Entre 1945 et 1952, l'Europe a fait des efforts considérables pour retrouver le niveau de production, de consommation et de sécurité alimentaire de l'avant-guerre. L'Asie, considérée à juste titre comme la région la plus fragile, dans laquelle la population était terriblement exposée à la sous-alimentation chronique, n'y était pas encore parvenue au milieu des années 60. En 1960-1962, la famine en Chine a fait entre 23 et 30 millions de morts. En 1965 et 1966, l'Asie du Sud a évité de peu une famine. Plus de 75 pour cent des Asiatiques (90 pour cent de ceux qui sont sous-alimentés) sont tributaires de la production vivrière.
La période suivante a été caractérisée dans une grande partie du monde par une croissance rapide, la révolution verte, des réformes agraires et un recul de la pauvreté. La proportion de personnes souffrant de sous-alimentation chronique dans les pays en développement est tombée de 36 pour cent en 1970 à 20 pour cent en 1990. La proportion d'enfants de moins de cinq ans souffrant d'insuffisance pondérale dans le monde est tombée de 42 pour cent en 1975 à quelque 32 pour cent à la fin des années 90. Le recul de la sous-alimentation a été rapide en Asie de l'Est, assez rapide en Asie du Sud et en Amérique latine, mais négligeable en Afrique, et la situation s'est récemment aggravée dans l'ex-Union soviétique; dans ces deux dernières régions, le taux de mortalité est en hausse. De plus, à l'échelle mondiale, les progrès de la lutte contre la pauvreté et la sous-alimentation ont été plus lents en 1987-2000 qu'en 1970-1985, en raison d'un ralentissement de l'augmentation des rendements des cultures vivrières, de la redistribution des terres et, par conséquent, de la création d'emplois ruraux. Malgré les progrès antérieurs, dans les années 90, 20 pour cent des habitants des pays en développement avaient un apport calorique inférieur au minimum nécessaire pour le métabolisme, le travail et les autres fonctions. Il y a aujourd'hui dans le monde plus de 150 millions d'enfants de moins de cinq ans souffrant d'insuffisance pondérale et plus de 200 millions (plus d'un sur quatre) souffrant d'un retard de croissance. Ces facteurs paraissent être une des causes de la moitié environ des 12 millions de décès annuels d'enfants de moins de cinq ans.
Nonobstant le ralentissement des progrès dans la lutte contre la pauvreté et la sous-alimentation, le recul massif de l'insécurité alimentaire a été de plus en plus attribué aux gouvernements. À l'échelon national, le colonialisme a considérablement reculé à deux reprises, entre 1947 et 1965 et au début des années 90, si bien que dans la plupart des pays l'État est devenu officiellement responsable du bien-être de ses citoyens. Dans ces deux périodes, de nombreux pays (non seulement les ex-colonies) ont fait des progrès vers la démocratie. De plus, les populations se sont organisées de plus en plus efficacement en «sociétés civiles», phénomène qui s'est accompagné d'une expansion de l'alphabétisation, de l'information, de la communication et d'un accroissement de la capacité d'exercer des pressions sur les pouvoirs publics pour obtenir un accès satisfaisant à l'alimentation. À l'échelon international, la sécurité alimentaire a bénéficié d'évolutions parallèles des institutions et de la sensibilisation du public. Sur le plan des institutions, le processus a commencé lorsque la Conférence de Hot Springs de 1943 a dressé les plans de la FAO. Durant le reste du siècle, les organisations internationales ont obtenu un appui, notamment financier, des contribuables de presque tous les pays pour promouvoir les principaux éléments de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
À la Conférence de Hot Springs en 1943, où ont été jetées les bases de la FAO, les pays ont accepté la responsabilité de garantir la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
Le Fonds international de développement agricole (FIDA) a été un des premiers à mettre l'accent sur la pauvreté en tant que principale cause de l'insécurité alimentaire. Depuis 1973, la Banque mondiale se préoccupe de l'impact de ses actions sur la pauvreté; mais, depuis les années 80, elle s'est mise à donner la priorité aux stratégies de prêts aux pays. Dans un premier temps ces stratégies mettaient l'accent sur la stabilisation, mais, depuis 1990, elles visent de plus en plus à réduire la pauvreté. Le Président actuel, James Wolfensohn, demande qu'on juge la Banque en fonction de son action sur la pauvreté. Bien que le montant des prêts affectés directement à l'amélioration de la nutrition soit peu élevé (mais non négligeable), la démarche de la Banque part du postulat que la réduction de la pauvreté résultant de l'accroissement de la production agricole est la principale voie qui mène vers la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Toutefois, la proportion des prêts de la Banque (et du total de l'aide) affectée à l'agriculture est en diminution depuis le début des années 80.
Plusieurs conférences internationales, et en particulier la Conférence mondiale sur l'alimentation de 1974, ont précisé les enjeux mais ont aussi suscité des commentaires sarcastiques concernant leurs «résolutions sans résolution». Néanmoins, en 1996, le Sommet mondial pour le développement social de Copenhague (le Sommet social) et le Sommet mondial de l'alimentation de Rome ont adopté pour objectifs de réduire de moitié la pauvreté et la sous-alimentation à l'échelle mondiale pour l'an 2015 et l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a appuyé des mesures visant à faire en sorte que les objectifs soient spécifiés par pays, que les progrès soient évalués et qu'une aide soit affectée à la réalisation de ces objectifs.
Les objectifs de réduction de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire ne sont pas irréalistes. En Asie de l'Est, entre 1970 et 1985, ces deux fléaux ont reculé plus rapidement, ce qui est dû en partie à la transition démographique caractérisée par une forte chute du ratio enfants/adultes et une hausse du ratio travailleurs/personnes à charge (voir la section Populations et besoins: la transition démographique et la sécurité alimentaire, p. 205). Une transition démographique encore plus prononcée est maintenant engagée en Afrique et en Asie du Sud.
L'accroissement de la production alimentaire est nécessaire mais non suffisante pour améliorer la sécurité alimentaire - il faut aussi que les quantités attribuées à chacun augmentent.
Les enseignements de la période de l'après-guerre montrent que, pour que la sous-alimentation continue de reculer rapidement dans les pays d'Afrique et d'Asie à bas revenus dans lesquels elle est la plus grave, il faudra que l'augmentation annuelle des rendements des principales cultures vivrières - qui n'a pas dépassé 1 pour cent par an dans les pays en développement dans les années 90 comme dans la période 1950-1965 - retrouve le rythme de 3 pour cent obtenu dans les années 70 et que ces gains de rendement s'étendent aussi à certaines cultures vivrières négligées et aux terres relativement arides délaissées par la révolution verte, particulièrement en Afrique. Malheureusement, en termes réels, le financement de la recherche agricole publique dans les centres internationaux stagne depuis le milieu des années 80 et a diminué en Afrique et en Amérique latine.
En ce qui concerne les facteurs ayant une influence sur la sécurité alimentaire et la nutrition, on peut observer depuis 1945 plusieurs grandes tendances mondiales:
En partie pour cette raison, on se préoccupe de plus en plus de l'équilibre entre l'alimentation, l'état de santé, l'apport en nutriments et l'activité et de la qualité de l'alimentation, qui exige un apport équilibré de micronutriments et pas seulement des calories; de la santé (notamment de la bioabsorption et du biodétournement), du travail et du bien-être des enfants, et non seulement de l'apport alimentaire; et enfin de la suralimentation au même titre que de la sous-alimentation.
En raison des considérations ci-dessus, l'accroissement de la production vivrière, considéré comme un moyen de créer des emplois et d'accroître la consommation locale, est devenu un objectif moins prioritaire depuis le début des années 80. Cela est dû aussi à l'accroissement de la production et des rendements des cultures vivrières en Europe et en Asie; au déclin du prix réel des denrées essentielles; à des préoccupations écologiques; au fait qu'on tend à oublier que de nombreuses personnes pauvres ont besoin d'une production supplémentaire de denrées essentielles pour obtenir un accès à l'alimentation lié au travail; et au fait que l'exploitation de l'avantage comparatif et du commerce international est considérée comme un moyen de réduire la sous-alimentation par la création d'emplois essentiellement non agricoles.
L'augmentation des rendements des cultures vivrières, qui atteignait 3 pour cent par an dans les pays en développement durant les années 70, est retombée à 1 pour cent environ dans les années 90. Il sera d'autant plus nécessaire d'accroître les rendements et, par conséquent, de créer des emplois et d'améliorer l'accès à l'alimentation grâce à l'expansion de la production d'aliments de base dans les régions pauvres que la population active progressera de 2 à 2,5 pour cent par an dans la plupart des pays d'Asie et d'Afrique jusqu'en 2025.
Le rendement potentiel des cultures vivrières tropicales et sous-tropicales a progressé considérablement dans le cas du maïs durant les années 50 et, dans le cas du riz et du blé, durant les années 60, mais depuis le rythme s'est beaucoup ralenti. Dans la plupart des pays dans lesquels la malnutrition est généralisée, contrairement à ce que l'on croit en général, pour accroître rapidement la production d'aliments de base, il faut obtenir une augmentation du rythme de croissance du rendement potentiel. Si l'on veut réorienter la recherche de façon à ce qu'elle réponde aux besoins encore considérables de la lutte contre la malnutrition, il faut éviter de négliger l'action publique nationale et internationale au profit des forces du marché au moins dans un domaine essentiel, celui de la biotechnologie.
Ces considérations suggèrent trois thèmes:
i) L'opposition entre les approches «productivistes» et «distributives» de la sécurité alimentaire ou, en d'autres termes, entre l'insuffisance de la disponibilité alimentaire et celle de l'accès à l'alimentation en tant que cause de la famine et de la faim chronique est dépassée. Pour la plupart des personnes souffrant de sous-alimentation, le revenu additionnel du travail lié à la production des aliments de base locaux a été la clé de l'amélioration de l'accès à l'alimentation entre 1950 et 2000, comme nous le verrons plus loin. Il en restera de même entre 2000 et 2025, en raison de la croissance rapide et durable de la population active et de la nécessité de stabiliser le prix des denrées locales. La création d'emplois suppose, d'une part, un accroissement du rendement des cultures vivrières et, d'autre part, une amélioration de l'accès à la terre, au crédit et aux institutions. Le ralentissement des gains de rendement des cultures vivrières et de leur impact sur l'emploi depuis les années 70 pose de nouveaux problèmes. La révolution verte a montré qu'on pouvait résoudre ces problèmes d'une manière propice à l'amélioration de l'accès à l'alimentation et de la sécurité alimentaire des familles. Toutefois, jusqu'à présent les nouveaux outils prometteurs de la biotechnologie n'ont pas été exploités pour accroître les rendements des cultures vivrières des petits agriculteurs pauvres.
ii) On attache une importance accrue à la sécurité nutritionnelle (voir la section De l'adéquation de l'apport énergétique à la sécurité nutritionnelle, p. 203) en raison du progrès des connaissances, de l'apparition de nouveaux problèmes et de la prise en considération du fait que la nutrition englobe des aspects tels que la qualité et l'équilibre de l'alimentation, la sécurité des aliments et les activités physiques permettant de prévenir l'obésité.
iii) Il faut que les personnes et les organisations qui souhaitent améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle réagissent correctement à l'évolution du rôle de l'État par rapport au marché et de leur action commune à l'égard des groupes particulièrement exposés au risque nutritionnel qui sont plus faibles ou moins actifs sur le plan politique (populations rurales, populations isolées, enfants, femmes, minorités et réfugiés) et aux éventuelles discriminations dont ces groupes sont victimes. Les pouvoirs publics comme le marché ont un rôle essentiel à jouer pour faire en sorte que ces groupes obtiennent les revenus, l'accès à l'alimentation et l'information nécessaires pour assurer la sécurité nutritionnelle. De nombreux adversaires du libre-échange ou de la mondialisation craignent que ces phénomènes, en raison d'interactions perverses entre les États et les entreprises monopolistiques, ne contribuent en rien à améliorer la sécurité nutritionnelle de ces groupes exposés et risquent même d'y nuire. Toutefois, il existe beaucoup d'éléments tendant à montrer que de façon générale, même si la concurrence peut appauvrir encore certains groupes pauvres, les pays qui libéralisent leur marché sont ceux qui ont les meilleures chances d'accroître les revenus, ce qui tend à réduire plus rapidement la pauvreté.
Pour la plupart des pauvres du monde, la sécurité alimentaire c'est la garantie que les repas futurs apporteront suffisamment d'énergie. L'encadré 18 donne les différentes définitions de la sécurité alimentaire employées dans le texte.
