3.1 Types d'incertitude
3.2 Estimation de l'incertitude et du risque
3.3 Conseils aux gestionnaires quant a l'incertitude et au risque
L'incertitude, telle que définie par la Consultation technique sur l'approche de précaution appliquée aux pêcheries est "l'insuffisance du savoir relatif à l'état ou aux processus de la nature" (FAO/Gvt. de Suède, 1995).
L'incertitude statistique est "le caractère stochastique ou l'erreur provenant de diverses sources, tels qu'ils sont décrits par la méthodologie statistique". La consultation technique définit le risque comme "la probabilité que survienne quelque chose de fâcheux". Il est à noter qu'en termes décisionnels théoriques, le risque est défini comme la perte moyenne ou perte prévue lorsque quelque chose de fâcheux survient.
Evidemment, lorsque des décisions d'aménagement doivent être basées sur des estimations quantitatives issues de modèles d'évaluation des pêcheries, il est souhaitable que l'incertitude soit quantifiée et qu'elle soit utilisée pour calculer la probabilité d'atteindre l'objectif désiré et/ou le risque d'encourir des événements non souhaités. Le processus de communication de ce risque aux décideurs en est à ses premiers pas et représente un enjeux majeur, à la fois pour les techniciens des pêches et pour les gestionnaires. En retour, les gestionnaires des pêcheries et les participants doivent trouver le moyen d'évaluer objectivement les coûts potentiels des événements indésirables, définir des niveaux de risque acceptables et quantifier la production à court terme à laquelle renoncer pour réduire ces risques.
L'évaluation de ces événements indésirables qui pourraient résulter d'un processus particulier, ainsi que celle de leur coût attendu, est souhaitable lorsque l'on propose des mesures d'aménagement (Beddington, 1978; Francis, 1991). Alors que cette pratique était rare par le passé, quelques échecs bien étudiés ces dernières années en matière de gestion des stocks ont amené cette question sur le devant de la scène scientifique. Plusieurs ateliers de travail récents se sont concentrés sur l'évaluation des risques en aménagement des pêcheries (SEFSC, 1991; NAFO, 1991; Anon., 1992; Smith et al., 1993; Kruze et al., 1993; FAO/Gvt de Suède, 1995).
3.1.1 Incertitude due aux erreurs de mesures et aux biais
3.1.2 Incertitude liée aux processus naturels
3.1.3 Incertitude liée aux modèles
3.1.4 Incertitude d'estimation
3.1.5 Incertitude lors de la mise en oeuvre
II existe plusieurs sources d'incertitude dans le calcul des Points de Référence et dans l'évaluation de l'état des stocks par rapport à ces Points de Référence. Cinq types d'incertitude découlent d'une connaissance imprécise de l'état de la nature (Rosenberg et Restrepo, 1992):
- l'incertitude liée aux mesures est l'erreur au niveau des quantités observées (par exemple les prises ou les paramètres biologiques);- l'incertitude liée aux processus naturels est le caractère stochastique sous-jacent en dynamique des populations, tel que la variabilité du recrutement;
- l'incertitude liée aux modèles est le défaut de conception de la structure des modèles;
- l'incertitude d'estimation peut résulter de toutes les incertitudes évoquées ci-dessus, ou de leur combinaison, et correspond à l'inexactitude et l'imprécision dans l'estimation de l'abondance ou du taux de mortalité;
- l'incertitude de mise en uvre résulte de la variabilité dans l'application d'une politique d'aménagement, c'est-à-dire l'incapacité à réaliser exactement une stratégie d'exploitation cible.
Il est à noter que les sources d'incertitude comprennent non seulement les erreurs statistiques dans la perception de l'état du stock et des tendances environnementales, ou des erreurs en analyse des populations, mais aussi les décisions inappropriées et une structure de gestion inefficace, sujets traités plus loin dans cet ouvrage.
