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Nouvelles matières premières pour la papeterie

par le SERVICE DE RECHERCHES DE «THE ECONOMIST», LONDRES

La septième session de la Conférence de la FAO (23 novembre - 11 décembre 1953) a examiné un rapport intitulé Etude préliminaire sur les ressources de pâte, et de papier dans le monde - Etat présent et perspectives, présenté par le Directeur général et rédigé en collaboration avec les secrétariats de la Commission économique pour l'Europe (CEE), de la Commission économique pour l'Amérique latine (CEPLA) et de l'Unesco. Ce document donnait un résumé d'un rapport qui sera transmis au cours de l'année au Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC).

La Conférence, groupant les délégués des 71 Etats Membres de la FAO, a félicité le Directeur général pour l'analyse présentée et a recommandé aux gouvernements de poursuivre leurs recherches, s'il y a lieu avec le concours de la FAO, quant aux possibilités à long terme de créer de nouveaux centres de production de pâte et de papier. Les gouvernements, ainsi que les particuliers, devraient, avant d'investir des capitaux et des efforts pour la construction de nouvelles usines, entreprendre des recherches exhaustive, sur les marchés prévisibles et les coûts de production, sur l'existence d'un approvisionnement adéquat et continu en matières premières et de disponibilités en eau, énergie, produits chimiques, moyens de transport, eau, à des prix raisonnables. Le Directeur général a été prié de poursuivre ses études sur les besoins mondiaux en pâte - et en papier et d'aider les gouvernements à limiter les risques de mauvais placements grâce à des recherches adéquates.

L'article suivant est basé sur une étude préparée par le Service de recherches de The Economist de Londres pour la FAO et qui doit être incorporée dans le rapport à soumettre à l'ECOSOC.

En réponse à une demande émanant du Conseil économique et social des Nations Unies, la FAO a entrepris une vaste enquête pour déterminer comment il serait possible de faciliter le développement de la production de pâte et de papier afin de faire face à l'accroissement des besoins futurs. Que ces besoins augmentent régulièrement, et peut - être même très rapidement, est un fait que peu de personnes contestent. Chaque année ajoute des millions de nouvelles recrues à la population instruite du monde et des milliers de nouvelles usines à ses ressources industrielles. Tout le monde admet que l'extension de l'instruction et le progrès industriel sont les sources principales qui engendrent le besoin d'augmenter la production de papier. Que ces exigences de la vie civilisée puissent menacer de dépasser les ressources en matières premières papetières classiques est également un fait sur lequel s'accorde la majorité.

Cette combinaison d'une demande croissante et à long terme en papier destiné à de multiples usages et d'un manque relatif d'élasticité des approvisionnements en matières premières de source traditionnelle constitue la base du programme de travail de la FAO. Elle justifie un élargissement du domaine des matières premières et explique l'attention que la FAO porte au développement de matières premières fibreuses partiellement ou déjà largement essayées dans la fabrication du papier. Naturellement l'attention se trouve concentrée sur les pays tropicaux pourvus de bois tropicaux et de plantes à fibres non ligneuses; en effet, jusqu'à présent, on ne possède que relativement peu de connaissances sur les quantités, les disponibilités et les qualités papetières de ces matières premières non usuelles, mais potentiellement intéressantes.

La publication de la FAO Raw Materials for More Paper (Matières premières pour l'augmentation de la production du papier) cherchait à présenter un tableau des matières premières papetières, en tenant compte des ressources disponibles, de leurs utilisations, ainsi que des procédés de transformation, en insistant particulièrement sur les matières premières peu utilisées jusqu'à présent et les nouveaux procédés. Les matières fibreuses utilisables pour la fabrication du papier sont nombreuses, il en est de même pour les procédés de traitement. Le choix des matières premières et des procédés employés dépend beaucoup de la catégorie de papier à fabriquer et il existe beaucoup de catégories différentes. Le choix, cependant, peut être compliqué et difficile. Une certaine confusion s'y ajoute quelquefois lorsque des personnes n'ayant que peu de connaissances de l'industrie ont à prendre des décisions, spécialement lorsque des autorités expérimentées donnent des avis différents ou même contradictoires. Plus déroutantes encore peuvent être les prétentions des inventeurs et des promoteurs de procédés nouveaux non encore expérimentés.

