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ANNEXE 15

RENDEMENTS PAR RECRUE ET BIOMASSE FECONDE DU STOCK
DE Sardinella aurita1

par Pierre Fréon
ORSTOM, BP 5045, 34032 Montpellier cedex 1

Résumé

Après avoir estimé la mortalité naturelle par des méthodes indirectes (0,8 < M < 1,2), on a calculé l'évolution de la biomasse totale et de la biomasse féconde d'une cohorte. Le rendement par recrue a été également analysé. Si l'on accepte l'intervalle de variation des valeurs de F ci-dessus et les paramètres de croissance estimés au Sénégal, il ressort de ces analyses que la taille moyenne de première capture actuelle ne présente pas le risque d'une surexploitation par la croissance (growth overfishing). En revanche, du fait des l'incertitudes qui pèse sur la mortalité naturelle, le taux actuel d'exploitation et l'évolution de la biomasse féconde d'une cohorte, il ne faudrait pas réduire davantage cette taille de première capture, aussi bien pour éviter le risque de surexploitation par la croissance que par le recrutement (recruitment overfishing).

Abstract

After an estimation of natural mortality using indirect methods (0,8<M<1,2), the changes in total biomass and reproductive biomass of a cohort were computed. Yield per recruit was also analysed. If we accept the above range of variation of F and the growth equation parameters estimated in Senegal, analyses show that the present mean size of first recruitment cannot lead to a growth overfishing. This first size recruited must not be lowered in órder to avoid both growth overfishing and recruitment overfishing. In contrast, taking into account the state of uncertainty of the natural mortality, the level of exploitation and the changes in reproductive biomass of a cohort,

INTRODUCTION

La modélisation de la phase recrutée et les calculs de rendement par recrue qui suivent permettent de porter un diagnostic partiel sur le schéma d'exploitation d'un stock en terme d'optimisation de la taille à la première capture. Il suffit pour cela de disposer d'estimation de la mortalité naturelle et des paramètres de la courbe de croissance. Les résultats peuvent être difficile à exploiter dans le cas de pêcheries multi-engins si les différents engins ont des taille de première capture très différentes. C'est ici le cas, puisque les sardinelles sont exploitées principalement par des sennes tournantes (sardiniers et pirogues) et des chaluts pélagiques, et secondairement par des filets maillants encerclants, des bolinches (appâts des thoniers) et des sennes de plage. Seul ces deux derniers engin permettent de capturer de très jeunes individus, de taille très inférieure aux deux autres. Toutefois les captures de ces deux engins sont faibles (Fréon et al. 1978) et ne cessent de décroître. Les résultats de cette analyse s'appliqueront donc aux deux principaux engins.

1 Extrait de: Fréon, P. 1988.-- Réponses et adaptations des stocks de Clupéidés d'Afrique de l'Ouest à la variabilité du milieu et de l'ecxploitation. ORSTOM, Etudes et Thèses: 287 p.

La connaissance de la fécondité de l'espèce en fonction de sa taille et de la fréquence annuelle des pontes permet d'aborder également le problème sous l'angle de la biomasse féconde. Toutefois il s'agit là que de l'un des éléments d'appréciation sur l'exploitation du stock, qui ne dispense en aucun cas des études du niveau d'exploitation, que ce soit par la poursuite de cette approche structurale ou par l'approche globale.

ESTIMATION DE LA MORTALITE

Il n'a pas été jugé opportun d'utiliser la formule de BEVERTON et HOLT (1957) permettant de calculer Z à partir de la courbe de croissance, de la taille moyenne des poissons capturés et de leur taille à la première capture ; cette formule est très sensible aux variations de ces deux derniers paramètres, lesquels sont difficiles à estimer avec précision pour l'ensemble du stock.

Du fait de l'impossibilité actuelle d'estimer la mortalité totale Z et la mortalité par pêche F sur l'ensemble du stock, on est réduit à l'utilisation de méthodes indirectes, associées à leur cortège d'imprécisions.

