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3.1. Du problème foncier à la maîtrise des ressources

Il faut tout d'abord nettement distinguer le foncier de l'arbre et les fonciers de la forêt selon l'expression de Bertrand (1991): "la différence de nature est fondamentale entre l'arbre et la forêt (...). Le foncier de l'arbre est un foncier végétal alors que le foncier forestier est à la fois un foncier de l'espace et un foncier du peuplement. Il renvoie à la signification sociale de la forêt. Le foncier de la forêt naturelle est un foncier pré-agricole, de la chasse et de la cueillette qui s'applique à un espace mal défini, variable et se superpose à d'autres droits similaires au profit d'autres groupes humains. Avec l'agriculture (sur brûlis d'abord) la forêt de terre de parcours devient réserve de terre arable et de fertilité".

La colonisation au XIXème siècle a introduit en Afrique le droit écrit, qui s'est surimposé aux pratiques coutumières. Dans les années 1930, considérées à tort comme vacantes et sans maître, les terres ont fait l'objet de texte instituant des divisions de l'espace souvent établies sans faire grand cas des pratiques existantes. Le foncier forestier est devenu foncier de l'Etat. Le droit du développement des années 1960 visait tout simplement à adopter un droit moderne, inspiré du modèle occidental, auquel les sociétés devaient s'adapter. La coutume devait disparaître si elle entravait l'Etat de droit.

Ainsi les communautés indigènes tribales et montagnardes du sous-continent indien (Sarin, 1995) et les communautés rurales d'Afrique (en particulier francophones) se sont vues privées de leurs prérogatives de gestion collective des ressources de l'espace forestier au profit, dans un premier temps, de l'Etat colonial, puis de l'Etat indépendant.

Cette aliénation a entraîné des conflits qui persistent encore aujourd'hui dans certaines régions et très souvent aussi une destruction des forêts compte-tenu de l'incapacité de l'administration à faire respecter ces nouveaux droits. Cet échec met en avant le foncier comme source du problème et espérons-le comme source de solution.

La vision juridique a profondément été renouvelée. La régulation par le seul Etat a montré son insuffisance. On parle aujourd'hui de multijuridisme pour "traduire le fait que chaque individu est partie prenante, dans sa vie familiale, professionnelle ou publique, de multiples groupes dont les règles règlements, habitudes ou habitus s'imposent à lui de manière plus ou moins concurrentielle" (Le Roy, 1993).

Les pratiques et règles coutumières sont l'expression locale des modes d'appropriation des ressources. Elles sont flexibles et évolutives, variables dans le temps et dans l'espace. "L'observation associée à l'appropriation répétée des ressources végétales d'un même terroir se concrétise en une véritable propriété sociale de l'espace utilisé qui acquiert ainsi le caractère d'un "territoire" dont les droits d'usages deviennent légitimes et méritent le respect" (Godelier, 1984, cité par Bergeret, 1986).

En l'absence de règles et de contrôle de l'accès, c'est-à-dire lorsque l'accès est libre, les ressources subissent une surexploitation qui entraîne leur dégradation, voire leur disparition. Cette dynamique de l'accès libre est connue sous la dénomination de "tragédie des communaux" (Hardin, 1968).

Il est aujourd'hui démontré que ressource commune n'est nullement synonyme d'accès libre et que de nombreuses ressources en propriété commune ont été et sont gérées de façon viable à long terme (Berkes et al., 1989).

Cependant, nombreux sont les experts qui estiment que la promotion d'un secteur privé dans les pays en développement, basée sur la théorie de Hardin, permettra d'internaliser les externalités11 et de conforter l'économie libérale dominante. La privatisation des ressources naturelles, et des terres en particulier, est de plus en plus souvent considérée par les bailleurs de fonds, guidés en cela par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International, comme une condition préalable pour une allocation efficiente des ressources et pour donner une chance de succès au développement.

