Quelques exemples donnés ci-dessous s'inspirent librement de rapports sur le mode d'action de nombreux organismes d'aménagement, comme par exemple Anon. (1992), Horwood et Griffith (1992), et de notre expérience personnelle. Nous ne voulons pas laisser à penser que leur modalité d'action est toujours celle brièvement résumée ici, ni qu'aucune évaluation de ces organismes n'est proposée. La seule évaluation objective de la performance d'un organisme d'aménagement doit reposer sur l'analyse de l'état de la ressource sous sa responsabilité.
Gestion des pêcheries dans les eaux au nord de la Communauté Européenne
Une idée de la procédure suivie par la Communauté Européenne (CE) pour les ressources de la Zone de Pêche Commune de l'Atlantique Nord est donnée dans Anon. (1992), où sont inclus les recommandations du CIEM. Ceci, sujet à modification, semble intégrer l'ensemble des recommandations et des décisions qui suit.
Les évaluations réalisées par les équipes nationales sont harmonisées par les groupes de travail du CIEM, et plus tard par le Comité Consultatif en Aménagement des Pêcheries (CCAP). Ces deux corps, où les agents de la CE siègent en tant qu'observateurs, sont constitués de spécialistes de la ressource. Une série d'options relatives aux Prises Maximales Autorisées est alors présentée au Comité Scientifique et Technique des Pêcheries (CSTP) constitué d'agents de la CE et de conseillers nationaux sur les ressources. A ce stade les débats s'élargissent pour prendre en compte d'autres aspects techniques (ex: engins dépêche) et économiques. Les rapports du CCAP et du CSTP sont repris par les équipes de la CE et les propositions initiales de Prises Maximales Autorisées sont discutées avec les hauts représentants des administrations des pays membres. Au Conseil des Ministres les quote-parts de chaque pays sont adoptées, des traitements préférentiels peuvent être accordés pour des raisons socio-économiques, et quelques échanges de quotas peuvent avoir lieu. Les parts nationales convenues sont ensuite allouées aux actionnaires des pêcheries nationales concernées. Dans un sens, bien qu'elle soit plus complexe, la séquence ci-dessus suit le Format d'Aménagement de Référence avec, cependant, la possibilité de multiples révisions à différents niveaux dans l'organigramme de décisions d'aménagement.
Evolution du cadre d'aménagement pour les pêcheries de la côte Est du Canada
Dans les années 1970, le processus d'aménagement a débuté par la ré-analyse régulière de l'état des stocks dans les laboratoires fédéraux d'halieutique par des scientifiques isolés qui utilisaient les statistiques commerciales, les échantillons biologiques et les données de campagnes de pêche pour évaluer l'état des stocks. Les scientifiques se virent assigner des responsabilités quant à la ressource en question, et passèrent sous la coupe des Directeurs régionaux de la recherche halieutique27. Un groupe de scientifiques (le Comité scientifique consultatif des pêches canadiennes dans l'Atlantique [ici nommé CAFSAC]) dressait un premier bilan de ces évaluations de stocks individuels. Le CAFSAC était formé d'une série de sous-comités traitant chacun de ressources spécifiques ou de zones problématiques, et se réunissait au moins une fois par an pour passer en revue les évaluations dressées par les scientifiques. Celles-ci étaient encore révisées puis approuvées par un Comité d'organisation du CAFSAC constitué, entre autres, par les présidents des sous-comités individuels des Directions régionales.
27
Regional Directors of fishery research
Des groupes mixtes gouvernement-industrie (tels que le Comité pour les poissons démersaux est-ouest constitué de membres de l'industrie et auquel participent des halieutes du gouvernement, des économistes et des responsables de la protection animale) avaient la responsabilité d'examiner les recommandations issues de l'évaluation, et donnaient leur avis sur l'attribution des droits d'accès ou de capture aux diverses flottilles. Le Ministre des Pêches avait la responsabilité des propositions finales issues de ce processus. Lorsque certains problèmes sont apparus, il est arrivé que le Ministre charge une Commission spéciale d'enquête ou une Commission gouvernementale ad hoc d'examiner un sujet de controverse particulier; ce groupe ad hoc consistait généralement en une ou plusieurs personnalités reconnues extérieures au Service Fédéral des Pêcheries. Récemment, le CAFSAC a été supprimé et le Ministre a créé un Conseil pour la Conservation des Ressources Halieutiques28 (Anon., 1993) pour qu'il assure un rôle particulier lors de l'examen des processus d'évaluation. Ceci apparaît comme une évolution du Format de Référence dans la direction envisagée section 4.2.1.
