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2. UN PEU D’HISTOIRE


Plusieurs évènements ont eu un impact sur le développement de la gamme existante des normes sociales et environnementales volontaires et des programmes de certification et de labellisation agricoles s’y rapportant. Le présent chapitre aborde brièvement certains de ces événements afin d’aider à mieux comprendre la situation actuelle.

2.1 LABELLISATION ALIMENTAIRE[1]

Des preuves datant du tout début de l’invention de l’écriture indiquent que les autorités dirigeantes se sont préoccupées très tôt des règles de codification. Les règles visaient essentiellement à protéger les consommateurs face aux pratiques malhonnêtes dans le commerce alimentaire. Des tablettes assyriennes décrivent la méthode à utiliser pour déterminer les poids et mesures corrects pour les céréales vivrières, et les manuscrits égyptiens prescrivaient la labellisation de certains aliments. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, les premières lois alimentaires générales ont été adoptées et des systèmes de contrôle des aliments de base ont été mis en place pour le contrôle de la conformité. Sous l’Empire austro-hongrois entre 1897 et 1911, un ensemble de normes et de descriptions de produits pour un grand nombre d’aliments a été mis au point dans le Codex Alimentarius Austriacus. Le Codex Alimentarius d’aujourd’hui tire son nom du code autrichien. Les premières tentatives de facilitation du commerce mondial par le recours à des normes harmonisées sont le fait des associations de commerce alimentaire au début des années 1900.

Dans les années 50, de plus en plus d’informations étant disponibles sur les aliments et les questions s’y rapportant, l’appréhension des consommateurs augmenta. Alors qu’auparavant les préoccupations des consommateurs ne se rapportaient qu’aux éléments «visibles» - poids réel inférieur au poids déclaré, variations des tailles, labellisation trompeuse et qualité médiocre - elles incluaient dès lors la peur des éléments «invisibles» tels que les micro-organismes, les résidus de pesticides, les polluants environnementaux et les additifs alimentaires, ainsi qu’un intérêt accru pour la manière dont les produits étaient cultivés et transformés. En réponse à ces peurs et à cet intérêt, les emballages alimentaires donnaient de plus en plus d’informations.

2.2 NORMES DU TRAVAIL ET RESPONSABILITÉ SOCIALE[2]

L’histoire des normes du travail remonte à la création de l’Organisation internationale du Travail (OIT). La nécessité d’une telle organisation avait été préconisée au XIXe siècle par deux industriels, le Gallois Robert Owen (1771-1853) et le Français Daniel Legrand (1783-1859). Leurs idées ont été intégrées dans la Constitution de l’Organisation internationale du Travail, adoptée à la fin de la première guerre mondiale. La motivation initiale était humanitaire. La condition des travailleurs, de plus en plus nombreux et exploités, était de moins en moins acceptable. En second lieu, sans une amélioration de leur condition, les travailleurs risquaient de provoquer une agitation sociale. La troisième motivation était économique. En raison de son effet inévitable sur le coût de la production, toute industrie ou tout pays adoptant une réforme sociale se serait trouvé désavantagé vis-à-vis de ses concurrents. Une réforme simultanée par le biais de l’Organisation internationale du Travail permettait d’éviter ce problème.

L’OIT est une organisation tripartite qui réunit au sein de ses organes exécutifs des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs. La première Conférence internationale du travail annuelle, en octobre 1919, a adopté les six premières Conventions internationales du travail, qui traitaient des heures de travail dans l’industrie, du chômage, de la protection de la maternité, du travail de nuit des femmes, de l’âge minimum, et du travail de nuit des jeunes dans l’industrie. Quelques années plus tard, la Cour internationale de justice a déclaré que le domaine de l’OIT s’étendait également à la réglementation internationale des conditions de travail dans le secteur agricole. En 1948, la Conférence internationale du travail a adopté la Convention No. 87 sur la liberté d’association et le droit syndical.