Encadré 18 ADÉQUATION DE L'ALIMENTATION, SÉCURITÉ ALIMENTAIRE L'adéquation de l'apport alimentaire individuel (AAAI) est assurée à court terme si l'apport calorique répond aux besoins, lesquels varient en fonction de l'âge, de l'état de santé, du travail et de la stature des adultes, à moyen terme s'il n'y a pas de malnutrition protéino-calorique (MPC)1 aiguë (qui se traduit par une insuffisance pondérale des enfants en fonction de l'âge ou une insuffisance pondérale des adultes en fonction de la taille); et à long terme s'il n'y a pas de MPC chronique (retard de croissance des enfants de moins de cinq ans). Souvent, on considère qu'il y a retard de croissance ou insuffisance pondérale en fonction de l'âge ou de la stature lorsque ces indicateurs sont inférieurs de plus de deux écarts types à la médiane de la population des États-Unis. La sécurité alimentaire individuelle (SAI) est la possibilité d'avoir accès à une alimentation sûre et nourrissante suffisante pour mener une vie saine, accès qui doit être relativement garanti2. En d'autres termes, la SAI équivaut à un apport alimentaire individuel suffisant raisonnablement garanti. En l'absence d'une telle garantie, les gens ont un comportement excessivement prudent qui les empêche d'échapper à la faim chronique. La plupart des pauvres obtiennent 70 à 80 pour cent des calories dont ils ont besoin (et de la plupart des autres nutriments) par la consommation d'un ou deux des sept aliments de base consommés dans le monde, qui sont généralement les sources d'énergie et de la plupart des autres nutriments les moins chères. Pour les pauvres, l'accès à ces denrées essentielles est la clé de la SAI. La sécurité alimentaire des familles (SAF) est nécessaire pour assurer la SAI, mais n'est pas suffisante car la nourriture disponible n'est pas toujours répartie entre les membres de la famille proportionnellement à leurs besoins. La sécurité alimentaire nationale (SAN) correspond à la capacité du pays de garantir la SAF et la SAI sans renoncer à d'autres objectifs importants. Souvent, pour déterminer le niveau de SAN pour une année donnée, on se fonde: sur la disponibilité énergétique alimentaire (DEA) par personne, tenant compte de la répartition des aliments et des besoins entre les personnes et dans le temps; ou sur le ratio importations de produits alimentaires/exportations totales (mais il faut tenir compte de l'aide alimentaire); ou sur le niveau des stocks de denrées essentielles (stocks publics ou stocks susceptibles d'être mis en vente en cas de hausse des prix) rapporté à la consommation normale. 1La cause immédiate de la MPC paraît être l'insuffisance de l'apport calorique compte tenu des besoins et des maladies infectieuses. Bien que l'insuffisance de l'apport énergétique cause des dommages importants et fréquents, la plupart des nutritionnistes rejettent aujourd'hui l'idée ancienne que l'insuffisance de l'apport protéique (et plus encore l'insuffisance de l'apport de tel ou tel acide aminé) est un problème indépendant qui nécessite la fourniture d'une alimentation spéciale riche en protéines, de compléments alimentaires ou de variétés de céréales particulières. Il est rare qu'un problème de manque de protéines ne puisse pas être résolu simplement par l'accroissement de la consommation de calories. 2 FAO. 1996. La Sixième enquête mondiale sur l'alimentation. Rome |
Les 50 dernières années ont été caractérisées par une transformation démographique stupéfiante. La croissance démographique s'est accélérée entre 1940 et 1960 en Amérique latine et en Asie et 10 ans plus tard en Afrique. Elle a concerné essentiellement les enfants de moins de cinq ans, si bien que le ratio enfants/adultes a augmenté. Dix à 20 ans plus tard, ces enfants, lorsqu'ils ont survécu, arrivent sur le marché du travail et les parents, ne craignant désormais plus pour la survie de leurs enfants, ont commencé à réduire leur taux de fécondité. À mesure que la croissance démographique se ralentit, le ratio adultes/enfants, et donc la proportion d'épargnants et de travailleurs dans la population, commence à augmenter rapidement.
De même que la première phase de la transition démographique, caractérisée par une augmentation rapide de la population d'enfants, a eu un effet négatif sur la croissance économique, la distribution des revenus et, par conséquent, la réduction de la pauvreté et de la MPC, la phase suivante, lorsque les enfants atteignent l'âge de travailler et la fécondité diminue, a eu un effet positif. Ces effets sur la sécurité alimentaire sont considérables. Les effets directs sont dus au fait que les familles moins nombreuses sont généralement moins pauvres et, pour un niveau de pauvreté donné, sont moins exposées à la MPC. De façon indirecte, l'augmentation du ratio adultes/enfants explique environ le tiers de l'accroissement des revenus réels par habitant en Asie de l'Est allant de 1965 à 1992. Dans plus de 50 pays en développement et en transition pour lesquels on dispose de données suffisantes sur la pauvreté, les effets de la réduction de la fécondité, par le biais de l'amélioration de la distribution des revenus, sur la réduction de la pauvreté, sont à peu près aussi importants que les effets résultant de l'accélération de la croissance1.
L'avantage démographique que représente l'accroissement du rapport travailleur-personne à charge pourrait aider l'Afrique subsaharienne et l'Asie du Sud à réduire l'insécurité alimentaire, comme autrefois l'Asie de l'Est.
Les deux bastions de la pauvreté dans le monde, l'Asie du Sud et l'Afrique subsaharienne, ont entamé leur transition démographique et, au cours des deux prochaines décennies, le ratio travailleurs et épargnants/personnes à charge augmentera très rapidement. Ainsi, au Kenya, selon la projection médiane de l'ONU, le ratio des adultes, qui sont les principaux travailleurs et épargnants, rapporté aux enfants de moins de 15 ans passera de 1,24 en 2000 à 1,87 en 2020. Cette évolution entraînera-t-elle, comme elle l'a fait en Asie de l'Est, une réduction rapide de la pauvreté et de la MPC en Afrique et en Asie du Sud? Pour cela, il faudrait que, comme en Asie de l'Est, il devienne intéressant pour les employeurs de créer des emplois nouveaux et mieux rémunérés permettant d'absorber une population active en expansion. En Asie de l'Est, cette évolution a résulté, dans un premier temps (du milieu des années 60 à la fin des années 80) d'une augmentation des rendements des cultures vivrières et des créations d'emplois liés à la révolution verte; les pays qui ont réussi à poursuivre la lutte contre la pauvreté et la malnutrition sont ensuite entrés dans une deuxième phase caractérisée par un accroissement de l'emploi urbain et rural non agricole.
La forte augmentation du ratio adultes/enfants et par conséquent du ratio travailleurs/personnes à charge et de l'épargne qui est imminente en Asie du Sud et en Afrique offre à ces régions une occasion exceptionnelle d'éliminer les poches de pauvreté et de MPC qui subsistent, comme l'Asie de l'Est a réussi à le faire. Le fait que l'intensification de l'agriculture au moyen de méthodes adaptées aux conditions locales peut permettre d'obtenir de tels résultats durables également dans une grande partie de l'Asie du Sud et de l'Afrique est démontré par le fait qu'elle a eu un tel effet en Asie de l'Est.
La pauvreté rurale au Honduras
La pauvreté n'est pas la - FAO/20729/A. PROTO |
La faim, et pas seulement la famine, touche principalement ceux dont l'accès à l'alimentation est insuffisant2. Comme l'a souligné Sen, la production vivrière reste importante car c'est d'elle que dépend pour l'essentiel l'accès à l'alimentation des pauvres, qu'il soit lié à l'agriculture à petite échelle ou à un emploi salarié. Toutefois, on s'attendrait à ce que l'amélioration de la sécurité alimentaire constatée dans l'après-guerre soit associée à un recul massif de la pauvreté. Dans l'ensemble, tel a bien été le cas. La pauvreté a reculé (et l'alimentation et la DEA ont progressé) modérément en Afrique subsaharienne, davantage en Amérique latine principalement entre 1965 et 1978, et en Asie principalement entre 1975 et 19903. La récente réapparition de la pauvreté dans les pays en transition est manifestement liée à l'aggravation de la malnutrition dans ces pays4. Néanmoins, de nombreuses familles pauvres ne souffrent pas de sous-alimentation en raison de l'importance considérable accordée au bien-être des enfants, du faible niveau des besoins en énergie ou d'autres adaptations du comportement. Pour des raisons opposées, de nombreuses familles, qui ne sont pas pauvres, souffrent quand même de sous-alimentation.
Toutefois, la pauvreté et sa principale cause immédiate, à savoir l'insuffisance du revenu retiré du travail salarié ou des activités indépendantes et par conséquent de l'accès à l'alimentation, expliquent en grande partie le risque de sous-alimentation collectif à long terme. Si l'on compare les différentes régions d'un pays et les différents pays, les écarts en matière de recul de la pauvreté sont en partie corrélés avec le recul de l'insuffisance de l'apport calorique et de la sous-alimentation anthropométrique. Par contre, la corrélation entre la réduction de la pauvreté et l'amélioration de la DEA est imparfaite:
Quoi qu'il en soit, ces différentes réserves n'infirment pas l'existence d'une forte corrélation entre la pauvreté et l'insécurité alimentaire et la MPC, qui s'exerce par le biais de l'insuffisance de la DEA.
L'autosuffisance en matière de produits de base n'est pas une indication de la sécurité alimentaire nationale.
Encadré 19 L'AUTOSUFFISANCE NATIONALE EN ALIMENTS DE BASE CONTRIBUE-T-ELLE L'autosuffisance nationale en aliments de base n'est pas nécessairement favorable à la sécurité alimentaire. L'Inde est parvenue à cette autosuffisance et cela n'empêche qu'il y subsiste une malnutrition massive: l'autosuffisance a été obtenue non seulement grâce au fait que la révolution verte a permis d'accroître les rendements et la production du riz et du blé, mais aussi grâce à la persistance d'une pauvreté importante, quoiqu'en déclin. C'est en partie parce que les pauvres ne peuvent pas acheter suffisamment d'aliments de base, c'est-à-dire à cause de l'insuffisance de la sécurité alimentaire des ménages, que la production vivrière est «suffisante». Lorsqu'ils se développent, de nombreux pays abandonnent progressivement la production vivrière pour exploiter leur avantage comparatif dans le secteur des cultures de rente ou dans la production industrielle, qui permettent d'exporter pour acheter davantage de nourriture. Si, comme c'est le cas en Malaisie, ces exportations accroissent le revenu salarié des pauvres, la diminution du taux d'autosuffisance peut améliorer la sécurité alimentaire des familles. En Amérique latine et dans les Caraïbes, les importations d'aliments de base ne représentaient que 0,9 pour cent du commerce mondial de ces produits en 1962-1970 et cette proportion est montée jusqu'à 5,7 pour cent en 1989-1997, parallèlement à de grands progrès en matière de nutrition. En revanche, l'évolution similaire observée durant la même période en Afrique subsaharienne (de 2,7 à 4,7 pour cent) ne s'est pas accompagnée de progrès comparables, car peu des pays concernés ont réussi à accroître notablement l'emploi dans les secteurs autres que la production vivrière et leurs exportations, et en conséquence la capacité du pays ou des particuliers d'acheter des aliments de base importés ne s'est guère améliorée. Dans le processus de développement, l'évolution du degré d'autosuffisance en aliments de base passe généralement par deux phases. Dans la première phase, les importations nettes de ces aliments diminuent, car la production nationale augmente et est absorbée par la population, dont l'état nutritionnel s'améliore en conséquence. Dans la deuxième phase, les importations nettes augmentent, car lorsque le pays atteint un stade de développement plus avancé, les travailleurs quittent l'agriculture et la consommation alimentaire évolue (à mesure que la population est mieux nourrie et moins pauvre) au profit des produits animaux, dont la production nécessite deux à six fois plus de céréales par 1 000 calories de consommation humaine, que la consommation directe de céréales ou de pain. En Extrême-Orient, le déficit vivrier (mesuré par la part du pays dans le commerce mondial des aliments de base) est tombé de 8,4 pour cent dans la première phase (1962-1970) à 4,7 pour cent en 1983-1988. Dans la deuxième phase, il est remonté jusqu'à 10,3 pour cent en 1995-1997. Durant les deux phases, la malnutrition protéino-calorique a beaucoup reculé. Dans ces conditions et compte tenu de l'avantage comparatif, il faut se demander si l'accroissement du taux d'autosuffisance pour les aliments de base est un moyen efficient d'améliorer la sécurité alimentaire des familles: dans les environnements agroécologiques appropriés; aux premiers stades du développement, durant lesquels la réduction de la pauvreté dépend essentiellement de la création d'emplois ruraux viables; et dans les pays ou les régions isolées qui sont très vulnérables ou dans lesquels le transport des produits alimentaires est coûteux? |
Pour accroître la sécurité alimentaire nationale (voir encadré 19), on peut chercher à accroître le taux d'autosuffisance pour les aliments de base, la capacité d'importation d'aliments de base ou les stocks. L'évolution du taux d'autosuffisance en produits alimentaires de base d'un pays ne reflète pas fidèlement l'évolution de la sécurité alimentaire, même si elle aide à en comprendre les causes:
On peut employer un autre indicateur de la sécurité alimentaire nationale, à savoir le ratio importations de produits alimentaires/exportations totales. Les pays dans lesquels ce ratio est faible peuvent surmonter sans trop de dommages des mauvaises récoltes ou une forte hausse du prix des aliments importés. Dans les années 1988 à 1990, il y avait 11 pays d'Afrique (dont l'Éthiopie, l'Égypte et le Mozambique) dans lesquels ce ratio était supérieur à 55 pour cent, niveau qui n'est atteint, parmi les pays en développement non africains, qu'en Haïti, à Samoa et au Yémen. Le tableau 10 ci-après indique un ratio encore plus pertinent, celui des importations nettes d'aliments de base rapportées aux exportations de produits non vivriers, pour quelques grands pays.
