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4 ÉTAT DE L'AMÉNAGEMENT DES FORÊTS TROPICALES: L'AMÉNAGEMENT DES FORÊTS POUR LA CONSERVATION ET LA PROTECTION

4.1 Conservation de la biodiversité dans les écosystèmes forestiers


La conservation des écosystèmes forestiers naturels est la fonction majeure des aires et des autres zones affectées à la conservation des ressources naturelles. Les parcs nationaux et les réserves intégrales ne sont plus des méthodes de conservation de la biodiversité préconisées car trop rigides. Les surfaces concernées recouvriraient actuellement 5% de la surface forestière tropicale et le taux d'acquisition de nouvelles surfaces a décliné ces dernières années du fait des pressions exercées quant à l'utilisation des terres. Une alternative possible est la gestion forestière en vue d'usages multiples. Cette dernière option inclut l'exploitation régulière de produits forestiers dans le cadre d'un aménagement ayant à la fois pour objectifs de conserver la diversité biologique et de fournir des bénéfices durables aux populations locales et à l'économie nationale. Le terme "d'aire protégée" englobe, en fait, une grande diversité d'approches pour la protection et la gestion des zones naturelles et semi-naturelles.

4.1.1 Les aires protégées

En zone tropicale, même si des aires protégées ont été établies et possèdent un statut légal d'aménagement (Tableau 8), de nombreux problèmes se posent: conflits sur le statut foncier des terres avec les populations locales, prélèvements illégaux de ressources animales et végétale. Ils sont accentués par la faiblesse des services étatiques chargés de les protéger.

Tableau 8: Étendue en 1990 des aires de conservation dans les secteurs forestiers, de la faune sauvage et les autres secteurs

 

Asie et Pacifique

(en millions d'ha)

Afrique

(en millions d'ha)

Amérique et Caraïbes

(en millions d'ha)

Forêts/flore

70.5

25.9

116.5

Faune sauvage

55.6

197.7

118.4

Autres secteurs

0.8

0.6

120.7

Total

(et % de la surface régionale)

126.9

(14.2%)

224.2

(10.0%)

355.6

(21.5%)

FAO (1995)

La théorie de la conservation n'est donc pas forcement en adéquation avec la réalité. En pratique, bien que les parcs et réserves aient montré un certain nombre de bons résultats quant au rôle de conservation, on observe que depuis plus d'un siècle, la surface et le nombre d'aires protégées ont augmenté parallèlement à un nombre croissant d'espèces disparues ou menacées. En effet:

· L'adéquation "aires protégées/diversité écologique" n'est pas forcément pertinente. La localisation des aires de conservation pose un problème du fait du manque d'information des espèces végétales et animales des différents types de peuplements forestiers. Jusqu'à présent elle se fonde sur trois critères principaux: les divisions biogéographiques entre les grands écosystèmes terrestres, le degré de menace ou de dégradation des ressources et les taux de diversité et d'endémisme élevés. Leur représentativité est sérieusement limitée tant par le manque d'information sur le mode de distribution des espèces que par les pressions exercées par les autres formes de mise en valeur des terres. De plus, la conservation de la biodiversité n'est pas garantie par les réserves intégrales du fait de leurs superficies limitées et leurs répartitions souvent aléatoires. En effet, la base scientifique de la conservation des espèces et de leurs ressources génétiques est essentiellement conditionnée par l'étude et l'interprétation de l'information taxonomique, de la répartition naturelle des espèces et des bases écologiques de leur présence. Ces trois ensembles de données, qui devraient former la base de stratégies rationnelles de conservation, sont insuffisants sous les tropiques, et dans bien des cas inexistants. Les réseaux d'aires protégées, même dans l'hypothèse la plus optimiste sur les surfaces susceptibles de leur être affectées, ne seront pas en mesure de conserver la totalité ou même la majorité des espèces et des ressources génétiques désirables. Il est donc important d'identifier les zones prioritairement intéressantes après mise en _uvre d'inventaires multi-ressources.

· L'adéquation "type de classement d'une forêt/niveau de conservation" n'est pas automatique. Puisque selon la catégorie à laquelle est affectée une zone, la gestion pratiquée n'y est pas la même. Par exemple, une réserve naturelle intégrale représente a priori le niveau de conservation maximale (exclusion totale d'actions anthropiques), or a posteriori, ce type de gestion peut amener concrètement à un niveau de conservation moindre que celui escompté. Le type de classement d'une zone forestière n'est alors pas un gage de protection sur le terrain si les moyens financiers, humains et la volonté politique ne suivent pas. L'importance de la conservation des ressources naturelles n'est généralement pas reconnue comme prioritaire et des objectifs à court terme lui sont généralement privilégiés. La biodiversité demande aussi à être connue avec précision d'un point de vue économique et socioculturel. Il s'agit donc de donner une valeur concrète à la diversité biologique en l'intégrant dans la vie économique afin de concilier utilement développement et conservation.