On a d'abord utilisé la méthode de TAYLOR (1958), basée sur le principe selon lequel plus la durée de vie d'une espèce est courte, plus sa mortalité naturelle doit être élevée. Le paramètre A95 a été estimé à partir des paramètres de la courbe de croissance. On obtient ainsi : M=1,24.

On a ensuite appliqué la méthode de PAULY (1980) qui, en supplément des paramètres de croissance, utilise la température moyenne de l'eau dans laquelle vivent les individus. Ceci pose un problème pour le stock qui nous intéresse. Si les adultes se rencontrent dans une gamme de température de l'eau relativement étroite (15°à20°C) il en va différemment des jeunes individus. Ces derniers sont observés dans des eaux dont les températures varient de 15°à 29°C. Nous avons effectuè deux estimations pour deux températures moyennes extrêmes : 17°C et 27°C. On a appliqué aux résultats le facteur correctif de 0,6, recommandé par PAULY (1980) pour les poissons pélagiques (ce qui semble indiquer que ce groupe se prête mal à cette méthode d'évaluation de M). Les deux valeurs de M ainsi obtenues sont : 0,96 (pour 17°C) et 1,19 (pour 27°C).

Les résultats de ces différentes méthodes ne diffèrent donc pas énormément et se situent autour de 1,0. Cette valeur a été également obtenue par BEBARS (1981) sur la même espèce à partir de données de pêche expérimentales réalisées sur un stock inexploité en Egypte. Des valeurs aussi élevées sont la règle chez les petites Clupéidés à vie courte. BELVEZE (1984) estime que M est compris entre 0,5 et 0,7 pour les sardines marocaines et cite d'autres exemples de Clupéidés pour lesquels les valeurs varient de 0,4 à 1,12, cette dernière valeur correspondant à une autre espèce de sardinelles (Sardinella longiceps), très proche de S. aurita et vivant en Inde (M=0,67 à 1,12).

A partir de ces éléments, on a estimé que, pour le stock nous intéressant, M devait être compris entre 0,8 et 1,2. Dans la suite des calculs, trois valeurs seront utilisées (0,8 ; 1,0 ; 1,2) correspondant à trois hypothèses de travail.

EVOLUTION DE LA BIOMASSE ET DE LA FECONDITE D'UE COHORTE NON EXPLOITEE.

Connaissant pour chaque âge t : le poids moyen Wt, la proportion de femelles dans la population St, la proportion de femelles matures Pt, la fécondité moyenne Fet (BOELY, 1980 ; CONAND C. 1977), le nombre de pontes par an n et la mortalité naturelle M, il est possible de calculer l'évolution théorique de la biomasse instantané Btet de la fécondité potentielle instantané Fepit d'une cohorte théorique de N0 individus (tabl. 1;fig.1):

Bt = N0 e-MtWt

Fepit = Bt St Pt Fet n

Concernant la biomasse, l'âge critique tcri, àpartir duquel le poids de la cohorte diminue, varie de 1,05 an (pour M=1,2) à1,5 an (pour M= 0,8). Concernant la fécondité, l'âge critique varie de 1,05 à1,75 ans pour les mêmes valeurs de M. Ces résultats appellent deux remarques :

On notera, cependant, que les calculs de fécondité potentielle instantanée que nous avons effectués supposent qu'il n'y a que deux pontes par an et par individu (n = 2). Un changement de n ne modifierait pas la valeur de tcri mais, en revanche, si n augmentait avec l'âge des individus, le schéma serait considérablement modifié. Bien que l'on ne dispose d'aucune observation sur la fécondité individuelle, on sait que la période de reproduction des adultes est plus étendue que celle des jeunes reproducteurs, alors que la proportion de femelles matures ne change pas, ce qui donne à penser qu'un individu adulte se reproduit plus souvent ou plus longtemps qu'un jeune. Quoiqu'il en soit, l'incidence du nombre de pontes selon l'âge sur le recrutement reste difficile à estimer, du fait que les probabilités de survie des oeufs et larves varient selon les lieux et dates de ponte : il est possible que les pontes des jeunes reproducteurs, bien calées dans le temps et l'espace, soient en moyenne plus productives de recrues que celles des adultes, dont la stratégie de reproduction semble plus opportuniste (FREON, 1988).

