The independent Tunisian state has greatly modified the country's tenure regime. The inherited system has been somewhat simplified to the extent that, today, the primary categories consist of private, collective and state tenure. Problems remain, however. In spite of state campaigns to encourage registration, half of all eligible lands have never been registered. In the case of registered parcels, successive land transfers often go unrecorded in the cadastre. The state has also been somewhat slow in privatizing state-held and designated collective lands. The emergence of land markets has been hampered by holders of small to medium-sized farms who are reluctant to tamper with the family heritage. Land fragmentation remains a prominent concern. The Tunisian Government is urged to address this array of problems through a concerted and multipronged effort including legislative modifications, extension programmes and improved administrative procedures.
El Estado tunecino independiente ha introducido grandes cambios en el régimen de tenencia de la tierra. El sistema heredado ha sido simplificado: actualmente las categorías principales de tenencia incluyen la privada, la colectiva y la estatal. Sin embargo, a pesar de las campañas de promoción para el registro de las tierras, la mitad de éstas siguen sin estar registradas. Por lo que respecta a las parcelas, las transferencias de propiedad efectuadas últimamente con frecuencia no han sido declaradas para su registro. El Estado ha procedido con lentitud a privatizar tanto las tierras estatales como las de propiedad colectiva. El desarrollo de un mercado de tierras se ha visto obstaculizado por los propietarios de pequeñas y medianas fincas que no han querido correr el riesgo de perder su herencia familiar. La fragmentación de la tierra sigue siendo motivo de preocupación, y el Gobierno deberá desplegar esfuerzos concertados y multisectoriales al introducir cambios legislativos, programas de extensión y procedimientos administrativos mejorados.
Mohamed Gharbi
Directeur général,
Centre national des études agricoles (CNEA),
Ministère des domaines de
l'Etat et des affaires foncières, Tunis
Depuis l'Indépendance, la Tunisie a profondément modifié sa situation foncière. Le système hérité a été quelque peu simplifié et, aujourd'hui, on distingue les terres privées, les terres collectives et les terres domaniales. Mais certains problèmes restent à résoudre. Malgré les campagnes organisées pour encourager l'immatriculation, la moitié des terres seulement ont été immatriculées. En outre, lors des transferts de propriété, les titres qui auraient pu être enregistrés ne l'ont souvent pas été. L'Etat, de son côté, a été plutôt lent dans la privatisation des terres collectives. L'émergence des marchés fonciers a été entravée par les petits et moyens agriculteurs, peu disposés à toucher à l'héritage familial. Le morcellement des exploitations reste une grande menace. Le Gouvernement tunisien est contraint d'aborder cette série de problèmes avec un plan d'action concerté et multidimensionnel, incluant des modifications législatives, des programmes de vulgarisation, ainsi que des procédures administratives améliorées.
A l'Indépendance (1956), la Tunisie a hérité des régimes fonciers variés et complexes, résultant de situations et de pratiques ancestrales. Ainsi, on distinguait: les terres privées immatriculées au Livre foncier; les terres privées objets d'actes notariés; les terres collectives; les terres soumises au régime du habous; et les terres domaniales. On trouvera ci-après une description sommaire de l'évolution des systèmes fonciers en Tunisie
Les terres privées
Le
patrimoine foncier agraire de la Tunisie est caractérisé par une faible
superficie par rapport à l'étendue du territoire national comptant 16,3 millions
d'hectares dont 9,2 millions d'hectares cultivables. De ces 9,2 millions
d'hectares cultivables, 3,3 millions d'hectares sont constitués de parcours
extensifs 1 et 1,1 million d'hectares de terres forestières. Des 4,8 millions
d'hectares restants, seuls 0,5 million d'hectares font partie du domaine de
l'Etat tandis que 4,3 millions d'hectares appartiennent au domaine privé.
Il
est à noter aussi que le nombre d'exploitants de ces terres ne cesse de croître.
En termes nationaux et toutes terres confondues, le nombre d'exploitants
agricoles est passé de 325 000 exploitants en 1962 à 387 000 en 1990, soit une
augmentation de presque 20 pour cent. Ces exploitants sont répartis entre 400
000 exploitations agricoles. En outre, on peut estimer le nombre d'ayants droit
à près d'un million. L'écrasante majorité de ces exploitants et ayants droit se
trouve dans le domaine des terres privées.