Les sources potentielles de variabilité des données généralement disponibles sur les pêcheries commerciales - captures, effort de pêche et échantillons biologiques des captures pour la détermination des longueurs, de l'âge et de la maturité - ont été au coeur des préoccupations des statisticiens des pêcheries et des spécialistes de l'évaluation des stocks depuis plusieurs décennies (Doubleday et Rivard, 1983, rapports d'évaluation du CIEM). Ces sources sont maintenant relativement bien connues et quantifiées. En cas de campagnes d'échantillonnage, on rencontre des problèmes statistiques classiques de taille d'échantillon et de représentativité. Cependant, la difficulté à prendre en compte les rejets continue à biaiser les statistiques de débarquements en de nombreuses pêcheries (Alverson et al., 1994). On déplore fréquemment de fausses déclarations dans les livres de bord ou sur les bordereaux de déclaration et, lors de la quantification de l'effort de pêche, une augmentation souvent masquée de la puissance de pêche des bateaux est liée à l'apprentissage des pêcheurs et aux modifications technologiques.
Bien que les campagnes de pêche scientifique avec un bateau standard et un plan d'échantillonnage aléatoire puissent fournir des estimations objectives ou des indices de la taille du stock moins sujettes aux biais que celles provenant des données de captures, les estimations résultant de telles campagnes ont également une variance importante (Doubleday et Rivard, 1981). De même la variance associée aux campagnes acoustiques est généralement considérable (Simmonds et al., 1992). Le Tableau 4 fournit quelques estimations des marges d'erreur vraisemblables pour diverses variables populationnelles de stocks bien étudiés de poissons des plateaux continentaux.
La variabilité naturelle associée aux systèmes de production halieutiques peut être énorme. La variabilité environnementale, principale source d'erreurs de processus, se manifeste généralement par une variabilité du recrutement (Hennemuth et al., 1980). Pour les populations à courte durée de vie, ceci peut conduire à des fluctuations extrêmes de la biomasse d'adultes (Lluch-Belda et al., 1989).
Bien que des relations et schémas puissent être statistiquement modélisés pour expliquer les événements passés, on n'a pas vraiment réussi à prédire les conditions environnementales ou les réponses des populations de poissons suffisamment à l'avance pour que cela soit utile à l'aménagement (Walters et Collie, 1988). Ainsi la variabilité environnementale est-elle souvent considérée comme entièrement stochastique, et l'approche la plus appropriée est généralement de quantifier ses effets sur la population de poissons directement à partir de campagnes de suivi des pré-recrues (Bradford, 1992).
Outre la variabilité d'une année à l'autre, des modifications environnementales surviennent également à l'échelle de la décennie ou plus, qui affectent l'abondance, la répartition et la localisation d'une population d'une manière difficile à quantifier, et plus encore à prédire (Murawski, 1993).
Il est communément admis que les stocks de poissons deviennent plus sensibles à la variabilité environnementale à mesure qu'augmente l'exploitation. Ainsi il existe un effet direct de l'aménagement sur l'incertitude, et la minimisation de l'incertitude pourrait être en soi un objectif d'aménagement.
Les erreurs de modèle sont rarement évaluées, car les données nécessaires pour faire la différence entre différents modèles ne sont pas disponibles. Les études sur les performances relatives de divers modèles (par exemple les modèles de production de Schaeffer et Fox) laissent à penser qu'ils pourraient aboutir, à partir de données identiques, à des réponses sensiblement différentes. En fait, le même modèle peut fournir des résultats très différents selon la structure présumée des erreurs (Polancheck et al., 1993). D'autres exemples d'erreurs de modèle potentielles en évaluation des stocks sont rencontrés dans les modèles utilisés pour calibrer les indices d'abondance (ex: calibrage des Analyses de Populations Virtuelles), lors de l'usage de valeurs conventionnelles constantes pour la mortalité naturelle et lors de l'attribution de valeurs de F pour les jeunes poissons en fonction de celle retenue pour les adultes.
Les erreurs de modèle peuvent être, dans une certaine mesure, analysées en utilisant plusieurs modèles pour évaluer la même ressource, bien qu'en pratique les données et la compétence nécessaires à une approche multi-modèles soient rares. Cependant, lorsque cela a été tenté, des différences notables ont souvent été relevées, comme par exemple dans le cas du thon rouge de l'ouest-Atlantique où trois méthodes différentes ont donné comme estimation de la MSY des valeurs de 3942, 5530 et 6755 t/an (ICCAT 1994).