La création d'industries utilisant des matières premières ou des procédés nouveaux, ou les deux, pour produire de la pâte et du papier, pourrait ainsi donner lieu à des échecs et à des controverses sérieux. Evidemment, au sein du programme entrepris par la FAO pour le développement de nouveaux centres de production, une place prédominante doit être donnée à l'examen de questions telles que:

1. Quelles sont les possibilités de fabrication de pâte et de papier à partir des diverses catégories de matières premières disponibles?

2. Quel procédé doit - on employer et pour quelles catégories de papier?

3. S'il est techniquement possible d'utiliser de nouvelles matières premières, est - ce une entreprise commercialement viable?

4. Quels sont les prix comparés - de fabrication?

Les buts de la publication de la FAO déjà citée consistent à esquisser les réponses à ces questions en spécifiant, pour chaque groupe principal de matières premières: les procédés de cuisson utilisables, les catégories de papier que ce groupe donnera et le prix de revient de différentes méthodes pour le traitement des fibres diverses. On espère que la documentation fournie enseignera aux dirigeants gouvernementaux, hommes politiques ou banquiers, qui ne sont pas des techniciens, quels sont les critères décisifs déterminant si leurs forêts et leurs champs représentent une source commerciale possible de pâte et de papier.

Matières premières disponibles

La matière première de base pour le papier est la cellulose sous forme de fibres. Les fibres de cellulose se trouvent dans beaucoup de tissus végétaux dont elles peuvent être extraites facilement par des moyens mécaniques ou chimiques. Leurs sources sont aussi nombreuses que les espèces de plantes dont on peut les extraire et le nombre d'espèces productrices de fibres pouvant être utilisées en papeterie se compte par milliers. Cependant, bien qu'il y ait de nombreuses sources possibles de fibres, en pratique, celles qui sont aptes à faire du papier ne peuvent être extraites que de quelques - unes d'entre elles, car le rendement en fibres de la plupart des espèces est si faible que leur extraction n'est pas rentable.

Les plantes productrices de fibres vont des graminées communes aux arbres les plus exotiques, mais on n'en utilise facilement qu'une demi - douzaine comme source de fibres. Ce sont: les bois résineux et feuillus, la paille, l'alfa, la bagasse et le bambou. En outre, des fibres papetières sont tirées du coton et des tissus sous forme de chiffons, ainsi que de l'abaca, du sisal et d'autres fibres dures sous forme de cordages1. Parmi ces sources, le bois constitue depuis longtemps la plus importante, et les conifères à eux seuls fournissent une beaucoup plus grande contribution à l'approvisionnement total du monde en matières premières servant à la fabrication du papier que toutes les autres matières réunies.

1 Des quantités considérables de vieux papiers sont bien entendu retransformées en papier neuf.

Il serait intéressant de calculer et de comparer les disponibilités en diverses matières premières pour la fabrication du papier. Mais, pour des raisons exposées ci - dessous, on ne peut donner qu'une indication très générale concernant ces ressources et, des estimations dont on dispose, il n'est pas possible de déduire la quantité de chacune d'entre elles qui serait disponible chaque année pour la fabrication de pâte, ni si elles sont abondantes ou non.

Tout d'abord, la plupart des matières premières dont on extrait les fibres papetières ont une grande variété d'emplois. La mesure dans laquelle elles sont disponibles pour l'industrie papetière ne dépend pas seulement de leurs qualités techniques et économiques pour la fabrication de la pâte, mais aussi des demandes concurrentes dont elles sont l'objet de la part d'autres industries consommatrices, de leur facilité d'accès et, ce qui n'est pas le moins important, de leur popularité vis-à-vis des fabricants de papier. Si les bois des conifères, l'une des matières premières les plus riches en possibilités d'emplois, n'avaient pas d'autres utilisations, leur production suffirait probablement à satisfaire entièrement aux demandes de l'industrie papetière. Des réserves de cette sorte s'appliquent aussi à d'autres matières fibreuses. Naturellement, elles limitent la valeur et l'utilité des estimations des ressources.