Tableau 10 | |||||
DÉFICITS VIVRIERS | |||||
1961-63 |
1965-67 |
1975-77 (millions de $EU) |
1985-87 |
1995-97 | |
Brésil |
168,5 |
138,7 |
310,0 |
770,2 |
1 933,1 |
Chine |
330,3 |
245,9 |
260,4 |
360,9 |
1 601,4 |
Inde |
367,0 |
797,7 |
1 019,3 |
-175,3 |
-1 162,9 |
Indonésie |
123,3 |
68,3 |
555,0 |
258,6 |
1 609,7 |
Kenya |
-1,0 |
-1,3 |
-4,9 |
+17,1 |
112,4 |
Mexique |
19,6 |
74,6 |
329,4 |
434,0 |
1 397,2 |
Nigéria |
18,6 |
21,0 |
296,5 |
378,5 |
422,0 |
Soudan |
10,4 |
9,6 |
10,7 |
1 308,3 |
1 092,0 |
Ex-URSS |
-378,3 |
69,3 |
2 138,0 |
3 612,0 |
1 906,7* |
*1995 seulement |
Ce ratio donne une meilleure indication de la sécurité alimentaire nationale que le taux d'autosuffisance. Il confirme la précarité de la situation alimentaire en Chine au début des années 60, en Inde en 1965 et 1966 lorsque les revenus salariaux des paysans sans terre ont brutalement diminué en raison d'une succession de moussons catastrophiques, et au Soudan durant la guerre civile. Toutefois, il faut l'employer avec précaution. Le recul des importations nettes d'aliments de base peut être dû non seulement à une augmentation de la production nationale, mais aussi à une paupérisation de la population. L'augmentation des exportations non vivrières (comme les exportations de pétrole du Nigéria, de l'ex-URSS et de l'Indonésie) contribue parfois beaucoup moins qu'on ne pourrait s'y attendre à l'amélioration de l'offre vivrière par le biais de l'importation. Le ratio stocks publics/consommation normale donne des indications sur la sécurité alimentaire nationale. Ces stocks permettent, dans les années de pénurie, de mettre sur le marché une quantité importante de produits vivriers, ce qui aide les pauvres en freinant la hausse des prix. En outre, ils encouragent les négociants à vendre leurs stocks plutôt que de pratiquer l'accaparement lorsque les prix commencent à augmenter; au Bangladesh, le fait qu'il y a eu une famine en 1974 et qu'il n'y en a pas eu en 1984 s'explique probablement par le fait que dans un cas les pouvoirs publics avaient les moyens de mettre des stocks sur le marché et pas dans l'autre6.
Pour les Première et Deuxième enquêtes mondiales sur l'alimentation7, la FAO avait mesuré la sous-alimentation potentielle en comparant la disponibilité énergétique alimentaire (DEA) moyenne par personne et par jour, à l'échelon national et régional aux besoins moyens. Depuis la Troisième enquête et surtout depuis la Quatrième, elle a aussi tenu compte de la distribution des produits alimentaires disponibles. L'estimation de la disponibilité dépend souvent de données peu fiables sur la production et l'estimation des besoins est controversée. Toutefois, les tendances de fonds et les inflexions majeures de la DEA sont généralement significatives et, comme nous le verrons plus tard, sont nettement corrélées avec la MPC et, par conséquent, la sécurité alimentaire des familles. Le tableau 11, p. 212, récapitule les données relatives à la DEA sur une longue période.
Tableau 11 | ||||||
DEA PAR HABITANT DANS CERTAINES RÉGIONS ET PAYS, 1934-1997 | ||||||
1934-381 |
1946-492 |
1961-63 |
1976-78 |
1988-90 |
1995-97 | |
(kcal/jour) |
||||||
Afrique |
2100 |
2220 |
2320 |
2415 | ||
Subsaharienne |
2040 |
2060 |
2080 |
2190 | ||
Centrale3 |
2060 |
2080 |
2150 |
2150 |
2050 |
2080 |
Orientale |
1980 |
2040 |
1960 |
2010 | ||
Occidentale |
2090 |
2030 |
2200 |
2400 | ||
Ghana |
2020 |
2020 |
2090 |
2620 | ||
Ouganda |
2100 |
2240 |
2250 |
2170 |
||
Kenya |
22304 |
- |
2130 |
2260 |
1950 |
1980 |
Mozambique |
1950 |
1950 |
1830 |
1780 | ||
Nigéria |
2160 |
1970 |
2190 |
2750 | ||
Asie |
1920 |
2170 |
2520 |
2660 | ||
Asie du Sud |
1970 |
1770 |
2020 |
2040 |
2270 |
2350 |
Bangladesh |
2090 |
2040 |
2050 |
2080 | ||
Cambodge |
18505 |
1560 |
2020 |
1620 |
1920 |
2050 |
Chine |
2230 |
2030 |
1710 |
2120 |
2640 |
2840 |
Inde |
19706 |
1700 |
2040 |
2040 |
2290 |
2470 |
Amérique latine et Caraïbes |
2340 |
2600 |
2710 |
2770 | ||
Amérique centrale |
2390 |
2720 |
2910 |
2924 | ||
Amérique du Sud |
2350 |
2570 |
2650 |
2790 | ||
Brésil |
2150 |
2340 |
2250 |
2550 |
2760 |
2930 |
Mexique |
1800 |
2050 |
2530 |
2880 |
3080 |
3110 |
Pérou |
1860 |
1920 |
2170 |
2120 |
2120 |
2360 |
Pays en transition |
3150 |
3410 |
3380 |
2780 | ||
Europe de l'Est |
3160 |
3470 |
3420 |
2950 |
||
Pays en développement |
1960 |
2200 |
2490 |
2627 | ||
Pays développés |
2970 |
3190 |
3300 |
3220 | ||
1 1931-1937 pour la Chine; 1935-1939 pour le Brésil. |
Avant 1939, sur des territoires habités par plus de la moitié de la population mondiale, la disponibilité alimentaire au niveau du commerce de détail était inférieure à 2 250 calories par habitant et par jour. Dans de nombreux grands pays, la disponibilité énergétique totale moyenne était d'environ 2 000 calories ou moins8. L'Europe a rapidement réussi à surmonter les pénuries de l'après-guerre, mais la proportion de la population mondiale vivant dans des pays dans lesquels la DEA était inférieure à 2 200 calories par jour est passée d'environ 40 pour cent juste avant la guerre à quelque 60 pour cent à la fin des années 40. Dans la plupart des pays d'Extrême-Orient, où vit près de la moitié de la population mondiale, la DEA a diminué de 10 pour cent environ. Dans les années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, elle était inférieure de 24 pour cent aux besoins en Inde, de 21 pour cent dans l'Afrique du Nord occupée par la France et de 18 pour cent au Mexique9.
Les chiffres du tableau 11 ci-dessus montrent qu'en Chine, en Inde et au Kenya, même en 1976-1978, la DEA n'avait pas retrouvé le niveau atteint en 1934-1938, lui-même insuffisant; par contre, la situation s'était beaucoup améliorée en Amérique latine. La série des moyennes triennales confirme que la période de 1976-1978 a marqué un tournant. En Inde, en Chine et dans quelques autres pays d'Asie, la DEA qui n'avait jusque-là guère évolué s'est rapidement accrue. En Afrique centrale et en Afrique de l'Est, la stagnation a été suivie d'une détérioration durable. En Afrique de l'Ouest, il est intéressant de constater qu'il n'y a pas eu de variation notable entre 1961-1963 (2 090 kcal) et 1982-1984 (1 990 kcal) mais qu'ensuite la DEA a régulièrement progressé jusqu'à atteindre 2 400 kcal en 1995-1997.
Encadré 20 | |||||||||
SOUS-ALIMENTATION CALORIQUE ET ANTHROPOMÉTRIQUE, PAR RÉGION | |||||||||
Région |
Années |
Population sous-alimentée | |||||||
Calorique1 |
Statut anthropométrique des enfants de moins de cinq ans | ||||||||
Population dont le MB est inférieur à 1,54 Millions (%) |
Dépérissement2 Millions (%) |
Retard de croissance2 Millions (%) |
Insuffisance pondérale3 Millions (%) | ||||||
ENSEMBLE DES PAYS EN |
1969-71 |
918 |
35 |
||||||
1979-81 |
906 |
28 |
164,0 |
37,8 | |||||
1990-92 |
841 |
20 |
47,9 |
9,1 |
215,2 |
40,7 |
183,5 |
34,3 | |
Asie de l'Est et du Sud-Est4 |
1969-71 |
476 |
41 |
||||||
1979-81 |
379 |
27 |
22,8 |
39,1 | |||||
1990-92 |
269 |
16 |
9,4 |
5,2 |
59,8 |
33,3 |
19,9 |
31,3 | |
- Chine |
1980 |
20,5 |
23,8 | ||||||
1990 |
23,6 |
21,8 | |||||||
Asie du Sud |
1969-71 |
238 |
33 |
||||||
1979-81 |
303 |
34 |
89,9 |
63,7 | |||||
1990-92 |
255 |
22 |
26,6 |
17,1 |
92,7 |
59,5 |
101,2 |
58,5 | |
Afrique subsaharienne |
1969-71 |
103 |
38 |
||||||
1979-81 |
148 |
41 |
19,9 |
28,9 | |||||
1990-92 |
215 |
43 |
6,1 |
7 |
33,7 |
38,8 |
28,2 |
29,9 | |
Afrique du Nord et Proche-Orient |
1969-71 |
48 |
27 |
||||||
1979-81 |
27 |
12 |
17,2 | ||||||
1990-92 |
37 |
12 |
4,4 |
8,8 |
16 |
32,4 |
6,8 |
13,4 | |
Amérique latine et Caraïbes |
1969-71 |
53 |
19 |
||||||
1979-81 |
48 |
14 |
|||||||
1990-92 |
64 |
15 |
1,5 |
2,6 |
12,7 |
22,7 |
11,7 |
20,4 | |
- Amérique centrale/Caraïbes |
1980 |
3,1 |
17,7 | ||||||
1990 |
3,0 |
15,4 | |||||||
- Amérique du Sud |
1980 |
3,1 |
9,3 | ||||||
1990 |
2,8 |
7,7 | |||||||
Sources: |
La DEA par personne a augmenté d'environ 20 pour cent à ce jour par rapport au milieu des années 70 en Afrique de l'Ouest et en Asie et d'environ 7 pour cent en Amérique latine (mais la situation initiale y était bien meilleure). Durant la même période, elle semble avoir diminué d'environ 2 à 3 pour cent en Afrique de l'Est et en Afrique centrale, à partir d'un niveau déjà insuffisant. Le fait qu'une amélioration du potentiel de réduction de la sous-alimentation (amélioration de la DEA journalière moyenne calculée sur la base du bilan alimentaire) se traduit par une réduction effective de la proportion de personnes sous-alimentées peut être montré de deux façons:
i) Quelques longues séries de données d'enquête ventilées et relativement fiables mesurent la consommation calorique journalière sur l'ensemble de l'année par «équivalent consommateur». En Inde, cet apport calorique est passé de 2 061 en 1967 à 2 283 en 1989, mais il a surtout augmenté plus rapidement parmi les travailleurs agricoles (qui sont le groupe le plus pauvre) et les enfants de moins de cinq ans (ceux qui sont les plus exposés aux risques découlant de l'insuffisance de la DEA)10.