Les terres privées appartiennent à
des particuliers exerçant un plein droit de propriété. On distingue les terres
immatriculées, les terres objets d'actes notariés et les terres objets de
certificats de possession.
Terres immatriculées au Livre foncier. Ce régime a été institué par la loi
foncière du 1er juillet 1885, et refondu par le Code des droits réels (loi du 12
février 1965). L'immatriculation garantit une grande précision quant à la
consistance juridique et matérielle des immeubles immatriculés, et s'accompagne
d'une publicité foncière par la mise à la disposition du vaste public de
l'ensemble des titres fonciers qui constituent le Livre foncier et sont
opposables aux tiers.
Le titre foncier comporte en
effet des informations relatives au propriétaire et à l'immeuble. La procédure
d'obtention du titre repose sur une complémentarité entre trois organes: le
Tribunal immobilier, l'Office de la topographie et de la cartographie et la
Conservation de la propriété foncière. Dans la pratique, ce régime couvre
actuellement moins de la moitié du potentiel à immatriculer (3,9 millions
d'hectares sur un total de
9,2 millions). Encore
faut-il signaler que ce niveau d'immatriculation a été atteint grâce à la mise
en oeuvre en 1964 (décret-loi du 20 février 1964), et aux frais de l'Etat, d'un
programme d'immatriculation systématique des immeubles ruraux non immatriculés.
Pour des raisons budgétaires, ce programme n'a pas pu couvrir tout le
territoire.
Outre ce «retard» dans l'immatriculation des terres, un deuxième
problème plus pernicieux freine actuellement la mobilité de ces immeubles et
rend floue la «clarté» de la propriété. Il s'agit du problème de titres fonciers
dits «gelés». Ce sont des titres qui n'ont pas fait l'objet d'inscriptions
successives lors des transferts de propriété (héritages ou ventes) et donc non mis à jour, caractérisés par une scission entre la situation réelle sur le terrain et celle contenue dans le Livre foncier. L'existence de ces titres gelés (près de 60 pour cent des titres) freine l'exercice du droit de propriété et toute action de modernisation de l'agriculture. Cette situation ne permet pas, par exemple, l'obtention d'un crédit agricole à moyen et long termes.
Le régime des terres objets d'actes notariés. Ce sont les terres dont les documents sont des actes notariés qui mentionnent l'origine de la propriété et les différentes transactions concernant l'immeuble et attestent du droit de propriété du titulaire. Les actes notariés recèlent plusieurs insuffisances car, trop souvent, ces titres ne fixent pas d'une manière précise la consistance juridique et matérielle des immeubles, notamment leur superficie et leurs limites, et ne sont pas soumis à publicité. En effet, la superficie est rarement indiquée avec précision et est généralement fixée en merjaa, unité de surface variant selon les régions. La délimitation des terres objets d'actes notariés est faite dans la majorité des cas par la mention des noms des propriétaires riverains, aucun relevé topographique n'étant effectué. Enfin, pour ce qui est de la publicité, celle-ci n'est pas assurée pour les tiers. Les actes opérant un transfert de propriété ou consacrant un droit réel immobilier ne font pas l'objet de dépôt pour assurer une opposabilité à l'égard des tiers.
Le régime des terres objets de certificats de possession. Le certificat de possession est un document administratif délivré aux exploitants propriétaires de terres agricoles dépourvus de titre et qui n'ont pour seule preuve de leur qualité que la possession. Ce régime instauré par la loi du 10 juillet 1974 est exceptionnel et stipule que tout agriculteur qui exerce sur un bien rural immeuble pendant cinq années consécutives, de bonne foi et à titre de propriétaire, une possession paisible, publique, continue, non interrompue et non équivoque, peut se faire délivrer une attestation appelée certificat de possession. Délivré par le gouverneur de la région, ce certificat constitue un moyen pour l'obtention des crédits agricoles auprès des banques et donne, en outre, à l'agriculteur le droit de préemption en cas d'une éventuelle immatriculation.
