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3. Croissance et productivité

L'évaluation de la productivité annuelle des peuplements correspond à une donnée précieuse Elle permet de déterminer la possibilité et la potentialité de reconstitution du peuplement On peut dire que si l'inventaire et les informations associées sont indispensables à la gestion spatiale de la forêt, l'évaluation de la productivité est nécessaire à sa gestion dans la durée.

Il est important de noter que pour l'aménagiste, la productivité du peuplement est à considérer au regard d'une méthode d'exploitation et de gestion de la forêt (coupe rase, taillis fureté, etc.).

Les méthodes de mesure des capacités globales de production que nous allons évoquer se font par référence a la coupe rase, c'est-à-dire la gestion en taillis simple. On peut considérer qu'il y a trois démarches possibles:

- les mesures de la production connaissant l'âge du peuplement;
- la mise en place de placettes permanentes;
- l'étude des cernes

a/ Les mesures de la production connaissant l'âge du peuplement

C'est méthode la plus utilisée Elle reste relativement peu précise, car même lorsque l'année de la précédente coupe rase est connue, ce qui est rarement le cas, les populations ont généralement continué à prélever du bois par furetage ou écrémage. Dans le cas d'une coupe à blanc étoc, suivie d'une protection intégrale de la parcelle, la production P se calcule simplement ainsi:

P = V/ A

avec

V = le volume réel (dans le cas d'une coupe à blanc) ou estimé (par un tarif de cubage) en m3, stères, kg.
A = l'âge de la forêt, ou temps écoulé depuis la précédente coupe rase (en années).

Malheureusement, de nombreux auteurs donnent un âge arbitraire à une formation donnée, ce qui conduit à des productivités erronées.

b/ La mise en place de placettes permanentes

Il s'agit de placettes parfaitement délimitées et identifiées sur le terrain au moyen de bornes en béton, fossés d'angles, marques de peinture sur les arbres périphériques, numérotation individuelle sur l'écorce refaite chaque année pour les arbres de la futaie, plan détaillé, etc.) qui feront l'objet d'un programme de mesure et d'observations (accroissement, régénération, mortalité) périodiques. Cette périodicité sera déterminée en fonction des objectifs et du budget disponible, du temps de réalisation de l'inventaire, de la vigueur de croissance selon le climat, par exemple tous les trois ou cinq ans. Ces placettes peuvent être celles ayant été exploitées pour la réalisation des tarifs de cubage. Cette méthode est la plus précise, mais elle nécessite un suivi régulier et entraîne des dépenses importantes. Il est conseillé de se baser sur un réseau de placettes permanentes établies dans divers milieux

A l'heure actuelle en Afrique de l'Ouest, seuls le Burkina Faso (forêts de Laba, Tiogo, Gonsé, Bissiga, Yabo, Sa et Toumousséni) et le Niger forêt de Tientiergou, où 35 placettes de 0,1 ha de suivi ont été installées), ainsi que la Gambie (dans trois forêts du projet germano-gambien) ont très récemment mis en place ce type de dispositif.

Cette méthode de calcul est très contraignante et coûteuse, mais elle présente l'avantage de pouvoir s'adapter aux différentes méthodes d'exploitation En effet, dans le cas où l'on retient une autre méthode que la coupe rase, il suffit d'appliquer cette autre approche sur les parcelles permanentes et d'adapter le dispositif d'observation.

c/ L'étude des cernes

Aujourd'hui encore, de nombreuses personnes s'intéressant aux arbres et aux forêts pensent qu'il n'existe pas de cernes annuels dans les bois des espèces poussant dans les régions tropicales Depuis les travaux de Coster (1921 à 1928) mettant en évidence les cernes annuels dans des arbres de Java, plusieurs chercheurs ont tenté de démontrer l'existence de cernes annuels dans les bois tropicaux, mais peu se sont intéressés aux arbres des zones sèches, à l'exception de Fahn (1958; 1959; 1981) sur des Tamarix et des Acacia ainsi que de Mariaux (1967; 1975; 1979) sur de nombreuses espèces soudano-guinéennes, étudiées par la méthode de marques annuelles (encadré n ° 14)

