas à tous mais à un groupe déterminé d'utilisateurs. La propriété communautaire ne prévoit donc pas le libre accès à tous mais l'accès limité à un groupe désigné d'utilisateurs qui ont des droits en commun (Runge, 19X 1; 1984; 1992; Bromley et Cernea, 1989; Bromley et al., 1992). L'article classique de Hardir (1968) sur le drame des terres communales fait ressortir les dangers de l'accès libre sans spécifier clairement que le problème tenait à l'absence de droits de propriété ou de régime d'aménagement (liberté d'accès), plus qu'au partage de l'usage (usage commun). Hardin (1994) s'est employé à rectifier cette lacune dans des ouvrages plus récents où il fait une distinction entre les terres communautaires non aménagées (sans propriétaire) ex posées aux catastrophes et les terres communales aménagées (avec propriétaire) où les droits de propriété permettent d'éviter l'usage impropre de la ressource.

Des économistes (North, 1990; North et Thomas, 1973; Demsetz, 1967; Alchian et Demsetz, 1973; Anderson et Hill, 1977; Libecap, 1989) soutiennent de manière convaincante que les droits de propriété apparaissent en réponse à des conflits relatifs à l'exploitation des ressources et à des revendications contradictoires sur celle-ci, et que des droits de propriété bien définis contribuent à promouvoir une meilleure utilisation des ressources et leur entretien plus régulier à long terme UN ensemble complet de droits comprendrait une série de droits d'usage (droit d'utiliser une ressource, de modifier son exploitation jusqu'au droit de la détruire), ainsi que des droits d'aliénation (par exemple, son transfert par voie de succession aux héritiers et/ou droits de vente) (Schlager et Ostrom, 1992; 1993).

Des théoriciens (Locke, 1965; De Alessi, 1980; 1982; Libacap, 1989) font valoir en outre que la croissance économique découle de l'établissement de droits de propriété privée à condition que ceux-ci aient quatre attributs, à savoir: i) clarté de définition; ii) exclusivité; iii) sécurité de jouissance; et iv) intégration d'un ensemble complet de dispositions telles que les bénéficiaires de droits d'usage aient eux aussi le pouvoir de modifier le mode d'utilisation de la ressource, voire de la détruire, et naturellement de la transférer. Il convient de noter que la définition de droits de propriété privée concerne les droits et non la nature de l'entité qui les possède. Le caractère privé des droits de propriété privée n'exige pas qu'ils soient détenus par des particuliers; ils peuvent tout aussi bien être attribués à des groupes d'individus.

Les érudits qui ont conçu des classifications pour faire apparaître la différence entre accès libre et propriété communautaire ont parfois distingué quatre «types», très généraux de propriété: publique, privée, communautaire et accès libre. Malheureusement, cette classification donne à tort l'impression que la propriété communautaire n'est pas une propriété privée et ne présente pas les attributs souhaitables de la propriété privée. Il importe au plus haut point de reconnaître qu'il s'agit d'une propriété privée partagée et qu'elle doit être considérée comme telle au même titre que les entreprises commerciales, les sociétés en commandite par actions et les coopératives. Dans un régime de propriété communautaire, les droits de propriété peuvent être très clairement spécifiés: par définition ils appartiennent exclusivement aux copropriétaires (membres du groupe d'utilisateurs), sont sûrs s'ils reçoivent les bases juridiques appropriées des pouvoirs publics et, dans certains milieux, sont pleinement transférables. Par exemple, certains régimes alpins de propriété communautaire en Suisse, d'autres régimes agricoles et forestiers au Japon et toutes les coopératives de pêche japonaises permettent le commerce des ports (droits individuels aux avantages et aux revenus), et tous sont dotés de mécanismes permettant à l'ensemble du groupe des utilisateurs de la propriété communautaire de vendre ses biens (les droits partagés sur le capital social ou le capital fixe du groupe d'utilisateurs ou de la société) (Netting, 1981; Glaser, 1987; McKean, 1992a).

Les mécanismes de partage de la propriété privée - y compris les régimes de propriété communautaire - ont certes leurs faiblesses tout comme une entreprise peut rencontrer des problèmes de manquement aux obligations ou de filiales, les membres d'un régime de propriété communautaire peuvent être tentés de tourner les règlements collectifs. Mais les bons rendements obtenus grâce à la production en équipe compensent les pertes potentielles dues au non-respect des obligations; de même, les gains découlant de l'aménagement conjoint d'une ressource intacte contrebalancent souvent les pertes imputables aux fraudes (ou le coût des mesures prises pour les freiner) en régime de propriété communautaire (Couse, 1937; Miller, 1993).