4.1.2 Les zones tampons: une solution?

Les aires protégées ne peuvent réaliser leurs objectifs de conservation que si les terres qui les entourent sont soumises à un aménagement approprié compatible avec les objectifs de l'aire protégée elle-même (voir Encadré 3). En effet, beaucoup de zones protégées souffrent d'empiétements de la part des cultivateurs et des exploitants. Actuellement, l'objectif de maintien de la biodiversité ne peut être assuré que par l'addition de surfaces significatives de forêts naturelles à but de production. Une "zone tampon" peut a priori répondre à ces objectifs tout en procurant des bénéfices pour la population locale. En effet, l'expérience montre que la seule protection juridique est insuffisante pour assurer des actions efficaces de conservation. Les zones tampons constituent une barrière physique à l'empiétement humain dans la zone centrale protégée et permettent d'agrandir la zone réelle d'habitat naturel de la réserve. De plus, un appui des populations locales aux objectifs de conservation peut être induit par leur participation à l'exploitation de la zone tampon (agroforesterie, chasse, plantations). Néanmoins, un des écueils des zones tampons reste le phénomène d'attraction engendré par le développement économique ainsi créé, dont les effets peuvent être pervers et augmenter la pression sur la ressource.

Encadré 3: Catégories et objectifs de gestion des aires protégées

Réserve scientifique/Réserve naturelle intégrale

Protéger la nature et maintenir les processus naturels dans un état non perturbé afin de disposer d'exemples écologiquement représentatifs du milieu naturel pour des études scientifiques, la surveillance continue de l'environnement, l'éducation et pour le maintien des ressources génétiques dans un état évolutif.

Parc national

Protéger des régions naturelles et des paysages exceptionnels relativement étendus, d'importance nationale ou internationale, à des fins scientifiques, éducatives et récréatives, gérés par la plus haute autorité compétente du pays.

Monument naturel/Elément naturel marquant

Protéger et préserver des éléments naturels d'importance nationale en raison de leur intérêt particulier ou de leurs caractéristiques uniques.

Réserve naturelle dirigée/Sanctuaire de faune

Garantir le maintien des conditions naturelles nécessaires pour protéger des espèces, groupes d'espèces, communautés biologiques ou traits physiques d'importance nationale lorsque leur perpétuation peut nécessiter une intervention spécifique de l'homme.

Paysages protégés

Maintenir des paysages naturels d'importance nationale, caractéristiques de l'interaction harmonieuse entre l'homme et la terre, tout en donnant au public la possibilité de jouir, par des activités de loisir et de tourisme, de ces régions.

Réserve de ressources naturelles

Protéger les ressources naturelles de la région pour une utilisation future et empêcher ou limiter les activités de développement qui pourraient affecter ces ressources.

Région biologique naturelle/Réserve anthropologique

Permettre aux sociétés qui vivent en harmonie avec leur environnement de continuer à mener une existence non perturbée par la technologie moderne.

Région naturelle aménagée à des fins d'utilisation multiple/Zone de gestion des ressources naturelles

Garantir la production durable d'eau, de bois d'_uvre, de produits de la faune et de la flore sauvage, et des pâturages et l'organisation de loisirs de plein air, la conservation de la nature étant principalement orientée vers le soutien de ces activités économiques.

Réserve de la biosphère

Conserver, en vue d'une utilisation présente et à venir, la diversité et l'intégrité des communautés animales et végétales représentatives à l'intérieur des écosystèmes naturels et sauvegarder la diversité génétique des espèces dont dépend leur évolution permanente.

Bien du patrimoine mondial

Protéger les éléments naturels ayant justifié l'inscription du site sur la liste du patrimoine mondial et fournir des informations pour l'édification du public dans le monde.

(IUCN, 1993)

4.1.3 Les forêts de production

L'aménagement pour la production à usages multiples semble être la méthode la plus compatible avec un but de conservation de la biodiversité. Les forêts aménagées pour la production de bois ont aussi un rôle à jouer. Le concept de "réserves extractivistes" est aussi une approche alternative pour la conservation dans les forêts de production. La principale caractéristique de ces réserves est que l'autorité incombe aux populations locales dépendantes de la forêt comme moyen d'existence (produits non ligneux, gibier, etc.).