En second lieu, les matières premières papetières diffèrent largement par les procédés de cuisson qui leur sont applicables et les produits qu'elles permettent de fabriquer. Evidemment, la possibilité d'utiliser une matière fibreuse particulière - étant donné ses qualités techniques - est déterminée par la nature et le prix de revient du ou des procédés convenant à sa transformation en pâte, aussi bien que par les utilisations finales auxquelles la pâte produite peut être affectée. Ainsi, si on en juge par la seule superficie peuplée de conifères dans le monde, ces essences pourraient donner l'impression de constituer une ressource abondante. En fait, il n'en est pas ainsi, car la plupart d'entre elles peuvent être traitées par l'un quelconque des nombreux procédés de fabrication de la pâte et par certains d'entre eux à peu de frais, alors que leurs utilisations finales dans la fabrication du papier sont plus nombreuses que celles de toute autre matière fibreuse - sans compter leurs multiples applications en dehors de l'industrie papetière. D'autre part, les feuillus tropicaux, bien que l'expérience ait montré que certaines espèces étaient techniquement et économiquement aptes à faire de la pâte, n'ont cependant qu'une petite gamme d'utilisations finales, une ou plusieurs restrictions ayant, jusqu'à présent, retardé leur exploitation. Les ressources potentielles en feuillus tropicaux papetiers sont vastes, mais il ne s'est cependant pas révélé profitable de les placer à la base d'une production active. La suffisance des ressources doit donc être considérée dans ses rapports avec les procédés et les produits - et, de plus, avec des utilisations autres que papetières.

En troisième lieu, le rendement en pâte obtenu à partir d'une tonne de matière première varie d'un matériau à un autre, deux tonnes et demi environ d'alfa donnent une tonne de pâte et, pour obtenir une tonne de pâte de paille, il faut une tonne et demie à deux tonnes de paille suivant l'espèce de céréale. Il faut au moins deux tonnes de bois pour faire une tonne de pâte chimique blanchie, mais si l'on fait de la pâte mécanique, on retrouve sous forme de pâte neuf tonnes sur dix tonnes de bois traité. Le rendement en pâte est un autre facteur définissant la valeur des ressources en matière première.

Quatrièmement, de même que l'approvisionnement en matière première limite la consommation, de même une limitation dans les demandes peut constituer une restriction à l'approvisionnement. Par exemple, on croit ordinairement que la paille existe partout en abondance, et qu'elle est disponible pour les papeteries, quelles que soient les quantités qu'elles peuvent traiter. Mais l'excédent peut être plus apparent que réel et, dans certains pays, la quantité de paille qui peut être livrée à la papeterie, en dehors des autres emplois industriels et agricoles, est étonnamment petite. La raison en est que la paille ne peut pas être transportée des champs à l'usine s'il n'y a pas de moyens de bottelage, de stockage et de transport; or les fermiers ne veulent pas investir de fonds dans l'équipement nécessaire, à moins que les papetiers ne leur garantissent la stabilité de leurs achats au moyen de contrats à long terme, ce que, comme on le sait, les papetiers de certains pays répugnent à faire, car ils ont l'habitude d'acheter de la pâte de bois quand ils le peuvent et de la pâte de paille lorsqu'ils y sont obligés. La demande tend à créer des ressources et, au fur et à mesure que la demande en paille augmente, les ressources en font de même pour y satisfaire. Mais là où le transport de la ferme à l'usine n'est pas bien organisé, la paille qui serait récupérable comme inutilisée à la ferme, est simplement abandonnée à la pourriture et la compter dans le total des ressources annuelles du pays donne naturellement lieu à une exagération des disponibilités réelles.

