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Quatrième partie: Quelques espèces choisies d'acacias
4.1 Acacia nilotica
4.2 Acacia senegal
4.3 Acacia tortilis
4.4 Faidherbia albida
4.5 Espèces exotiques
Nous examinerons ci-dessous quatre espèces à usages multiples très répandues: A. nilotica, A. senegal, A. tortilis et F. albida. Nous évoquerons à l'annexe D leurs utilisations, et notamment les plus courantes, soit respectivement: bois d'uvre, gomme arabique et fourrage, et agroforesterie et fourrage. Nous dirons aussi quelques mots des espèces introduites.
Il s'agit d'un complexe polyploïde (Fagg, 1992) au sein duquel on distingue neuf sous-espèces dont les aires géographiques sont plus ou moins distinctes (Brenan, 1983).
Sous-espèce |
2n |
Habitat |
Répartition |
tomentosa |
16x = 208 |
Berges des cours
d'eau |
Afrique de l'Ouest,
du Sénégal au Nigéria et au Niger, Soudan et Ethiopie |
nilotica |
8x = 104 |
Berges des cours
d'eau |
Nigéria et
Cameroun, vers l'est, en direction de l'Egypte et du Soudan |
adstringens |
4x = 52 |
Savane sèche |
Du Sénégal au
Cameroun, vers l'est, en direction du Soudan et de l'Ethiopie |
subalata |
4x = 52 |
Savane sèche |
Afrique de l'Est,
du Soudan et de l'Ethiopie en direction du sud, vers la Tanzanie |
leiocarpa |
4x = 52 |
Savane sèche |
Afrique de l'Est,
de l'Ethiopie à la Tanzanie |
kraussiana |
4x = 52 |
Formations
herbacées sèches |
Afrique australe,
de la Tanzanie à l'Afrique du Sud |
indica |
4x = 52 |
Formations
arbustives sèches; tolère les sols alcalins et salés |
Yémen, Oman,
Pakistan, Inde, Myanmar |
cupressiformis |
4x = 52 |
Formations
arbustives sèches; tolère les sols alcalins et salés |
Pakistan |
hemispherica |
4x = 52 |
Lits secs de cours
d'eau |
Pakistan |
L'allure générale des différentes espèces varie considérablement: ainsi, les sous-espèces nilotica, tomentosa et indica ont des cimes ovoïdes et un feuillage persistant ou semi-persistant, tandis qu'adstringens, subalata et kraussiana ont des cimes aplaties et étalées à feuillage caduc, que cupressiformis a une cime étroite et dressée, et qu'hemispherica est, comme son nom l'indique, un arbre hémisphérique sans tronc principal évident. Malgré cette grande diversité dans l'allure générale et la taxonomie, la plupart des auteurs ne notent que rarement les sous-espèces quand ils font rapport sur l'utilisation des acacias. C'est d'autant plus regrettable que la teneur en tanin varie probablement selon les sous-espèces, ce qui ne peut manquer d'avoir une incidence sur leur valeur comme espèce fourragère et comme agent tannant, sans parler de leurs autres caractéristiques. Leur écologie varie également, et notamment leur capacité de subsister sur des sols saturés d'eau.
Les populations plantent les sous-espèces nilotica, tomentosa et indica pour se procurer du bois d'uvre, du bois de feu et du tanin; quant à cupressiformis, sa popularité ne fait que croître en Inde, où il sert à façonner des brise-vent; la raison de cet engouement tient à ce que sa cime étroite donne moins d'ombre que celle des autres essences utilisées à cette fin. Toujours en Inde, indica fait l'objet d'une culture intensive sur des sols salins ou alcalins dégradés dotés d'un pH de 9 et d'une teneur en sel soluble inférieure à 3 pour cent (Fagg, 1992). Et bien que les rendements des cultures poussant sous son couvert soient réputés médiocres, il n'en figure pas moins en bonne place dans les programmes d'agroforesterie. On attribue ces faibles rendements à la concurrence pour l'eau (Adjers et Hadi, 1993).
Espèce à aire étendue et variable, dont on reconnaît quatre variétés (Brenan, 1959, 1970, 1983; Cossalter, 1991).