Les terres
collectives
Les terres collectives constituent des structures foncières
originales. Ce sont, dans leur quasi-totalité, des terres situées dans la partie
méridionale du territoire, zone de steppe au climat aride. Comme on le verra
plus loin, bien que d'origine collective, ces terres entrent de plus en plus
dans le domaine des terres individuelles privées.
Le contexte socioéconomique
des populations de ces régions explique la genèse de ces terres. La population
rurale de cette zone était formée de groupes ethniques, qui pratiquaient
essentiellement l'élevage itinérant extensif. Cette activité nécessitait donc de
fréquents déplacements et, par conséquent, ne favorisait pas l'établissement
d'un système de propriété privée individuelle.
Compte tenu de la pratique du pacage, ces terres étaient utilisées collectivement et étaient la propriété de tribus ou collectivités ethniques. Un décret promulgué le
14 janvier 1901 a établi l'identification matérielle de ces
terres et a organisé leur délimitation à travers des comités administratifs
locaux. Deux réformes 2 ont suivi, prévoyant que toute collectivité constitue une
personne morale dans tous les actes d'administration et de disposition relatifs
à ces terres, et définissant ces terres comme étant des biens insaisissables,
imprescriptibles et possédés en commun, sous le contrôle administratif d'un
groupement, chaque chef de famille ayant droit seulement à une quote-part de
jouissance légale. La reconnaissance expresse du droit de propriété des terres
au profit des collectivités qui l'exploitent fut prononcée par la loi du 4
janvier 1964.
Chaque groupe possédant une terre collective constitue une
personne morale dotée d'une personnalité civile. Il est représenté par un
conseil de gestion composé de membres élus par la collectivité, ainsi que de
membres désignés par le gouverneur et ayant une voix consultative. Des conseils
de tutelle locaux (au niveau de chaque délégation) et régionaux (au niveau de
chaque gouvernorat 3) coordonnent et contrôlent les conseils de gestion.
Un
autre élément extrêmement important a sensiblement modifié la configuration et
le mode d'exploitation de près de la moitié de ces terres collectives. Il s'agit
de l'affectation de parcelles individuelles par établissement d'un droit de
propriété, et donc la transformation du droit de jouissance collective en une
propriété privée individuelle. Cette opération d'attribution à titre privé et
individuel concerne les parties de ces terres collectives dont la vocation est
arboricole ou céréalière (les terres à vocation pastorale sont exploitables en
commun et soumises au régime forestier).
Les terres habous
Avant
leur abolition en 1957, les habous étaient des institutions pieuses anciennes
qui puisaient leurs origines dans la loi coranique. Sur le plan juridique, le
habous peut être défini comme étant l'acte par lequel un propriétaire d'un bien
immeuble affectait, à titre perpétuel, la jouissance d'un fonds au profit d'une
fondation pieuse. Il en résultait l'insaisissabilité, l'imprescriptibilité et
l'inaliénabilité du fonds, ce qui constituait un frein à toute transaction sur
ces terres et, par suite, à leur mise en valeur. Pour éviter le gel immobilier
de ces biens, leur abolition fut prononcée par des décrets en 1956 et 1957.
Les terres domaniales
Les
terres domaniales appartiennent au domaine privé de l'Etat. Elles proviennent
notamment de la liquidation des terres habous, des opérations de rachat des
terres ayant appartenu aux étrangers (en vertu de conventions bilatérales datant
de 1957 à 1963 avec les pays concernés), de différents modes d'acquisition
(successions vacantes, terres sans maître, etc.) et, pour la plus grande part,
de la nationalisation des terres agricoles en application de la loi du 12 mai
1964.
Depuis l'indépendance, et surtout depuis 1964, les terres domaniales
ont fait l'objet de plusieurs réformes plus ou moins réussies dans le but de
garantir leur exploitation optimale. Dans une première étape (1964-1969), ces
terres ont constitué le «noyau dur» des coopératives de production agricole.
Cette période a été caractérisée par une généralisation du système coopératif en
Tunisie, avec l'abolition des autres régimes, notamment le régime de propriété
privée, et s'est soldée par un échec retentissant et un véritable blocage des
rouages de l'agriculture. L'automne de l'année 1969 a marqué un tournant pour le
devenir des terres domaniales et pour les choix politiques et économiques du
pays. Il a été ainsi mis fin au règne de la coopérativisation et l'exploitation
privée a été revalorisée. Le slogan arrêté fut la coexistence des trois
secteurs: public, coopératif et privé. La loi du 22 septembre 1969 sur la
réforme des structures agricoles concrétisait ce changement politique.