Limitation des ressources en bois résineux

L'accroissement de l'intérêt porté aux fibres de remplacement est né de l'augmentation à long terme des demandes en papier de toute sorte, en particulier de papier journal et de papier d'impression; il s'est de plus trouvé accéléré par les pénuries périodiques de pâte de l'après-guerre. Ces disettes ne peuvent pas être attribuées à des perturbations purement temporaires dans la production et le commerce du papier, et qui cèderont sous l'influence d'une production croissante. La production mondiale de pâte et de papier s'accroît d'une manière frappante depuis 1945 et elle est maintenant de beaucoup supérieure à ce qu'elle fut jamais avant 1939. Cependant, les ressources se sont souvent trouvées inférieures aux demandes, de beaucoup même dans les pays pauvres. Par suite des progrès de l'instruction ainsi que de l'accroissement de la population, beaucoup de pays pauvres ne peuvent même pas assurer le papier strictement nécessaire à leurs journaux, à leurs livres et à leurs écoles. Les vagues successives de l'inflation mondiale, dont la montée en flèche des prix des produits après la guerre de Corée est le plus récent exemple, n'ont fait qu'accentuer une tendance à long terme vers un resserrement des ressources et une hause des prix de la pâte et du papier.

La carence de la production de pâte de bois à répondre de manière suffisante aux invites d'une demande active et de prix avantageux reflète la pression croissante qui s'opère sur des ressources limitées en conifères disponibles pour la papeterie. Dans beaucoup de régions les forêts de conifères sont soumises depuis si longtemps à des coupes intensives que le maintien d'une production aménagée serait menacé si l'on devait y exploiter plus de bois qu'actuellement. Il se peut même que certains pays aient à réduire leurs coupes pendant quelques années afin de donner à leurs forêts une chance de retrouver leur vitalité. Avec les méthodes actuelles d'abatage, de façonnage et de transport, le volume de bois résineux pouvant être tiré des forêts en exploitation ne peut vraisemblablement pas dépasser de beaucoup son niveau actuel - étant donné la nécessité de maintenir intacte leur productivité. Cependant, la demande mondiale en pâte, selon l'avis unanime de la plupart des observateurs, peut croître d'environ 3,5 à 5 pour cent annuellement pendant les 10 à 15 ans à venir pour atteindre 45 à 50 millions de tonnes vers 1960. Ces chiffres sont à comparer aux ressources de 1950, soit 33 millions de tonnes. A moins que des matières premières fibreuses autres que les bois résineux ne soient utilisées, l'industrie papetière peut se trouver en face du danger de dépasser ses ressources en matières premières.

Il est vrai que quelques sources inexploitées de conifères subsistent encore dans les montagnes Rocheuses de l'Amérique du Nord, au Canada et en Alaska. Les plus vastes peuplements restants se trouvent probablement en U.R.S.S. Il en existe d'autres en Amérique centrale et en Amérique du Sud, en Océanie et en Asie. Même avec une mise en valeur intégrale des ressources potentielles de bois résineux, il apparaît cependant improbable qu'il soit possible de satisfaire aux besoins mondiaux, qui croissent rapidement, en pâte et en papier. De plus, il y a beaucoup de pays qui ne possèdent pas du tout de bois résineux.

A la recherche de nouvelles matières premières

Le développement des matières premières de remplacement est toujours propre à faire hausser les épaules des gens à l'esprit conservateur, surtout devant la menace d'une régression économique, même lorsque le produit dont il faut compléter l'approvisionnement est lui-même issu d'un changement révolutionnaire. Le papier, en effet, est bien accoutumé à des changements dans ses matières premières de base. Son histoire est faite de changements intervenant continuellement dans le domaine des produits finis, de la fabrication et des matières premières. Au début du XIXe siècle, un prodigieux accroissement de la demande de papier a fait suite à la révolution industrielle et intellectuelle qui a balayé l'ouest de - l'Europe. Pour répondre à cette demande plus importante, il fallut trouver une méthode industrielle plus efficace que le traditionnel procédé manuel de traitement et le résultat fut l'invention de la machine à papier. Mais, bien que la demande en papier existât, de même que la machine permettant de fabriquer du papier moins cher et en quantité massive, il n'y avait pas de matière première. On fabriquait alors le papier à partir du coton et de chiffons; ces ressources avaient assez bien alimenté les papeteries dans les deux siècles précédents, mais elles devinrent tout à fait insuffisantes avec l'avènement de l'ère industrielle. Après quelques dizaines d'années de recherches et d'expériences pour trouver une matière première plus abondante et moins chère, ayant de bonnes propriétés papetières, on aboutit à la découverte que l'épicéa, le sapin et quelques autres conifères répondaient à tous les besoins. Cette découverte a marqué le début de l'ère moderne en papeterie.