ii) L'encadré 20 récapitule des données régionales recueillies par la FAO qui permettent d'estimer dans quelle mesure la réduction de la sous-alimentation potentielle (mesurée en termes de DEA journalière moyenne) entre 1969-1971 et 1990-1992 s'est traduite par une réduction de la sous-alimentation effective: le nombre (pourcentage) de personnes dont le métabolisme basal (MB) était inférieur à 1,54 est tombé de 920 millions (35 pour cent) en 1969-1971 à 840 millions (20 pour cent) en 1990-1992. L'amélioration a été particulièrement prononcée en Asie de l'Est et du Sud-Est (de 41 à 16 pour cent). Elle a été importante dans les autres régions en développement sauf en Afrique subsaharienne où la proportion est passée de 38 à 43 pour cent, mais les progrès observés en ce qui concerne la DEA moyenne en Afrique de l'Ouest signifient que cette dégradation a peut-être été en partie compensée depuis 1992 (tableau 11, p. 212). Le déficit calorique proportionnel des personnes sous-alimentées a aussi diminué, sauf en Afrique. Par conséquent, on constate que la répartition régionale des améliorations de la DEA moyenne, c'est-à-dire du recul de la sous-alimentation potentielle, est étroitement corrélée avec celle du recul de la sous-alimentation effective - c'est-à-dire la proportion de la population dont l'apport calorique moyen correspond à un MB inférieur à 1,54 - telle qu'elle a été estimée dans La Sixième enquête mondiale sur l'alimentation. Il y a aussi une étroite corrélation avec l'évolution de la MPC. L'amélioration de la DEA et le recul de la MPC ont été particulièrement rapides en Asie de l'Est et du Sud-Est; assez rapides au Proche-Orient et en Afrique du Nord, en Amérique latine dans les années 70 et en Asie du Sud dans les années 80; et nuls en Afrique subsaharienne. Il y a eu des progrès considérables pour certaines populations: en Chine, la DEA a augmenté de plus de 60 pour cent entre 1961-1963 et 1994-1996 et, en République de Corée, le progrès a été encore plus rapide si bien qu'aujourd'hui l'obésité est une menace plus grave que la MPC. Toutefois, même si l'évolution de la MPC et de la DEA est à peu près du même ordre, les niveaux enregistrés à l'échelle des continents font apparaître des disparités en matière de SAF. Ces données (voir tableau 11) tendent à indiquer que la sous-alimentation est beaucoup plus grave en Afrique subsaharienne qu'en Asie du Sud, mais que la proportion de personnes souffrant de retards de croissance, qui est un indicateur assez fiable, y est beaucoup moins grande (encadré 20).
L'accroissement des disponibilités alimentaires se traduit par une réduction de la sous-alimentation.
Selon certains observateurs, le manque de fiabilité connu des estimations de la production alimentaire nationale pour la plupart des pays d'Afrique entraîne une sous-estimation considérable de la DEA moyenne sur ce continent. Quoi qu'il en soit, au niveau des pays et des régions, les indicateurs anthropométriques et la DEA évoluent généralement dans le même sens (encadré 20).
L'accroissement considérable de la DEA et, comme nous le verrons plus loin, de la MPC à l'échelle mondiale ne doit pas inciter à un optimisme excessif en ce qui concerne la sécurité alimentaire. Plus de 800 millions de personnes sont encore gravement sous-alimentées en termes de DEA. En Afrique, il n'y a eu aucune amélioration séculaire et dans les pays en transition la DEA réelle pourrait être en recul. Surtout, malgré des signes encourageants dans les pays les plus touchés par l'insuffisance de la DEA et par la MPC - transition démographique en Afrique et accélération de la croissance en Asie du Sud - il se peut que les conditions d'une amélioration continue de l'accès à l'alimentation, à savoir la croissance de l'emploi et l'augmentation du rendement des cultures vivrières, se détériorent.
Tableau 12 | |||||||||
ÉVOLUTION DE LA MPC DANS LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT: ENFANTS DE MOINS DE CINQ ANS POUR LESQUELS LES INDICATEURS SONT INFÉRIEURS À DEUX ÉCARTS TYPES EN DESSOUS DE LA MÉDIANE DES ÉTATS-UNIS | |||||||||
Région (Nations Unies) |
Retard de croissance |
Insuffisance pondérale |
Émaciation | ||||||
1980 |
1990 |
1995 |
2000 |
1980 |
1990 |
1995 |
2000 |
1995 | |
Afrique Orientale Du Nord Occidentale |
40,5 46,5 32,7 36,2 |
37,8 47,3 26,5 35,5 |
36,5 47,7 23,3 35,2 |
35,2 48,1 20,2 34,9 |
26,2 24,9 17,5 30,1 |
27,3 30,4 15,6 33,3 |
27,9 33,2 14,8 34,9 |
28,5 35,9 14,0 36,5 |
9,6 7,0 7,2 15,6 |
Asie Méridionale-centrale Sud-orientale |
52,2 60,8 52,4 |
43,3 52,2 42,6 |
38,8 48,0 37,7 |
34,4 43,7 32,8 |
43,9 58,1 43,5 |
36,5 50,9 39,9 |
32,8 47,3 32,6 |
29,0 43,6 28,9 |
10,4 15,4 10,4 |
Amérique latine et Caraïbes Caraïbes Amérique centrale Amérique du sud |
25,6 27,1 26,1 25,1 |
19,1 21,7 25,0 17,2 |
15,8 19,0 24,5 13,2 |
12,6 16,3 24,0 9,3 |
14,2 22,9 15,1 13,2 |
10,2 17,2 15,2 8,2 |
8,3 14,4 15,3 5,7 |
6,3 11,5 15,4 3,2 |
2,9 n,a, 4,9 1,8 |
PAYS EN |
47,1 |
39,8 |
36,0 |
32,5 |
37,4 |
32,1 |
29,2 |
26,7 |
9,4 |
Sources: CAC/SCN. 2000. Fourth Report on the World Nutrition Situation. Genève; et WHO Global Database on child Growth, 1990. |
L'incidence de la MPC chez les enfants, mesurée d'après le poids en fonction de la taille, la taille en fonction de l'âge ou le poids en fonction de l'âge, est scandaleusement élevée, bien qu'elle tende à diminuer. En 1995, quelque 36 pour cent des enfants de moins de cinq ans des pays en développement (197 millions d'enfants) présentaient un retard de croissance, 29 pour cent une insuffisance pondérale en fonction de l'âge et 9 pour cent une insuffisance pondérale en fonction de la taille, symptômes qui, dans les pays riches, conduisent généralement à une hospitalisation. On considère que la MPC est associée au décès d'environ 6 millions d'enfants par an et à la persistance jusqu'à l'âge adulte d'une arriération mentale, d'une capacité de travail physique réduite et d'une réponse immunitaire insuffisante pour des millions d'autres.
Le manque de fiabilité des estimations est moins problématique lorsqu'on cherche à déterminer l'évolution de la MPC que lorsqu'on cherche à établir son niveau. Le tableau 12 fait apparaître une amélioration lente mais régulière des indicateurs de MPC et, par conséquent, de l'adéquation de l'apport alimentaire individuel, dans les régions autres que l'Afrique subsaharienne. Cette évolution est confirmée par des enquêtes nationales portant sur les retards de croissance des enfants de moins de cinq ans sur la période 1980-199511 et de l'insuffisance pondérale sur la période 1976-199512. Si l'on pouvait comparer toutes les périodes de 50 ans de l'histoire de l'humanité, la période 1950-2000 serait presque certainement celle durant laquelle l'amélioration de l'état nutritionnel a été la plus rapide et la plus généralisée.
Insécurité
alimentaire résultant des catastrophes - FAO/11231/Y. MULLER |
Au-delà de l'insuffisance de l'apport calorique «normal», les personnes vulnérables sont exposées à des périodes de détérioration brutale - mauvaises saisons ou mauvaises années. L'amélioration de la DEA moyenne réduit l'insécurité alimentaire liée à ces périodes néfastes, de même que l'intégration du marché des produits alimentaires et les mesures publiques visant à réduire l'instabilité de l'apport nutritionnel et du prix des produits alimentaires. C'est pourquoi les famines sont devenues beaucoup plus rares depuis 1945; depuis 1963 elles sont presque inexistantes en Asie alors qu'elles se sont multipliées en Afrique; depuis les années 70, la plupart des famines sont dues à des situations de guerre, de guerre civile ou d'anarchie. Une des raisons du recul et du déplacement géographique des famines est à rechercher dans les progrès du pluralisme et de l'ouverture politiques; à l'ère de la communication instantanée et notamment de la télévision, il est presque impossible que la famine (par opposition à la sous-alimentation chronique parfois mortelle) persiste dans une société ouverte et démocratique13. Depuis la grande catastrophe qui a touché la Chine en 1959-1961, il n'y a quasiment pas eu de famines faisant plus de 500 000 morts en Asie, alors que de tels événements étaient assez fréquents autrefois. La plus grave famine asiatique depuis cette date, celle qui a touché le Bangladesh en 1974-1975, a fait moins d'un demi-million de morts. L'Afrique subsaharienne est la région qui a payé le plus lourd tribut à la famine, mais le nombre de morts n'a approché le million qu'en Éthiopie en 1984-198514. À l'échelle mondiale, la mortalité due à la famine ou à la sécheresse a beaucoup fluctué; ainsi, pendant la période 1982-1986, il y a eu une accumulation de guerres ou de troubles civils dans plusieurs pays frappés par la sécheresse (tableau 13). Depuis le milieu des années 60, la MPC chronique, dont sont actuellement victimes quelque 800 millions de personnes et qui tue 6 millions d'enfants de moins de cinq ans chaque année, a fait beaucoup plus de morts que les famines.
Tableau 13 | |||
SÉCHERESSES ET FAMINES, 1972-1996 | |||
Année |
Nombre moyen de personnes tuées par la famine et la sécheresse |
Nombre moyen de personnes affectées |
Nombre moyen de sans-abri |
(Milliers) |
|||
1972-76 1977-81 1982-86 1987-91 1992-96 |
254 0 112 2 0,5 |
43563 52123 103247 75852 21480 |
0 0 100 10 0 |
Source: Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. 1998; World Disasters Report. Oxford University Press, Oxford, Royaume-Uni. |
Le nombre de cas de dégradation saisonnière grave de la nutrition a aussi presque certainement diminué, mais on dispose d'un très grand nombre d'éléments montrant que ce phénomène cause des dommages considérables. Dans les régions où on observe des fluctuations saisonnières, la population s'adapte de façon à réduire le stress, tant dans son comportement (stockage ou emprunt) que sur le plan biologique (tendance à accumuler et à perdre de la graisse plutôt que du muscle)15. Toutefois, certaines mauvaises saisons sont pires que la moyenne ou font suite à de mauvaises récoltes ou à des périodes de récession économique et les pauvres, en particulier s'ils souffrent d'une insuffisance de la DEA moyenne et, par conséquent, d'un sous-développement physique, sont plus exposés au stress saisonnier et ont plus de mal à y faire face. Les facteurs humains ont une influence considérable: en 1994, quelque 370 millions d'Asiatiques ruraux vivaient dans des zones dans lesquelles ils étaient exposés aux effets nutritionnels de fortes variations saisonnières des récoltes, alors que ce n'était le cas que pour 33 millions d'Africains. Toutefois, comme en Asie l'irrigation est beaucoup plus développée et l'accès à l'alimentation est meilleur, il est probable que le déficit nutritionnel saisonnier touche davantage d'Africains que d'Asiatiques.
Trois catégories de personnes sont particulièrement exposées aux fluctuations saisonnières de la disponibilité alimentaire. Le taux de mortinatalité augmente si la disette se produit durant le deuxième trimestre de la grossesse et le taux de mortalité augmente en cas de sous-alimentation des enfants âgés de six à 12 mois, c'est-à-dire la période où ils perdent leur immunité passive avant qu'elle ne soit remplacée entièrement par l'immunité active16. En outre, les enfants nés en période de disette sont exposés à un risque de mortalité considérablement accru à l'âge adulte. En Gambie, on a étudié les chances de survie de plus de 3 000 enfants nés en différentes saisons sur plus de 50 ans, ce qui a montré que le taux de mortalité était beaucoup plus élevé chez les adultes nés durant la saison creuse. Les maladies infectieuses et leurs effets secondaires étaient la principale cause de ces décès additionnels, ce qui donne à penser que la sous-alimentation dans le très jeune âge entraîne une fragilité permanente du système immunitaire17.
La sous-alimentation saisonnière a des conséquences durables sur la santé physique et économique.
L'insécurité alimentaire et nutritionnelle des populations rurales ou isolées, des femmes, des réfugiés et des personnes déplacées ainsi que celle des minorités ethniques et des enfants18 aggravent les autres facteurs de vulnérabilité de trois manières.