Compte tenu de la décroissance exponentielle de la fécondité instantanée après deux ans dans notre schéma théorique, pour obtenir une courbe en plateau après cet âge il faudrait que le nombre de pontes par individu suive une progression géométrique de raison 2. Ceci est peu probable, après l'âge de 3 ans tout au moins.

MODELISATION DE LA PHASE RECRUTEE

Compte tenu de l'allométrie de la croissance de S. aurita (W = 6,292 10–3 L 3,274) et de la vitesse de cette croissance (k=-1,206, Loo=30,63 cm, t0=-0.062 an; BOELY et al., 1982), on a retenu le modèle dit B.W. JONES (1982) formulé par THOMSON et BELL (1934), en discrétisant l'échelle du temps par intervalle de 6 mois (programme fourni par la DRV de l'IFREMER).

Tabl. 1. Caractéristiques démographique d'une cohorte de 1000 individus 4 l'âge de 3 mois, subissant une mortalité naturelle M=1 (la fécondité de la cohorte suppose deux pontes par an et par individu. quel que soit l'âge)
Age (an)LF (cm)Poids (g)Sax- ratio% ♀ maturasFécondité ind.103EffectifFécpmdité cohor.105Biomasse (kg)
0.259.7110,6001000011
0.516.2580,610117791045
1.021.61490.5903447214470
1.525.42540.61006428722073
2.028.23580.61009617420062
2.528.93880.710010710515841
3.029.74240.71001196410627
3.530.24480.7100127396817
4.030.64680.8100133245011
4.531.14930.810014214327
5.031.75250.81001539225
5.531.95360.81001575143
6.032.15470.8100160382

Fig. 1

Fig. 1 - EVOLUTION DE LA BIOMASSE ISTANTANEE (A) ET DE LA FECONDITE INSTANTANEE (S) D'UNE COHORTE THEORIQUE DE SARDINELLA AURITA D'EFFECTIF 1000 INDIVIDUS A 3 MOIS, SUSISSANT DIVERSES MORTALITES NATURELLES (M=0.3.1.0.1.2)

Fig. 2

Fig. 2 - Isoplètes de rendement par rendement par rccrue pour Sardinella aurita d'aprés le modèle de B.-W/ JONES pour différentes valcurs de la mortalité naturelle (M=0,8 ; 1,0 ; 1,2)

En l'absence de critère objectifsur le vecteur des mortalités par âge, on a supposé F constant : bien que les individus de taille modale 26 – 27 cm (18 mois à2 ans) soient peu exploités sur la Petite Côte et en Casamance, ils sont capturés en grande quantité au nord de la région mauritanienne. On raisonnera donc ici en terme de rendement par recrue Y/R pour l'ensemble du stock exploité sur toute la région. Ceci suppose par ailleurs que les paramètres de la courbe de croissance soient les mêmes pour toutes les nurseries.

L'âge à la première capture tc est d'environ 0,5 an (16 cm) si l'on néglige les captures réalisées par les sennes de plage et les thoniers canneurs. Il est donc inférieures à 2,5 tcri et l'on doit voir le rendement par recrue diminuer pour de fortes valeurs de F. Ceci n'apparaît pratiquement pas sur les figures d'isoplètes de rendements par recrue (si ce n'est pour N1=0,8) du fait qu'elles ne représentent que des valeurs de F inférieures à2,5 (fig. 2). Il faudrait atteindre des valeurs de F extrêmes, ou exploiter des individus très jeunes pour se trouver dans cette situation.