Du fait de la nature séquentielle de l'évaluation, les erreurs d'estimation surviennent à différentes étapes et se propagent tout au long du processus. On peut les voir comme le résultat combiné des trois types d'erreurs évoqués ci-dessus. Bien que les estimations explicites de l'exactitude ou de la précision aient été rares par le passé, elles deviennent maintenant plus fréquentes dans la documentation. Quelques fourchettes probables d'erreurs concernant les variables généralement utilisées pour évaluer l'état des stocks des plateaux continentaux figurent au Tableau IV. On peut certes se demander si ces exemples sont généralisables, mais ils constituent certainement des sous-estimations dans le cas des stocks de petits et de gros pélagiques.
Les tentatives de quantification de l'erreur d'estimation utilisent la variabilité estimée des paramètres mesurés. Cependant il est important de noter que plusieurs procédures utilisent des paramètres d'entrée dont les valeurs sont présumées ou non mesurées, et dont la variabilité n'est pas documentée. Le plus important parmi ces paramètres arbitrairement fixés est le taux de mortalité naturelle qui est rarement mesure ou facilement mesurable. Une analyse récente, portant sur l'aiglefin dans trois sous-régions de la mer du Nord, a fourni des estimations de M comprises entre 0,37 et 0,53, ce qui est considérablement plus élevé que la valeur conventionnelle de 0,2 utilisée pour les stocks démersaux de l'Atlantique Nord (Jones et Shanks, 1990).
La plupart des évaluations de stocks et des calculs de Points de Référence Cible comporte une suite d'analyses complexes. Inévitablement, à chaque étape des décisions doivent être prises qui peuvent influer significativement sur le résultat final de l'analyse. Faute de méthodologie qui aboutisse à une solution unique, de nombreux systèmes d'aménagement adoptent une approche reposant sur des comités, qui permet souvent d'atteindre le résultat par consensus. Pour certains types d'évaluation, en particulier les évaluations basées sur les Analyses de Populations Virtuelles, ce problème a été traité par une automatisation de la procédure (Gavaris, 1988; Conser et Powers, 1990).
Les erreurs d'estimation qui résultent de biais ou de tendances dans les variables d'entrée peuvent être très difficiles à détecter ou à décrire. L'erreur systématique d'estimation de l'abondance d'un stock, lorsqu'on utilise des méthodes d'analyse séquentielle des populations (analyse de populations virtuelles et analyse de cohortes), constitue un exemple édifiant. Celles-ci n'ont été détectées que lorsque les scientifiques ont entrepris des analyses rétrospectives plusieurs années après que les estimations de population eurent été utilisées pour fournir des recommandations d'aménagement. Ceci n'a pu être obtenu que par la comparaison des estimations de population pour des cohortes qui auraient presque entièrement traversé la pêcherie (cohortes pour lesquelles la SPA23 a convergé et pour lesquelles les estimations sont peu sensibles aux valeurs d'entrée de F lors des toutes dernières années) avec les estimations des cohortes qui viennent d'entrer dans la pêcherie. Des différences substantielles entre les deux estimations, quelquefois d'un ordre de grandeur ou plus, ont été mises en évidence.
23 SPA = Sequential Population Assessment (Évaluation Séquentielle de Population)
Compte tenu de la complexité des processus d'évaluation, les causes des différences rencontrées au cours d'analyses rétrospectives sont extrêmement difficiles à évaluer, et ne sont pas toujours très bien comprises. Elles ont été diversement attribuées à de fausses déclarations de captures, à des tendances à long terme de la capturabilité, au fait que l'on suppose le taux de mortalité naturelle constant dans les différentes classes d'âge et aux présomptions concernant le recrutement partiel (la prédisposition à l'exploitation) aux divers âges (Sinclair et al., 1990; Parma, 1993). Sinclair et al. (1990) concluent que "les estimations de la taille de la population issues de la partie convergente de la SPA ne représentent pas nécessairement la taille réelle de la population pour les années considérées", laissant ainsi planer un doute considérable sur la validité d'une méthodologie qui est la pierre angulaire de l'évaluation des stocks en de nombreuses régions développées du monde.