Une nouvelle étape importante dans l'histoire des matières premières papetières commença avec l'accession au rang des espèces papetières des «pins du sud» (Pinus taeda, P. palustris, P. echinata, P. caribaea, etc.) et de quelques feuillus de la zone tempérée venant s'ajouter à l'épicéa et au sapin. Avant 1930, les premières essences étaient généralement tenues pour être de qualité papetière médiocre; en tous cas, elles ne pouvaient être traitées par le procédé au bisulfite, procédé alors prédominant, et donnaient de mauvaises pâtes mécaniques. Mais elles se révélèrent aptes au traitement par le procédé au sulfate; et la perfection de ce procédé a permis d'ouvrir un immense réservoir d'une matière première jusqu'ici inexploitée. Aux Etats-Unis, il a révolutionné l'industrie papetière qui était en train de dépasser les ressources naturelles en essences résineuses traditionnelles croissant dans le nord, et qui, en conséquence, étendit son activité aux forêts de pins situées dans le sud du pays. L'apparition du procédé au sulfate a aussi facilité le traitement de certains feuillus de la zone tempérée.

Possibilité d'extension du domaine des matières premières

Cependant, il se peut qu'une autre étape décisive ait été atteinte. De nouveau, les papetiers doivent faire face à une demande de papier tendant à dépasser les disponibilités en matières premières habituelles transformées en produits de type ou, au moins d'apparence, De nouveau, il est nécessaire de puiser à des sources de matières premières, en partie non encore mises à l'épreuve, afin d'en faire des produits principalement obtenus jusqu'à ce jour à partir de matières premières traditionnelles. Sur le terrain technique, ainsi que le montre l'expérience, on ne peut élever aucune objection valable contre la possibilité d'élargir le champ des matières premières en augmentant la consommation de bois feuillus de la zone tempérée, de bois tropicaux et des fibres de paille, de bambou et de bagasse. La plupart de ces matières premières ont déjà certaines applications consacrées. La tâche consiste à en augmenter la consommation et, peut - être même plus encore, à y ajouter d'autres applications.

Comme on pouvait s'y attendre, la mise au point de nouvelles matières premières à l'échelle du laboratoire a devancé la pratique commerciale. Il existe de nombreuses publications sur ce sujet, et la plupart d'entre elles s'accordent à reconnaître que les démonstrations en laboratoire ont indiscutablement montré la possibilité technique d'utiliser celles des nouvelles matières premières citées plus haut. La plupart des travaux expérimentaux faits jusqu'ici, assez fréquemment étayés par l'expérience d'exploitations commerciales, suggèrent que les nouvelles matières premières en discussion, traitées par des procédés qui leur sont adaptés, ne soulèvent pas de problèmes techniques insolubles, bien que ceux - ci soient souvent considérables.

Il est admis que l'aptitude technique ne suffit pas. En dernière analyse, la possibilité de faire du papier à partir des matériaux dits de remplacement est déterminée par des facteurs économiques. Ceux - ci limitent la valeur potentielle de l'utilisation de toute ressource. Même lorsqu'il n'existe pas de problème technique, les facteurs économiques peuvent encore empêcher un développement immédiat des matières premières, même les plus intéressantes, si elles se trouvent en des régions éloignées des centres de consommation, insuffisamment pourvues de moyens de transport et privées des ressources industrielles et financières nécessaires (d'origine nationale ou étrangère) des papeteries sans s'assurer que l'on a réuni toutes les conditions d'une exploitation économique et non pas seulement les matières premières appropriées, serait courir à un échec inévitable. Il est certain que la détermination la plus consciencieuse de ces conditions doit précéder le lancement d'un projet d'usine de pâte, spécialement dans un pays à faible développement économique.