Variété |
Habitat |
Répartition |
senegal |
Steppes boisées
décidues ou arborées brousses décidues, broussailles sèches(de 120 à 1.680 m). |
Mauritanie,
Sénégal, Nord Côte d'ivoire, Ghana, Nigéria, Cameroun, Mali, Burkina Faso, Niger,
République Centrafricaine, Tchad, Soudan, Ethiopie, Somalie, Ouganda, Kenya, Tanzanie,
Rwanda, Zaïre, Mozambique, Oman, Pakistan, Inde |
kerensis |
Steppes boisées
décidues ou arborées brousses décidues, broussailles sèches (de 460 à 1.130 m). |
Ethiopie, Somalie,
Ouganda, Kenya, Tanzanie |
leiorhachis |
Forêts sèches et
brousse, souvent avec Colophorspermum mopane; de 460 à 1.130 m. |
Ethiopie, Somalie,
Kenya, Tanzanie, Zambie, Mozambique, Zimbabwe, Botswana, Afrique du Sud |
rostrata |
Forêts sèches,
stoppes boisées; du niveau de la mer jusqu'à 600 m environ |
Somalie? Ouganda?
Kenya? Mozambique, Zimbabwe, Botswana, Angola, Namibie, Afrique du Sud, Oman? |
L'exsudat de la variété senegal est la principale source de gomme arabique; on plante cette essence partout au Sahel. D'après Anderson et Weiping (1990), cités par Anderson (1990), chaque variété a un exsudat de gomme distinct et caractéristique. Cela n'affecte en rien, cependant, le statut de la gomme arabique tel que défini par la FAO (1990) et l'OMS (1990a); se reporter à la section 2.2.2.
Espèce polyploïde (Fagg, 1991) dont on reconnaît quatre sous-espèces, plus ou moins localisées, dans les régions arides et semi-arides d'Afrique et du Proche-Orient (Brenan, 1983).
Sous-espèce |
2n |
Habitat |
Répartition |
tortilis |
4x = 52 |
Steppes boisées
décidues et brousse |
Egypte: vers le
sud, en direction de la Somalie, et vers l'est en direction de l'Arabie |
spirocarpa |
4x = 52 |
Savanes/forêts
sèches décidues et brousse, steppes boisées, broussailles semi-désertiques; de 520 à
1 500 m |
Soudan et Ethiopie,
en direction du sud vers le Zimbabwe, le Botswana et la Namibie |
heteracantha |
4x = 52 |
Savanes/forêts
sèches steppes boisées et brousse, souvent au bord de cours d'eau; de 240 à 1 100 m |
Mozambique,
Zimbabwe, Botswana, Angola du Sud, Namibie, Afrique du Sud, Swaziland |
raddiana |
8x = 104 |
Brousse
semi-désertique et maquis, terres boisées décidues |
Sénégal, vers
l'est en direction du Mali, du Soudan, de la Somalie et du Kenya, et s'étendant en Egypte
en direction d'Israël, de la Jordanie et de l'Arabie saoudite |
On reconnaît deux variétés chez chacune des sous-espèces raddiana et spirocarpa: raddiana et pubescens, d'une part, et, de l'autre, spirocarpa et crinita. Ajoutons que certains considèrent subsp. raddiana comme une espèce distincte. Son homologation comme sous-espèce se justifie du fait que la variété pubescens semble être un hybride entre subsp. raddiana et subsp. tortilis (Brenan, 1983).
Acacia tortilis est un arbre à usages multiples dont l'utilisation semble indépendante de tout classement variétal, encore qu'en l'absence d'essais on ignore si les variations intraspécifiques ont ou non un impact écologique.
Le comportement singulier - feuillage persistant toute la saison sèche et tombant dès la venue de la saison des pluies - et les bénéfices de cet arbre sont assurés par la production de fourrage et l'accroissement des rendements sont bien documentés (Wickens, 1969; Nongonierma, 1979; Baumer, 1983; Koné, 1986; Bonkoungou, 1987; CTFT, 1988; Vandenbeldt, 1992, etc.). Ce comportement se retrouve sur toute son aire de répartition, des deux côtés de l'équateur; dans les zones de précipitations bimodales, l'arbre peut perdre et retrouver ses feuilles deux fois par an (Wickens, 1969).
