En Malaisie comme en Indonésie, les forêts ont été officiellement classées selon leurs utilisations. En Malaisie, le "Permanent Forest Estate" a distingué la forêt de protection, la forêt productive et la forêt d'aménité (patrimoine et biodiversité). En Indonésie, en plus de l'espace forestier permanent, des zones de conversion ont été prévues.
En fait, la distinction entre forêts de protection et forêts productives et entre espace forestier permanent et forêts de conversion est incertaine. Ceci était lié à l'ambiguïté du rôle de l'administration forestière (Département forestier en Malaisie et Ministère de la forêt en Indonésie) cumulant le rôle de protection avec celui de régulation de l'exploitation. Dès les années 70, le contrôle de l'ouverture des forêts à l'exploitation commerciale a échappé au contrôle de l'administration forestière, et l'objectif d'exploitation a pris la place de l'objectif de conservation.
Par exemple, en Indonésie, les concessions forestières sont accordées pour une durée de vingt ans (durée qui peut être allongée par la suite selon les progrès industriels). Pour exploiter, transporter et commercialiser du bois, les exploitants, en plus du devoir de suivre les règles de planification, de gestion, d'exploitation, de protection et de sécurité, doivent établir une industrie de transformation du bois. Ils doivent également construire une infrastructure de routes mais également de santé, d'éducation et de logements. Cette dernière obligation a été perçue comme un signe d'indépendance vis-à-vis de l'administration forestière et de ses règles d'exploitation. De plus, la dépendance des agents forestiers vis-à-vis des concessionnaires ne permet pas d'effectuer des contrôles efficaces.
A2.1.1 Intensité d'exploitation
Dans ces deux pays, les caractéristiques des peuplements permettent des prélèvements de bois d'_uvre très importants: 70 m3/ha, voire même 110 m3/ha, soit le tiers du volume du bois sur pied. L'exploitation ne peut donc être que menée avec soin au risque de tout détruire.
Théoriquement, l'octroi des concessions implique une planification précise à cinq ans (qui est rarement faite), ainsi que des plans annuels: inventaires, arbres à couper, pistes et aires de débardage, etc. Les inventaires sont réalisés par les exploitants, et dans les faits, ces planifications sont rarement bien réalisées et respectées. Un grave problème est que les pistes de débardage ne sont généralement pas relevées et cartographiées avant la coupe: les tractoristes cherchent pratiquement au hasard les arbres abattus et les transportent de la même manière hasardeuse sur les aires de stockage.
Au Sarawak, l'exploitation de la forêt primaire se fait à un rythme si intense qu'il semble incontestable de lui attribuer la principale responsabilité dans la déforestation ou la dégradation du couvert forestier.
En Indonésie, en dehors des feux de forêt, l'exploitation forestière entraînerait la destruction d'environ 10 % des surfaces exploitées annuellement, soit d'environ 100,000 ha/an.
A2.1.2 Systèmes d'exploitation
En Malaisie, c'est le "Selective Management system" (SMS) qui est en vigueur. Il s'agit d'une modalité de coupe qui compte maintenir qu'une partie du peuplement: les arbres commercialisables de taille intermédiaire (entre 30 et 50 cm selon les espèces) sont épargnés pour constituer la récolte du prochain cycle (environ 30 ans après). Si la parcelle exploitée ne compte pas au moins 32 arbres de taille intermédiaire, on doit appliquer le MUS.
Le Malaysian Uniform System (MUS) est basé sur une coupe à longue rotation (environ 55 ans). Le diamètre minimum de coupe est de 45 cm quelle que soit l'espèce. Au Sarawak, des cycles de 25 ans seraient en vigueur, mais la plupart des forêts exploitées sont des forêts primaires et peu de secondes coupes ont déjà eu lieu.