Néanmoins, en ce qui concerne les seuls coûts de production, les nouvelles matières premières soutiennent assez favorablement la comparaison avec les anciennes. Aux cours actuels, certaines sont en fait moins coûteuses à transformer en pâte. L'avantage initial du bas prix dans la fabrication de la pâte peut se perdre dans le traitement ultérieur pour transformer la pâte en papier, de même que son importance est quelque peu diminuée par la gamme encore limitée de produits finis auxquels certaines des nouvelles pâtes peuvent être destinées. Mais, en tout cas, le bon marché relatif du traitement de certaines matières premières nouvelles est un présage de bon augure pour l'avenir; c'est le cas, par exemple, des bois feuillus de la zone tempérée transformés par le procédé semi-chimique au sulfite neutre ou bien des bois feuillus tropicaux transformés par le procédé au sulfate.

Conclusions générales

Les pays encore insuffisamment développés sont au seuil de changements immenses et à longue portée dans le domaine industriel, social et politique. Dans leur progression vers une industrialisation et un niveau plus élevé de vie, le papier pour les livres, les périodiques, les journaux, les lettres et pour des emplois industriels tels que l'emballage jouera un rôle d'importance croissante. En fait, leur progrès futur dépend, dans une mesure qui n'est pas négligeable, de la possibilité d'obtenir en abondance et à bon marché du papier et des matières premières pour sa fabrication. C'est justement dans ces pays qui ont souvent le plus besoin d'une plus grande quantité de papier que ce produit, si vital pour la civilisation, est habituellement le plus rare et le plus cher. -

Dans les dix prochaines années, on estime que la demande mondiale en pâte et en papier va augmenter de 3,5 à 5 pour cent par an. Il est rien moins que certain que cette demande croissante puisse être satisfaite par les principaux centres de production, c'est-à-dire par les industries d'Amérique du Nord et d'Europe utilisant des bois résineux pour la fabrication du papier. Il y a une raison puissante, cependant, d'accroître les ressources en pâte et en papier dans les pays insuffisamment développés en aménageant celles de leurs ressources de matières fibreuses à partir desquelles la production de pâte et de papier est techniquement et économiquement possible. De telles ressources existent, en grande partie inutilisées jusqu'à présent. Elles comprennent des forêts feuillues de grande étendue, des millions d'hectares couverts de plantes fibreuses et des déchets agricoles renouvelables disponibles en quantités prodigieuses.

La seule existence de telles ressources en puissance cependant, prouve peu de choses sinon que, pour tout un ensemble de raisons l'exploitation ne s'en est pas encore révélée profitable. Mais la FAO s'est efforcée de montrer que l'exploitation est fréquemment possible, autant que souhaitable. Les principales conclusions auxquelles on est parvenu peuvent être résumées comme suit:

1. Le bambou des tropiques, la bagasse, la paille et autres déchets agricoles constituent des matières premières propres à la fabrication de la pâte et du papier sur le plan industriel.

2. A condition que ces sources potentielles de fibres soient utilisées, il n'y a aucun doute que l'approvisionnement mondial en matières premières papetières soit adéquat et même abondant pour satisfaire à toute augmentation concevable des besoins futurs du monde en pâte et en papier.

3. Il existe une gamme de procédés de cuisson bien au point pour convertir en pâte les matières premières jusqu'à présent non usuelles.

4. En général, les produits chimiques, l'énergie, les transports et, par dessus tout, l'argent, sont plus coûteux dans les pays insuffisamment développés que dans les régions industrielles, et un capital plus important est nécessaire pour installer une papeterie dans ces pays qu'en Amérique du Nord ou dans les pays scandinaves. L'incidence de ces éléments additionnels du prix de revient est cependant fréquemment compensée par l'existence de matière première et de main - d'œuvre à meilleur marché.

5. Une promesse économique suffisante réside dans la fabrication du papier à partir de matières premières nouvelles pour justifier l'examen sérieux de nombreux projets d'installation, sous les tropiques, d'usines de pâte et de papier.

