La documentation et les arguments présentés dans cette étude et celles qui l'accompagnent démontrent le bien-fondé de l'optique multifonctionnelle. En liaison avec la démarche de l'agriculture et du développement rural durables, le concept du CMFAT permet de mieux dégager les facteurs cruciaux pour renforcer la durabilité de l'agriculture. Pour bien comprendre les relations entre différentes fonctions ains que leurs impacts de façon à mieux identifier les synergies et les arbitrages potentiels, on doit d'abord reconnaître la complexité et la portée des systèmes agricoles et d'utilisation des terres. Le cadre conceptuel proposé permet d'embrasser les dimensions de l'espace, de l'échelle et du temps, différentes situations géographiques et différents niveaux de développement institutionnel, ainsi que le développement du marché.
L'établissement du bilan des réalisations enregistrées depuis l'adoption de la Déclaration de Den Bosch et du programme Action 21 indique que le succès en ces matières est subordonné à six conditions clés:
De ce fait, la capacité de distinguer les fonctions de l'agriculture dans des contextes précis permet de mieux dégager les orientations possibles de la politique et des activités futures. Pour atteindre l'objectif global du développement durable, il faut améliorer la sécurité alimentaire et renforcer les synergies entre les fonctions environnementales, économiques et sociales de l'agriculture et son utilisation des terres. Les priorités nationales et les modalités de fixation de ces priorités peuvent varier et la sélection des options repose sur les processus officiels de décision. Ce sont les organismes nationaux d'administration et de gestion qui resteront responsables de la prise de ces décisions et de leur mise en oeuvre.
Les membres des communautés rurales, en particulier les agriculteurs, continuent de jouer un rôle critique en tant que gérants des terres agricoles et de l'environnement. Les pouvoirs publics et les organismes privés des sociétés urbanisées, industrialisées ou en voie d'industrialisation dont les responsables ont de plus en plus rarement l'expérience directe de la terre se sont néanmoins progressivement convaincus que la contribution des ruraux est indispensable. On reconnaît de plus en plus l'importance de la décentralisation de l'administration, des décisions et celle de l'émancipation. L'exploitation des fonctions multiples en milieu rural peut permettre d'offrir des perpectives plus larges et d'aborder les problèmes d'équité - en matière de parité, d'âge et de statut social, par exemple - et de pauvreté. La sélection des options doit reposer sur une évaluation globale des conséquences probables du choix pour l'environnement et la société locale. Toutefois, il ne suffira pas de reconnaître le rôle important des acteurs ruraux pour résoudre tous les problèmes actuels de l'agriculture et de l'utilisation des terres, et le rôle critique joué par d'autres facteurs ne doit pas être pris à la légère.
Les réponses à ces problèmes ne sont pas aisées. La durabilité est conditionnée par les idées locales concernant la sécurité de vie, les stratégies de réduction des risques et l'évaluation prudente des choix possibles. Il coûte très cher, du point de vue social et économique à long terme, de ne pas affronter certains problèmes capitaux des zones rurales comme le sous-emploi des jeunes et l'exode des jeunes femmes et des enfants qui vont exercer des d'activités de service marginales et instables. Le sentiment d'insécurité pousse parfois les agriculteurs à adopter des pratiques non durables pour obtenir le plus d'avantages possibles dans l'immédiat. La recherche des avantages comparatifs à court terme peut également aboutir à des modes d'utilisation des terres de zones isolées ou marginales qui ont des effets hautement négatifs sur l'environnement et la société (par exemple, certaines formes de production intensive de coton sous irrigation ou la culture des plantes narcotiques).
Pour obtenir des progrès durables de l'agriculture et de l'utilisation des terres, le plus difficile est peut-être de concilier l'objectif fondamental de la sécurité alimentaire et les objectifs concernant l'environnement. Tous ces objectifs ont naturellement un caractère international. Etant donné les fluctuations annuelles et les capacités relatives de production et de distribution, la coopération et la collaboration entre les Etats et aux niveaux local et sous-régional sont indispensables pour assurer la sécurité alimentaire. L'environnement présente aussi de nombreux aspects supranationaux compte tenu des échelles temporelles et spatiales associées à la conservation de la biodiversité, des plans d'eau ouverts, des bassins versants et de l'atmosphère. La durabilité est évidemment un problème régional en raison du rôle majeur des grands écosystèmes (écorégions).