La différence avec le SMS réside aussi dans le fait que le MUS se concentre sur le dégagement des jeunes plants de valeur commerciale, en limitant l'importance des autres groupes d'espèces (dévitalisation sur pied des arbres indésirables de plus de 15 cm de diamètre, dégagement des "jeunes plants de valeur"). Le SMS ne demande pas d'opérations de sylviculture particulière, l'idée majeure étant de minimiser les dommages aux arbres intermédiaires durant la récolte.
Il s'agit d'un système économe, permettant des choix souples (possibilité de moduler les diamètres minima d'exploitabilité).
Mais il est possible de lui reprocher une sélection négative: les arbres de taille intermédiaire résiduels ont peut être perdu "la course de la sélection naturelle" et risquent de ne pas atteindre les tailles requises. Par ailleurs, au fur et à mesure que les ressources forestières s'amenuisent, la tentation est grande de pénétrer à nouveau en forêt pour couper les arbres intermédiaires épargnés par une première coupe, mais rapidement parvenus à maturité (ceux qui étaient légèrement en-deça du diamètre minimum lors de la coupe).
Les données techniques ne sont pas fiables, car pour atteindre la production escomptée de la forêt (2 m3/ha/an), il faudrait limiter les dégâts subis par le peuplement intermédiaire lors de la première coupe, ce qui est rarement le cas, le nombre d'arbres d'avenir fait souvent défaut et les ratios de productivité s'avèrent être très faibles. Le système exige de bonnes capacités de contrôle, mais les dysfonctionnements institutionnels ne permettent pas son application rigoureuse et sa durabilité a été remise en question.
Malgré ce qui précède, les opérations sylvicoles sont restées très limitées (application du M.U.S. faute d'arbres d'avenir en nombre suffisant) par rapport aux surfaces exploitées, moins de 1% au Sarawak et en Malaisie péninsulaire aucune sylviculture n'a été prescrite.
En Indonésie, le principal système d'exploitation est le TPTI (Indonesian Selective Cutting and planting) qui doit être utilisé pour les forêts mixtes de Dipterocarpacées ayant des conditions de densité suffisantes (25 arbres de 20 à 49 cm de diamètre par ha), et une densité suffisante (pour être rentable) d'arbres exploitables de 50 cm de diamètre et plus. D'autres systèmes sont prévus dans la loi, le "Clear cutting with replanting system" (avec des rotations de 70 ans) qui n'est plus utilisé.
Le TPTI est un système basé sur un cycle de coupe de 35 ans. La séquence des opérations est la suivante:
t-2/t-1 Inventaire.
Marquage des arbres à couper et des jeunes arbres (de 20 à 49 cm de diamètre)
Construction des routes et diverses infrastructures.
t Coupe sélective des arbres (de taille supérieure à 50 cm de diamètre).
t+1 Eclaircie.
Inventaire post coupe.
t+1/t+2 Plantation si nécessaire.
t+4 Eclaircie.
t+9/t+14/t+19 Sylviculture d'entretien de la régénération.
Ce système de coupe tel qu'il est décrit pourrait être viable à long terme, s'il ne surévaluait pas l'accroissement naturel. En considérant un accroissement de 0.6 cm par an (plus proche des conditions réelles que la valeur de 1 cm/an retenue par le TPTI), il faudrait que les jeunes arbres aient un diamètre d'au moins 29 cm pour atteindre le diamètre minimum commercialisable de 50 cm au bout de 35 ans.
De plus, le nombre de 25 jeunes arbres de 20 à 49 cm de diamètre est rarement atteint. Pour que le système soit viable à long terme, il faudrait que les arbres devant être exploités lors du troisième cycle fussent présents dès le premier cycle.
En plus de ces défauts intrinsèques, ce système exige un bon savoir-faire et une forte surveillance et il est rarement appliqué "à la lettre": marquage et inventaires négligés, coupes éparpillées, pas de contrôle de l'érosion, etc. (voir CIRAD-Forêt, 1993).