11 Internaliser les externalités: voir glossaire (externalité).

Ces considérations peuvent paraître simplificatrices et fâcheuses. En effet, il est démontré que la propriété privée, si elle est efficiente d'un point de vue marchand, peut très bien conduire au saccage des ressources lorsque le capital est mobile ou en cas de surinvestissement.

De plus, la maîtrise sur les ressources renouvelables n'est pas réductible aux seules "propriété privée exclusive et absolue" et "propriété publique indifférenciée". La théorie des maîtrises foncières propose vingt-cinq possibilités différentes obtenues en croisant cinq modes d'appropriation avec cinq modes de co-gestion (tableau n° 21).

En l'absence de droit ou de contrat écrit, la maîtrise sur les ressources et sur les espaces est régie par des processus de négociations. Or, pour certains auteurs, l'obstacle le plus important pour l'investissement et la croissance en Afrique est l'ouverture de tout à la négociation (Lancaster 1990, cité par Berry, 1994).

Tableau n° 21: Maîtrise des ressources renouvelables d'après Le Roy (1993).

MODES D'APPROPRIATION

MODES DE CO-GESTION

Indifférenciée

Public A

droits d'accès

commun à tous

Prioritaire

Externe B

droit d'accès et d'extraction

commun à n groupes

Spécialisée

Interne-externe C

droits d'accès, d'extraction et de gestion

commun à deux groupes

Exclusive

Interne D

droits d'accès, d'extraction, de gestion et d'exclusion

commun à un groupe

Absolue

Privée E

droits d'user, de disposer et d'aliéner

propre à une personne

D'autres, au lieu de lutter contre cet état de négociabilité permanente des règles et des relations, pensent qu'il s'agit plutôt d'une opportunité que d'une impasse. Pour Berry, les cultures et les institutions africaines sont fluides, ambiguës et négociables. Il s'interroge sur ce que cela entraîne pour notre compréhension des pratiques et des processus socio-économiques. Sur ces bases, il revisite les stratégies de développement. A ces questions sur les voies possibles d'étude de la dynamique des économies et sociétés africaines, l'approche par la maîtrise des ressources peut être une réponse dans le cas des espaces forestiers.

L'appropriation et les processus de décision en matière de ressources renouvelables posent en substance le problème de l'équité et de l'égalité. On parle beaucoup depuis quelques années du rôle de femmes en matière forestière et on tente dans certaines actions de développement de ne pas les oublier, de ne pas leur nuire, voire même de les favoriser. Cette prise en considération du rôle des femmes est même considérée comme un facteur de viabilité pour la réussite de nombreux projets.

Il est courant dans le domaine forestier que les prérogatives soient nettement distinctes selon les sexes et aussi le rang social (encadré n° 27). La préoccupation d'équité devrait souvent être élargie à l'ensemble des acteurs concernés sans mettre de côté, délibérément ou involontairement certains d'entre eux.

Encadré n° 27: Femmes et forêts au Kenya

Au Kenya, les femmes de Kakamenga se plaignaient de la charge que représentait le ramassage du bois de feu, alors que les petites exploitations d'un hectare avaient une couverture boisée de 20 à 25% et les trois-quarts des arbres et des buissons présents avaient été plantés. Une enquête socio-culturelle démontra que la pénurie observée n'était pas le résultat d'un déficit de la biomasse au niveau de l'exploitation, mais était causée par des facteurs sociaux et culturels affectant chaque foyer, qui déterminaient l'accès et le contrôle au bois produit.

Seuls les hommes, propriétaires, plantaient et vendaient des arbres (principalement les exotiques) et les femmes devaient continuer à collecter le bois dans la brousse. Les femmes ne jouissaient pas de la liberté de s'occuper des arbres plantés et de les utiliser.

La situation foncière des espaces forestiers en Amérique du Sud est profondément différente de celle d'Afrique ou du sous-continent indien. Dans le nord-est brésilien par exemple, 15% des grandes propriétés (supérieures à 100 ha) représentent 75% des surfaces. Plus de la moitié des propriétés inférieures à 20 ha ne représente que 6% de la surface totale (Leprun et al., 1995). L'organisation de la production agricole rend les petits propriétaires très sensibles aux conditions climatiques de sécheresse (encadré n° 28).