Habitat |
Répartition |
Sols alluviaux des
terres boisées en bordure des cours d'eau; terres boisées décidues |
Sénégal, vers
l'est en direction de l'Egypte et vers le sud, à travers l'Afrique de l'Est, en direction
du Transvaal, du Natal et du Lesotho, de l'Angola et de la Namibie; Israël, Liban et
Yémen; largement introduit ailleurs sous les tropiques |
La répartition naturelle semble privilégier les berges des cours d'eau et dans les endroits où, comme pour A. nilotica subspp. nilotica et tomentosa), le système radiculaire est presque entièrement submergé à la saison des pluies (Wickens, 1966). On trouve aussi F. albida à l'intérieur des terres, où elle n'est pas soumise à une inondation saisonnière du système radiculaire. Il se peut que deux races distinctes aient évolué, avec, pour norme, dans le premier cas une respiration aérobie, et, dans le second, une respiration anaérobie. C'est peut-être ce qui explique l'échec de certains essais de provenance: on avait tenté d'introduire une variété dans un milieu trop différent de son habitat normal.
Faidherbia albida, l'un des cinq arbres les plus répandus sur les terres agricoles qui entourent Kano, au Nigéria, fournit 25 pour cent du bois de feu; on l'obtient par élagages sporadiques. On récupère également le bois des arbrisseaux morts des suites de la sécheresse; les arbres mâtures étaient apparemment moins vulnérables. L'espèce n'est pas considérée comme source de combustible (Cline-Cole et al., 1990); cependant, vu sa disponibilité, on a commencé à s'en servir de plus en plus, à mesure que les autres ressources s'épuisaient.
Il n'y a eu que peu de plantations en dehors des implantations traditionnelles des agriculteurs du Sahel (Sénégal, Niger, Burkina Faso, etc.), vu la capacité de régénération naturelle de F. albida. Certains rapports font même état d'une régénération à partir de semences germant sur les bouses du bétail. Voilà qui contredit les observations faites dans le Darfour (Wickens, 1969), où toutes les semences de F. albida ayant germé sur ce fumier s'étiolèrent et périrent rapidement. Le bassin de Ouadi-Azoum, dans le Darfour, est considéré comme l'une des meilleures régions fourragères du Soudan; on pense donc que ce fourrage de qualité contient davantage d'éléments nutritifs, est plus sensible aux variations d'humidité et produit des excréments plus mous, tous facteurs pouvant expliquer la bonne germination et l'implantation des semences. On suppose par ailleurs qu'un fourrage plus sec et contenant davantage de fibres produirait des excréments plus propices à la croissance. Les observations effectuées par Lamprey (1967) et Koné (1986) à propos de la régénération naturelle de F. albida vont dans le sens d'une telle hypothèse.
Un certain nombre d'espèces à phyllodes d'Australie ont été introduites en Afrique et au Proche-Orient, en vue, essentiellement, de produire du bois de feu et du fourrage et de stabiliser les sols (Vercoe, 1987). Plus récemment, on s'est intéressé aux graines d'acacias comme aliment dans les régions sèches de l'Afrique tropicale (House et Harwood, 1992), en raison, notamment, de leur culture aisée et des excellents rendements en graines consommables, faciles à stocker pour de longues durées. Ces graines ont des teneurs élevées en protéines, en glucides et en graisses, et contiennent peu de substances toxiques ou anti-nutritionnelles. Certaines présentent un intérêt particulier, notamment A. colei, A. cowleana et A. tumida (Harwood, 1993). Parmi les autres espèces australiennes aux graines comestibles introduites en Afrique et au Proche-Orient, citons A. adsurgens, A. ampliceps, A. aneura, A. eriopoda, A. holosericea, A. kempeana, A. ligulata, A. neurocarpa, A. salicina, A. sclerosperma et A. victoriae (Devitt, 1992). Les graines d'A. farnesiana, d'Amérique centrale, sont également comestibles.
D'après Goodchild et McMenimmam (1987), le fourrage des espèces à phyllodes contient davantage de fibres brutes, moins de protéines brutes et de phosphore et des matières organiques moins digestes que les autres membres du genre acacia. En raison de leurs phyllodes sempervirents, ces espèces constituent une réserve de fourrage en cas de sécheresse, quand les autres fourrages viennent à manquer (Thomson et al., 1993). Elles sont très appréciées dans les régions sèches d'Afrique et du Proche-Orient.
