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5 BILAN

5.1 Obstacles - ecueils


La dégradation des ressources issues de l'écosystème forestier est directement liée à leur utilisation abusive ou excessive qui s'explique par une série de facteurs (ou écueils) souvent concomitants de nature:

· climatique: comme la désertification, les inondations, les ouragans;

· démographique: avec une augmentation globale des besoins et donc de l'accroissement de la pression sur les ressources naturelles (démographie et niveau de vie sont ici liés);

· politique: avec l'insécurité des états et des gouvernements qui ne peuvent assurer une gestion suivie et durable et avec l'absence d'un consensus international sous forme d'une convention sur les forêts;

· économique: avec une érosion du niveau de vie ayant pour effet indirect la surexploitation des ressources et une réduction des moyens gouvernementaux pour la gestion des aires protégées ou des forêts aménagées;

· financière: avec le peu d'intrants financiers réinsufflés pour le maintien de l'usine à produits divers qu'est la forêt et s'il en est, ceux-ci sont sans commune mesure avec les bénéfices et les services qui en ressortent;

· institutionnelle et réglementaire: via une déresponsabilisation des communautés villageoises de la gestion des ressources naturelles. En effet, considérées comme gratuites et de libre accès par les populations locales, certaines ressources naturelles (essentiellement bois de feu, faune et produits non ligneux) n'ont plus d'autre responsable que l'Etat, qui n'est généralement pas en mesure d'assumer pleinement son rôle;

· conjoncturelles: avec la préférence des industriels à se cantonner aux espèces commerciales "sûres" et bien connues sur le marché telles que les méliacées (Swietenia, Khaya, Cedrela, Entandrophragma...) pour limiter les risques de commercialisation;

· conceptuelle: avec la conception classique "préservationniste" de la conservation de la nature d'où l'homme est exclu au détriment des motivations socioculturelles et utilitaires, concept qui n'a pas acquis l'adhésion des populations locales, aboutissant ainsi à des résultats inverses de ceux escomptés;

· psychologique: avec la méfiance (parfois viscérale) des acteurs les uns par rapport aux autres (gouvernements, sociétés privées, collectivités, mouvements écologistes, ONG, chercheurs, bailleurs de fonds...) qui empêche de cristalliser les actions positives et négociées pour induire des situations conflictuelles aux dépens de l'écosystème forestier. Les exemples abondent tels que celui de Chimanes en Bolivie, de Deng-Deng au Cameroun (voir étude de cas 2) ou les revendications actuelles en Indonésie;

· ergonomique: étant donné que la forêt tropicale constitue pour beaucoup un milieu hostile et un contexte de travail dépourvu de confort que tôt ou tard, du fait de contraintes professionnelles, familiales ou culturelles, les intervenants se voient désireux d'abandonner. Trop peu est avancé en la matière et peu d'études y sont consacrées, alors que c'est le quotidien pour les hommes de terrain; et

· technique: avec l'ignorance de la nature précise des ressources et des modalités idoines de récolte de celles-ci, avec l'inconstance et l'impéritie pour leur maintien et leur reconstitution que regroupent deux facteurs ci-après développés.

Le facteur temps, qui, faute d'être pris en compte, est à l'origine de nombreux échecs:

· la reconstitution des ressources issues de la forêt exige un pas de temps jugé excessif par la plupart des décideurs, des bénéficiaires et même des techniciens;

· le recul du temps nécessaire pour la recherche en vue de préciser les mécanismes évolutifs de la forêt fait cruellement défaut par essoufflement expérimental et aussi par carence d'appuis techniques et financiers soutenus; et

· la perception du temps est variable et incohérente en fonction des acteurs, de leur échelle de valeurs, des enjeux, des approches. Par exemple, l'impatience des décideurs et des bailleurs de fonds induit des raccourcis, des choix et des approximations, tous techniques, systématiquement préjudiciables au bon déroulement des projets (si ce n'est à leur bon démarrage) et par voie de conséquence, aboutissent à des résultats décevants ou trompeurs. La validité et la durabilité technique de l'entreprise forestière sont assujetties à la volatilité des opinions. Celles-ci sont soumises aux changements d'objectifs, d'abord par la loi du commerce international, et aussi du fait de la variabilité des priorités à court terme indifférentes à l'expérience acquise et aux choix de durabilité.