Ces conclusions appellent quelques commentaires. Tout d'abord, alors que tous les principaux procédés de cuisson sont, dans une certaine mesure, applicables, quelques - uns seulement sont applicables avec succès à des mélanges complexes d'essences tels qu'on en trouve dans les forêts tropicales. En général, seuls les procédés alcalins - particulièrement celui au sulfate - apparaissent applicables aux mélanges de feuillus tropicaux. D'autre part, la pâte mécanique, principal élément du papier journal et des papiers d'impression à bon marché, ne peut être faite à partir d'aucune fibre agricole, mais seulement à partir d'un très petit nombre de feuillus tropicaux et de quelques feuillus de la zone tempérée. Mais, en troisième lieu, les pâtes produites à partir de ces matières premières se prêtent au mélange avec des pâtes de résineux ou de bambou, et c'est là une raison importante pour faire accorder plus d'attention que dans le passé à la production de papier à partir d'un mélange de différents types de pâtes. En quatrième lieu, bien que le papier fabriqué avec des matériaux non conventionnels dans des pays insuffisamment développés puisse être plus cher que le produit importé, il se peut aussi que, par suite de restrictions des devises ou des importations et de considérations politiques, des produits étrangers moins chers ne soient pas importés. Dans de telles circonstances, l'économie du pays tirerait avantage d'une industrie papetière locale, même à des prix de revient impliquant une perte fiscale temporaire.

Mais il est imprudent de généraliser sur des phénomènes aussi intangibles que les prix. Chaque projet particulier diffère nécessairement des autres et doit être alors examiné d'après ses mérites. Beaucoup de facteurs interviennent pour déterminer si un projet particulier est économique ou non. Ces facteurs ne peuvent être évalués que par l'étude et l'enquête les plus sérieuses.

Au premier stade d'implantation des usines papetières dans un pays tropical, l'attention doit être centrée sur quelques régions spécialement propices. Si les premiers projets sont démesurément ambitieux, trop étendus et divers, il peut en résulter des échecs décourageants, et l'ensemble du projet peut en souffrir.

Dans le cas d'une usine tributaire de ressources forestières, le plan d'installation comporte quatre stades principaux:

1. Le choix de l'emplacement de l'usine, déterminé d'après la proximité de la matière première, et des moyens d'alimentation en eau et en énergie.

2. Un inventaire d'ensemble de la forêt pour déterminer les dimensions et la composition du peuplement. (Cette opération ne peut se faire uniquement par inventaire aérien; des méthodes statistiques d'échantillonnage doivent aussi être utilisées.)

3. Expérimentation, tant au laboratoire qu'à l'échelle industrielle.

4. Le plan de l'installation et le choix du procédé à employer, suivant les indications préliminaires données en 1 et 3.

Toute expérience future de fabrication de papier à partir de bois tropicaux devrait être associée à un examen serré de la composition de la forêt qui fournit la matière première, afin de pouvoir juger la possibilité d'adaptation des essences au procédé de traitement. De même, les recherches de sylviculture sur les feuillus tropicaux devraient être considérablement intensifiées pour donner aux éventuels propriétaires des usines des notions suffisantes sur l'accroissement et la production, et même plus, sur les méthodes permettant d'assurer des ressources permanentes en essences précieuses.

Peu de personnes contesteront qu'il y ait des possibilités importantes, bien qu'actuellement limitées, de fabriquer du papier avec les feuillus tropicaux. Si ces usines sont installées dans des pays insuffisamment développés - ce que l'on peut considérer comme la règle - elles sont susceptibles d'augmenter le rythme d'industrialisation de ces pays, de même qu'une augmentation de l'industrialisation accélèrera le développement des papeteries en mettant à leur disposition plus de produits chimiques et d'équipement venant du pays lui-même. Au fur et à mesure que cette interaction se développe, les progrès dans l'expérience de la fabrication et de la vente du papier fabriqué à partir des bois tropicaux - peut - être aussi sa concurrence sur les marchés étrangers où la qualité d'un produit est d'une suprême importance - peuvent contribuer encore à accélérer sa production et sa consommation. On a toute raison de penser que ces ressources vastes et inexploitées peuvent apporter une contribution vitale à l'amélioration du niveau de vie dans les pays tropicaux. Inévitablement, il doit y avoir une période d'essai et d'erreurs. Mais, si les moyens techniques et économiques déjà existants sont utilisés rationnellement, une industrie papetière d'importance mondiale peut naître dans les régions arriérées du globe.


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