Encadré n° 28: Sécheresse et foncier au Brésil

"La grande masse des producteurs ruraux parvient à produire mais ne peut capitalise,; accumuler des moyens pour faire face à l'année sèche qui suit à cause de la forme particulière de l'organisation sociale et économique des régions semi-arides. La terre et l'eau sont des ressources détenues par peu. [Dans/es périodes de sécheresse les grands propriétaires rachètent à bas prix le bétail et la terre des petits propriétaires en difficulté/.

C'est également par eux que passent le plus souvent l'aide alimentaire à distribuer et les "fronts de travail " à constituer. Ils disposent alors d'une main d'oeuvre quasi gratuite et font exécuter les grands travaux de terrassement situés sur leurs terres, en particulier la construction d'açudes dont l'eau leur servira. C'est la fameuse "industrie de la sécheresse", souvent décriée mais toujours effective (...). Les sécheresses contribuent en fait à révéler les problèmes structuraux de la pauvreté et de la misère et à renforcer le flux migratoire (...).

Une grande partie des habitants de la zone semi-aride vit actuellement grâce aux retraites versées aux ruraux. Dans cette partie du Brésil ce sont les vieux qui font vivre les jeunes (...). Il est évident que la vulnérabilité des couches sociales atteintes par/a sécheresse dépend de l'activité économique de ces catégories de la population et des relations de travail établies par le processus productif et le régime foncier.

L'idée que le problème de la sécheresse ne se réduit pas à une simple dimension naturelle et technique de manque d'eau ou de perte de récolte et de bétail, mais à une dimension sociale bien plus ample qui englobe des questions conjecturelles (...) est bien partagée par des observateurs mais peu de décideurs." (Leprun et al., 1995).

Les préoccupations touchant au foncier et à la maîtrise des ressources offrent donc des perspectives d'analyse et d'action particulièrement pertinentes. Elles sont à mettre en perspective avec les approches plus géographiques même si celles-ci ont relativement peu porté sur le domaine strictement forestier.

3.2. La gestion des terroirs et la forêt

Si les géographes se sont souvent intéressés aux arbres sous les tropiques (Pélissier, 1980), ils ont jusqu'ici relativement écarté les forêts et l'aménagement des espaces forestiers de leurs investigations. L'histoire de l'implication des géographes sur les zones tropicales permet de mieux situer les propositions méthodologiques avancées ces dernières années surtout parmi la communauté des géographes francophones.

En Afrique, les pionniers de la géographie moderne se sont appuyés sur les deux socles de la géographie, la géographie physique (potentiels bioclimatiques) et la géographie humaine (potentialités des sociétés paysannes), pour forger une géographie volontairement impliquée dans les politiques d'aménagement et de développement régionales rurales. Pendant des années, les géographes africanistes ont tourné le dos à la ville pour se centrer sur le monde rural.

Ceci a rapproché la science géographique du domaine agronomique. "Le choix comme entrée privilégiée vers le changement rural des logiques paysannes et des potentialités des sociétés rurales la nécessité par conséquent d'une connaissance fine, rigoureuse, si possible chiffrée du fonctionnement et des résultats agricoles des systèmes agraires ont comme suite logique l'entreprise majeure des études intensives de terroirs" (Raison, 1993).

A l'inverse les recherches géographiques sur l'Amérique latine ont montré combien les actions de l'Etat de l'entreprise et de la ville forgent les formes d'organisation et d'utilisation de l'espace. "Conséquence de ce type d'approche la recherche française met l'accent (...). sur les zones de terres neuves, les fronts pionniers où se créent de nouveaux paysages ruraux et sociaux; elle travaille d'autre part et surtout à des échelles différentes: point d'études de terroirs mais des travaux au niveau régional voire national (...). L'analyse des techniques d'utilisation du sol cède le pas à l'étude des situations foncières; l'accent n'est pas mis sur les permanences mais sur les mutations brusques (Raison, 1993).