Le facteur diversité des écosystèmes forestiers qui est source d'enjeux disparates et antagonistes, et qui alourdit les difficultés d'étude, d'approche (etc.) du fait de leur complexité inhérente; ceci est facile à illustrer par:

· le conflit entre "conservateurs et développeurs" qui n'a pas lieu d'être, mais qui survit et sévit toujours;

· l'antinomie déconcertante entre la fragilité des forêts et leur rôle protecteur. La forêt génère des sols fragiles et relativement peu fertiles dont la dégradation rapide conduit au phénomène de latéritisation. Mais par ailleurs, cette même forêt, représente un des meilleurs modèles de réhabilitation de ces sols;

· les difficultés d'application de règles sylvicoles à des peuplements arborés de spécificité, de nature, de structure et d'évolution similaires mais non identiques à ceux dont elles sont issues. Cette extrapolation problématique de la sylviculture se combinant au défi que pose le changement d'échelle qui consiste à appliquer avec succès aux grands massifs, les techniques éprouvées au sein de forêts de taille modeste, accessibles, bien connues, parfaitement étudiées;

· les problèmes d'évaluation appropriée de la ressource qui exige un savoir-faire et un sens de l'opportunité exceptionnels, pour éviter les inventaires coûteux et/ou mal orientés, conduisant à mener la récolte à l'aveuglette (prélèvements hétérogènes, mal guidés, soit excessifs, soit incohérents/insuffisants, entraînant gâchis et dégâts inutiles), et aux problèmes récurrents: productivité imprécise, rotations inadéquates, planification approximative; et

· l'impossibilité de reconstituer à l'identique la nature, la structure, la composition et les fonctions de production d'une forêt primaire exploitée (même modérément) pour du bois d'_uvre. Par exemple, les forêts à méliacées commerciales d'Amérique (Swietenia, Cedrela), d'Afrique sèche ou humide (Khaya, Entandrophragma, Lovoa...), à Dipterocarpacées d'Asie (Shorea, Parashorea, Dipterocarpus, Dryobalanops, Vatica...) et bien d'autres types de formations arborées, telles que celles à Burseracées (Aucoumea, Dacryodes...) qui nous viennent de "la nuit des temps" et qui ne peuvent en aucune manière être reconstruites après perturbation même à très longue échéance (peuvent-elles être réellement conservées?).

5.2 Principes pour surmonter les obstacles


Concevoir et mettre en _uvre avec succès un aménagement forestier conduit à respecter des règles élémentaires. Beaucoup sont issues des enseignements tirés des multiples aménagements de forêts tentés sous les tropiques depuis plusieurs décennies. Ces règles permettent d'évoluer de modèles simples et rigides vers des modèles complexes plus proches des réalités.

Les modèles simples étaient Les modèles complexes sont aussi

5.2.1 Vers une gestion participative et une approche multidisciplinaire

Jusqu'à présent, l'approche utilisée pour l'aménagement durable des forêts était analytique et réductionniste, propre au champ technique. La durabilité doit être pensée globalement en intégrant les connaissances issues des différentes disciplines concernées. Le défi est de créer des approches multidisciplinaires opérationnelles tant au niveau de la conception que de la mise en _uvre. L'aménagement forestier participatif est une des évolutions récentes du produit vers le multi-usage. C'est une démarche globale qui prend en compte les étapes suivantes pour aboutir à des aménagements viables:

· Gérer les droits et les modes de propriété.

· Concilier les contraintes d'échelle: du local à l'international.

· Adapter les processus d'évolution aux acteurs.

· Utiliser des procédures économiquement viables pour tous.

· Communiquer, éduquer et accompagner les changements.

· Soutenir les modalités participatives.