Les valeurs du Tableau IV montrent clairement que les tailles de stock actuelles et les taux de mortalité par pêche ne sont connus qu'avec une précision relativement faible dans la plupart des pêcheries, bien qu'une analyse rétrospective, en particulier l'analyse des populations virtuelles, permette d'améliorer quelque peu ces estimations. La production totale peut paraître mieux connue que d'autres variables, mais elle souffre souvent de biais importants ou mal connus, à cause des rejets et de fausses déclarations de captures, en particulier dans le cas de gestions par quotas. Les estimations de la biomasse par des campagnes scientifiques ont généralement une variance plus forte, mais peuvent être moins biaisées, et s'affiner à mesure que croît l'investissement dans la recherche. Dans tous les cas, l'amplitude relative des variations inter-annuelles sera connue avec plus de précision que sa valeur absolue.
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"EN L'ABSENCE D'INFORMATIONS PRECISES, ON DEVRAIT PROBABLEMENT DECRETER DES OBJECTIFS PRUDENTS" Anon., 1991 |
A ce jour, l'intérêt s'est porté sur la quantification de l'incertitude associée à l'estimation de l'état du stock. Les Points de Référence sont fréquemment considérés comme des valeurs strictes. Le problème risque de s'aggraver lorsque l'état du stock et les valeurs cible seront estimés en utilisant des modèles et/ou des données différents. A terme, les biologistes des pêches devront élargir leur approche pour prendre en compte l'incertitude conjointe sur l'état du stock et sur les Points de Référence et, si possible, les interactions lors des processus d'estimation.
L'erreur de mise en oeuvre est généralement considérée comme sortant du champ de la composante scientifique de l'aménagement des pêcheries et, quoi qu'elle soit bien apparente, a été peu étudiée (O'Boyle, 1993). Elle consiste principalement en impossibilité de contrôler l'exploitation quelles que soient les mesures prises (suivi, contrôle ou surveillance). Les raisons en sont multiples et interdépendantes, comme par exemple: une surveillance et une mise en application peu efficaces, le manque de réaction de l'appareil judiciaire lorsqu'il est saisi, le fait que les participants ne soutiennent pas les mesures, n'ayant pas l'occasion de donner leur avis lorsqu'elles sont instaurées, ou simplement parce qu'ils sont en désaccord avec les mesures appliquées.
Dans les systèmes d'aménagement qui reposent avant tout sur les recommandations issues d'évaluations biologiques, le fait de ne pas intégrer ou de mal intégrer l'information de nature non-biologique contribue également aux erreurs de mise en oeuvre. Ces problèmes sont souvent connus des gestionnaires et de leurs conseillers techniques, mais l'incertitude peut ne pas être quantifîable, sauf a posteriori.
Un atelier de travail, ayant étudié la gestion des stocks de poissons démersaux sur le plateau continental au large du Canada oriental de 1977 à 1993, a conclu que l'erreur de mise en oeuvre était la cause première de l'échec de la protection des stocks (Angel et al., 1994). L'atelier a noté que "en somme, l'approche tactique retenue pour contrôler la mortalité par pêche a généré des comportements frauduleux qui n'ont pas été maîtrisés par le système répressif existant".
Les aspects institutionnels des erreurs de mise en oeuvre seront davantage détaillés dans la section 4.