Une
nouvelle phase (1970-1982) a commencé avec le retour des terres privées à leurs
propriétaires et la cession d'une partie du patrimoine domanial à des privés:
anciens militants, jeunes agriculteurs, techniciens agricoles et occupants de
bonne foi. Les cessions ont surtout porté sur les parcelles dispersées et de
petites superficies, alors que les grandes fermes (supérieures à 300-400 ha) ont
été consolidées juridiquement sous plusieurs formes: les agrocombinats (fermes
dont le potentiel est important et dont la superficie dépasse généralement 1 000
ha); les fermes pilotes; les Unités coopératives de production agricole (UCPA);
et les domaines mis à la disposition d'organismes d'enseignement et de
recherche.
Les UCPA n'ont pas atteint les résultats attendus. Ainsi, une
troisième étape a été entamée avec la promulgation du Code des investissements
agricoles (6 août 1982) qui a prévu la création de sociétés de mise en valeur et
de développement agricole (SMVDA), exploitant les terres de l'Etat dont les
potentialités ne sont pas mises en valeur. Cette nouvelle forme de gestion des
terres domaniales avait pour but de confier à des investisseurs privés ou mixtes
(avec participation des banques de développement) la gestion de terres
domaniales, avec un apport d'investissement, d'encadrement et de technologie.
Ces investisseurs exploitent la terre en tant que locataires de longue durée. La
propriété reste exclusivement étatique.
Durant la période 1982-1990, 26 SMVDA
ont été constituées, ce qui est relativement peu si l'on considère l'étendue des
terres domaniales nécessitant une restructuration (plus de 200 UCPA,
agrocombinats ou fermes domaniales gérés par divers organismes). En 1990, le
gouvernement a organisé une large consultation nationale pour débattre de
l'avenir des terres domaniales et définir une politique apte à garantir une
contribution optimale de ce patrimoine national au développement agricole et au
développement économique et social du pays. Une stratégie a été arrêtée à la
suite de cette consultation et ses axes sont les suivants:
Un premier lot de fermes a été identifié pour être
restructuré. Il concerne 109 domaines (67 UCPA, 12 agrocombinats, sept fermes de
l'Office de l'élevage, sept sociétés publiques et civiles et 16 domaines des
établissements de formation et de recherche). Après une étude cas par cas,
tenant compte de l'ensemble des aspects techniques, économiques et sociaux, ces
domaines sont transformés en SMVDA ou sont lotis et attribués à des jeunes
agriculteurs et techniciens agricoles.
En outre, et à la lumière du diagnostic des SMVDA créées avant la Consultation de 1990, les nouvelles SMVDA seront de «dimension plus humaine» (sur les 26 SMVDA créées avant 1990, une dizaine avaient des dimensions supérieures à
4 000 ha et se sont très vite révélées difficilement gérables). En plus, les SMVDA auront une contribution accrue, voire exclusive, des privés et une grande intégration agro-industrielle.
L'autosuffisance
alimentaire
Les terres privées et l'autosuffisance alimentaire. Les terres privées, d'origine Melk (terme arabe qui veut dire propriété rurale individuelle ou familiale) ou habous, ou provenant des cessions de terres de l'Etat, constituent environ 4 300 000 ha sur les 4 800 000 ha de terres labourables en Tunisie5. Ces terres sont
caractérisées par la prédominance des petites et moyennes exploitations (96 pour
cent de l'ensemble des exploitations ayant moins de 50 ha et couvrant 64 pour
cent de la superficie). Une partie non négligeable de ces terres est donc
orientée dans son système de production vers l'autosubsistance.
Les terres privées labourables font aussi l'objet d'un grand effort d'équipement pour l'irrigation. Les pouvoirs publics ont aménagé, aux frais de l'Etat, près de
120 000 ha de périmètres d'irrigation utilisant les eaux
des barrages ou des forages profonds. Les exploitants eux-mêmes ont réussi à
accumuler environ 600 millions de mètres cubes annuellement grâce à la création
de 100 000 puits de surface exploitant les nappes phréatiques et permettant
d'irriguer en moyenne 1 à 3 ha par puits. Cet effort d'aménagement d'irrigation
dans les terres privées en plus de leur situation relativement favorable à
travers les espaces géographiques du pays, notamment dans le nord assez bien
arrosé, confère à ces terres une place prépondérante dans la production agricole
et la réalisation de l'autosuffisance alimentaire.