5.2.2 Vers une production diversifiée

L'expérience passée nous a montré que si l'aménagement durable de la forêt ne vise que la production de bois, les autres biens et services que fournit la forêt sont compromis. Actuellement, il est reconnu qu'une gestion durable implique que l'on veille à entretenir les fonctions productives, protectrices et écologiques des écosystèmes forestiers. Parfois la production de bois pouvait être en conflit avec les autres fonctions de la forêt, surtout lorsqu'elle tendait à exclure les activités de ceux qui vivaient traditionnellement de la forêt. Les produits forestiers autres que le bois sont souvent considérés comme des produits secondaires de sorte que leur potentiel en valeur marchande ou pour l'autoconsommation (cueillette, pâturage, viande de gibier...) est souvent sous-estimé. Ces produits forestiers autres que le bois peuvent être la principale motivation incitant les populations locales à participer à l'aménagement forestier.

5.2.3 Vers une vision sur le long terme

L'arbre est une plante pérenne à croissance lente. La dynamique des formations forestières tropicales s'inscrit dans des échelles de temps variant de plusieurs décennies à plusieurs siècles. La durée des temps de réponse et l'inertie des écosystèmes forestiers oblige donc à inscrire nos réflexions et nos actions dans le long terme. Cette contrainte est antagoniste des options financières et économiques actuelles qui sont déterminantes dans les choix méthodologiques et techniques. Ceci entraîne aussi de très grandes difficultés méthodologiques et métrologiques en particulier pour l'évaluation des pratiques sylvicoles. Il ne s'agit plus d'évaluer seulement les effets mais aussi les conséquences qu'elles sont susceptibles d'entraîner à long terme sur d'autres objets ou systèmes (agronomique, climatique, hydrique.).

5.2.4 Une approche intégrée: du national au local

La prise en compte des changements écologiques globaux (effet de serre) s'inscrit dans un contexte planétaire. L'action à mener va du global au local. Pour être opérationnel au niveau local, un contexte favorable doit être aussi mis en place au niveau international et national.

L'environnement international. Les vingt-cinq dernières années ont vu l'émergence de la prise de conscience des problèmes d'environnement et de durabilité (voir Encadré 4).

Encadré 4: L'environnement international

1972

Conférence des Nations unies sur l'environnement. Stockholm. Création par l'UNESCO du MAB (L'Homme et la Biosphère).

1976

Création de l'OAB (Organisation Africaine des Bois).

1983

Création de l'OIBT (Organisation Internationale des Bois Tropicaux opérationnelle à partir de 1987).

1983

Démarrage des PAFT (Plan d'Action Forestier Tropical/ FAO) et plus tard des PNAE (Plans Nationaux d'Action Environnementale).

1987

Développement du concept de développement durable.

1992

Sommet de Rio (Sommet de la Terre): déclaration sur l'environnement et le développement durable, gestion des forêts... CDD (Commission du Développement Durable), Conventions sur la Biodiversité et le Changement climatique et la Désertification.

1997

FIF Forum Intergouvernemental sur les Forêts. Sommet de Kyoto: réduction des gaz à effet de serre, pollution, gestion de l'eau...

L'environnement national. C'est dans le cadre national que s'inscrit l'aménagement du territoire et par voie de conséquence, les choix d'affectation du domaine forestier permanent. Il est nécessaire d'avoir une juste appréciation de la ressource et de son évolution dans le temps. Les possibilités d'approvisionnement en différents produits qu'ils soient industriels, alimentaires, pharmaceutiques, artisanaux ou autres, doivent être évaluées avec suffisamment de précision. Des données de productivité des formations forestières sont à rechercher. Les capacités de production des outils industriels et des différents acteurs de la filière doivent être disponibles de même que la demande et les besoins internes et externes. Simultanément il est nécessaire de se préoccuper des possibilités d'évolution de l'environnement national. Il faut connaître les modalités d'adaptation de l'outil à la ressource et au marché.

Le choix d'une politique foncière est un préalable à l'action des aménagistes. Il faut souligner que ce choix est éminemment politique, il échappe souvent aux techniciens. C'est en fonction de choix d'options et de stratégies générales de développement que l'aménagiste pourra développer utilement son action technique. Le rôle de l'Etat devrait consister à fournir un environnement approprié en termes de politiques, de législation et de réglementations. Il devrait élaborer des méthodes de gestion simples et souples facilement utilisables par les collectivités locales.