Une récente réévaluation de la taxonomie du complexe A. holosericea a permis de reconnaître le diploïde A. neurocarpa, le tétraploïde A. holosericea et l'hexaploïde A. colei, hybride présumé entre A. neurocarpa et A. cowleana (tétraploïde) (Maslin et Thompson, 1993). L'effet de cette réévaluation est qu'il va maintenant falloir reconsidérer aussi les précédents rapports sur le comportement d'A. holosericea. A. colei croît fort bien en Afrique de l'Ouest car il supporte mieux la sécheresse qu'A. holosericea et A. neurocarpa; il pourrait donc constituer une récolte vivrière hautement nutritive pour les régions sèches de l'Afrique au sud du Sahara. On s'en sert désormais de plus en plus comme brise-vent, pour la régénération des sols érodés et pour la production de bois de feu. Parmi les autres espèces polyvalentes à graines comestibles qui semblent prometteuses, figurent A. cowleana et A. tumida. Les huiles extraites des arilles d'A. colei et A. coleana présentent un intérêt économique supplémentaire: ce sont d'excellents solvants pour l'encre des stylos à bille (Thomson, 1992).
Un certain nombre d'espèces australiennes ont été introduites en Afrique tropicale voici 20 ans et plus, principalement via l'Afrique du Nord. Les résultats se sont révélés décevants, les plantes à l'essai mourant même dans certains cas. Les essais d'introduction récemment effectués en Afrique de l'Ouest ont porté sur A. bivenosa, A. colei (comme A. holosericea), A. coriaces, A. sclerosperma, A. trachycarpa et A. tumida. Les essais réalisés au Sénégal ont été caractérisés par une production de biomasse à 40 mois supérieure à celle des espèces indigènes. Les résultats obtenus tiennent compte des éclaircies: on a modifié les espacements originels en passant de 3 x 3m à 3 x 6 m (Cossalter, 1987). Ces résultats s'expriment comme suit:
Poids moyen (en
g) de phyllodes secs ou de feuilles par arbre |
Poids moyen (en
kg) de bois par arbre |
|
Espèces australiennes |
||
A. holosericea |
2 660 |
12,03 |
A. trachycarpa |
1 993 |
10,65 |
Espèces africaines |
||
A. senegal |
60 |
9,92 |
A. seyal |
208 |
4,39 |
A. tortilis |
130 |
5,89 |
Il est intéressant de noter qu'en Australie A. trachycarpa n'est pas reconnue comme espèce fourragère, alors qu'en en Afrique de l'Ouest chèvres et moutons la broutent allègrement (Cossalter, 1987).
En dépit des succès rencontrés au Sénégal, d'autres essais, réalisés à l'intérieur du Sahel, ont été décevants. Les collections en provenance de l'intérieur de -l'Australie sont recommandées (Cossalter, 1987; Souvannavong et de Framond, 1992). Cependant, d'après Le Houérou et al. (1993), les espèces du type Phyllodinue ne peuvent pousser au Sahel, sauf sur la bande côtière du Sénégal, en raison d'un déficit de saturation (DS) élevé et d'une humidité relative (HR) assez basse, quelle que soit la moyenne des précipitations annuelles, alors qu'on peut les implanter dans les régions arides de l'Afrique du Nord, de l'Est, du Sud-est et du Sud. On a généralement dans ces régions un DS inférieur à 12 hPa¹ et une HR supérieure à 60 pour cent; en d'autres termes, un DS moitié moindre qu'au Sahel et une HR de plus du double. On retrouve les mêmes valeurs sur la bande côtière sahélienne du Sénégal. De toute évidence, un problème physiologique se pose, qui a trait à l'évapotranspiration, de sorte que si l'on souhaite se procurer des collections de provenances d'Australie, il importe de tenir compte des valeurs respectives du DS et de l'HR pour ce continent.
1 Hectopascals.
En raison de l'épuisement des ressources forestières indigènes, tous les pays d'Afrique du Nord comptent désormais sur les essences exotiques pour se procurer bois d'uvre et autres produits forestiers (El-Lakany, 1987). Un certain nombre d'acacias australiens ont été introduits en Afrique et au Proche-Orient, dont A. aneura, A. cyclops, A. ligulata, A. pence, A. salicina, A. saligna, A. victoriae, ainsi qu'A. farnesiana originaire d'Amérique centrale. De toutes ces espèces, A. saligna est considérée comme la plus importante: elle tolère bien les sécheresses modérées, peut pousser sur des sols pauvres et retenir les sables, produit une biomasse élevée, se révèle d'une haute valeur nutritive pour les chèvres et les moutons, est facile à acclimater et à gérer, et réagit bien à l'irrigation (El-Lakany, 1987).