Avantages des régimes de propriété communautaire

Les régimes de propriété communautaire permettent de privatiser les droits à un bien sans le morceler. Ils offrent également un moyen de répartir le «revenu» (intérêts) qui peut être tiré d'un système interactif de ressources sans fractionner le capital lui-même. Un tel régime est évidemment souhaitable dans les cas où le système des ressources est plus productif s'il est aménagé comme un ensemble in tact et non fractionné. Au cours de l'histoire, les régimes de propriété communautaire sont nés lorsque la demande d'une ressource, trop forte pour tolérer l'accès libre, a porté à la création de droits de propriété, alors que pour d'autres raison il était impossible ou inopportun de morceler la ressource elle-même.

Facteurs favorisant l'intégrité de la ressource

Indivisibilité. La ressource peut présente des caractéristiques physiques qui la rendent impropre à la division matérielle ou, la démarcation. Dans certains cas, le système de ressources ne se prête pas à 1, délimitation (haute mer, stratosphère alors que dans d'autres, les ressources e' question pourraient se déplacer sur un, vaste superficie (air, eau, poissons, faune sauvage). De telles ressources doivent être aménagées sous forme de très grandes unités. A première vue, les forêts paraissent beaucoup plus divisibles que d'autres systèmes. Toutefois, il faut les aménager en grandes unités, surtout lorsqu'elles sont aménagées en fonction des produits qu'on peut y prélever autant que pour leur rôle de protection de l'environnement, aux niveaux micro et macro. Même dans les forêts strictement de production, les économies d'échelle interdisent souvent le morcellement, notamment en termes de frais de gestion.

Incertitude concernant l'emplacement des zones productives. Dans des environnements fragiles, la productivité d'une section donnée d'un système de ressources peut être très incertaine pour des causes naturelles et l'emplacement des sections non productives n'est pas toujours facile à prévoir d'une année à l'autre, même si la productivité «moyenne» ou «totale» de l'ensemble de la zone reste assez stable. Dans une telle situation, le système de ressources lui-même est stationnaire et peut même avoir des limites assez claires, mais les sections productives sont instables. Les utilisateurs des ressources pourraient alors préférer partager la zone tout entière et décider d'un commun accord où concentrer l'exploitation sur une époque déterminée, partageant ainsi les risques et les avantages, au lieu de morceler la zone en parcelles individuelles et, partant, d'imposer l'ensemble des risques à seulement quelques membres du groupe (ceux dont les parcelles s'avèrent improductives l'année en question).

Efficacité de la production grâce à l'internalisation des effets externes. Dans de nombreux systèmes de ressources, tels que les bassins versants, ('exploitation d'une zone influe directement sur les utilisations et la productivité d'une autre: ainsi, le déboisement des pentes détruit les réserves d'eau et dégrade la qualité des sols en aval. Si les forêts d'altitude et les terres basses cultivées (ou de petits ilôts de forêts et de pâturages contigus) appartiennent à différents propriétaires qui prennent indépendamment et séparément leurs décisions concernant l'exploitation de la ressource, ils pourraient fort bien se nuire réciproquement. Si les effets externes sont considérables, les utilisateurs/propriétaires cherchent à conclure des contrats avantageux pour tous (Couse, 1960). Les agriculteurs des terres basses peuvent rémunérer les propriétaires des forêts d'altitude pour qu'ils limitent les abattages, ou au contraire ces mêmes propriétaires peuvent couper autant d'arbres qu'ils veulent, puis indemniser les agriculteurs, grâce aux recettes supplémentaires tirées de la vente du bois, pour les dommages causés à leurs champs.

Démarcation d'un espace forestier communautaire aux fins de l'analyse en Bolivie

Membres de groupes d'usagers des forêts, Soraphare, Nikiantha VDC, Dhading (Népal)

Un régime de propriété communautaire créé pour que les décisions relatives à la gestion de la ressource soient prises conjointement pourrait remplacer ces échanges bilatéraux. Ceux qui appliquent ce type de régime à ('aménagement d'un bassin versant pourraient partager la propriété des forêts en amont, exploiter ces forêts de manière à éviter l'érosion du sol et les dommages aux champs cultivés en aval, et tirer de ces derniers un revenu plus élevé qu'il ne l'auraient fait en exploitant davantage le bois en altitude. Les régimes de propriété communautaire sont la meilleure solution lorsque l'exploitation plus intensive de la ressource multiplie les effets externes entre les parcelles, et que l'adoption et l'application collective de règlements d'utilisation restreinte s'avèrent plus commodes (moins de temps perdu et coûts de transaction moins élevés pour les propriétaires) que d'interminables négociations individuelles.