Les handicaps ci-après se rencontrent généralement plus souvent associés les uns aux autres: éloignement géographique, ruralité, discrimination à l'égard des femmes, manque d'écoles, mauvais assainissement, absence ou éloignement des soins de santé, pauvreté, travail lourd avec des pointes saisonnières même pendant les périodes de grossesse et faible consommation de calories par personne20.
La consommation moyenne de calories est généralement un peu plus élevée dans les campagnes que dans les villes, mais pas parmi les plus pauvres. Dans les campagnes de l'Inde, le décile le plus pauvre de la population ne consommait que 1 212 kcal par personne et par jour en 1972-1973 (malgré le fait que l'alimentation représentait 82 pour cent de ses dépenses de consommation), contre 1 316 (79 pour cent) dans les villes, ce qui reste très insuffisant. Dans les zones rurales, le travail est généralement plus dur et les infections plus fréquentes et les femmes ont davantage de grossesses que dans les villes, en particulier dans les familles qui dépendent d'un travail salarié, si bien que les besoins alimentaires sont accrus. Comme l'insuffisance relative de l'alimentation est plus grave dans les campagnes que dans les villes, l'insuffisance pondérale et les retards de croissance y sont généralement 1,5 fois plus fréquents21.
Depuis 1980 environ, en raison de la réaffectation des zones agricoles et de l'exode rural, la proportion de personnes souffrant de MPC vivant dans les villes a augmenté, de même que, en général, le nombre absolu d'habitants des villes souffrant de MPC. Toutefois, l'incidence de la sous-alimentation, déjà plus grande dans les campagnes, a eu tendance à s'aggraver encore par rapport à celle observée dans les villes. Le rapport entre l'incidence rurale et l'incidence urbaine de l'insuffisance pondérale, des retards de croissance, de la pauvreté et des décès précoces a eu tendance à augmenter, sauf en Afrique où les disparités étaient déjà les plus grandes au départ. Les 60 pour cent de la population mondiale qui vivent en Asie ont bénéficié de progrès considérables en matière de sous-alimentation, de mortalité infantile et de pauvreté, mais dans la plupart des pays cela s'est accompagné par une aggravation des disparités entre les villes et les campagnes et entre les différentes régions22.
Un des aspects de ce «cumul des handicaps» est que, même si les indicateurs nutritionnels divergent dans les mêmes proportions pour les femmes et les hommes entre les campagnes et les villes, les femmes rurales souffrent davantage. Par rapport aux femmes qui habitent dans les villes, les risques liés à l'insuffisance de la consommation alimentaire sont aggravés par le fait qu'elles ont moins de chances d'obtenir l'aide d'un professionnel pour les accouchements et d'accéder à l'éducation.
En Chine, dans la plupart des autres pays d'Asie et en Amérique latine, les régions isolées, marginales, arides ou montagneuses sont les plus exposées à la fois à la sous-alimentation calorique et aux autres handicaps qui accentuent son impact sur la mortalité et sur le développement des survivants: insuffisance des soins de santé, des écoles et du réseau routier, forte proportion de populations souffrant de discrimination linguistique ou autre, notamment les minorités ethniques. Au Brésil, la pauvreté n'explique qu'en partie pourquoi l'état nutritionnel est beaucoup moins bon dans le nord et le nord-est que dans le reste du pays; l'insuffisance de l'accès aux soins de santé est probablement l'autre explication principale23.
Dans certaines régions (zones rurales d'Afrique du Sud, nord-est du Brésil), les inégalités de revenu sont si grandes qu'une croissance même rapide n'a guère d'impact sur la MPC ou la pauvreté, ce qui est généralement dû en grande partie à l'extrême inégalité de la répartition des actifs productifs, en particulier la terre et l'éducation. La mortalité infantile, qui est très liée à la MPC, est souvent plus forte parmi les paysans sans terre que parmi les petits agriculteurs. Des réformes agraires ont été associées à des progrès considérables en matière de lutte contre la sous-alimentation et la pauvreté.
Les femmes instruites se marient plus tard et ont moins d'enfants. Leurs familles sont mieux nourries car elles ont de meilleures connaissances en matière d'alimentation et d'agriculture, la proportion de personnes à charge est moins grande et il y a moins de rivalité entre les frères et surs24. Ce que l'on sait moins, c'est que lorsque l'accès à l'éducation est extrêmement inégal (selon les régions, le sexe ou le niveau de revenu), la MPC est aggravée, en particulier chez les plus vulnérables (les jeunes enfants), par le fait que les parents peu instruits ont davantage d'enfants.
Quel est le rôle de la discrimination entre les sexes dans la MPC et/ou la suralimentation? Dans certains pays, des études ont montré que les retards de croissance ou l'insuffisance pondérale étaient beaucoup plus fréquents que ne laisse prévoir la DEA moyenne. Cela résulte en partie d'une adaptation, mais aussi du fait que l'accès à l'alimentation et aux soins de santé (et par conséquent le traitement des maladies infectieuses qui a une incidence sur l'efficience de l'alimentation) est particulièrement inégal entre les sexes dans certains pays. Ce facteur explique la gravité de l'insuffisance pondérale et des retards de croissance en Inde (dans le nord de l'Inde, comme au Bangladesh et au Pakistan, la répartition de la nourriture est très défavorable aux fillettes âgées de deux à cinq ans, ce qui a des effets néfastes avérés)25; il en va probablement de même en Mauritanie. Les effets négatifs de la discrimination sexuelle sur l'état nutritionnel peuvent s'aggraver même lorsque l'état nutritionnel général s'améliore. En Inde, l'indice de masse corporelle chez les adultes était inférieur à 16 (troisième degré de carence calorie chronique) chez 11,4 pour cent des hommes en 1975-1979 mais seulement chez 8,8 pour cent en 1988-1990, alors que pour les femmes la proportion n'est passée que de 12,7 pour cent à 11,3 pour cent26.
Les fillettes âgées de deux à quatre ans sont très défavorisées par rapport aux garçons en ce qui concerne la DEA relative (rapportée aux besoins) et/ou l'accès aux soins de santé, et par conséquent en ce qui concerne la MPC, dans de nombreuses parties d'Asie, mais pas en Afrique subsaharienne ni en Amérique latine27. En outre, presque partout les filles ont moins accès à l'éducation que les garçons, et par conséquent moins de possibilités d'obtenir un emploi qualifié.
Outre leur incidence directe sur la sécurité alimentaire des femmes, les disparités entre les sexes ont des effets négatifs sur la sécurité alimentaire des enfants, par deux mécanismes. Premièrement, le revenu - et tout revenu additionnel - a plus de chances d'être consacré à l'amélioration de l'alimentation des enfants de moins de cinq ans s'il revient à la mère. Deuxièmement, la discrimination dont sont victimes les fillettes en matière d'alimentation ou de soins de santé ramène l'espérance de vie des femmes au même niveau que celle des hommes - alors qu'ailleurs elle la dépasse de trois à six ans - et se répercute sur les générations suivantes. Les difficultés de la grossesse dues à la petitesse de l'utérus se traduisent par une insuffisance pondérale à la naissance qui met en danger la vie et le développement de l'enfant, ce qui explique peut-être en partie pourquoi, dans plusieurs pays d'Asie du Sud, l'insuffisance pondérale et les retards de croissance sont plus fréquents que dans de nombreux pays d'Afrique dans lesquels l'apport calorique est inférieur et sa distribution entre les familles est similaire28.
Le nombre de réfugiés était estimé à 1,8 million en 1960 et est resté compris entre 1,5 et 2,5 millions jusqu'en 1976. Ensuite il a fortement augmenté pour culminer à 18 ou 19 millions en 1991-1992, avant de retomber à quelque 12 millions à la fin de 1998. En Afrique subsaharienne, le nombre total de réfugiés et de personnes déplacées est tombé d'un maximum de 16 millions en 1995 à 12 millions en 1997; en Asie, le nombre de réfugiés est tombé de 5,8 millions à la fin de 1993 à 4,5 millions à la fin de 1995, auquel il faut ajouter plus de 1,7 million de personnes déplacées.
Toutefois, les personnes déplacées souffrent souvent d'une sous-alimentation extrême, voire pire, en particulier lorsque le déplacement est brutal, résulte d'un conflit, d'une sécheresse ou d'une catastrophe naturelle, dure longtemps, sépare les victimes de la terre ou des autres moyens de production ou touche particulièrement les femmes, les enfants et les personnes âgées. Ces victimes, souvent privées de l'appui du chef de famille (qui est au combat), sont exposées à de nombreuses menaces qui réduisent leur accès à l'alimentation et aux soins de santé, et entraînent une détérioration de la nutrition, en particulier chez les jeunes enfants.
Dans la présente partie, on verra que la conception traditionnelle de l'après-guerre, à savoir que, dans un premier temps, les populations très pauvres et essentiellement agricoles échappent à la pauvreté principalement en accroissant leur production d'aliments de base, était après tout très sage, malgré les caprices ultérieurs des modes en matière de développement. Entre 1945 et 1965, les pays en développement, responsables de leur propre sécurité alimentaire, mais souhaitant réserver leurs recettes en devises à l'industrialisation, ont privilégié l'autosuffisance en aliments de base. Peu de chercheurs contestaient que les pays tropicaux disposaient d'un avantage comparatif pour la production des aliments de base locaux. C'est pourquoi durant cette période, l'accroissement de cette production était considéré comme la clé de l'amélioration de la disponibilité alimentaire, censé garantir la SAF.
Trois choses ont changé après le milieu des années 60:
Il en est résulté une forte expansion de la production vivrière des petits agriculteurs et de l'emploi, qui a considérablement amélioré l'accès à l'alimentation lié au travail et entraîné un recul considérable de la pauvreté et de la MPC dans la plupart des pays d'Asie et d'Amérique latine entre 1965 et 1988.
Depuis le début des années 80, les facteurs suivants ont conduit les pays dans lesquels il subsiste des poches de MPC à accorder moins d'importance à l'expansion de la production d'aliments de base:
Toutefois, l'accroissement de la production vivrière locale doit rester un des éléments de la lutte contre les problèmes de nutrition. La MPC reste la principale cause de mortalité et de souffrance dans le monde. La grande majorité des 800 millions de personnes qui en sont victimes le sont principalement parce qu'elles (ou leurs parents ou enfants qui travaillent) sont incapables de produire suffisamment de nourriture ou de gagner assez pour l'acheter.
Dans les pays en développement, le recul de la pauvreté, de la sous-alimentation calorique et de la MPC a généralement été de pair avec une augmentation rapide de la production d'aliments de base. Le tableau 14 ci-après en explique les raisons. Les personnes habitant dans ces régions restent tributaires de l'exploitation de leurs terres ou du travail agricole salarié. Pour les pauvres, les revenus tirés de ces activités restent de loin la principale manière d'accéder à l'alimentation. Ceux qui sont le plus exposés à l'insécurité alimentaire, c'est-à-dire les plus pauvres, les populations rurales ou isolées, sont encore plus dépendants de l'agriculture. L'accroissement de la production locale d'aliments de base, qui permet de créer des emplois ou des activités indépendantes permettant d'obtenir un accès fiable à l'alimentation, est généralement la clé de la sécurité alimentaire, jusqu'au moment où les gains de productivité agricole, suivis par une diversification réussie, permettent de ramener l'emploi agricole à un niveau comparable à celui enregistré actuellement en Asie de l'Est et en Amérique latine.
Ceux qui souffrent le plus d'insécurité alimentaire sont tributaires de la production locale de denrées de base jusqu'à ce qu'ils parviennent à diversifier leurs sources de revenus.
Durant la période 1945-1959, la croissance de la production d'aliments de base s'est quelque peu accélérée, principalement grâce à la mise en culture de nouvelles terres et au développement de l'irrigation (en Asie). À partir de la fin des années 50, en raison de l'expansion démographique et urbaine, les possibilités de mise en culture de nouvelles terres arables de bonne qualité se sont épuisées tandis que le nombre de demandeurs d'emplois a augmenté plus rapidement que jamais et que l'industrialisation s'est révélée plus lente et moins créatrice d'emplois que les planificateurs ne le pensaient. Heureusement, les années 1965 à 1985 ont été très fastes en ce qui concerne l'accroissement du rendement des principales cultures vivrières d'Asie et d'Amérique latine, la révolution verte offrant un nombre croissant de variétés adaptées à la petite agriculture à forte intensité de travail. Le tableau 15 récapitule l'évolution intervenue depuis 1961.