L'approche la plus fréquente pour estimer les effets de la variabilité sur les résultats des modèles qui intègrent de nombreux paramètres d'entrée est une simulation de "propagation des erreurs", dans laquelle les paramètres d'entrée sont à même de fluctuer et la variabilité des résultats est décrite en termes probabilistes. Les deux approches les plus couramment utilisées en propagation des erreurs sont les simulations Monte Carlo et les techniques de ré-échantillonnage telles que le "bootstrapping". La simulation Monte Carlo consiste en une répétition d'une procédure, les données d'entrée ou les paramètres étant tirés aléatoirement d'une distribution paramétrique (parfois appelée "bootstrapping" paramétrique). Les techniques de ré-échantillonnage impliquent la répétition d'une procédure utilisant des données d'entrée obtenues par échantillonnage à partir d'observations empiriques (Manly, 1991). Smith et al. (1993) passent en revue les approches de "bootstrapping" pour identifier et quantifier les incertitudes associées aux Points de Référence. Ces procédures fournissent des estimations de la fonction de densité de probabilité (FDP) des résultats, estimations qui peuvent être représentées de diverses manières (Figure 12).
La simulation Monte Carlo est statistiquement plus exigeante que le "bootstrapping" dans la mesure où il faut que la distribution de l'erreur des paramètres d'entrée soit connue. Rice (1993) suggère que des méthodes non paramétriques d'estimation de la densité (Silverman, 1986) soient retenues, en particulier dans les cas où est mal connue la qualité de la description des relations fonctionnelles entre couples de variables temporelles, par exemple la biomasse féconde du stock et le recrutement.
L'information relative à la variabilité des paramètres d'entrée des modèles a été utilisée pour estimer le risque de deux manières. En premier lieu pour simuler la réponse de la population à diverses stratégies d'exploitation, avec pour but de comparer les approches d'aménagement à long terme (Ruppert et al., 1985). En second lieu pour estimer la probabilité d'atteindre ou de s'approcher d'un point cible pour une année donnée, et à partir de là, la probabilité de dépasser une limite ou un seuil indésirables (Mohn, 1993). C'est principalement ce dernier usage qui retient actuellement l'attention en aménagement des pêcheries.
Pour donner des conseils sur les risques probables, il est nécessaire d'aller au-delà de la probabilité d'occurence d'événements particuliers et de quantifier jusqu'à quel point les événements sont indésirables; c'est-à-dire de quantifier le coût ou l'impact de l'événement. Il faut donc préciser la relation entre les conséquences spécifiques et la perte de bénéfices qui s'ensuit (Anon., 1992). Une augmentation de la production s'accompagne d'une réduction de la biomasse dans les pêcheries, et certains risques de variabilité et d'effondrement du stock y sont associés. Le problème le plus simple en matière de risque est généralement "Combien peut-on prélever sans amener le stock au point où il devient susceptible de fluctuer de façon inacceptable, et/ou de ne plus pouvoir se reconstituer qu'à hauteur de 10% de sa biomasse d'origine".
Il existe autant de questions relatives au risque qu'il y a d'objectifs d'aménagement, ou de combinaisons d'objectifs d'aménagement. A mesure que la quantification du risque et que l'application de la théorie de la décision basée sur le risque seront intégrées de façon formelle à l'aménagement des pêcheries, le concept sera inévitablement appliqué à des problèmes sociaux et économiques plus complexes.
Actuellement, un des principaux obstacles à l'évaluation et à l'usage du risque dans les recommandations à l'aménagement est la définition formelle de "sûr" (risque acceptable). Il est clair que celle-ci devrait être spécifique aux pêcheries. Cependant quelques généralisations à titre de précaution sont à souhaiter. Ainsi par exemple, bien que le risque fasse partie de la base conceptuelle de l'aménagement des pêcheries de Nouvelle-Zélande, il n'y a pas été formellement défini. Francis (1993) propose une définition dans laquelle le niveau d'exploitation devrait être considéré comme sûr s'il permet le maintien de la biomasse féconde du stock au delà de 20% du niveau du stock vierge, durant au moins 90% des années.