Au niveau mondial, ces questions tiennent une place critique dans les accords internationaux. Le Sommet mondial de l'alimentation et la série de conférences relatives au développement social, à la population, aux femmes et à la lutte contre la pauvreté ont été axés sur les dimensions sociales. Les dimensions environnementales du concept de CMFAT concernent directement la Convention sur la biodiversité, la Convention sur la lutte contre la désertification, la Convention sur le changement climatique et la Convention relative aux zones humides. Le rapport qui apparaît clairement entre ce concept et ces conventions permet d'élaborer des approches communes ou tout au moins complémentaires. Il existe également des possibilités de mécanismes de suivi des ressources actuelles en terres et d'évaluation des effets de l'agriculture de façon à utiliser au mieux les ressources nationales et internationales et à assurer la durabilité à l'échelle planétaire. L'existence de processus internationaux directs de décision, l'impact qu'ils ont, confirment la nécessité d'aborder les problèmes avec rapidité et souplesse à mesure qu'ils apparaissent.
Cet examen de l'importance stratégique, voire fondamentale, des fonctions multiples de l'agriculture et son utilisation des terres ramène aux problèmes de base de la gouvernance et de la participation. La responsabilité de la viabilité des systèmes agricoles et de l'environnement appartient en dernier ressort aux pouvoirs publics, et l'on a besoin de mécanismes efficaces pour coordonner l'action et décider en collaboration avec d'autres acteurs du niveau local et de la société civile. De toute évidence, les rôles précis devront évoluer et être renégociés périodiquement en étroite collaboration avec les parties prenantes et, avant tout, les membres des communautés rurales. Les études de cas, les enquêtes et la recherche appliqué illustrent quelques moyens possibles d'améliorer les modes de transformation de l'agriculture et de l'utilisation des terres aux niveaux local et national. Les pouvoirs publics seront également responsables de domaines comme l'enseignement professionnel et la recherche appliquée.
L'action pourrait être engagée dans les domaines de la recherche stratégique et appliquée, de la promotion de meilleures politiques, de l'utilisation des forces du marché:
La réussite repose en partie sur l'amélioration de la compréhension et de la connaissance des transformations en cours dans l'agriculture et l'utilisation des terres. Les progrès dans les domaines de la biotechnologie des techniques et technologies "vertes", des sources d'énergie et de leur exploitation rationnelle, des technologies de terrain (par exemple, utilisation optimale de l'eau), des communications et du traitement et de l'acheminement de l'information prendront certainement tous de plus en plus d'importance.
La participation des diverses parties prenantes et des principaux acteurs devra être assurée par des mécanismes mis en place à des fins de communication, de négociation, de décision, d'application des décisions et de jugement en cas de contestation de décisions ou de mesures. Afin de stimuler la participation et l'innovation, il faudrait:
La prochaine étape consistera à amener les pouvoirs publics à s'engager explicitement à modeler les terres en vue d'objectifs sociaux et environnementaux communs, afin d'assurer la durabilité au XXIe siècle. Les étapes ultérieures d'un processus d'évaluation et de décision ayant recours au concept de CMFAT au niveau national sont présentées dans l'encadré ci-après.
ENCADRÉ 5: VERS UNE AGRICULTURE DURABLE L'utilisation optimale du caractère multifonctionnel de l'agriculture et des terres pour contribuer à la durabilité requiert les conditions suivantes, dans cet ordre: Un processus d'étude et de formulation précise des différentes fonctions concernant la localisation, les acteurs, l'échelle et le temps. Certaines fonctions écologiques comme le renouvellement des forêts ou d'autres types de végétation et la modification d'éléments physiques comme les bassins versants présenteront une dimension temporelle importante. L'examen de la fonction sociale concernera notamment les effets de l'accès aux technologies et aux informations sur la mobilisation des groupes sociaux des communautés rurales. Les initiatives pourraient exploiter ou corriger les points faibles identifiés comme les six principales conditions de réussite dans le bilan (voir début du présent chapitre), suivant un processus de fixation des objectifs et des priorités, en consultation avec les diverses parties prenantes. En attribuant une place particulière à certaines fonctions et aux synergies entre fonctions, on poserait alors les fondations d'une série de scénarios. Par exemple, la régénération des sols pourrait constituer un objectif, les méthodes et les coûts variant suivant l'importance donnée à des fonctions particulières. Les méthodes de culture organique pourraient exiger des investissements à plus long terme que les cultures avec utilisation de produits chimiques, de sorte qu'il serait nécessaire de comparer le coût d'un fléchissement à court terme de la productivité et les effets bénéfiques à long terme prévus pour le bassin versant. Des négociations devraient alors s'engager entre les parties prenantes pour choisir entre les scénarios. De toute évidence, la confrontation entre intérêts particuliers et l'effet global tiendront une place importante dans les discussions, comme d'ailleurs la répartition des responsabilités et des tâches. Des mécanismes transparents seront nécessaires pour la prise des décisions définitives, et il faudra notamment tenir compte des intérêts concurrents, des besoins immédiats et de la durabilité à long terme. Les pouvoirs publics resteront chargés de prendre des décisions dans l'intérêt général en ayant une vue d'ensemble comprenant l'équité des conséquences et la sauvegarde des ressources. L'évaluation et la reprise du cycle seront nécessaires pour améliorer les instruments et les approches et s'adapter aux circonstances nouvelles. |
S'il est légitime de poursuivre les valeurs et les objectifs nationaux en exploitant au mieux le caractère multifonctionnel de l'agriculture et des terres, il n'en est pas moins nécessaire que les coûts éventuels associés soient internalisés par les politiques nationales. Toutefois, les avantages partagés avec la communauté internationale et reconnus dans des accords internationaux pertinents peuvent constituer une exception dans les conditions déterminées par ces accords.