Comme le montre le tableau 15, la progression des rendements en Afrique et en Asie a fléchi au milieu des années 80, même si le moment exact de l'inflexion varie selon les produits et les régions. De plus, bien que l'augmentation du rendement des cultures vivrières continue de créer beaucoup plus d'emplois par unité de PIB additionnel que, par exemple, l'élevage extensif, l'industrie ou la construction et la plupart des activités urbaines, cet effet sur l'emploi s'est atténué.
Tableau 14 | ||||||
PROPORTION DE TRAVAILLEURS TRIBUTAIRES DES REVENUS AGRICOLES | ||||||
Région |
1950 |
1960 |
1970 |
1980 |
1990 |
>2000 1 |
Asie du Sud et du Sud-Est Asie du Sud Afrique subsaharienne Amérique latine/Caraïbes Ensemble des pays en développement |
76 76 87 55 79 |
71 71 84 50 74 |
64 69 81 43 69 |
56 66 74 35 63 |
51 60 69 26 58 |
41 55 64 21 52 |
1 Estimation. |
Les conclusions générales relatives à la pauvreté, à la sécurité alimentaire et au déficit calorique sont liées à celles qui concernent la production d'aliments de base, l'emploi et les rendements. Cela ne signifie pas qu'un accroissement de la disponibilité alimentaire mondiale fera disparaître la faim, mais au contraire que l'accès à davantage d'aliments de base produits localement et de façon fiable, accès qui résulte essentiellement du travail consacré à la production de ces aliments, reste pour la plupart des populations vulnérables du monde le meilleur moyen d'échapper à la pauvreté et à la MPC dans un premier temps et que les pays qui réussissent leur industrialisation le font presque toujours après avoir réussi à accroître le rendement de leurs cultures vivrières.
Tableau 15 | ||||||
PROGRESSION DU RENDEMENT DES CULTURES VIVRIÈRES, 1961-1998 | ||||||
Pays en développement |
Asie du Sud et du Sud-Est |
Amérique latine et Caraïbes |
Asie du Sud |
Afrique subsaharienne |
Afrique | |
(Pourcentage par an) |
||||||
Céréales |
||||||
1961-71 1971-81 1981-91 1991-98 1966-82 1982-98 |
2,76 2,76 1,86 1,55 2,7 1,67 |
1,96 2,03 1,67 0,86 2,36 1,35 |
1,43 2,38 0,74 2,72 2,23 2,05 |
1,88 2,33 3,09 1,7 2,3 2,69 |
(0,29) 2,04 (-0,07) (0,97) 1,76 (0,06) |
1,03* 1,98 (0,75) (1,13) 1,94 0,75 |
Racines et tubercules |
||||||
1961-71 1971-81 1981-91 1991-98 1966-82 1982-98 |
2,95 1,19 0,73 0,99 1,12 0,7 |
(0,4) 2,92 1,06 (0,09) 2,38 (0,21) |
1,57 -0,77 1,07 1,02 -0,56 0,87 |
4,13 1,73 1,62 1,09 2,04 1,5 |
0,65 1,44 1,91 (0,25) 0,52 1,42 |
0,65 1,52 1,95 (0,34) 0,61 1,42 |
Source: FAOSTAT. Régressions calculées par l'auteur. Taux de croissance tendancielle linéaire sur chaque période. |
L'accès à l'alimentation des pauvres et des personnes sous-alimentées dépend essentiellement de leurs revenus ou de ceux de leurs parents ou enfants. Ces revenus sont presque entièrement retirés du travail. L'essentiel de ces revenus et de ce travail, de même que l'essentiel de la population pauvre et mal nourrie, est aujourd'hui et sera toujours en 2025 lié au monde rural30. Par conséquent, l'accès des pauvres et des quasi-pauvres à l'alimentation continuera de dépendre en grande partie des revenus de l'activité agricole, indépendante ou salariée. La croissance des revenus du travail rural et donc l'amélioration de la sécurité alimentaire des personnes vulnérables resteront tributaires de la création d'emplois et de l'expansion des revenus dans l'agriculture locale. L'exode rural n'invalide pas ce raisonnement, pour plusieurs motifs.
Dans la plupart des pays d'Asie et d'Afrique, qui sont ceux où vivent et travaillent la plupart des personnes souffrant d'insécurité alimentaire, la mise en culture de nouvelles terres devient ou est déjà prohibitivement coûteuse ou même impossible. Par conséquent, la croissance des revenus salariés ou indépendants tirés de l'agriculture ne peut être obtenue que dans la mesure où:
Emplois dans la production de denrées de - FAO/19710/G. BIZZARRI |
En général, il y a une synergie entre ces trois facteurs, mais la croissance de la productivité agricole est la principale source de l'augmentation de la demande de travail salarié ou indépendant sur les exploitations agricoles et donc de l'amélioration de la sécurité alimentaire31; les principaux obstacles à l'augmentation de cette productivité sont, de plus en plus, la pénurie de terre ou d'eau.
Dans la plupart des régions dans lesquelles règne une grave insécurité alimentaire (c'est-à-dire dans les pays à faible revenu qui en sont au premier stade de leur développement), la production vivrière est généralement la principale affectation des terres, la principale source d'emploi et la principale production agricole. Les petits agriculteurs et les paysans sans terre, qui sont les plus exposés à l'insécurité alimentaire, sont ceux qui dépendent le plus de la production d'aliments de base, laquelle crée davantage d'emplois, par unité de terre ou de production, que la plupart des autres productions agricoles. Ce n'est qu'après une première phase de développement que les pays pauvres en terres peuvent exploiter une évolution de l'avantage comparatif qui favorise des activités non agricoles et, dans l'agriculture, des productions non vivrières. En revanche, pour les populations pauvres souffrant d'insécurité alimentaire, l'amélioration des rendements (à l'hectare et au litre) des cultures vivrières et, par conséquent, la création d'emplois et l'accroissement des revenus d'activités indépendantes liées à ces cultures resteront, au moins jusqu'en 2020, la principale manière d'améliorer la sécurité alimentaire.
Cette stratégie peut se heurter à trois obstacles: le développement de l'élevage, le manque d'eau, le plafonnement des rendements.
La production de denrées de base est une activité rémunératrice à forte intensité de main-d'uvre.
Lorsque leurs revenus augmentent, les habitants les plus prospères des pays en développement consomment davantage de produits d'origine animale et moins de céréales et de légumineuses, et augmentent donc leur consommation totale de calories.
L'urbanisation et l'industrialisation entraînent un accroissement de la consommation d'eau. Il en résulte des pressions économiques, écologiques et politiques considérables tendant à détourner l'eau de l'agriculture. Il sera difficile d'obtenir l'amélioration du rendement de l'irrigation nécessaire pour maintenir, et plus encore pour accroître, la production d'aliments de base dans les grandes zones irriguées où la révolution verte a déployé ses effets en Asie et en Amérique centrale, et on sera donc de plus en plus incité à affecter les terres à des productions plus rentables au litre que la production d'aliments de base (ce qui entraîne parfois, mais pas toujours, une réduction de l'emploi). Cela entravera tout particulièrement l'accroissement de la production, des rendements et de l'emploi liés à la culture du riz, qui est le produit alimentaire de base dont la production demande le plus d'eau.
L'accroissement des rendements des denrées de base restera la principale source de sécurité alimentaire jusqu'en 2020 au moins.
Le rythme de progression du rendement des cultures céréalières dans les pays en développement est tombé de près de 3 pour cent par an en 1967-1982 à à peine plus de 1 pour cent dans les années 90. Le rendement potentiel, c'est-à-dire le meilleur rendement qui puisse être obtenu dans des conditions expérimentales sans restriction quant à l'apport en eau, en main-d'uvre ou en intrants agrochimiques, n'a augmenté que très lentement dans la plupart des zones semi-arides, y compris l'essentiel de l'Afrique, et dans le cas du millet et du sorgho, mais beaucoup plus rapidement pour le maïs, le blé et le riz, lorsque des nouvelles variétés à haut rendement ont été diffusées au début de la révolution verte dans l'essentiel des régions arables de l'Asie et de l'Amérique centrale. En général, les agriculteurs jugent économique de se contenter d'un rendement compris entre 10 et 40 pour cent du rendement potentiel, en fonction des conditions agroécologiques, des coûts, des risques et des infrastructures de commercialisation des intrants et des produits. Lorsque le rendement potentiel est considérablement accru, il faut généralement 10 à 15 ans pour que les agriculteurs s'adaptent et atteignent le nouveau «rendement économique» égal de 10 à 40 pour cent du rendement potentiel. Après le début des années 70, l'augmentation des rendements potentiels due à la révolution verte s'est inévitablement ralentie et on a accordé davantage d'importance à la lutte contre de nouveaux biotypes de ravageurs. Dans la deuxième moitié des années 80, l'amélioration des rendements effectifs due à la révolution verte dans les zones concernées s'est elle aussi ralentie (et dans de nombreuses régions la révolution verte n'avait eu aucun effet).
L'égalité d'accès aux ressources peut améliorer l'efficacité de la production agricole pour certaines cultures et dans certaines conditions.
Certains observateurs soutiennent qu'il n'est pas nécessaire d'accroître la production d'aliments de base pour éliminer la MPC, laquelle peut coexister avec d'importants stocks de céréales inutilisées, non seulement à l'échelle mondiale ou dans les pays riches mais même dans un pays comme l'Inde, en raison de l'iniquité de la distribution. En effet, l'iniquité de la distribution est bien la principale cause de la MPC, mais compter uniquement sur une amélioration majeure de la redistribution directe, c'est oublier à quel point celle-ci est lente, rare et politiquement difficile. Néanmoins, l'amélioration de l'accès à l'alimentation peut considérablement aider à nourrir convenablement les pauvres, grâce à des gains d'efficience et d'équité.
Cela est dû en partie au fait que, dans les petites exploitations, les rendements et la productivité sont généralement plus élevés, même si cela n'est pas vrai pour toutes les cultures et dans toutes les situations. La théorie et les données empiriques limitées dont on dispose donnent à penser qu'en général les petites exploitations ne perdent pas leur compétitivité à la suite de progrès techniques comme ceux induits par la révolution verte ou de la plupart des mesures de libéralisation et de mondialisation. Outre cet argument fondé sur l'efficience de la redistribution des terres en tant que moyen de créer des emplois et d'améliorer la sécurité alimentaire, il y a des arguments fondés sur l'équité. Dans certains pays et régions, même si les revenus réels moyens sont dans la tranche intermédiaire supérieure, l'inégalité de l'accès aux terres et de revenus est considérable, ce qui se traduit par une pauvreté généralisée et une MPC importante; en Afrique du Sud ou dans le nord-est du Brésil, par exemple, on peut difficilement espérer y remédier de façon notable sans redistribution des terres.
Dans un même pays sous-alimentation et suralimentation peuvent coexister.
Durant les 50 dernières années, les principaux enjeux de la politique alimentaire mondiale ont été la lutte contre la famine, la faim chronique et la MPC. Ces problèmes sont conjugués avec d'autres problèmes et, lorsqu'ils diminuent, mettent en évidence ces autres problèmes. C'est pourquoi, on se préoccupe de plus en plus de la sécurité nutritionnelle. Même si la sous-alimentation continue de tuer six millions d'enfants par an, on ne peut pas négliger d'autres problèmes: l'anémie accroît la mortalité chez plus de 1,5 milliard de personnes dans le monde; l'obésité (IMC >27,5) touche environ un tiers des adultes aux États-Unis et sera une des causes de mortalité chez au moins un tiers de ceux-ci. Pourtant, de façon paradoxale, les problèmes nutritionnels des pays les plus avancés, comme l'obésité, sont enracinés, sur le plan génétique et comportemental, dans des problèmes liés au sous-développement, comme la MPC. De plus, un nombre croissant de pays sont affectés à la fois par ces deux types de problèmes.
Dans les pays pauvres également, la qualité de la nutrition dépend à la fois de l'état de santé et de l'alimentation. Le recul considérable de la mortalité infantile est lié à l'interaction entre un accroissement et une stabilisation de la consommation alimentaire et une amélioration de l'assainissement, de la vaccination et des soins de santé. Une étude classique32 a démontré cette synergie dans les villages pauvres du Punjab en Inde. La réduction de la mortalité et de la sous-alimentation était beaucoup plus importante lorsqu'un montant fixe était réparti entre les soins de santé et l'acquisition de compléments alimentaires que lorsqu'il était consacré intégralement à l'un ou à l'autre.
La sécurité nutritionnelle exige aussi l'élimination des principales carences en minéraux et vitamines, qui sont souvent combinées et s'aggravent mutuellement.
L'anémie ferriprive touche environ une personne sur trois dans le monde et 43 pour cent de la population des pays en développement. Aucune des estimations récentes n'a fait apparaître d'amélioration notable33. Depuis 1980, la prévalence à l'échelle mondiale est en augmentation car l'accroissement de la prévalence de l'anémie chez les hommes adultes a été plus important que son recul chez les femmes et les enfants de moins de cinq ans.