Toutefois, les
défaillances relevées au niveau des terres privées freinent fortement une plus
grande participation à la réalisation de cet objectif. Le pays ne produit
actuellement qu'environ 90 pour cent de ses besoins en viande (avec un déficit
de près de 50 pour cent pour la viande bovine), 60 pour cent de ses besoins en
produits laitiers et 60 pour cent de ses besoins en céréales (blé dur, blé
tendre et orge). Les principales défaillances que l'on peut relever se
rapportent à l'exiguïté des exploitations et à leur parcellisation, au manque de
formation des agriculteurs et au manque de ressources financières.
Les terres collectives et l'autosuffisance alimentaire. Les terres collectives, bien que très grandes, ont une part relativement limitée dans la production agricole globale. Sur les 3 millions d'hectares couvrant ces terres à l'origine, la moitié est convertie en terres individuelles6. Cette partie des terres fait l'objet d'actions de
mise en valeur, notamment par la plantation d'arbres fruitiers et, quand les
ressources le permettent, par l'aménagement de petits îlots d'irrigation à
partir de puits de surface. La production agricole est significative mais la
productivité est en deçà de la moyenne nationale car ces terres sont situées
dans des zones écologiques fragiles (climat semi-aride, voire aride).
L'autre
moitié des terres collectives est à vocation de parcours extensifs et est
exploitée en commun par les membres des collectivités sociales. Ces terres devront bénéficier de programmes d'aménagement pastoral (mise en défens des zones dégradées, instauration de plans d'exploitation rationnels, équipement de points d'eau) et devront être soumises au régime forestier. Mais, faute de crédits budgétaires, ces programmes n'ont pas pu être menés à bien et la production de ces terres pastorales reste très modeste.
Les terres domaniales et l'autosuffisance alimentaire. La contribution des
terres domaniales à la production nationale est relativement importante. A
l'origine, ces terres étaient les plus riches du pays et c'est là, bien sûr, que
s'installèrent les colons étrangers. Ces terres ont bénéficié après
l'Indépendance de grands programmes de mise en valeur (irrigation, plantations
arboricoles, introduction de cheptel de race pure, équipements agricoles et
projets de transformation sur la ferme). Au total, ces terres, qui représentent
5 pour cent de la superficie labourable, contribuent en valeur pour près de 7,5
pour cent à la production agricole nationale. Elles ont donc une productivité
une fois et demie supérieure à la moyenne.
Toutefois, la gestion de ce patrimoine accuse actuellement certaines lacunes. Depuis 1970, les réformes successives ont certes permis d'améliorer sensiblement les résultats économiques, mais le potentiel de ces fermes n'est pas totalement exploité.
En examinant les rapports entre l'emploi et les
structures agraires, on constate que les petites tenures foncières, répandues
presque exclusivement dans les exploitations privées, sont à l'origine de la
principale caractéristique de l'emploi agricole, en l'occurrence son instabilité
et son caractère temporaire. Ainsi, sur les 390 000 exploitants, environ 45 pour
cent ont une activité secondaire en dehors de leur exploitation, dans
l'agriculture chez les fermiers voisins, ou dans d'autres secteurs économiques
(bâtiments, commerce et transport).
Un autre aspect de l'emploi pouvant être
souligné est la prédominance des auxiliaires familiaux (55 pour cent du total
des exploitants). Les salariés ne représentent que 15 pour cent de l'ensemble
des actifs agricoles, ce qui corrobore le fait que l'agriculture tunisienne est
essentiellement une agriculture familiale. En outre, l'ensemble des actifs
agricoles font environ 180 millions de journées de travail par an, ce qui donne
une moyenne de 132 journées de travail par actif par an, alors que la norme est
de 250 journées pour un actif permanent. Le sous-emploi est donc prononcé dans
l'agriculture, et particulièrement dans les petites exploitations
agricoles.