28
Fishery Resource Conservation Council
Les Conseils Régionaux d'Aménagement aux Etats-Unis
Ici, l'Acte pour la Conservation et l'Aménagement des Pêcheries de 1976 (l'Acte Magnuson) met en place une procédure d'aménagement des stocks halieutiques à l'intérieur de la Zone de Conservation des Ressources Halieutiques américaines. Des Conseils Régionaux d'Aménagement, dominés par des représentants de l'industrie halieutique et des pêcheurs prend, avec l'aide technique du gouvernement, des décisions d'aménagement dans le cadre d'un plan adopté pour la pêcherie. Une première version du Plan, qui inclut un Environmental Impact Statement (EIS) Statement est établie par les experts et spécifie qui sont les actionnaires de la pêcherie; elle est supposée couvrir tous les aspects importants nécessaires à un aménagement au sens large de la pêcherie, sous ses aspects biologique, halieutique, sociologique, législatif et économique, et est acceptée d'avance par les actionnaires (Costellos et Pulos, 1979). Le Plan fournit une définition claire de la surpêche (par exemple un objectif de capture ou un niveau de stock donné) et des programmes de reconstitution pour les stocks actuellement surexploités. Il faut bien voir que le Plan, une fois approuvé, est en quelque sorte un document majeur, sur la base duquel le Conseil limite volontairement les options d'aménagement qui s'offrent à lui.
Dans certains cas le succès de cette procédure d'aménagement a été entravé, (Gimbel, 1994) par des conditions d'accès libre, bien que certains plans d'aménagement (par exemple ceux relatifs aux palourdes "surf de l'Atlantique) aient actuellement recours à des numerus clausus de pêcheurs ou de bateaux pour limiter l'accès. Ainsi qu'on a pu le noter, le plan a pour but de limiter les mesures d'aménagement à court terme prises par l'Autorité d'Aménagement de la Pêcherie (ici le Conseil), de manière à ce que les objectifs de gestion à long terme ne soient pas compromis. Le fait que cette procédure d'aménagement n'ait pas toujours fonctionné, par exemple pour les ressources démersales de l'Atlantique du Nord-Ouest (FAO, 1992a, 1993) peut être en partie attribué à l'absence d'un outil essentiel, à savoir des moyens permettant de contrôler ou de réguler l'effort ou l'accès.
La Procédure d'Aménagement Modifiée de la Commission Baleinière Internationale (CBI)
Les recommandations scientifiques au sein de la CBI ne se sont pas, dès l'origine, limitées au simple fait de fournir des évaluations à jour de l'état du stock à l'usage des décideurs. La Commission s'est rendu compte que pour évaluer le fonctionnement de la pêcherie en conditions d'incertitude, ce n'était pas seulement l'état du stock mais la procédure d'aménagement elle-même qui devait être intégrée au modèle de la "pêcherie". Ceci a été incorporé dans la "Procédure d'Aménagement Modifiée" (PAM). La Commission a reformulé ses principaux objectifs comme suit (Kirwood, 1993; Donovon, 1993):
- La plus forte production soutenue tirée du stock,- La stabilité des limites de capture, pour un développement harmonieux de l'industrie baleinière,
- un risque acceptable que le stock ne descende pas au-dessous d'un niveau choisi tel que le risque d'extinction ne soit pas notablement accru par l'exploitation.