Efficacité administrative. Même si les ressources sont faciles à diviser en parcelles, le soutien administratif nécessaire pour faire respecter les droits de propriété sur les parcelles individuelles n'est pas toujours assuré. Il faudrait alors, pour combler cette lacune, instaurer un régime de propriété communautaire qui permette de définir des règlements de gestion collective servant de barrières théoriques et de tribunal officieux au sein du groupe d'utilisateurs. Un tel mécanisme réduirait les coûts et pourrait être facilement créé par un groupe d'utilisateurs de la ressource (même s'ils sont incapables de mettre en place un réseau national de tribunaux ou ne peuvent se permettre d'acheter du fil de fer barbelé). Les régimes de propriété communautaire offrent le grand avantage d'assurer une gestion efficace là où les règles d'aménagement des ressources peuvent être simplement greffées sur les fonctions d'une organisation communautaire préexistante.

Certains systèmes de ressources paraissent extrêmement divisibles, notamment s'ils présentent un niveau de risque et d'incertitude faible et uniformément réparti ou si les effets externes sont insignifiants et peuvent être maîtrisés au moyen de contrats individuels, ou encore si les parcelles individuelles bénéficient d'un puissant soutien administratif. Toutefois, même dans ces cas, il pourrait y avoir de bonnes raisons de maintenir la propriété communautaire. Les systèmes de ressources naturelles sont fondamentalement interactifs les forêts assurent la maîtrise des bassins versants, les espèces sont souvent interdépendantes sans que nous sachions comment, etc. - et pourraient fort bien s'avérer plus productifs s'ils sont aménagés en grandes unités plutôt qu'en petites. Pour optimiser la productivité de leur propre parcelle, les propriétaires pourraient exiger que les parcelles adjacentes soient elles aussi soumises à des utilisations compatibles et complémentaires. En effet, les propriétaires de parcelles individuelles mais contiguës ont parfois intérêt à s'imposer réciproquement des règlements sur l'utilisation des terres (zonage). Le zonage et l'aménagement urbain consistent en fait à créer des droits de propriété communautaire ou partagée en ce qui concerne l'utilisation de la terre et à attribuer ces droits aux citoyens d'une agglomération. Il serait superflu de réaliser un zonage sur des terres marginales à faible densité démographique; de même, il faudra maîtriser les effets externes dans des endroits où la population est en croissance ou a déjà atteint une densité élevée; ainsi la propriété communautaire deviendra plus (et non pas moins) souhaitable à mesure que s'intensifie l'utilisation de la ressource.

Autrement dit, une réglementation concertée par le truchement de l'équivalent institutionnel d'un régime de propriété communautaire est d'autant plus souhaitable que l'exploitation s'intensifie et se rapproche des limites de rendement du système de ressources. En outre, puisque les utilisateurs de ces ressources sont des personnes, la propriété communautaire est d'autant plus souhaitable - sans être nécessairement plus facile à gérer - et plus utile et, partant, justifiée, à mesure que progresse la pression démographique sur une ressource. Lorsque la survie d'une population exige que l'exploitation d'un système de ressources soit poussée au niveau maximal compatible avec sa durabilité, il devient indispensable de régler minutieusement son utilisation d'un commun accord. Les régimes de propriété communautaire sont avant tout un moyen d'institutionnaliser et d'orchestrer ce type de réglage lorsque les systèmes de ressources sont poussés à leurs limites.

De nombreux observateurs et responsables, désespérés devant la pression démographique et l'épuisement des ressources, qualifient le principe de la propriété communautaire de périmé et d'inapplicable et recommandent la privatisation. Mais ce qu'ils entendent par là est soit la remise pure et simple à un seul individu du système de ressources entier, sans tenir compte des conséquences sur les utilisateurs antérieurs, soit le morcellement. En plaidant pour la «privatisation» ils ont tendance à négliger ce qui, en fait, serait dans bien des cas la forme la plus appropriée de privatisation: la propriété privée partagée ou la propriété communautaire. Comme les parcelles individuelles, la propriété communautaire incite les détenteurs des ressources à les entretenir, à investir pour assurer leur qualité et à les aménager de façon durable et, partant, efficace à long terme. Toutefois, contrairement aux parcelles individuelles, la propriété communautaire permet de poursuivre l'exploitation limitée d'un système de ressources menacé ou vulnérable, tout en résolvant les problèmes de surveillance et d'application posés par la nécessité de restreindre l'utilisation.