Deux catégories de risque peuvent être identifiées: le risque de ne pas atteindre un Point de Référence Cible et le risque de dépasser un Point de Référence Limite (Mace, 1994). Ne pas atteindre un Point de Référence Cible a un coût qui est généralement défini en termes de réduction momentanée ou d'interruption du flux des avantages revenant aux acteurs de la pêcherie comme aux consommateurs, même s'il en résulte un bénéfice à long terme. Ceci peut cependant être compensé en partie par une augmentation des prix du marché résultant d'une diminution de l'offre. Pour les espèces à faible mortalité naturelle, l'essentiel de la production dont on a pu se priver une année sera probablement disponible l'année suivante. Pour les espèces à forte mortalité naturelle, la biomasse non exploitée contribuera, par prédation, à l'alimentation d'autres composantes du réseau trophique qui peuvent être commercialement intéressantes.
Les coûts du dépassement d'un Point de Référence Limite sont bien plus sérieux et ont été discutés plus haut; ils s'étendent du déclin du stock à son effondrement, de même qu'aux impacts sur les espèces associées et à la déstabilisation de l'écosystème, aux pertes financières à long terme ainsi qu'à leur impact sur les futures générations. Si les conditions d'une exploitation sûre ne peuvent être réalisées que par un investissement en recherche, en aménagement et en moyens de contrôle dont le coût dépasse le gain que l'on peut espérer de la ressource, d'autres approches d'aménagement moins coûteuses devront alors être envisagées, telles que l'exploitation momentanée sous surveillance étroite (pêche par à-coups ou élimination contrôlée) ou la rotation entre les zones de pêche.
L'incertitude quant à l'état du stock peut conduire à deux types d'erreurs d'aménagement, qui correspondent aux deux catégories de risque décrites ci-dessus (Rosenberg et Restrepo, 1995a). Les termes "erreurs de type I et de type II" sont adoptés par convention statistique. L'erreur de type I correspond à la situation où le scientifique indique à tort au gestionnaire que le seuil de surpêche est atteint. L'erreur de type II est celle où le scientifique conclut à tort que le stock est sous-exploité. Comme on l'a indiqué plus haut, les conséquences d'un biais conduisant à des erreurs de type II sont plus graves que s'il conduit à des erreurs de type I.
Un schéma d'aménagement qui fait appel à des actions pré-établies lorsqu'au moins un des Points de Référence Limite (que ceux-ci soient quantitatifs ou qualitatifs) a été dépassé, est dans les faits une approche de précaution. Le contexte de cette approche s'apparente à un thermostat (Die et Caddy, sous presse): la pêcherie qui opère sous un contrôle strict des accès n'est pas soumise à un objectif ou à une limitation des captures, mais dès qu'un (ou qu'une série de) Point(s) de Référence Limite montre que la surexploitation est atteinte, une action d'aménagement pré-établie est déclenchée afin de réduire l'effort de pêche de la flottille. Ceci est maintenu ou renforcé jusqu'à ce que la ressource recouvre un niveau convenu d'avance et auquel le taux d'exploitation peut être légèrement augmenté.
Il existe aussi des risques, liés à des interactions biologiques imprévues, qui n'entrent pas dans le champ de contrôle de l'aménagement mais affectent néanmoins la pêcherie. Ainsi l'invasion des eaux norvégiennes par les phoques du Groenland qui, d'après les estimations, ont consommé 325 000 ± 75 000 tonnes de morue et de colin en 1987 et 1988, a entraîné un déclin brutal de trois classes d'âge (Ugland et al., 1993). De tels événements environnementaux et biologiques, même s'ils ne sont pas nécessairement causés par la pêche, devront si possible être prévus, suivis et intégrés dans les Points de Référence Limite basés sur la biomasse.
II n'existe pas de méthodes standard pour rendre compte de l'incertitude et du risque aux décideurs des pêcheries (Rosenberg et Restrepo, sous presse). Les statistiques de base fournissent un ensemble de moyens pour rendre compte de la variabilité, qui peuvent être utilisés pour indiquer l'incertitude associée à une estimation particulière, ou la probabilité qu'un événement indésirable se produise. Les fonctions de densité de probabilité sont le plus souvent utilisées pour rendre compte de la variabilité associée à une moyenne lorsque les observations sont distribuées selon une loi normale. Dans le cadre de l'aménagement des pêcheries, la probabilité cumulée ou les distributions de survie cumulées peuvent se révéler plus utiles lorsque le but est d'estimer la probabilité de ne pas atteindre une limite inférieure ou supérieure (Figure 12). Les méthodes non paramétriques, basées sur les percentiles ou les quartiles, et l'usage des tracés en boîtes "box plots" peuvent être plus appropriés lorsque les distributions sont asymétriques.