Pour réaliser ces objectifs d'une manière prudente, la Commission a adopté une procédure, l'Algorithme de Capture Limite (ACL), qui spécifie la manière de fixer les limites de la capture à partir de l'information requise. L'ACL reconnaît qu'il peut y avoir une large gamme d'estimations de l'état du stock, et cherche à estimer la vraisemblance des diverses évaluations. La question de la stabilité des captures est résolue par l'établissement de niveaux de capture sur des périodes de cinq ans. A mesure que de nouvelles données sont acquises, en particulier par des estimations visuelles d'abondance, (étant donné que l'exploitation de la plupart des stocks de baleines est soumise à un moratoire), les estimations de population sont revues. L'ACL, et de nombreuses autres règles, concernant par exemple la délimitation des frontières des stocks, l'allotissement des captures et le calendrier des réexamens, constituent la Procédure d'Aménagement Modifiée (PAM), que le Comité Scientifique a recommandé à la CBI en 1993.
La philosophie qui sous-tend cette approche paraît être que a) la performance nette d'un modèle d'évaluation, b) la performance d'un ensemble de mesures d'aménagement, c) l'efficacité de la surveillance et de la mise en application, et d) en principe, l'efficacité de la structure d'aménagement, peuvent être déterminées conjointement par l'approche bayesienne. La PAM a aussi pour but de réduire la subjectivité, et ainsi les interventions politiques potentielles, dans la procédure d'aménagement.
Cet exemple est utilisé pour marquer le fait que les "règles" incluses dans une procédure obligatoire d'aménagement des ressources, si celle-ci est appliquée en situation réelle, contraindrait certainement les gestionnaires à prendre des mesures écologiquement acceptables, compatibles avec un niveau de risque prédéterminé. La PAM agit comme une contrainte globale sur les mesures d'aménagement à court terme, menées d'une année sur l'autre.
La PAM a été parmi les premières procédures à adopter l'usage de stratégies d'évitement du risque, mais garde toujours la structure "déterministe" des recommandations de gestion (Kirkwood, 1993). Ce qui était en fait des Points de Référence Limite a été spécifié, et on a tenté de générer une valeur numérique unique de captures permissibles qui soit "précautionneuse". Bien que cette procédure semi-automatique de calcul des prises permissibles ait fonctionné durant quelques années, des problèmes ont été rencontrés au moment de s'entendre sur la MSY et sur les niveaux actuels et initiaux du stock, comme le note également Kirkwood. Un inconvénient notable de ce type de procédure est qu'elle ne permet pas d'intégrer des événements inattendus. Evidemment, lorsque surviennent des "surprises" du fait d'événements sous la dépendance de l'environnement ou de la pêcherie, une "procédure automatique d'aménagement" basée sur des simulations , ou un ensemble de règles, ne s'appliquent que si un comité de révision contrôle leur fonction première.
Le système de la Commission Interaméricaine du Thon Tropical (CITT) s'appliquant aux captures accessoires de dauphin dans la pêcherie à la senne tournante du Pacifique oriental.
Le Secrétariat de la CITT évalue régulièrement les stocks thoniers du Pacifique centre-oriental. Cependant, à l'heure actuelle, le quota total en thons n'est plus fonction des estimations de production potentielle, mais résulte indirectement, pour une grande part, d'un quota global relatif aux individus tués accidentellement lors de "calées sur dauphins" réalisées sur des bancs de thons associés à ces mammifères.
Un Accord intergouvernemental a été établi signé par les nations adhérant à la CITT; celle-ci se réunit chaque année pour décider des quotas globaux de prise accessoire de dauphins, pour évoquer les infractions et les sanctions à prendre contre ceux qui dépassent ces quotas, et pour désigner les membres d'un Groupe de Contrôle International (GCI). Les nations membres envoient au Secrétariat de la CITT et au GCI une liste de bateaux sollicitant des quotas de dauphins. Le GCI est issue de nations non-membres de la CITT et constituée, selon une proportion arrêtée, de directeurs d'instituts marins nationaux, de représentants de l'industrie des pêches et de la communauté écologiste. Le GCI se réunit trois à quatre fois par an et, partant d'une liste de capitaines qualifiés, décide à quels bateaux attribuer une permission individuelle de tuer un certain nombre de dauphins, ceux-ci constituant une prise accessoire des captures de thons en surface. Des observateurs embarqués rendent compte aux nations pratiquant cette pêche du nombre de dauphins tués. Des sanctions sont appliquées par voie légale/administrative aux bateaux qui ont dépassé ces quotas.