Interview d'usagers des forêts, Soragbare, Nkliantha VDC, Dhading (Népal)

Etablir un réseau de recherche sur les ressources et les institutions forestières - RIFI

La recherche sur les régimes de propriété communautaire des forêts, appuyée surtout sur des études de cas. Cependant, les différentes variables identifiées dans ces études ne sont pas toujours comparables. Ainsi, il est impossible d'analyser la manière dont différentes institutions travaillent dans des milieux écologiques, culturels et politico-économiques très variés Il est tout aussi difficile d'associer les données collectées dans des lieux spécifiques aux images à plus grande échelle obtenues par satellite de façon que la situation observée à grande distance puisse être reliée aux processus et aux résultats observés au sol. Dans l'espoir de combler cette lacune, les sociologues, travaillant avec l'Atelier de théorie politique et d'analyse des politiques a l'Université de l'Indiana, élaborent un programme de recherche sur les ressources et les institutions forestières internationales (RIFI). L'objectif du programme est de fournir des informations systématiques sur les capacités et les limites de différents cadres institutionnels, en ce qui concerne les problèmes de déboisement et de perte de biodiversité, le réseau de recherche et la base de données sont consacrés à la compilation d'informations se prêtant à l'analyse comparative, et à l'établissement d'un réseau international de collaborateurs et d'utilisateurs qui puissent s'inspirer de cette base de données pour orienter la politique future.

Des mesures préliminaires ont été prises ces deux dernières années pour mettre au point des protocoles de recherche rigoureux et créer un réseau de centres de recherches coopérants - les trois premiers se trouvent en Bolivie, au Népal et en Ouganda. On espère qu'au cours des prochaines années, le réseau pourra s'élargir pour inclure 15 centres situés dans les principales régions du monde. On étudie la possibilité d'établir des centres de recherches RIFI en Norvège, en Suède, en Slovaquie, au Zimbabwe, à Madagascar, au Cameroun, en Inde, aux Philippines, au Costa Rica, au Guatemala, au Brésil et aux Etats-Unis.

Chaque centre coopérant aura les compétences et la formation multidisciplinaires requises pour utiliser ces protocoles afin de collecter des données systématiques sur l'état des forêts et les institutions forestières, et de disposer ainsi plus tard d'un échantillon de sites forestiers référencés géographiquement. Chaque centre organisera des équipes multidisciplinaires de recherche pour visiter à intervalles réguliers un échantillon de forêt et obtenir des données comparables, valables et fiables. Il faudra veiller à ce que:

· des mesures systématiques quantitatives soient utilisées:

· les inventaires des espèces indiquent les noms et les utilisations scientifiques et aussi locaux;

· les chercheurs aient une bonne connaissance des langues locales pour entreprendre des entretiens approfondis avec les utilisateurs (ayant des droits officiels ou non), femmes, hommes et enfants;

· les utilisateurs locaux des forêts se convainquent que les chercheurs qui font des visites répétées sur place respectent leurs compétences et appliquent des méthodes participatives à la collecte de données qualitatives qui sont ensuite synthétisées et mises immédiatement à la disposition desdits utilisateurs;

· des analystes, connaissant bien les particularités locales d'un pays, entreprennent une analyse poussée des données fondée sur une bonne formation scientifique et une connaissance approfondie des conditions locales;

· des avis de politique soient fournis par des personnes dont le propre avenir est étroitement lié au succès de ces recommandations.