Les accroissements à rythme annuel se manifestent chez toutes les essences Mais sur la plupart des espèces, leurs limites ne sont pas ou sont difficilement à l'oeil nu Si la formation du bois est bien rythmée par l'alternance de la saison sèche et de la saison des pluies, la visibilité des cernes n'est pas due à la période de repos (saison sèche sous les tropiques ou hiver sous les climats tempérés), mais à une particularité du plan ligneux Il s'agit soit d'une différence d'aspect entre le bois initial d'une année et le bois final de l'année précédente, soit d'une ligne caractéristique entre ces deux zones En fait, l'expression visible des cernes annuels d'accroissement dépend de la structure anatomique du bois du genre botanique en question et non des caractéristiques et de l'importance de la période de repos végétatif

Dans l'état actuel des connaissances, le nombre d'espèces des zones tropicales sèches africaines ne montrant pas de cernes annuels visibles dans le bois est faible: Commiphora africana et Khaya senegalensis. Mais, il faut admettre que la détection des cernes n'est pas toujours aisée dans certaines espèces comme Boscia angustifolia, Daniellia oliveri, Lannea acida, Sclerocarya birrea et Anogeissus leiocarpus ou chez les sujets à croissance lente, et en particulier ceux de Parinari curatellifolia et Butyrospermum paradoxum.

Sur le continent américain, très peu d'analyses ont été réalisées sur des arbres des zones sèches tropicales. Pour la région de Gran Sabana au Vénézuela, Worbes (1989) montre des limites de cernes formées par une fine ligne de parenchyme et soulignées par des variations d'espacement des lignes de parenchyme en cours d'accroissement dans Eschweilera sp., Ficus sp. et Pouteria elegans (=Neoxythece elegans). Il ne signale pas de cernes anatomiquement distincts dans Tapira guianensis.

La vitesse de croissance des arbres en zone tropicale sèche, analysée par les cernes, est très variable selon l'espèce botanique, mais aussi selon la station et l'individu. Une tentative de liaison entre la pluviosité annuelle et la quantité de bois formé par Acacia tortilis subsp. raddiana (Mariaux, 1975) n'a donné aucun résultat car, si d'une part, la quantité de bois formé annuellement est difficile à estimer lorsque la largeur du cerne varie continuellement sur la circonférence, la quantité d'eau tombée utile et utilisable par l'arbre est, d'autre part, encore plus difficile à définir, d'autant plus que les arbres adultes ont des racines suffisamment longues (pour atteindre la nappe phréatique en situation favorable) et des réserves assez importantes pour ne pas être affectés par certaines variations climatiques. Par ailleurs, des traumatismes subis par les arbres (élagages ou passages de feux) perturbent certainement plus la formation annuelle du bois que des variations pluviométriques.

En considérant la largeur des cernes annuels, ou le rapport diamètre/âge de quelques arbres, il n'est guère possible de quantifier la vitesse de croissance de toutes ces essences. Il est certes vrai de prétendre que les espèces à bois lourds, Acacia spp., Combretum spp., ou Terminalia laxiflora, ont globalement des cernes plus étroits que les essences à bois plus loger, Faidherbia albida, Ficus dicranostyla ou Parkia biglobosa par exemple. Néanmoins, des arbres à bois lourd peuvent pousser rapidement (cernes de 4 mm et plus), tels certains sujets d'Afzelia africana, Isoberlinia doka, Prosopis africana ou Butyrospermum paradoxum.

En fait, l'apport technique le plus pragmatique de l'étude des cernes serait la possibilité de datation d'un peuplement qui aurait été, par exemple, coupé à blanc et dont l'historique serait ignoré. Le fait de pouvoir déterminer une rotation avec une faible incertitude serait essentiel pour les calculs de productivité.