4.2 Gestion durable de la faune sauvage


Le cas de l'Afrique, qui détient la faune la plus remarquable de tous les continents, est représentatif des problèmes rencontrés pour l'aménagement durable d'un patrimoine faunique. Les habitats des animaux sauvages diminuent au profit de l'agriculture, de l'élevage ou par suite de la surexploitation de la ressource ligneuse. De plus, le braconnage est à l'origine de l'extinction ou de la raréfaction de nombreuses espèces d'animaux sauvages. Dégradation des habitats et surexploitation cynégétique sont les deux principales menaces pour la durabilité de la faune. Celle-ci est aussi exploitée à des fins touristiques (chasse, éco-tourisme) principalement en Afrique. En plus de sa valeur financière, ce mode d'utilisation des ressources cynégétiques doit être écologiquement et socialement viable. Il est aussi important de rappeler que la faune revêt une grande importance socio-culturelle (religieuse, mystique, tabous).

Par le passé, les aménagement "autoritaires", à savoir une protection intégrale et totale de la faune, ont souvent échoué. Les mesures prises par les autorités ont spolié les communautés locales au mépris des valeurs culturelles traditionnelles. L'interdiction totale d'utilisation et de commercialisation du gibier les a poussés au braconnage. Du fait du statut légal de "res nulius" du gibier, la faune est alors considérée comme gratuite et de libre accès par les populations locales écartées de sa gestion. L'Etat, seul responsable de cette ressource, n'est généralement pas en mesure d'assumer efficacement son rôle de gestionnaire. Il s'avère qu'aucun aménagement durable des ressources naturelles et de la faune ne peut être réalisé sans une participation active des communautés locales aux prises de décisions et aux bénéfices qui en découlent. Des programmes intégrés communautaires de conservation de la ressource ont été élaborés avec succès dans plusieurs pays d'Afrique (voir étude de cas 3), particulièrement dans sa partie australe (Botswana, Zimbabwe, Zambie), aboutissant à une réduction significative du braconnage, l'augmentation des populations animales et la régénération des habitats.

Notons aussi que les crédits alloués par les Etats à la surveillance des zones protégées sont insuffisants la rendant quasi inexistante. Par ailleurs, il y a trop peu de gestionnaires de faune formés. La réglementation la concernant reste souvent inadaptée, et porte encore la marque des réglementations coloniales plaquées sur des systèmes très différents de ceux des pays colonisateurs. Les connaissances en matière de biologie de certaines espèces restent très faibles (en particulier les petites espèces gibiers). Sans ces connaissances, une gestion durable de la faune semble peu envisageable.

Aujourd'hui, à la notion d'interdiction du commerce de la faune et de ses produits, on préfère celles de valorisation de la biodiversité et d'utilisation durable. Il est important de prendre en compte le "multi-usage" qui peut être tiré de la faune: fonctions récréative, alimentaire, scientifique, culturelle, économique et écologique.

4.3 Protection contre les incendies


Tout en étant une composante naturelle de nombreux écosystèmes, le feu a néanmoins des effets très défavorables sur la végétation, et par conséquent, sur l'érosion du sol, sa fertilité, et sur la concentration atmosphérique des gaz à effet de serre du fait de la forte concentration de carbone dégagée lors des incendies de forêt. La plupart des feux sont d'origine anthropique et sont dus à différentes causes: activités de déforestation (conversion de la forêt), culture sur brûlis, régénération des pâturages (pastoralisme, chasse), origine accidentelle, utilisation traditionnelle (religieuse, ethnique...), conflits socio-économiques et politiques sur les droits de propriété et d'utilisation des terres (conflits d'usage des terres, revendications diverses, dettes, etc.). Les feux ne se déclarent toutefois que rarement dans des forêts naturelles non perturbées. Le risque augmente dans les forêts anthropisées dont la voûte forestière et la structure ont été modifiées par l'homme.