Le processus par étapes successives au niveau national, suggéré ci-dessus, peut bénéficier de convergences et d'accords au niveau international. La FAO, le GCRAI et les autres organismes internationaux s'occupant d'agriculture devraient certainement se préparer à favoriser la cristallisation de ces efforts nationaux. Une meilleure prise de conscience des arbitrages et des synergies entre fonctions pourrait amener à proposer des initiatives novatrices, ainsi que des politiques et priorités nouvelles pour le secteur agricole.
A l'aube du XXIe siècle, les transformations et les tendances qui s'esquissent au niveau mondial dans l'agriculture posent d'immenses défis. La nécessité de nourrir l'humanité, la concurrence pour l'utilisation de l'eau et des terres arables et l'effet cumulatif de la poursuite de l'industrialisation et de l'urbanisation seront des thèmes fondamentaux des débats et des décisions dans chaque pays. Les priorités seront encore définies initialement aux niveaux local, sous-régional et national. Néanmoins, les organismes régionaux et internationaux pourront jouer un rôle croissant dans la formulation de politiques conjointes axées sur les avantages comparatifs en matière de commerce et de développement et dotées d'objectifs sociaux explicites intéressant l'équité, la parité et l'accès aux ressources. Les engagements formulés dans la Déclaration de Rome consacrent la nécessité de couvrir ces questions dans toute leur ampleur, afin d'assurer la durabilité dans toutes les sociétés.
Le concept de CMFAT peut apporter une contribution utile aux débats du Comité de l'agriculture, du Conseil et de la Conférence de la FAO, d'autres organismes s'intéressant d'alimentation, et d'autres mécanismes également. La mise à disposition d'informations pour alimenter et motiver les débats s'est engagée, et ce processus pourra se poursuivre dans plusieurs organismes. En outre, la précision croissante avec laquelle les fonctions multiples et de leurs relations sont distinguées aura des incidences bien au-delà du secteur agricole.
La Commission du développement durable (CDD) peut servir de catalyseur en ce qui concerne les questions générales de durabilité au niveau mondial. Les mécanismes de mise en oeuvre et de suivi des travaux du CDD offrent l'occasion de souligner le rôle constant et irremplaçable de l'agriculture à l'avenir, pour exploiter les synergies éventuelles entre l'environnement et différents secteurs de l'économie et de la société. Les participants à la huitième session de la Commission devraient examiner les caractéristiques de la communauté internationale concernée pour aborder les questions les plus importantes liées à l'agriculture, notamment la sécurité alimentaire, la pauvreté rurale et l'accès aux ressources.
Toutefois, cela ne suffirait peut-être pas. Quels autres moyens y a t-il de se préparer à répondre aux défis de l'agriculture au XXIe siècle? Les fonctions environnementales, économiques et sociales si importantes et si variées de l'agriculture et des terres viennent s'ajouter à celles, toujours importantes, de la fourniture de produits alimentaires et autres services. Il faudra donc à l'avenir la collaboration entre les institutions et mécanismes déjà impliqués en matière d'utilisation des terres dans toutes ses dimensions, ainsi que celles responsables en matière de macro-économie, de politique publique et de planification globale. Des initiatives devront également être organisées dans le contexte des nombreuses conventions pertinentes et des organismes existants qui traitent des questions que suscitent l'environnement, le commerce et la société au niveau international.
Les six conditions clés de réussite identifiées au début du présent chapitre offrent un point de départ pour formuler un programme international commun pour l'avenir. Les domaines ci-après devront continuer à retenir l'attention au niveau mondial:
Forum neutre pour les débats internationaux en ces matières, la FAO continuera de consacrer ses efforts aux sujets les plus critiques pour l'avenir de l'alimentation et de l'agriculture.