Dans les terres domaniales, en particulier dans les agrocombinats,
les UCPA et les SMVDA, l'emploi agricole est plus permanent et plus qualifié.
Ces terres domaniales fournissent près de
18 000 emplois permanents (sur un total de 55 000 ouvriers permanents) et offrent en plus des opportunités de travail occasionnel. Le personnel qualifié (ingénieurs et techniciens agricoles, cadres de gestion et ouvriers hautement qualifiés) est plutôt rare 7 dans le secteur agricole privé, alors que les
différentes structures de gestion des terres domaniales en absorbent près des
trois quarts.
En ce qui concerne l'emploi, on peut, en conclusion souligner
que les exploitations privées n'offrent certes pas des emplois stables, ni très
qualifiés, mais elles ont l'avantage par les opportunités de pluriactivité, de
maintenir les actifs dans les zones rurales et de
réduire un tant soit peu le danger de l'exode rural. Les terres domaniales, quant à elles, grâce à la politique menée dans leur gestion, favorisent la promotion d'emplois stables et qualifiés.
En Tunisie, les sols agricoles sont particulièrement fragiles; en effet, ils sont menacés par l'érosion éolienne et hydrique très active dans le climat méditerranéen, et qui entraîne la réduction souvent irréversible de la fertilité. On estime les pertes de fertilité des sols à près de 10 000 ha/an. Ce processus est aggravé par certains aspects caractérisant les tenures foncières. En voici quelques exemples:
L'eau, qui est le deuxième facteur naturel déterminant
du développement agricole, est comme dans d'autres pays au centre d'un grand
enjeu environnemental. La configuration des structures foncières n'est pas
toujours adaptée. Ainsi les petites exploitations privées, bien que présentant
des taux d'intensification par l'irrigation assez élevés, ont des difficultés à
adopter les techniques économisatrices d'eau faute de moyens financiers. La
situation dans ces exploitations peut être plus grave encore lorsqu'elles
utilisent de l'eau à salinité élevée avec des risques de salinisation des sols
pouvant amener à une perte irréversible.
Dans des zones agricoles où domine
la petite exploitation irriguée à partir des puits de surface, on assiste depuis
quelques années à une surexploitation des nappes aquifères avec, parfois,
intrusion d'eau de mer. Cela a amené les pouvoirs publics à décréter des zones à
protéger (avec interdiction de réaliser de nouveaux puits ou d'approfondir ceux
existant déjà).
Les grandes exploitations disposant d'équipements d'irrigation, en particulier celles faisant partie des périmètres aménagés par l'Etat, utilisent rarement les quantités d'eau mises à leur disposition. Cela donne parfois à ces périmètres un aspect désolant d'abandon.
L'évolution des régimes fonciers, avec les nombreuses
réformes qui les ont transformés, a été marquée par le souci des pouvoirs
publics d'instaurer plus de justice sociale dans le domaine de l'appropriation
foncière et de l'exploitation des terres agricoles. Ainsi, un transfert de la
propriété a été opéré au moyen de procédures administratives au profit des
ayants droit et, conformément à plusieurs textes à caractère législatif et
réglementaire. Plusieurs milliers d'agriculteurs, de jeunes ouvriers agricoles
et de techniciens sortant des écoles de formation professionnelle ont pu ainsi
accéder à la propriété ou améliorer l'assiette foncière de leur exploitation,
notamment par la réforme agraire dans les périmètres irrigués et par cession des
terres habous, des terres collectives et des terres domaniales, à leur
profit.
Néanmoins, il faut tenir compte des aléas du marché foncier qui
touchent les petites et moyennes exploitations agricoles. Dans plusieurs
régions, le manque de terres fait peser une lourde menace sur la survie de toute
une frange d'exploitations, souvent les plus dynamiques. Il représente aussi une
sérieuse menace pour la reproduction de tout un savoir-faire technique qui
risque de disparaître en même temps que ses détenteurs. C'est la frange des
agriculteurs familiaux moyens qui apparaît comme étant la plus touchée par les
possibilités réduites d'extension de la propriété foncière. Ceux-ci subissent
d'ailleurs la concurrence des gros agriculteurs (ou des gros éleveurs dans
certaines régions), qu'il s'agisse d'achat ou de location de
terres.