L'exploitation forestière représente plus de 50% des recettes de l'Etat du Sarawak. Le Gouvernement a alors entrepris des actions significatives pour assurer le maintien de ses ressources forestières. Durant les années 80, il a été mis en évidence que l'exploitation du domaine forestier permanent dépassait son niveau de production. Le Gouvernement du Sarawak demanda alors à l'OIBT d'envoyer une mission afin de déterminer l'utilisation durable et la conservation des forêts de l'Etat. Différentes actions ont été recommandées:
· Renforcer le Département des forêts afin d'améliorer les opérations d'exploitation et d'aménagement forestier.
· Réduire le taux d'exploitation à un niveau soutenable.
· Etendre la surface des forêts permanentes de l'Etat.
· Améliorer la protection des bassins versants.
Ces actions ont alors été adoptées par le Gouvernement et une série de projets a été élaborée par la suite. L'un d'entre eux était l'établissement d'une zone d'aménagement forestier modèle (ZAFM).
Les principaux objectifs du projet sont les suivants:
· La formation du personnel du Département forestier et des équipes des entreprises forestières pour tous les aspects liés à l'aménagement durable des forêts (élaboration, technique, suivi, contrôle, etc.).
· La recherche et Développement de systèmes sylvicoles et de techniques d'exploitation appropriés.
· La recherche en socio-économie de l'impact du secteur forestier sur les communautés locales.
· La démonstration d'un aménagement forestier durable en conditions réelles.
La première phase du projet (1993-1995) était une période de préparation: choix du site (162,000 hectares), estimation des ressources forestières végétales et animales, études sur l'accroissement et les rendements, la pédologie, l'hydrologie, la socio-économie, etc. Ce travail a ensuite permis la définition de la deuxième phase du projet, c'est à dire le plan de développement lui-même d'une durée de 10 ans (1996-2006).
La zone d'aménagement forestier modèle. Le plan de récolte décennal est basé sur des abattages sélectifs dans la zone de forêt naturelle. La collaboration entre le Département des forêts et les entreprises d'exploitation (au nombre de quatre) est fondamentale. Afin de parvenir à une exploitation durable, les travaux sont focalisés sur l'amélioration des techniques déjà employées, la collecte de données (pour la prévision du comportement forestier futur) et l'introduction de nouvelles techniques. Parmi ces dernières, il faut citer la vidéographie et la cartographie à partir d'aéronefs, le débusquage héliporté (qui réduit la construction de routes) et l'utilisation de l'informatique pour une bonne planification du réseau routier.
En dehors de la zone de coupes sélectives, 8,000 hectares de terres dégradées par des activités agricoles doivent être replantés ou enrichis avec le concours des collectivités locales.
Une partie de la zone d'aménagement forestier modèle a été désignée forêt de protection (4,000 ha de forêt vierge et prés de 600 ha de zones tampon). Des études sont menées dans cette zone afin de connaître les processus de la dynamique naturelle des forêts.
La formation. Le Département des forêts et l'Association du bois du Sarawak (STA) ont initié une série de formations concernant les techniques d'exploitation pour la main d'_uvre des entreprises forestières. Il est aussi prévu de créer un centre de formation dans la ville portuaire de Sibu pour la formation théorique de la main d'_uvre. Ce centre possédera en outre une pépinière et une banque de semences.
Les études de modélisation. Il s'agit d'établir des projections sur l'accroissement des forêts en fonction de différents régimes d'exploitation pour les cinquante années à venir à partir d'un inventaire continu des forêts. Ceci permettra l'élaboration de plans plus efficaces pour l'avenir. Pour aboutir à de tels résultats, des placettes ont été établies dans la plupart des forêts exploitées au cours des dix-huit dernières années, afin de suivre une trentaine de groupes d'essences.
Les données hydrologiques sont rassemblées dans des stations d'observation des précipitations. Des relevés hydrométriques sont aussi effectués afin de connaître les effets cumulés des pratiques d'aménagement sur l'ensemble du bassin versant et la réaction des réseaux hydrographiques à l'exploitation forestière (voir ITTO, 1996; et Andel et al, 1997).