La formation approfondie aux technique, participatives de collecte de données, à l'emploi des ordinateurs pour la classification e l'analyse, et à la production d'un, rétro information rapide et pertinente à l'intention des utilisateurs de la forêt et de services publics, constitue un élément clé de programme de recherche RIFI. Le renforcement des compétences des scientifique nationaux contribuera à améliorer les base de connaissances et à faciliter le dialogue e matière de politique dans leur propre pays

Au cours de chaque visite aux sites, on collectera des données sur la forêt et le établissements humains, les limites et le modalités d'utilisation par l'homme. De entretiens approfondis auront lieu avec divers groupes d'utilisateurs concernant le incitations nécessaires pour améliorer, sur veiller la forêt, et récolter et vendre divers produits forestiers soumis à des droits complexes de propriété. La composition des groupes d'utilisateurs, les problèmes que pose la lutte contre l'exploitation clandestine, la manière dont les utilisateurs et les fonction noires jugent les conséquences des règlements en vigueur, les rapports qui exister entre les institutions gouvernementales, les ONG, les sociétés privées et les institution indigènes, les conflits qui ont éclaté, et la manière dont ils sont (ou ne sont pas) arbitrés seront évalués suivant un processus permanent d'observation, de discussion de rétroinformation. Les données de niveau local contribueront à expliquer des proces sus complexes dont les effets peuvent être surveillés à l'aide de satellites, mais les pro cessas eux-mêmes ne sont pas encore bien compris et ne peuvent être étudiés que sur I terrain. Si l'analyse préliminaire démontre que, dans certains lieux déterminés, le cadre institutionnel donne des résultats beaucoup plus ( ou beaucoup moins) bons que d'autres situés dans des milieux similaires, on pourrait mener des études de cas individuels.

Les informations recueillies seront stockées dans une base de données relationnelles conçue expressément pour tenir compte des régimes complexes de tenure des arbres, des techniques de récolte locales, et du sexe, de l'ethnie et de la diversité de groupes, organisés ou non, d'utilisateurs. La base contiendra des informations quantitatives et qualitatives et une description conceptuelle détaillée ainsi qu'un codage nominal et ordinal. Les informations sur l'état des forêts et la biodiversité de la végétation dans chaque site pourront être immédiatement mises à la disposition des utilisateurs des forêts et des services gouvernementaux.

Les analyses porteront sur la manière dont différents types d'institutions forestières et, notamment, les régimes de propriété communautaire, incitent les utilisateurs à augmenter leur propre bien-être et à conserver la diversité biologique des plantes, à éviter l'érosion du sol, et à maintenir la durabilité de la forêt. Tous les types d'institutions forestières seront inclus dans l'étude afin de comparer les résultats des institutions de propriété communautaire avec ceux de divers types de propriété publique ou privée.

Une fois les données initiales collectées et introduites dans une base de données locales établie dans le pays, les centres de recherche coopérants pourront répondre aux questions posées par les agents d'exécution et les chercheurs sur des matières présentant un intérêt direct dans un lieu donné. Au Népal, par exemple, la base de données RIFI doit, entre autres, collecter les données servant à un projet forestier d'emphytéose entrepris par le Département des forêts. Le projet fera l'objet d'un suivi prolongé pour évaluer l'efficacité de l'octroi de baux de longue durée aux paysans sans terre et de leur formation à des techniques agroforestières appropriées. L'évolution portera sur plusieurs groupes de contrôle. Le premier consistera en zones où l'on mène des études de base mais où aucun projet d'emphytéose n'a été entrepris. I e deuxième comprendra des terres dans des zones écologiques similaires où des groupes d'utilisateurs autonomes, le Département des forêts, des ONG ou d'autres projets spéciaux sont chargés, en tout ou en partie, de la gestion des forêts

Fourmilière exploitée comme source d'aliments en Ouganda

En Ouganda, la base de données RIFI est conçue de manière à être utilisée dans le cadre du Plan d'action national sur l'environnement. On s'emploie activement dans ce pays à déterminer comment les communautés locales gèrent divers systèmes de ressources.

En Bolivie, grâce à la base de données RIFI, on étudiera les politiques récentes visant à transformer le statut officiel de divers types de communautés locales. La base fournira, en outre, une rétroinformation aux utilisateurs locaux et aux services gouvernementaux sur les résultats comparatifs de divers types d'institutions forestières dans le temps.

Une fois analysées localement, les données seront communiquées aux autres membres du réseau pour qu'ils puissent en entreprendre l'analyse systématique à l'échelon national. L'information obtenue et utilisée par ce réseau servira à examiner des hypothèses tirées d'études précédentes sur les régimes de propriété communautaire et, d'une manière plus générale, à l'analyse et la conception d'institutions.

L'expansion future du réseau dépendra des disponibilités de fonds et de la mise au point de modalités permettant au programme de recherche de fournir en temps voulu des informations pertinentes qui soient utiles aux utilisateurs des forêts, aux services publics et aux chercheurs d'une région donnée.