Plusieurs zones agricoles sont caractérisées par l'existence de deux
marchés fonciers parallèles, l'un pour les petites et les moyennes parcelles,
l'autre pour les plus grandes superficies recherchées par les gros agriculteurs.
Dans les régions où l'on pratique des systèmes de production extensive, à
dominance céréalière par exemple, les agriculteurs de taille moyenne, pour qui
la consolidation des assises foncières de l'exploitation est vitale, se heurtent
à la concurrence des gros agriculteurs qui n'hésitent pas à faire de la
surenchère pour garder la main sur les plus grandes parcelles et garantir les
gains tirés d'une agriculture extensive.
La faiblesse des transactions
foncières a ainsi pour effet de bloquer l'évolution des systèmes et des
structures agraires. Malgré d'importants changements dans les législations
foncières, la terre reste finalement un bien peu aliénable qui se transmet
essentiellement dans le cadre familial.
Toutefois, il est intéressant de constater que l'évolution socioéconomique du pays a généré, dans une large mesure, une société multisectorielle assez équilibrée sans un secteur particulier dominant. En fait, les secteurs de l'agriculture, de l'industrie et des services ont sensiblement la même importance. Dans cet ordre, la propriété de la terre ou sa possession sous d'autres formes (baux ruraux, métayage, mogharsa , etc.) n'a pas, en général, une signification autre qu'économique: la terre est certes une source de revenus, mais non la plus prépondérante comparativement à d'autres sociétés rurales de pays en développement ou par rapport à la situation de la Tunisie il y a plusieurs décennies.
De lourdes contraintes foncières continuent de peser sur le fonctionnement des exploitations agricoles en Tunisie, et ce malgré le fait que d'importantes mesures aient été prises pour permettre aux agriculteurs d'accéder à la propriété privée de la terre (liquidation des habous et partage à titre privé des terres collectives des tribus). Toutefois, l'application de ces mesures demeure problématique en l'absence d'actions complémentaires (remembrement et dynamisation du marché foncier), et a souvent accentué le morcellement des exploitations. Les contraintes auxquelles se heurtent de nombreuses exploitations agricoles en Tunisie revêtent donc différents aspects:
Les recommandations concernant la réforme du système foncier agraire découlent des conclusions et peuvent être présentées en deux volets:
Il s'agit en l'occurrence:
1 On verra plus loin qu'en ce qui concerne les parcours extensifs, terres considérées assez marginales dans le contexte de la production agricole, plusieurs anciennes parcelles collectives sont en train de s'ajouter au domaine privé individuel pour les destiner à la production céréalière.
2 Décrets du 23 novembre 1918 et du 30 décembre 1935.
3 Le territoire national est subdivisé administrativement en 23 gouvernorats. Chaque gouvernorat est subdivisé en délégations (de cinq à 12 par gouvernorat).
4 Trois types de tenure sont analysés ici: les terres privées, les terres collectives et les terres domaniales. On a vu précédemment que les terres habous ont été absorbées par les terres privées et les terres domaniales.
5 Les terres domaniales constituent la différence. Les terres attribuées provenant des terres collectives - environ
1 500 000 ha - ne sont pas considérées dans ce total; elles sont en marge des terres labourables.
6 Le processus par lequel cette catégorie de terres collectives labourables est en train de se convertir en terres individuelles privées a été décrit plus haut. Une superficie de 1 235 000 ha a déjà été attribuée au 30 septembre 1993.
7 Sur 10 000 diplômés de l'enseignement agricole (adjoints techniques, ingénieurs adjoints et ingénieurs) environ 1 500 travaillent dans le privé et 1 000 sont à la recherche d'un emploi.
8 Il s'agit de mettre en oeuvre la législation existante. Rappelons que des mesures prises récemment (1992) tentent à la fois d'actualiser les titres gelés et d'asseoir les conditions aboutissant à la systématisation des inscriptions sur le Livre foncier. Ainsi, la loi n° 92-39 du 27 avril 1992, régissant le dégel des titres fonciers a créé une Commission de mise à jour et de dégel des titres fonciers dans chaque gouvernorat. La Commission examine les demandes afférentes aux titres gelés et, après instruction et investigation, établit l'actualisation des titres. Cette actualisation est inscrite au Livre foncier.