Depuis une dizaine d'années, les géographes ruraux se sont orientés, en collaboration avec les agronomes, vers l'analyse des systèmes de culture, l'étude de l'évolution des paysages et surtout la gestion des terroirs. Ce concept de gestion des terroirs s'est développé sous les tropiques au cours des années 1980.

C'est une expérimentation sociale et institutionnelle qui concerne les méthodes de la recherche-développement. La démarche adoptée (Teyssier, 1995) se caractérise principalement par:

- une gestion des ressources dans un espace limité et défini se limitant aux utilisations agricoles, sylvicoles et pastorales de l'espace;

- une échelle d'intervention, locale, pour rester gérable par une communauté locale;

- une règle: les usagers du terroir sont les maîtres d'oeuvre des interventions.

Les premières expériences en matière de gestion des terroirs se sont concentrées sur les systèmes agro-pastoraux sahéliens et soudaniens. A priori même si elle est avant tout utilisée dans le domaine agronomique, la gestion des terroirs peut être applicable au domaine forestier. Mais pour l'instant, très peu d'expériences ont été menées en forêt ou dans des espaces avec composante forestière.

Dans les zones sèches, la forêt naturelle est encore trop souvent considérée dans cette approche comme une réserve d'espaces relativement fertiles qui peut faire l'objet d'une gestion des terroirs à condition d'être remplacée par des cultures. Le danger d'une telle approche, qui se base sur la reconnaissance effective des acteurs et leur responsabilisation, réside dans l'exclusion de certains d'entre eux pour une raison ou pour une autre. Ceci est d'autant plus flagrant dans les espaces à multi-usages ou à multi-usagers, qui sont fréquents dans les zones tropicales sèches. La manière dont est appliqué le concept induit son utilisation comme outil d'exclusion ou de négociation (Marty, 1993).

Mais la gestion des terroirs est un concept en pleine évolution, et des similitudes ou des complémentarités existent puisque l'approche foncière peut aboutir à la gestion locale négociée des ressources renouvelables.

Bien sûr, il n'existe pas de recette permettant d'engendrer un développement local. Cependant, certaines conditions peuvent le faciliter ou au moins ne pas y nuire (Mercoiret et al., 1994):

- un espace législatif et réglementaire, social et culturel, permettant les initiatives;
- des objectifs réellement mobilisateurs;
- l'existence de leaders locaux;
- le renforcement des stratégies endogènes par des stimulations extérieures.

Certains auteurs expliquent une relative participation des populations rurales à des projets forestiers, lorsqu'ils améliorent la sécurité alimentaire ou les revenus et aussi par un investissement dans des bonnes relations politiques avec les forestiers (ou autres porteurs de projets). "Ni la conservation de l'environnement et des ressources naturelles, ni l'exploitation durable des terres ne figurent encore parmi les motifs principaux; mais l'inverse serait surprenant dans la conjoncture économique qu'affrontent les populations rurales" (Breemer et al., 1993).

Que ce soit par l'approche foncière ou la gestion de terroir, l'aménagement des forêts dans les zones tropicales sèches ne peut décemment faire abstraction des contextes socio-économiques et politiques dans lesquels il se situe. Ce sont eux qui donnent la mesure de la marge de manoeuvre des interventions dans les espaces forestiers.

4. L'aménagement par delà l'espace forestier

4.1. Développement urbain ou recomposition des liens entre les villes et les campagnes?
4.2. Aménagement de l'écosystème et paysage
4.3. Politiques et forêts


La forêt n'est pas un espace isolé du reste de la société. C'est une composante de celle-ci. L'évolution de nombreux pays des zones tropicales vers une urbanisation croissante modifie sensiblement les rapports entre les hommes et la forêt. La demande urbaine en bois pour la production d'énergie domestique est souvent avancée comme une cause importante de la dégradation des forêts

Il semble que l'analyse doit être poussée plus avant pour mieux comprendre les filières économiques en place. On s'aperçoit qu'il faut élargir la conception classique de l'aménagement et de la gestion des espaces forestiers pour aborder des questions plus institutionnelles. Enfin les décisions politiques au sens large peuvent avoir une incidence sur les espaces ou ressources forestiers (Montalembert 1995).