Les demandes d'informations supplémentaires concernant le programme de recherche du RIFI et du réseau de centres coopérants devront être adressées à: Dr Elinor Ostrom, Co-Director, Workshop in Political Theory and Policy Analysis, Indiana University, 513 North Park Street, Bloomington, Ind., 47808-3895, Etats-Unis.

Régimes de propriété communautaire en forêt recommandations

On pourrait commencer par synthétiser, sous forme d'une série de recommandations de politique générale, les conclusions tirées jusqu'ici de nombreuses études de cas de régimes de propriété communautaire qui ont réussi ou fait faillite (d'après Ostrom, 1990; McKean, 1992b; Ostrom, Gardner et Walker, 1994).

Les groupes d'utilisateurs doivent avoir le droit de s'organiser ou, du moins, être certains que leurs initiatives ne seront pas contrecarrées. Les groupes d'utilisateurs forestiers de pays comme la Suisse et le Japon, qui, d'une part jouissent d'un statut juridique en tant qu'entités propriétaires et, de l'autre, ont acquis une longue expérience de l'aménagement forestier communautaire, sont bien différents des populations autochtones du Kalimantan et de l'Irian Jaya à l'Amazonie et du Zaïre à l'Inde, qui ont aménagé collectivement leurs forêts pendant des décennies, voire des siècles, sans rencontrer d'opposition mais qui manquent de protection juridique. Dès que les produits forestiers deviennent intéressants au plan commercial, des «étrangers» à la communauté des utilisateurs traditionnels tentent d'acquérir des droits juridiques sur la forêt. Si les utilisateurs traditionnels jouissaient des mêmes droits, ils bénéficieraient eux aussi des débouchés commerciaux que trouve la ressource. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, par exemple, où les droits communautaires traditionnels sur les ressources sont juridiquement reconnus, les scieries mobiles utilisées par les villageois se sont montrées, dans l'ensemble, plus rentables et productives pour le village que les concessions d'exploitation octroyées à des sociétés extérieures. Lorsque les gouvernements nationaux ne donnent pas suite aux revendications des communautés locales, il est préférable pour celles-ci d'être ignorées par les échelons supérieurs de l'administration publique plutôt que de rencontrer leur opposition. Le système des champs ouverts qu'appliquent les villageois de l'Andhra Pradesh pour gérer les semis, ('exploitation, le pâturage et l'irrigation ne donne de bons résultats que parce que le gouvernement de l'Etat et les autorités nationales l'ignorent (Wade, 1992).

Les limites de la ressource devront être clairement établies. Tant les limites physiques naturelles que les démarcations juridiques d'une forêt communautaire doivent être clairement identifiées et définies. Des limites bien marquées et bien comprises peuvent remplacer à bon compte une clôture. Cette dernière permet d'interdire efficacement l'entrée de certains animaux mais non des êtres humains qui peuvent escalader la plupart des clôtures et, en tout état de cause, se dotent de cisailles et de scies au moment où ils acquièrent le matériel nécessaire pour les construire. Ceux qui envahissent le territoire d'autrui en sont pleinement conscients et leurs victimes peuvent aisément démontrer qu'elles ont été envahies.

Les critères qui régissent l'appartenance au groupe d'utilisateurs qualités de la ressource doivent être clairs. Le groupe doit être fermement d'accord sur sa composition et il est sans doute préférable que les règlements d'adhésion ne permettent pas l'accroissement rapide des membres. Dans de nombreux villages suisses, l'admission au groupe des utilisateurs est limitée aux résidents qui achètent des actions de l'alpage; tout nouveau venu doit s'en procurer et les résidents qui quittent le village ont intérêt à les revendre puisqu'ils ne pourront exercer leurs droits villageois de l'extérieur. Ainsi, ('effectif du groupe d'utilisateurs qualifiés reste stable dans le temps. Dans les villages japonais, ('entrée dans le groupe et les parts des revenus de l'exploitation sont normalement accordées aux familles plutôt qu'aux particuliers, et souvent réservées aux familles «principales» établies de longue date plutôt qu'aux familles «apparentées». Ainsi, aucun avantage particulier n'est consenti aux familles nombreuses, à celles qui se fractionnent ou aux nouveaux venus. Les communautés peuvent se montrer moins strictes - à leurs risques et périls - quant à la définition des critères d'appartenance au groupe. Vondal (1987) décrit un village indonésien dont les ressources communautaires sont soumises à des pressions imputables en partie au fait que la communauté admet au sein du groupe d'utilisateurs non seulement les résidents du village mais aussi tous leurs parents vivant dans des villages voisins. Ainsi, le groupe d'utilisateurs s'est accru rapidement, sans qu'ait été mise au point une méthode permettant d'harmoniser sa taille ou sa demande globale avec la capacité du système de ressources.