L'environnement local. Le transfert des responsabilités aux communautés locales est un mode d'action généralement accepté. Deux approches complémentaires doivent être envisagées:

· l'approche patrimoniale, à dominante sociale, basée sur un sens aigu de la responsabilité et de la solidarité des générations entre elles que renforce un partenariat constant;et

· l'approche du terroir villageois, à dominante éco-géographique, dont les interventions se basent sur les infrastructures, les peuplements humains et la gestion dynamique des ressources naturelles.

C'est pour l'échelon local que sont conçus les plans d'aménagement ou de gestion. Il faut gérer durablement l'espace, la ressource et les outils en accord avec les acteurs.

L'espace. Il est nécessaire de situer correctement les forêts dans l'espace rural. Pour se faire, les étapes de cette démarche sont:

· Se concerter avec les populations.

· Définir les règles d'accès à la ressource.

· Clarifier les droits de propriété.

· Définir des modes de gestion participative.

La ressource. La ressource doit être renouvelée et entretenue qualitativement et quantitativement. Les précautions à prendre sont:

· Délimiter, surveiller et protéger les forêts et aires à conserver.

· Adapter le prélèvement à la production.

· Optimiser l'exploitation forestière en réduisant les dégâts.

· Promouvoir des reboisements villageois et industriels.

· Améliorer la productivité des forêts naturelles et artificielles.

L'outil. Les capacités de transformation (industrielles, artisanales...) doivent être adaptées pour augmenter le taux de transformation de la ressource. Il faut veiller en particulier à:

· Augmenter les rendements.

· Diversifier la gamme des espèces utilisées.

· Intégrer la transformation.

Les acteurs. Pour réaliser l'ensemble de ces adaptations et transformations, un effort doit être fait pour mobiliser et améliorer les compétences des différents acteurs: institutionnels, professionnels du bois, communautés villageoises, ONG. La coordination et les échanges entre ces différents acteurs doivent aussi être favorisés.

5.3 Les besoins de connaissance


Dans le domaine technique, si l'acquis est important, de nombreuses inconnues subsistent encore. Elles concernent plus particulièrement:

Les forêts naturelles

· La réalisation et la gestion de bases de données.

· Les relations entre les forêts tropicales et les grands cycles biogéochimiques (carbone, eau, ozone...) ainsi que le climat.

· Les modalités de fonctionnement des écosystèmes forestiers à différentes échelles de temps et d'espace.

· La connaissance, la quantification et la conservation de la biodiversité.

· L'étude de l'impact des exploitations forestières sur la biodiversité.

· La biologie des espèces forestières ainsi que les relations interspécifiques.

· La modélisation de la croissance des peuplements forestiers et des arbres.

· Les seuils maximum de prélèvement de la ressource permettant de maintenir la diversité génétique.

· Les modalités de la régénération naturelle par voie sexuée ou végétative des espèces exploitées.

· La gestion et la reconstitution du capital de produits forestiers non ligneux.

· Les modalités de replantation et de croissance des espèces exploitées.

· Les méthodes de restauration et d'amélioration des parcours pour les zones sèches.

Les plantations

· L'étude de nouvelles espèces et leur amélioration génétique.

· La production de matériel végétal.

· Les relations sol/croissance pour améliorer l'adéquation entre le site de reboisement et l'espèce plantée.

· Les modèles de production.

· Les études de peuplements en mélange.

· Les relations sylviculture/amélioration/technologie.

La conservation et l'amélioration de la biodiversité des écosystèmes forestiers

· Mise au point de procédures permettant d'identifier les priorités de la recherche et des espèces dans la conservation de la biodiversité.

· Classifications détaillées d'écosystèmes ou de types de végétation pour évaluer la représentativité du réseau d'aires protégées actuel et futur.

· Détermination de la taille effective des populations pour le choix d'espèces cibles.

· Amélioration des techniques in vitro d'emmagasinage du matériel génétique.

· Détermination de l'adaptabilité des espèces et des populations à l'évolution des conditions.

· Suivi et évaluation de l'érosion génétique.

· Détermination des mécanismes physiologiques et biochimiques d'adaptation au stress et aux maladies.

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