Pour leur aménagement les espaces forestiers sont en particulier traversés par des politiques d'aménagement du territoire souvent plus globales que les préoccupations sectorielles ou locales forestières. Les problématiques politiques au sens noble du terme ont un retentissement parfois important sur les politiques forestières. On l'a vu dans le passé avec l'évolution historique des régimes politiques (colonisation/ indépendance). On le voit actuellement avec les orientations démocratiques OU de décentralisation de certains pays.

4.1. Développement urbain ou recomposition des liens entre les villes et les campagnes?

Les causes profondes de la dégradation des espaces forestiers, notamment dans les régions sèches, sont souvent confondues avec leurs manifestations, particulièrement pour ce qui concerne la production de combustible ligneux (bois de feu et charbon de bois): forte croissance démographique et donc de la demande en bois-énergie, foyers domestiques et méthodes de carbonisation peu efficaces, exploitation des ressources ligneuses sans préoccupation de gestion, mais aussi expansion des cultures extensives et de la pression des animaux domestiques, etc.

Pour la région sahélienne, "le constat effectué sur la période 1930-1980 permet de dire que quand la population double, la surface cultivée triple et la progression des champs permanents est quatre fois plus rapide que celle des champs temporaires (...). En moins d'un siècle l'accroissement des effectifs humains, accompagné d'une exploitation de plus en plus extensive de l'espace disponible, s'est traduit par la réduction des temps de jachères, l'apparition de litiges fonciers l'épuisement des sols, le développement de l'érosion et au bout du compte par une chute de la production agricole" (Bernus et al., 1993).

Pour ce qui concerne la pression démographique sur les forêts en zone tropicale sèche, les données démographiques n'expliquent pas tout (Agrawal, 1995) et l'insouciance des populations rurales a longtemps été mise en avant. Les solutions qui s'imposaient étaient dans les années 70 et 80 de faire prendre conscience aux populations des dangers de leurs actions prédatrices sur l'environnement et de diffuser des techniques plus performantes.

Les modes d'interventions proposés étaient la vulgarisation, l'animation, la participation, la formation. En fait, selon les anthropologues, les populations locales ne considèrent pas les phénomènes de dégradation des ressources renouvelables de façon analogues aux étrangers. Dans un contexte de crise économique ou politique, cette préoccupation n'est pas toujours perçue comme de la plus haute importance.

La plupart du temps, la participation des populations n'est donc pas à la mesure de la volonté des porteurs de projets, d'autant que la participation des locaux au processus de décision est souvent inexistante. L'examen plus précis des interactions entre démographie, demande urbaine et environnement rural, et les logiques et pratiques des filières de production ont révélé une situation bien plus complexe, qui dès lors nécessite une intervention plus large et plus construite (Madon, 1987).

Si des défrichements existent, la constitution de filières commerciales d'approvisionnement des villes en bois de feu par prélèvement dans les espaces appartenant à l'Etat (espaces protégés et forêts classées), sans contrôle et sans soucis de viabilité, est un élément important de dégradation du couvert forestier. La crise du bois de feu révèle ici un dysfonctionnement flagrant dans les rapports entre ville et campagne.

Dans le domaine des sciences sociales, il y a longtemps eu une coupure à l'intérieur même des disciplines entre ruralistes et urbanistes. On a donc peu travaillé sur les interactions entre ville et campagne. La décennie 80 a vu le rapprochement entre géographie urbaine et rurale, avec l'apport de l'anthropologie, de l'histoire et de la sociologie qui ont considérablement modifié l'image des relations entre développement rural et urbain. Il ne fait aucun doute, chez la plupart des auteurs de la nécessité urgente de sortir les villes du sous-développement. Mais comment faire? Héritée de l'analyse économique et sociale des conditions de la révolution industrielle occidentale, les voies du développement considèrent souvent le domaine agricole comme la priorité et la base du développement, confortées en cela par la révolution verte asiatique (Friboulet, 1993).