Les utilisateurs doivent avoir le droit de modifier leurs règlements d'exploitation dans le temps. Les règlements trop stricts sont fragiles et risquent de compromettre un régime de propriété communautaire bien organisé par ailleurs. Les Anglais, tentant avec plus de générosité que de jugement d'élargir la reconnaissance juridique de régimes de propriété communautaire des forêts et des terrains de parcours au Pendjab, ont codifié tous les règlements relatifs à l'utilisation de la ressource selon différents systèmes. Ils ont malheureusement bloqué les règlements d'usage qui auraient dû rester souples. Les utilisateurs sont les premiers à observer les signes de dégradation ou de reprise des ressources et doivent donc avoir la possibilité d'adapter leurs règlements à l'évolution écologique et aux nouvelles possibilités économiques offertes. Par exemple, les villages japonais, qui ont conservé tous les droits sur les terres communautaires, sont libres non seulement de modifier à leur guise les règlements en vigueur mais aussi de profiter de possibilités commerciales intéressantes. Ils peuvent recruter des bûcherons pour défricher un cinquantième de la montagne chaque année pendant 50 ans. Ils peuvent «aménager» la forêt pour exploiter des bambous ou des arbres fruitiers d'intérêt commercial, ou céder à bail des terres à des hôtels et des stations de sports d'hiver. Ils peuvent même vendre des terres communautaires, par décision prise à l'unanimité, s'ils veulent encaisser la plus-value sur des terrains dont la valeur a augmenté.

Les règlements qui régissent l'exploitation doivent respecter les limites du système et être assez prudents au plan de l'environnement pour ménager une marge d'erreur. Les groupes d'utilisateurs qui réussissent semblent préférer un système d'exploitation qui respecte l'environnement, afin de disposer d'une marge de manœuvre en cas de crise. Les villageois japonais des régions du mont Fuji ont consciemment surexploité leurs forêts communautaires pendant la crise des années 30, récoltant davantage de fourrage pour les chevaux de bât et plus de bois pour la fabrication du charbon que ne ('aurait permis une exploitation durable; ils savaient bien que, dans un cas d'urgence temporaire semblable, ils pouvaient se permettre de surexploiter les terres communautaires en raison précisément de la prudence dont ils avaient fait preuve pendant les bonnes années. Les terres communautaires représentaient à la fois un élément indispensable de la vie quotidienne et une réserve de sécurité. Lorsque les experts forestiers ont déclaré aux villageois népalais qu'ils pouvaient tout à fait prélever aussi bien la litière feuillue que le petit bois sans endommager leur forêt, les villageois ont repoussé cet avis et opté en revanche pour la mise en défens de la forêt, craignant que la coupe de bois de feu ne menace toute la population d'arbres à feuilles décidues et réduise ainsi les disponibilités de litière feuillue si précieuse comme fourrage et comme engrais (Arnold et Campbell, 1986).

Bases de données sur la propriété communautaire disponibles par voie électronique C. Hess

L'Atelier théorie politique et d'analyse des politiques met depuis peu à disposition, par voie électronique, bon nombre de ses bases de données bibliographiques sur la foresterie et les ressources communautaires qui constituent une documentation unique. Ces bases contiennent les volumes I et 2 de la Common Pool Resources and Collective Action Bibliography (1989-1992) par Fenton Martin (disponibles aussi sous forme imprimée) et le volume 3 de la Common Pool Resources and Collective Action (1994), ainsi que Forestry Resources and Collective Action ( 1994) par Charlotte Hess. Les bases de données renferment au total plus de 10 500 citations; la base «Forestry Resources», qui est la plus importante, en contient 2 500.

Les bases de données en question sont actuellement emmagasinées dans le logiciel gopher de l'Université de l'Indiana suivant un protocole simple et tous ceux qui ont accès à l'Internet peuvent les utiliser. Le logiciel gopher approprié peut être récupéré au moyen d'un protocole de transfert de fichier anonyme (File Transfer Protocol0 dans les archives de l'Université du Minnesota <boombox.micro.umn.edu>.