L'anémie ferriprive grave est la cause de 20 pour cent des décès maternels dans le monde et se transmet aux enfants, causant des retards de croissance et une forte susceptibilité aux maladies infectieuses. Une anémie ferriprive même modérée à l'âge préscolaire entraîne une réduction permanente de la capacité d'apprentissage et de la dextérité. Une hausse de 10 pour cent du taux d'hémoglobine chez une personne modérément anémique accroît la capacité de travail de 20 pour cent34.
Les sources alimentaires de fer sont, dans l'ordre fortement décroissant de teneur en fer et de biodisponibilité, la viande, les produits laitiers, certains légumes et légumineuses et les céréales. À mesure que les revenus augmentent, les gens consomment davantage de légumineuses et de légumes, puis de viande. En conséquence, la hausse des revenus aurait dû entraîner un recul de l'anémie ferriprive en Asie, région où elle est la plus grave. Toutefois, l'évolution de la production a eu un effet contraire: les rendements céréaliers ont augmenté plus rapidement que le rendement des légumineuses et les céréales ont donc supplanté les légumineuses avant que la plupart des habitants de la région puissent se permettre d'accroître leur consommation de viande35.
Les troubles liés à la carence en iode ont, dans les années 90, affecté quelque 2,2 milliards d'êtres humains, et 740 millions de personnes étaient atteintes de goitre. Selon les estimations relatives à 1994, 11 millions de personnes étaient atteintes de crétinisme et 43 millions d'arriération mentale. Les troubles de carence en iode ont considérablement reculé, ce qui est une des grandes réussites de la politique de la sécurité nutritionnelle. Grâce à l'addition d'iode au sel, la proportion de la population exposée à la carence en iode est tombée, entre 1994 et 1997, de 33 à 23 pour cent en Afrique, de 23 à 7 pour cent dans les Amériques, de 43 à 30 pour cent dans la région de la Méditerranée orientale et de 29 à 14 pour cent à l'échelle mondiale.
La carence en vitamine A touche une population moins nombreuse que les carences en fer ou en iode. Toutefois, la carence en vitamine A manifestée par des signes cliniques (oculaires) peut causer des dommages irréversibles aux enfants tandis qu'une carence moins prononcée accroît le risque de mortalité lié à la grossesse et nuit au développement de l'enfant et à l'utilisation du fer. La vitamine A provient essentiellement d'aliments d'origine animale dans les pays à hauts revenus et en Amérique latine, mais des légumes à feuilles, des patates douces et de l'huile de palme dans les autres régions. Dans les pays en développement, le nombre d'enfants de moins de cinq ans victimes de l'avitaminose A clinique est tombé de 5 millions (incidence 1,1 pour cent) en 1985 à 3,3 millions (0,6 pour cent) en 1995. L'avitaminose A subclinique est beaucoup plus prévalante et on estime qu'elle touche entre 75 et 250 millions d'enfants de moins de cinq ans36.
D'autres carences, comme les carences en zinc, calcium et fibres alimentaires, de même que l'excès de sodium, sont aussi probablement assez répandues et on s'en préoccupe de plus en plus. Lorsque les revenus augmentent, le régime alimentaire se diversifie et la consommation de produits animaux, de fruits et de légumes augmente, ce qui réduit sensiblement le risque de carence en fer, zinc et vitamine A. Cette évolution améliore l'état de santé des pauvres essentiellement aux stades relativement tardifs du développement économique. Les plus pauvres ne peuvent pas se permettre d'affecter leurs éventuels revenus additionnels à l'achat de fruits, légumes ou produits animaux riches en micronutriments, alors qu'ils sont probablement les plus exposés aux carences et les moins bien soignés. C'est pourquoi il importe d'accroître la teneur en micronutriments essentiels des aliments de base bon marché consommés par les pauvres. En 1999, on a réussi à obtenir des variétés de riz contenant beaucoup plus de fer et de vitamine A en transférant des gènes d'autres plantes.
Sécurité nutritionnelle
Une bonne nutrition nécessite un - FAO/20216/L. DEMATTEIS |
La suralimentation, compte tenu d'une réduction du niveau d'activité est une cause majeure de l'obésité, de l'hypertension artérielle, des maladies des vaisseaux cardiaques, du diabète et de certains cancers, et par conséquent du décès prématuré des adultes et de l'invalidité des personnes âgées dans les pays développés. Les statistiques de prévalence montrent que les maladies nutritionnelles liées à la richesse sont déjà très répandues non seulement parmi les pauvres des pays riches mais même dans des pays où la MPC est encore très fréquente. En 1995, dans les pays en développement 3,3 pour cent des enfants de moins de cinq ans (18 millions d'enfants) souffraient de surcharge pondérale; la proportion dépassait 8 pour cent en Afrique du Nord et elle était de 7,4 pour cent aux États-Unis. Dans de très nombreux pays en développement, l'obésité est un problème beaucoup plus urbain que rural. Les enfants de moins de cinq ans obèses ont un risque d'obésité à l'âge adulte plus de deux fois plus élevé que la moyenne37.
Les catégories les plus pauvres de la population sont exposées à différentes formes d'insécurité alimentaire. Dans les pays pauvres, elles sont les plus exposées à la MPC et aux carences car elles ne mangent pas assez et pas assez d'aliments d'origine animale, qui sont une source concentrée de vitamines, de fer et de zinc utilisables, ainsi que d'énergie. Dans les pays riches, elles sont les plus exposées à l'obésité et à la morbidité et à la mortalité qui en résultent car, compte tenu de leur faible dépense énergétique, elles mangent trop de calories, trop de graisses et trop de produits d'origine animale.
La diversification de l'alimentation est le principal garant de la sécurité alimentaire (elle protège à la fois contre les maladies des riches et celles des pauvres et permet une optimisation des capacités et des fonctions). Elle est la meilleure arme contre la suralimentation comme la sous-alimentation, ce qui ne signifie pas qu'il faille cesser d'accorder la priorité à l'accroissement de l'accès à des sources d'énergie alimentaire bon marché pour les personnes qui souffrent de MPC. Comme l'indique la baisse de la proportion des calories provenant du principal groupe d'aliments consommés dans chaque pays, l'alimentation s'est diversifiée entre 1969-1971 et 1990-1992 dans toutes les régions et dans tous les types d'économies. L'expansion du commerce international, les voyages et l'urbanisation ont entraîné une diversification du panier alimentaire dans la plupart des pays. Outre les gains statiques en matière de santé, cette évolution réduit les risques dynamiques liés à de mauvaises récoltes ou à des hausses de prix dans les pays tributaires d'un seul aliment de base. La tendance à la diversification, sauf dans les zones les plus isolées et dans les nombreuses populations encore trop pauvres pour pouvoir se procurer suffisamment de calories, a plus que compensé la tendance à l'homogénéisation. En outre, les effets de la mondialisation sur la consommation d'aliments de base locaux n'ont pas nui à la production de ces aliments et au contraire ont favorisé l'augmentation de cette production ou ont été améliorés par celle-ci38.
L'analyse ci-dessus fait ressortir un certain nombre de domaines dans lesquels il faut agir pour réduire sensiblement la pauvreté et la sous-alimentation: production vivrière des petits exploitants, équité et redistribution, actions en faveur des groupes défavorisés et vulnérables et sécurité nutritionnelle. Les politiques relatives au commerce international, à la libéralisation et à l'environnement auront aussi une incidence déterminante sur la possibilité d'obtenir une sécurité alimentaire durable.
Une des premières priorités découle du fait que l'augmentation du rendement des cultures vivrières, facteur essentiel de la réduction de la pauvreté et de l'amélioration de la sécurité alimentaire aux premiers stades du développement, s'est ralentie depuis le milieu des années 70. Il faut en conséquence redynamiser l'action dans ce domaine.
Les chercheurs et les décideurs doivent s'attaquer aux raisons pour lesquelles la révolution verte:
Une seconde révolution verte à forte intensité de main-d'uvre susceptible d'améliorer la nutrition exige un accroissement des fonds affectés à la recherche agricole publique, une relance de la sélection végétale, l'achat de compétences en biotechnologie aux entreprises privées qui les contrôlent et l'attribution d'un rang de priorité élevé aux régions moins favorisées, à une utilisation durable de l'eau et aux cultures vivrières des petites exploitations à forte intensité de main-d'uvre.
La nécessité d'accroître l'emploi lié à la production vivrière locale pour améliorer la sécurité alimentaire individuelle, même si elle reste principalement une préoccupation nationale, justifie que la communauté internationale s'intéresse à la recherche agricole et à la recherche sur la gestion de la terre et de l'eau ainsi qu'au renforcement des institutions nécessaires pour accroître le rendement des cultures vivrières des petits exploitants dans les pays en développement.
L'accroissement du rendement des cultures vivrières contribue à améliorer la sécurité alimentaire des familles et est lui-même tributaire de l'amélioration de l'accès à la terre, aux crédits et aux institutions. La redistribution des terres est particulièrement importante en raison de l'inégalité extrême de la répartition de la propriété foncière et des revenus agricoles et, par conséquent, de l'ampleur de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire dans certains pays et régions. La redistribution des terres d'améliorer l'accès à l'alimentation par le biais de l'emploi entraîne un accroissement de la proportion de terres consacrées à l'agriculture vivrière du fait que les petits exploitants cherchent à se prémunir contre les hausses du prix des produits alimentaires au détail.
Les réformes foncières de la période 1950-1980 ont permis d'obtenir des résultats beaucoup plus importants que ne le prétend le scepticisme aujourd'hui à la mode. Toutefois, comme dans le cas de la révolution verte, pour relancer la réforme foncière, il faut comprendre les motifs de son ralentissement. Or, dans des pays qui disposent d'un excédent de main-d'uvre (qui sont ceux dans lesquels la malnutrition est très répandue), l'avantage comparatif favorise les petites exploitations à forte intensité de main-d'uvre et il vaut donc la peine d'étudier les possibilités de réformes foncières allant dans le sens du marché. On pourrait mettre en uvre une deuxième vague de réformes foncières susceptibles d'améliorer la nutrition, en encourageant une réduction volontaire de la superficie et de l'inégalité des exploitations: i) en démantelant les mécanismes d'appui sélectifs qui permettent aux agriculteurs riches d'obtenir leurs intrants à meilleur compte (en particulier l'eau); ii) en axant la distribution de l'eau, l'accès aux circuits de commercialisation, la formation, le crédit et la recherche sur les petites exploitations (et sur les pauvres qui cherchent à en acheter), et iii) en créant des mécanismes de subvention ou de distribution de coupons pour permettre aux agriculteurs pauvres d'acheter des terres.
L'augmentation du taux d'autosuffisance en aliments de base n'entraîne pas nécessairement, à l'échelle d'un pays, une amélioration de la sécurité alimentaire. Cette augmentation peut être obtenue par des politiques souples et bien conçues telles que des programmes d'irrigation ou de recherche agricole, mais elle peut aussi se transformer en une politique visant à alimenter les habitants des villes au détriment des producteurs ruraux, ce qui crée des incitations perverses dommageables à la production vivrière et à l'emploi, ainsi qu'à l'état nutritionnel.
En matière d'importation de produits alimentaires, le processus de développement comporte généralement deux étapes successives (encadré 19, p. 208) et les politiques doivent être adaptées à cette évolution: dans la première étape, durant laquelle le recours à l'importation de produits alimentaires diminue, une politique d'autosuffisance bien conçue (tenant compte de l'avantage comparatif, de la logistique et des conditions agroécologiques), misant sur des activités à forte intensité de main-d'uvre (en particulier dans les petites exploitations) peut contribuer à réduire la sous-alimentation. À l'étape suivante, lorsque les importations nettes de produits alimentaires augmentent (ces importations sont financées par l'exportation de produits manufacturés et de services, qui créent des emplois pour les pauvres et améliorent leur accès à l'alimentation), l'action des pouvoirs publics pourra intensifier la lutte contre la sous-alimentation en encourageant le développement d'activités de main-d'uvre autres que la production vivrière.
Toutefois, il convient de souligner que cette deuxième étape ne peut être envisagée qu'après une première étape de croissance de l'emploi lié à la production vivrière et de cette production elle-même. La famine qui a frappé la Chine en 1960 et qui a menacé l'Inde en 1965-1966 montre que le fait de négliger l'amélioration du rendement des cultures vivrières locales, avant que l'emploi non agricole ait commencé à se développer, a des effets catastrophiques sur la sécurité alimentaire.