Historiquement, trois conditions semblent nécessaires à l'urbanisation (Coquery-Vidrovitch, 1993)

- la possibilité d'un surplus de production agricole servant à nourrir les non-producteurs;
- le commerce et sa classe marchande spécialisé dans la collecte et la redistribution des vivres;
- un pouvoir politique contrôlant l'utilisation du surplus par les non-producteurs.

Le lien entre ville et échange marchand est donc très fort. Ainsi, "on peut trouver en Afrique des marchés sans ville, mais il n'existe pas de ville sana marchés" (Coquery-Vidrovitch, 1993). Ceci a exigé un certain contrôle de la campagne environnante par le pouvoir politique établi en ville. Pour les tenants du biais urbain, la ville est en position rentière et prélève pour son développement propre sur une économie primaire. D'autres auteurs soulignent plutôt la diversité des situations (Hugon et Pourtier, 1993).

Des études de prospective récentes insistent sur la structuration des peuplements ruraux et de la production agricole par les marchés urbains, sous la forme d'une tension de marché (Cour, 1994). Au-delà du débat, idéologique et parfois sentimental, entre urbanophile et rurophile, c'est certainement plus dans une connivence que dans une opposition entre villes et campagnes qu'il faut chercher à comprendre et à agir, y compris dans le domaine de l'aménagement et de la gestion des espaces forestiers.

4.2. Aménagement de l'écosystème et paysage

L'urbanisation croissante, souvent subie par les pays en voie de développement tout spécialement lors des grandes sécheresses, a engendré une nouvelle structuration des campagnes et des paysages. Le patrimoine paysager, reflet des systèmes de production et expression des identités locales et régionales, subit des atteintes de plus en plus marquées par la croissance des agglomérations.

Le paysage rural résultait des systèmes agraires adoptés par des groupes sociaux unis. Cette convergence de vues, nuancée toutefois par une certaine diversité des partiques, est aujourd'hui souvent remise en question dans les pays tropicaux secs, spécialement à l'abord des grands centres humains et particulièrement des mégapoles. L'appropriation d'un territoire par un groupe social est perturbée par deux causes majeures: d'une part, l'intrusion de migrants, porteurs de pratiques culturellement différentes et d'autre part, à la suite de tensions de marché, l'individualisme de certains exploitants ou éleveurs attirés par une spéculation nouvelle. Ces deux courants imposent une "modernisation" des espaces ruraux, ce qui se traduit par l'abattage d'arbres isolés, de haies, la création de périmètres irrigués, etc.

Pour les agriculteurs, qui façonnent au jour le jour, les paysages ruraux, ce concept de "paysage" reste plus ou moins inconscient. Par contre, l'idée du "terroir" est très présente, dominée par un système agraire et un certain degré d'humanisation, d'usages ou de coutumes.

Dans les chapitres qui précèdent, il est rappelé que l'aménagement des écosystèmes ne peut plus être réalisé que par les seuls forestiers, mais par des équipes pluridisciplinaires, qui participeront à l'aménagement du territoire. Ainsi donc, pour les aménagistes, le problème fondamental consistera à étudier le meilleur compromis à attribuer à l'organisation sociale, écologique et esthétique d'un paysage. Il va de soi que la validation de ce compromis ne pourra être acquise qu'après concertation et participation de tous les acteurs sur des objectifs à long terme.

Malheureusement, cette évolution ne pourra se faire que lentement, spécialement dans les pays tropicaux secs. En effet, l'aménagement de l'écosystème forestier et du paysage est une notion qui dépend de nombreuses politiques: foncière, énergétique, aménagement du territoire et des routes, politique de l'eau, politique touristique, etc.


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