La Convention sur la conservation de la faune et de la flore marine de l'Antarctique (CCFFMA)
Cette Convention agit en tant que structure dominante ou de contrôle, en limitant les options dont dispose légalement la Commission. L'article II de la Convention spécifie un certain nombre de critères qui doivent être respectés lors de la régulation des pêcheries, comme le montrent les extraits suivants:
"Toute activité d'exploitation ou activité associée dans la zone où s'applique cette convention devra être menée en accord avec... les principes de conservation suivants:a) Prise de mesures afin d'éviter que la taille des populations exploitées ne descende au-dessous d'un niveau permettant d'assurer un recrutement stable. A cet effet il ne devrait pas être permis de descendre au-dessous d'un niveau proche de celui qui permet le recrutement annuel net maximal;b) Maintien des relations écologiques entre populations exploitées, dépendantes ou reliées... et rétablissement des populations épuisées aux niveaux définis dans le sous-paragraphe (a) ci-dessus;
c) Prévention des modifications ou minimisation des risques de modifications de l'écosystème marin qui ne soient potentiellement pas réversibles sur une période de vingt à trente ans, en prenant en compte l'état des connaissances disponibles quant à l'impact direct ou indirect de l'exploitation... dans le but de rendre possible la conservation des ressources biologiques marines de l'Antarctique."
Dans le cas du krill, l'intention est de garder la biomasse à un niveau plus élevé que celui correspondant à l'exploitation du krill en tant qu'espèce unique, dans le but de pourvoir aux besoins de ses prédateurs dont la variété de proies est limitée, et d'avoir soin d'éviter les valeurs les plus basses pour les probables biomasses futures (CCAMLR, 1993). Nous voyons donc ici la Convention stipuler les limites à l'action d'aménagement. Ici encore, des "surprises" inattendues sont à même de survenir lorsqu'elles n'ont pas été anticipées lors de la rédaction de la Convention, et il n'est possible d'en tenir compte qu'au risque de rendre la Convention plus restrictive quant à l'exploitation des ressources.
|
Ce document examine, d'un point de vue tant théorique que pratique, les Points de référence techniques en aménagement des pêcheries. A l'échelle mondiale, en dépit des investissements considérables affectés à l'évaluation des stocks, les pêcheries sont surexploitées. Cela serait dû à un déphasage entre la précision de l'évaluation et celle de la gestion. Deux types de points de référence sont identifiés: les points de référence cible (PRC) et les points de référence limite (PRL). L'utilisation de la production maximale équilibrée (connue sous le sigle anglais MSY) comme me point de référence cible est reconsidérée à la lumière des performances passées en gestion des pêcheries, et l'on suggère que la MSY, ainsi que d'autres points de référence antérieurement utilisés comme cibles, gagneraient à être utilisés en tant que PRL. La tendance récente consistant à quantifier l'incertitude et à estimer le risque encouru dans les recommandations est considérée comme bonne, mais le coût et la disponibilité de l'information et de l'expertise requises pourraient empêcher l'usage de ces techniques pour de nombreux stocks de petite taille ou de faible valeur, ainsi que pour la plupart de ceux des pays en développement. La tendance récente consistant à prendre en compte des «concepts écosystémiques» dans l'éstablissement des objectifs de gestion des pêcheries est également souhaitable. Bien qu'ils soient encore peu développés, les concepts écosystémiques peuvent néanmoins fournir des points de référence limite. Une gestion efficace nécessitera un ensemble de règles qui inclura tant des PRC que des PRL. Dans la plupart des cas de gestion nationale et internationale des pêcheries, les structures institutionnelles actuelles devront probablement subir quelques modifications afin d'appliquer avec succès cet ensemble de règles. Les organisations de gestion pêcheries continueront à évaluer et à gérer ces pêcheries sur une base régulière mais l'aménagement pourrait nécessiter un examen indépendant, qui sera effectué lorsque l'on se rapprochera de limites de production de la ressource. L'action à entreprendre dans ce cas devra être examinée et convenue à l'avance. |