Les pauvres, qui consomment peu de calories et ont donc une faible corpulence, sont plus exposés aux variations saisonnières de la disponibilité alimentaire et ont plus de mal à y faire face. Des mesures publiques peuvent aider à limiter le stress saisonnier des familles. Pour réduire les fluctuations des revenus du travail, on peut mettre en uvre des politiques visant à promouvoir une agriculture solide et moins cyclique par l'irrigation, la lutte contre les ravageurs et l'introduction de nouvelles variétés adaptées. La proportion de la population affectée par une saisonnalité agroclimatique prononcée est plus grande en Asie qu'en Afrique, mais la proportion de la population qui souffre de cette saisonnalité y est moins grande. La différence est due au fait qu'en Asie l'irrigation, les travaux publics et les réseaux de transport sont plus développés.
Les distributions d'aliments subventionnés doivent être limitées et très ciblées.
La distribution d'aliments subventionnés provenant des stocks publics n'est généralement pas conçue de façon à venir directement en aide aux pauvres, mais elle les aide durant les périodes de pénurie en incitant les négociants à mettre leurs stocks sur le marché plus rapidement, ce qui limite les hausses de prix. Il est essentiel de distribuer les stocks publics en priorité aux personnes nécessiteuses et dans les régions touchées par la sécheresse ou isolées. Aucun grand pays ayant des problèmes de sous-alimentation ne peut raisonnablement renoncer à conserver des stocks publics de céréales, mais dans certains pays comme l'Inde, ces stocks, qui dépassent souvent 10 pour cent et parfois même 20 pour cent de la production nationale d'aliments de base, absorbent une proportion considérable des investissements publics. C'est pourquoi il convient que les responsables explorent d'autres méthodes (comme la constitution d'hypothèques sur les stocks des agriculteurs ou l'achat de contrats à terme ou d'options sur les marchés internationaux) qui permettraient d'améliorer la sécurité alimentaire des familles à un moindre coût. La mise en uvre de telles politiques exploitant les mécanismes du marché et moins coûteuses nécessiterait la garantie d'organismes internationaux; on pourrait lancer des programmes pilotes en ce sens pour de petits pays.
Pour faire face à des pénuries temporaires, les familles recourent à différents mécanismes d'adaptation tels que le crédit afin de lisser leur consommation; les pouvoirs publics peuvent faciliter cette adaptation en encourageant par exemple l'octroi de microcrédits de consommation aux pauvres, lorsque cette option est viable.
On peut améliorer la sécurité alimentaire des familles vulnérables et défavorisées par une distribution directe de produits alimentaires, l'échange d'aliments contre du travail, des subventions alimentaires ou des secours d'urgence. Là encore, il faut privilégier le lien avec l'emploi: l'échange d'aliments contre du travail permet d'accroître la capacité de travail, la productivité et l'incitation à travailler; le travail ainsi financé peut contribuer à accroître la production vivrière ou à améliorer l'accès à l'alimentation. Certes, dans l'application de telles politiques, il est difficile de faire en sorte que tous les nécessiteux soient aidés, d'exclure les personnes qui ne sont pas vraiment dans le besoin, de maîtriser les coûts et d'offrir des incitations appropriées. Toutefois, il existe des exemples d'interventions bien ciblées et remarquablement économiques qui ont permis d'accélérer l'amélioration de la situation nutritionnelle et n'ont pas eu d'effets pervers graves.
À plus long terme, l'éducation de base est le meilleur investissement en faveur de la plupart des groupes défavorisés. Elle améliore la productivité et les revenus agricoles, tant parmi les ouvriers que parmi les propriétaires d'exploitations. Les femmes instruites se marient plus tard et ont moins d'enfants. Leur famille est mieux nourrie car elles ont de meilleures connaissances en matière d'alimentation et d'agriculture, la proportion de personnes à charge par rapport au nombre de travailleurs est moins grande et il y a moins de rivalité entre les frères et surs. Lorsque l'accès à l'éducation est très inégal (selon les régions, le sexe ou le niveau de revenus), la sous-alimentation est plus grave, en particulier parmi les plus vulnérables (jeunes enfants), en raison du taux de fécondité élevé des familles sans instruction.
Dans certaines régions, on pourrait améliorer l'apport calorique et la sécurité alimentaire des familles en donnant aux femmes un meilleur accès aux revenus et aux ressources, par exemple en luttant contre la discrimination qui empêche les filles d'aller à l'école et en instituant ou en faisant respecter le droit des femmes d'hériter des terres.
Des politiques bien conçues pourraient être bénéfiques tant pour la sécurité alimentaire que pour l'environnement. Il y a certes parfois des arbitrages à faire, mais souvent ceux-ci sont dus à l'existence d'incitations ou d'institutions inadaptées: par exemple, les cultures vivrières qui consomment beaucoup d'eau, notamment le riz, compromettent l'utilisation durable de l'eau lorsqu'elles sont subventionnées au détriment d'autres cultures; de même, l'utilisation durable de l'eau est menacée lorsque l'eau est subventionnée au détriment d'autres intrants et lorsque l'investissement urbain est privilégié par rapport à des investissements ruraux susceptibles de permettre d'économiser l'eau.
Pour améliorer la qualité de l'environnement et la sécurité alimentaire des familles, il faut: i) supprimer les incitations perverses qui sont défavorables à la création d'emplois et à la protection de l'environnement; et ii) promouvoir le rôle essentiel du revenu tiré du travail pour améliorer l'accès à l'alimentation, notamment en morte saison et durant les années creuses. Ainsi, on pourrait élaborer des mécanismes fondés sur la création d'emplois pour des aménagements de l'environnement, comme les travaux publics visant à protéger les sols ou à économiser l'eau.
Les pays en développement doivent aussi s'attaquer aux problèmes nutritionnels liés au développement tels que l'obésité, et pas seulement au problème de la sous-alimentation, car: i) ces deux problèmes existent déjà dans ces pays; ii) la répartition des ressources entre la lutte contre la sous-alimentation et la lutte contre la suralimentation est faussée par la structure politique; et iii) en négligeant les problèmes de MPC et de carences en micronutriments dans la jeunesse, la mortalité et la morbidité dues à la suralimentation 20 à 50 ans plus tard augmentent considérablement. Par conséquent, il faut que les pouvoirs publics interviennent par le biais des mesures incitatives et de l'affectation des ressources publiques. Deux problèmes différents, la carence en micronutriments et la sécurité alimentaire, qui touchent sous des formes différentes les maigres et les gros, appellent une politique de sécurité nutritionnelle globale visant l'agriculture, la nutrition, la santé et l'environnement.
À mesure que le progrès économique et le vieillissement de la population qui en résulte se diffusent dans un nombre croissant de pays pauvres, il importe que cette évolution soit accompagnée d'une évolution des régimes alimentaires et des modes d'activité.
1 R. Eastwood et M. Lipton. 1999. The impact of changes in human fertility on poverty. Journal of Development Studies, 36(1): 1-30.
2 A.K. Sen. 1981. Poverty and famines: an essay on entitlement and deprivation. Clarendon Press, Oxford, Royaume-Uni.
3 Banque mondiale. 2000. World Development Report 2000/2001. Oxford University Press, New York.
4 S. Yaqub. 1999. Poverty in transition countries: what picture emerges from UNDP's National Human Development Reports? Document de travail no 4. Poverty Research Unit, Sussex University, Brighton, Royaume-Uni.
5 A. Krueger, A. Valdes et M. Schiff. 1996. The mulcting of agriculture in developing countries. Banque mondiale, Washington.
6 M. Ravallion. 1997. Famines and economics. Journal of Economic Literature, 3: 1205-1243.
7 FAO. 1946. La Première enquête mondiale sur l'alimentation. Washington (5 juillet)
8 Ibid.
9 FAO. 1953. La Deuxième enquête mondiale sur l'alimentation. Rome.
10 K. Bagchi. 1992. Impact of four decades of development on nutrition and health status in India. Rome, Secrétariat mixte FAO/OMS de la Conférence internationale sur la nutrition.
11 CAC/SCN. 1997. Third Report on the World Nutrition Situation. CAC/SCN,Genève.
12 FAO. 1996. La Sixième enquête mondiale sur l'alimentation. Rome.
13 Sen, op. cit., note 2.
14 M. Ravallion, op. cit., note 6.
15 P. Payne et M. Lipton. 1994. How third world rural households adapt to dietary energy stress: the evidence and the issues. Food Policy Review No. 2. International Food Policy Research Institute, Washington; A.E. Dugdale et P.R. Payne 1987. A model of seasonal changes in energy balance. Ecology of Food and Nutrition, 19: 231-245.
16 S. Schofield. 1974. Seasonal factors affecting nutrition in different age-groups and especially pre-school children. Journal of Development Studies, 11(1): 22-40.
17 A.M. Prentice. 1999. Early nutritional programming of human immunity. Annual Report 1998. Fondation Nestlé, Lausanne, Suisse.
18.Les enfants sont défavorisés de façon indirecte, car ils sont particulièrement nombreux dans les familles et les régions où la prévalence de la MPC est élevée: les familles pauvres, les familles nombreuses, les zones rurales et isolées dans lesquelles la transition démographique n'a pas encore commencé.
19 M. Lipton, S, Osmani et A. de Haan. 1997. Quality of life in emerging Asia. Background paper for Emerging Asia: changes and challenges. Banque asiatique de développement, Manille.
20 Certes, la proportion d'enfants est généralement plus élevée et, par conséquent, les besoins caloriques moins élevés si (toutes choses égales par ailleurs), le ménage est pauvre (décile le plus pauvre), rural, isolé et peu éduqué. Toutefois, de nombreux indicateurs, tels que les différences de mortalité, montrent que les besoins, dans ces conditions, diminuent moins que la consommation.
21 J. von Braun, J. McComb, B. Fred-Mensah et R. Pandya-Lorch. 1993. Urban food insecurity and malnutrition in developing countries: trends, policies and research implications. IFPRI, Washington.
22 Toutefois, parmi les Chinois pauvres, la consommation de calories des habitants des villes et celle des campagnes ont convergé dans les années 80, probablement en raison du fait que de nombreux paysans pauvres ont émigré vers les villes, où ils réussissent rarement à obtenir les prestations de sécurité sociale, qu'elles soient destinées aux habitants des villes ou à ceux des campagnes. Voir R. Eastwood et M. Lipton. 2000. Changes in rural-urban inequality and urban bias. In G. Cornia, éd. The upturn in inequality within nations since 1980; et M. Lipton, A. de Haan et S. Yaqub. 2000. Poverty in emerging Asia. Asian Development Review (mars).
23 OMS. 1991. Country studies in nutritional anthropometry: Brazil.Unité de la nutrition, Organisation mondiale de la santé, Genève.
24 M. Livi-Bacci et G. de Santis, éds. 1998. Population and poverty in developing countries. Clarendon Press, Oxford, Royaume-Uni.
25A. Bhargava and S. Osmani. 1997. Health and nutrition in emerging Asia. Background paper for Emerging Asia: changes and challenges. Banque asiatique de développement, Manille.
26 Bagchi, op. cit., note 10.
27 B. Harriss. 1986. The intra-family distribution of hunger in South Asia. World Institute for Development Economics Research, Helsinki; M. Lipton. 1983. Poverty, undernutrition and hunger. Staff Working Paper No. 597. Banque mondiale, Washington; P. Svedberg. 1989. Undernutrition in Africa: is there a sex bias? Institute for International Economic Studies, Stockholm.
28 Bhargava et Osmani, op. cit., note 25.
29 M. Lipton. 1993. Land reform as commenced business: the evidence against stopping. World Development, 21(4): 641-57.
30 Le transfert net de revenus urbains en faveur des pauvres ruraux est important dans un petit nombre de situations particulières (nombre qui augmente toutefois), mais le coût de la création d'un emploi urbain - investissements, infrastructures, encombrements - est beaucoup plus élevé, même dans le secteur informel, que celui de la création d'un emploi rural.
31 À moins que cette croissance ne résulte d'une technologie permettant d'économiser la main-d'uvre.
32 C. Taylor et al. 1978. The Narangwal project on interactions of nutrition and infections: 1. Project design and effects upon growth. Indian Journal of Medical Research, 68 (Suppl.) (décembre).
33 CAC/SCN. 2000. Fourth Report on the World Nutrition Situation. Genève.
34 CAC/SCN, op. cit., note 11.
35 CAC/SCN. 1992. Second Report on the World Nutrition Situation. Genève.
36 CAC/SCN, op. cit., note 33.
37 Ibid.
38 M. Lipton, A. de Haan et E. Darbellay. 1999. Food security, food consumption patterns and human development. In Human Development Papers 1998: consumption and human development. Human Development Office, New York.