Les courbes eumétriques TV (BEVERTON et HOLT, 1957) indiquent qu'une augmentation de l'âge àla première capture n'apporterait aucun bénéfice pour des valeurs de F inférieures à0,5, et un faible bénéfice pour des valeurs de F élevées, si ce n'est pour M = 0,8. Au-delàde l an (pour M = 1,2) ou 1,5 an (pour M = 0,8) l'augmentation de tc conduirait àune diminiution du rendement par recrue.

Les courbes eumétriques TH (BEVERTON et HOLT, 1957), qui maximisent les rendements pour un tc donné, correspondent à des valeurs de F supérieures à I. voire à 2 si l'onretient M = 1,2.

On manque d'éléments pour situer l'impact actuel des pêcheries en terme de mortalité par pêche, et donc pour se positionner sur les isoplètes. Toutefois on les résultats précédants peuvent être confrontés àdeux autres sources informations indépendantes.

On peut d'abord vérifier que la tendance àla baisse des p.u.e. observée sur la Petite Côte du Sénégal correspond bien à une augmentation de la mortalité par pêche F, et non simplement à une compétition locale entre unité de pêche. Pour cela, on a porté sur un même graphique la relation entre p.u.e et F et celle entre (Y/R)/F et F (fig. 3). Si l'on considère que durant la période d'observation (1966 à1983), la diminution d'abondance est indépendante de la relation stock-recrutement, on peut considérer ce dernier comme un bruit. Dans ces conditions les deux courbes doivent présenter des pentes voisines. C'est ce que l'on observe en retenant M = 1,0 et Tc = 0.5. Si cette similitude ne pentes ne consititue en aucun cas une validation des résultats, elle montre que l'approche structurale et l'approche globale ne conduisent pas, dans cette première étape, àdes résultats contradictoires.

Par ailleurs, l'importance des prélèvements réalisés sur l'ensemble de la zone sénégalo-mauritanienne, par rapport aux évaluations de biomasse obtenues par échointégration (pour aussi imprécises que soient ces dernières) indiquent que le niveau d'exploitation du stock est loin d'être négligeable. Il est donc vraisemblable que F soit actuellement du même ordre de grandeur que M. On ne peut donc espérer augmenter le rendement par recrue en augmentant la taille de première capture. Le risque serait au contraire de diminuer ce rendement par recrue en capturant des individus âgés de moins de 6 mois, avec en supplément le risque (mal évalué) de trop diminuer la biomasse féconde. Le diagramme actuel d'exploitation est donc convenable pour les sennes touranantes.

Fig. 3

Fig. 3 - Comparaison de l'évolution des prises par unité d'effort de Sardinella aurita sur la Petits Côte avec l'évolution du rapport R/F (rendement par recrue/mor talité par pêche) obtenue d'après le modéle de B.-W. JONES, pour M=1,0 et Tc=0,5.

CONCLUSION

Il ressort de ces analyses que la taille moyenne de premiére capture actuelle ne présente pas le risque d'une surexploitation par la croissance (growth overfishing). En revanche, du fait des l'incertitudes qui pèse sur la mortalité naturelle, le taux actuel d'exploitation et l'évolution de la biomasse féconde d'une cohorte, il ne faudrait pas réduire davantage cette taille de première capture, aussi bien pour éviter le risque de surexploitation par la croissance que par le recrutement (recruitment overfishing). Bien évidemment ces résultats sont très sensibles àla vitesse de croissance utilisée. Rappelons que nous avons utilisés les paramètres de estimés par BOELY et al. (1982) qui supposent la formation de 2 anneaux annuels sur les écailles et que ces mêmes auteurs soulignent la contradication de leurs résultats avec ceux d'autres équipes qui estime qu'un seul anneau se formerait chaque année.

BIBLIOGRAPHIE

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