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Charlotte Hess, Workshop Research Library,
Workshop in Political Theory and Policy- Analysis
513 North Park Street,
Bloomington. Ind. 47408, Etats-Unis
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Les règlements d'utilisation doivent être clairs et faciles à appliquer. Les régimes de propriété communautaire fixent souvent des limites quantitatives au volume de produits qu'un utilisateur individuel peut extraire des diverses zones de la forêt, de sorte que tout soupçon d'infraction déclenche toute une série de mesures de pesage et de discussions entre l'utilisateur de la ressource et son gardien. Dans certains cas, d'autres types de règlements sont plus faciles à comprendre et à appliquer. Par exemple, les restrictions frappant l'équipement qu'un utilisateur peut emporter en forêt limitent aussi bien l'exploitation et sont plus simples à appliquer. La présence d'une scie de grandes dimensions ou d'un animal de somme plutôt que d'un sac à dos pourrait constituer une infraction avant même de commencer l'abattage. Les dates d'ouverture et de clôture jouent le même rôle: se trouver dans la forêt durant la morte-saison, quelle que soit l'excuse avancée, est inadmissible. Des règlements clairs et applicables facilitent la tâche des groupes d'utilisateurs de la ressource et des surveillants qui les représentent, et permettent d'éviter les malentendus et les conflits.

Les infractions aux règlements d'exploitation doivent être relevées et punies. Il est évident que les règlements ne donnent de résultats que s'ils sont appliqués. Agrawal ( 1992) a constaté que les ressources que les communautés villageoises du Rajasthan consacraient à l'application des règlements - notamment recrutement de gardiens ou attribution aux villageois de tâches de surveillance selon un système de rotation - variaient beaucoup. Les communautés dont les forêts collectives étaient saines affectaient le produit des amendes et des sanctions imposées au recrutement de gardiens.

L'attribution des droits de décision et d'utilisation aux copropriétaires des terres communales ne doit pas forcément être égalitaire mais au moins équitable. Lorsque les membres d'un sous-groupe se sentent lésés par rapport à un autre sous-groupe, c'est-à-dire qu'ils se voient refuser un juste accès ou une part équitable, ils perdent toute envie de participer à la prise de décisions, sont peu disposés à investir dans l'entretien et la protection des terres communales et poussés à saccager les terres communautaires, ll faudrait mettre au point des méthodes peu coûteuses et rapides pour résoudre les conflits mineurs. Même un bon régime de propriété communautaire donne naissance à des différends entre usagers; il doit donc fournir l'occasion de discuter ouvertement de ces désaccords et de parvenir à un compromis.

Les institutions qui ont pour tâche d'aménager des systèmes très étendus devraient être stratifiées et les composantes mineures devraient avoir une autorité considérable. Une forêt vaste peut être exploitée par un grand nombre de communautés différentes, qui ne sont pas toutes fréquemment en contact. La nécessité d'aménager une grande forêt en tant qu'unité semble aller à l'encontre de la marge d'indépendance dont a besoin chacune des communautés d'utilisateurs. Regrouper différents groupes d'utilisateurs dans une organisation pyramidale contribuerait à surmonter cette contradiction en assurant à la fois l'indépendance et la coordination. Les modèles de regroupement les mieux réussis sont les réseaux d'irrigation qui desservent des milliers d'usagers.

Conclusion

Il faut reconnaître que certains régimes de propriété communautaire se soldent par un échec et que d'autres mécanismes institutionnels peuvent réussir. Ce serait toutefois une grave erreur que de reléguer ces régimes au rang de vestiges du passé, qui seraient naturellement inefficaces et incompatibles avec la société d'aujourd'hui. Les arguments théoriques et les exemples présentés ci-dessus montrent qu'il existe des conditions dans lesquelles les régimes de propriété communautaire sont tout à fait appropriés, et qu'il existe des cas bien documentés où les utilisateurs des forêts ont créé eux-mêmes des institutions répondant à leurs besoins. Cependant, les connaissances et les informations concernant les effets de diverses institutions sur l'état des forêts présentent encore de multiples lacunes. Au lieu de détruire ou de créer des institutions à l'aveuglette, il faudrait travailler sans relâche à accroître la masse de connaissances disponibles pour réduire les taux de déboisement et la perte de biodiversité dans le monde entier.

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