A l'Est de l'état du Sarawak sur l'île de Bornéo, se trouvent des forêts de production de bois d'_uvre qui couvrent environ 60% de sa surface. Du fait de l'exploitation forestière, au cours des années 80, des problèmes de conservation de la biodiversité sont apparus. Le gouvernement malais a alors demandé à l'OIBT en 1989 d'évaluer les possibilités de conservation des forêts tropicales de cette région et de faire des recommandations pour les politiques et pratiques d'aménagement forestier futur. Une des recommandations émanant du rapport de mission était que le sanctuaire de Lanjak-Entimau (170,000 hectares) devait être prioritairement développé en tant qu'aire totalement protégée (cette zone, située au sud-ouest de Sarawak, est officiellement un sanctuaire de faune sauvage depuis 1983, réserve d'Orang-outans). Ainsi en 1992, une équipe d'experts a mené des inventaires concernant la faune, la flore, la géologie et la géographie de cette zone. Des enquêtes ont aussi été menées pour connaître les habitudes et les utilisations de la forêt par les populations locales.
Outre sa grande biodiversité animale et végétale, ce sanctuaire revêt une grande importance car elle se situe en bordure de Parc National de Bentuang Karinum (Kalimantan Ouest, Indonésie). Ils forment ensemble une des plus vastes réserves de biodiversité transfrontalière de forêt tropicale humide (plus d'un million d'hectares).
A2.3.2 Les différentes phases du projet
La première phase de ce projet (1993 et 1994) a consisté en des missions de terrain d'évaluation de la biodiversité par des équipes pluridisciplinaires. Plus de mille espèces ligneuses différentes ont été inventoriées, faisant de ce site l'un des plus riches étudié à Bornéo d'un point de vue floristique. L'abondance de bois précieux a permis d'identifier plusieurs zones comme banque de gènes et de graines pour l'avenir. Cent quarante espèces végétales sont utilisées en médecine traditionnelle et cent quatorze sont consommées comme fruits et légumes par les populations locales. Pour la faune sauvage, mille Orang-outans ont été inventoriés ainsi que vingt mille Gibbons. Les oiseaux sont aussi très abondants avec plus de deux cent espèces enregistrées, dont la moitié est endémique à Bornéo. Soixante dix-huit espèces de reptiles ont été inventoriées, certaines ont été décrites pour la première fois à cette occasion.
Les enquêtes sociales menées par l'équipe, quant à elles, ont porté sur l'utilisation des ressources forestières par les populations locales résidant en périphérie du Sanctuaire. Ce sont principalement la récolte de produits forestiers dans des zones désignées au sein du Sanctuaire et la chasse pour la viande en bordure de la zone (sangliers, cerfs). Soixante-dix pour-cent de la population interviewée a exprimé son adhésion au projet de conservation, moyennant une association au contrôle de l'accès à la réserve.
La deuxième phase, entamée en 1997, porte sur le développement scientifique et communautaire ainsi que celui des infrastructures au sein du Sanctuaire: station de recherche, gardes, etc. De nouveaux inventaires concernant la biodiversité doivent être entrepris sur l'ethnobotanique, la mycologie, les invertébrés, les poissons et les principales espèces de gibier. Un programme éducatif et de formation doit être entrepris pour les membres de l'équipe du "Sarawak Forest Departement" et les représentants des populations locales pour un développement durable des zones forestières. Un accent sera mis sur l'utilisation durable des ressources forestières des zones tampon en bordure du Sanctuaire. Il sera aussi développé les thèmes portant sur les banques de gènes pour les essences forestières économiquement importantes, la culture de produits forestiers non ligneux (rotin par exemple) et de plantes médicinales par les populations locales ainsi que l'utilisation durable des populations de poissons et de gibiers (voir Stuebing, 1997)