La méthode rendant compte aux gestionnaires de l'incertitude et des risques dépendra de leur niveau de connaissances techniques. Dans la plupart des pays en développement, il sera important de relier l'incertitude à des caractéristiques de la pêcherie qui soient bien connues, par exemple une quantité de captures plutôt qu'un niveau de mortalité par pêche F. Une simple présentation graphique a été utilisée pour la pêcherie de poissons volants des Caraïbes orientales afin de communiquer les tendances de la production, des taux de captures, de leur variabilité et de la probabilité croissante d'événements indésirables lorsque F augmente (Fig. 13).
Pour de nombreux stocks économiquement importants, il est justifié de tenter de quantifier l'incertitude et le risque. Pour la pêcherie nordique de morue du Terre-Neuve et du Labrador, Restrepo et al. (1992) ont utilisé l'approche Monte Carlo pour mieux connaître le risque associé à l'aménagement par les quotas. En réalisant 1000 simulations ils ont trouvé que si l'on voulait, à la fin de 1990, que F1991 = F1990, alors les estimations des quotas pour 1991 seraient comprises dans l'intervalle 170 000 - 260 000 t, une fois introduits dans le modèle tous les éléments d'incertitude connus. Une telle simulation constitue la base d'une évaluation des risques attachés à tout quota. Ils ont ainsi noté que chaque augmentation de 5000 t au delà d'un quota de 210 000 t doublait le risque de dépasser F1990 (incidemment, il est extrêmement intéressant de reprendre cette évaluation particulière du risque après l'effondrement et la fermeture de cette pêcherie ces dernières années).
Hilborn et Peterman (1995) recommandent que les scientifiques évitent de simplement présenter des fourchettes de valeurs. Selon eux, les recommandations devraient envisager les conséquences alternatives des hypothèses alternatives, comme des actions alternatives. Ils suggèrent qu'au lieu de dire "la production soutenable devrait se situer entre 5 et 100 t, la valeur la plus probable étant selon nous 75 t", une discussion sur de meilleures bases résulterait d'une présentation des recommandations sous la forme suivante: "il y a 40% de chances qu'une production de 50 t/an se maintienne pendant les 20 prochaines années, 50% de chances qu'elle se maintienne à 75 t/an et 10% de chances à 100 t/an".
L'intérêt actuel envers la quantification de l'incertitude et du risque nécessite une quantité d'informations et des compétences considérables. Il est important que les conseillers des pêcheries et les gestionnaires se rendent compte que l'appréciation subjective des risques basée sur l'expérience des participants peut aussi être intégrée à l'aménagement. La plupart des pêcheurs et gestionnaires avisés admettent qu'il existe un risque bien trop élevé qu'une pêche incontrôlée des concentrations de mérous en période de reproduction ne mène à la disparition de telles concentrations, d'où nécessité d'en contrôler l'accès. Aucune évaluation de ce stock n'est nécessaire pour entreprendre une action d'aménagement. Même si les données permettant d'estimer l'échappement optimal ne sont pas disponibles, ou si l'on considère l'acquisition et l'analyse de telles données comme économiquement irréalisable pour des motifs d'actualisation, on peut assurer la permanence de la ressource par une limitation de son accès.
Figure 13: Résumé des caractéristiques d'une pêcherie, d'après une simulation stock-recrutement pour les poissons volants des Caraïbes orientales, où est indiqué le risque d'événements indésirables associé à des niveaux croissants d'exploitation. Ceci inclut la variabilité au niveau des captures et, par inférence, les taux de capture ainsi que la probabilité d'années à "prise excessivement faible" (définie comme une prise annuelle < 30 % de la prise courante moyenne) et "d'effondrement" (défini comme une prise excessivement faible durant quatre années consécutives ou plus) (Mahon, 1989).