Encadré n° 14: La méthode des marques annuelles

Comment individualiser quelques couches de bois correspondant chacune à une année végétative et pouvoir, le cas l'échéant, repérer une, ou des caractéristiques du plan ligneux traçant les limites de ces couches annuelles? Une des méthodes les plus simples est celle des marques annuelles.

Chaque année, au moment de la grande saison sèche pendant laquelle les arbres perdent, pour la plupart, leurs feuilles et mettent leur cambium au repos, une entaille est faite dans l'écorce, jusqu'au cambium, qui doit être détruit ou endommagé. Cette entaille doit être haute de 4 ou 5 cm, mais la plus étroite possible, 2 ou 5 mm au maximum Une entaille est faite chaque année dans l'arbre, soit toujours à droite, soit toujours à gauche, à environ 1 cm de la précédente et, impérativement à la même hauteur, généralement à hauteur d'épaule, par commodité.

La petite blessure infligée à l'écorce et au cambium va provoquer d'une part l'édification d'un petit bourrelet cicatriciel bien visible ultérieurement dans le bois et, d'autre part, la nécrose des tissus sous-jacents. Chez beaucoup d'espèces, cette nécrose s'accompagne d'une duraminisation locale rapide et une petite tache de bois coloré souligne l'endroit blessé dans l'aubier, qui est toujours de couleur claire La couche concentrique de bois située entre les deux marques cicatricielles de deux blessures faites à une année d'intervalle correspond à la couche de bois formée par l'arbre au cours de cette année Très souvent, la cicatrice de la blessure faite pendant la période de repos végétatif est située sur une ligne ou sur une fine bande de bois remarquable, qui est l'expression même de la limite de l'accroissement annuel.

L'expérience est longue: il est souhaitable de faire quatre marques annuelles dans chaque arbre et de couper ceux-ci une année après la dernière blessure. Le délai entre la mise en route de l'expérience par la première blessure et l'observation du bois après l'abattage est alors de quatre ans, mais quatre cernes annuels peuvent être étudiés. Il est possible de couper un arbre plus tôt, deux ou trois ans après la première marque, mais un ou deux cernes seulement seront interprétables. L'examen des cernes marqués se fait sur une section du tronc passant à travers toutes les blessures, dont les cicatrices restent longtemps visibles sur l'écorce

Afin de bien caractériser les cernes annuels et leurs limites dans une essence et pour découvrir les divers aspects d'éventuels faux cernes, ainsi que leur fréquence possible, il est nécessaire d'observer un certain nombre de cernes dans plusieurs arbres Un nombre de quatre blessures annuelles faites dans cinq arbres d'une même essence, permettant d'étudier les caractéristiques de vingt couches annuelles d'accroissement, semble être un minimum suffisant pour définir l'aspect et la périodicité des cernes d'une essence. Il est conseillé de choisir, si possible, des arbres de 20 à 40 cm de diamètre apparemment en bonne santé. D'autre part, l'expérience étant longue et la vie des arbres sujette à des aléas, il est recommandé de blesser six ou sept arbres pour être sûr d'en récolter cinq.

Deux derniers petits conseils restent à donner pour le bon déroulement de l'étude:

• dans les blessures faites avec un solide couteau à lame rentrante, un petit tournevis est pratique pour extraire la languette d'écorce. Il est nécessaire de gratter le tond de l'entaille avec le tournevis, afin d'être sûr d'avoir endommagé le cambium, car des couches de liber feuilleté (écorce interne) peuvent subsister dans le fond chez certaines espèces;

• la rondelle du tronc, dont une section traverse toutes les anciennes blessures, doit être bien sèche avant d'être poncée. Plus cette section portant les cicatrices sera finement préparée et plus les éventuels cernes annuels seront faciles à distinguer Une finition avec un abrasif de grain 320 ou 400 est recommandée.

P. Detienne, CIRAD-Forêt (selon Mariaux, 1967).


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