Le feu est utilisé pour ouvrir de vastes zones boisées pour l'agriculture (plus de 15 millions d'hectares de forêts sont brûlés chaque année). Bien maîtrisé, il demeure un outil précieux pour l'agriculteur, le pasteur et le forestier (préparation des sites pour des plantations ou pour la régénération naturelle par exemple). Près de 500 millions de personnes pratiquent l'agriculture itinérante sur brûlis, cela concerne de 300 à 500 millions d'hectares/an. L'augmentation de la taille des parcelles défrichées et le raccourcissement des rotations aboutit à une dégradation continue des ressources. En zone humide, les incendies de forêt ont été la cause principale de la diminution de la surface forestière en 1997, particulièrement en Amazonie brésilienne et en Indonésie. Ces phénomènes se sont renouvelés à grande échelle en 1998 (Amazonie). Les feux ont pris de graves dimensions du fait des conditions de sécheresse combinées au phénomène "El Niño". Au début des années 80, les périodes de sécheresse exceptionnelle couplées à l'Harmattan ont provoqué de nombreux incendies en Afrique de la Guinée Conakry à la République Centrafricaine. Les incendies de forêt aboutissent à une mortalité notable des arbres, et s'ils se répètent, à la disparition des forêts. Les sols dénudés sont alors recouverts par des adventices envahissantes facilement inflammables (Imperata, Chromolaena odorata par exemple) qui bloquent toute régénération forestière naturelle.

Les incendies de forêts dans les zones sub-humides à sèches africaines, appelés feux de brousse, s'avèrent être les plus puissantes contraintes à la conservation et à la gestion durable des ressources forestières. En Amérique centrale, dans les Caraïbes et récemment au Brésil (Etat du Roraïma), la plupart des forêts de la région ont été endommagées par des feux.

A partir des années 70, des essais de lutte mécanique contre les feux de brousse ont été réalisés en utilisant des équipements modernes (camions citernes, pompes...). Etant trop onéreuses, ces méthodes d'aménagement anti-feu ont été orientées vers la participation des populations locales et des collectivités, l'éducation et la formation et l'utilisation de petits équipements et outils manuels. La protection absolue est délaissée au profit du brûlage précoce (en début de saison sèche) qui est de loin la méthode de protection la plus sûre et la plus efficace. En fait, la lutte contre les incendies pose davantage de problèmes sociologiques que techniques. Elle relève en priorité de l'éducation des populations et des politiques agricoles.

La lutte contre les incendies de forêt implique plusieurs types d'activités pour protéger la ressource:

· La prévention vise d'une part les hommes (campagnes d'information) et d'autre part la réduction de l'inflammabilité des ressources forestières (via des techniques sylvicoles pour réduire l'action éventuelle des combustibles forestiers).

· L'anticipation comporte toutes les activités à entreprendre en cas d'incendie qui sont conçues de façon à assurer son extinction: surveillance, mise au point de techniques d'extinction (par exemple, l'usage à bon escient de contre-feux), etc.

· L'extinction en elle même doit avoir un coût minimum et doit être conforme aux objectifs d'aménagement de la terre et de la ressource.

· La restauration des forêts, activité faisant suite aux incendies, est un élément vital de l'aménagement forestier durable.

Dans chacun de ces quatre domaines, il est nécessaire de renforcer le cadre institutionnel, la recherche et l'éducation du public, d'adopter une technologie appropriée et d'inciter à la participation des populations locales.

4.4 Aménagement pour la conservation des eaux et du sol


En région tropicale, la plupart des bassins versants abritent une population dense d'agriculteurs. Certains aménagements agricoles, comme les terrasses en Asie, ont des fonctions de conservation de l'eau et du sol éprouvées. Par contre, les reboisements, préconisés dans les zones dégradées par l'agriculture/élevage, se sont révélés être des solutions techniques extrêmement coûteuses. En concertation avec les populations locales, la mise en défens et la régénération naturelle permettent la réinstallation de forêts secondaires dans la plupart des cas.

Dans les forêts naturelles aménagées pour l'exploitation du bois qui se situent sur des pentes accentuées, les effets de ces activités vont dépendre essentiellement du tracé des routes et des pistes, de leur entretien, des techniques d'abattage et de débardage, des interventions sylvicoles, de la protection contre les feux et les ravageurs, etc.

Les bassins versants de petite surface, qui alimentent en eau une zone peuplée doivent être impérativement épargnés par l'agriculture itinérante et l'urbanisation anarchique. Le seul "aménagement" est alors une surveillance efficace pour protéger le couvert forestier. Associer dans un même bassin versant les fonctions d'alimentation en eau et de réserve naturelle de faune et de flore (exemples des parcs nationaux du Kenya et de la Tanzanie) ne présente généralement pas de problèmes techniques et, en général, les aménagements hydrauliques en aval de ces zones protégées ont été menés avec succès.

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