Plus récemment, certaines initiatives ont mis au point des normes de travail vérifiables sur la base des principales Conventions de l’OIT. Dans le secteur agricole, les plus importantes sont la norme SA8000 de l’organisme Social Accountability International (SAI), et le Code fondamental de l’Initiative de commerce éthique. De même, d’autres normes qui seront examinées plus tard, telles que les normes environnementales et du commerce équitable, ont inclus les exigences des conditions de travail sur la base des Conventions de l’OIT.

2.3 AGRICULTURE DURABLE ET LABELLISATION

En 1983, les Nations Unies ont créé une commission internationale pour proposer des stratégies de «développement durable» - des moyens d’améliorer le bien-être humain sur le court terme sans menacer l’environnement local et mondial sur le long terme. Son rapport publié en 1987, Notre avenir à tous, est largement connu sous le nom de «Rapport Brundtland». Lors de la Conférence des Nations Unies de 1992 sur l’environnement et le développement (CNUED, ou Sommet de la Terre) à Rio de Janeiro, la communauté internationale a adopté l’Action 21, un plan d’action mondial pour le développement durable[3]. La Commission sur le développement durable a été créée en décembre 1992 afin d’assurer un suivi effectif de la CNUED.

Le chapitre 14 de l’Action 21 traite spécifiquement de l’Agriculture et du Développement Rural Durables (ADRD). La FAO a été désignée comme maître d’œuvre pour contrôler la mise en œuvre du chapitre 14.

Le chapitre 4 de l’Action 21 est intitulé Modification des modes de consommation, et comprend les sections suivantes:

4.20 L'apparition récente, dans de nombreux pays, d'un public de consommateurs plus sensibilisés à l'environnement, alliée au souci croissant de la part de certaines industries de fournir des produits de consommation écologiquement rationnels, est un phénomène important qu'il convient d'encourager. Les gouvernements et les organisations internationales devraient, en collaboration avec le secteur privé, mettre au point des critères et méthodes permettant d'évaluer l'impact sur l'environnement et les besoins en matière de ressources pendant toute la durée de vie des produits et procédés. Les résultats de ces évaluations devraient permettre d'établir des indicateurs précis afin d'informer les consommateurs et les responsables.

4.21 Les gouvernements, en coopération avec les milieux industriels et autres groupes intéressés, devraient encourager la spécification des caractéristiques écologiques et autres programmes d'information sur les produits ayant trait à l'environnement, de manière à aider les consommateurs à choisir en toute connaissance de cause.

Un des labels environnementaux les plus connus sur les produits alimentaires est le label biologique. Bien qu’on puisse soutenir que l’agriculture biologique est pratiquée depuis des milliers d’années partout dans le monde, le «certifié biologique» trouve son origine en Europe. Dans les années 20, les enseignements de Rudolf Steiner ont inspiré la pratique de ce qui est maintenant communément connu comme l’agriculture biodynamique. Dans les années 60, l’agriculture écologique ou biologique s’est répandue au-delà de ce petit groupe de pionniers, et un vivier de consommateurs a commencé à se construire. Le développement de l’agriculture biologique a été indubitablement influencé par le livre de Rachel Carson intitulé Silent Spring, qui exposait en 1962 les risques du pesticide DDT et a eu un impact important sur la sensibilisation du grand public vis-à-vis des aspects négatifs des méthodes d’agriculture intensive en général, et des dangers d’une utilisation non contrôlée des pesticides en particulier. Avec le développement du secteur biologique, les associations d’exploitants biologiques ont rédigé leurs propres normes, davantage pour faire connaître ce qu’ils avaient appris que pour codifier ce qui constitue l’«agriculture biologique». La codification des paramètres de l’agriculture biologique n’est devenue nécessaire que lorsque la demande des consommateurs en produits biologiques a augmenté, que les produits biologiques furent disponibles dans les points de vente alimentaires conventionnels et que les primes de prix représentèrent une incitation à la fraude.

D’autres labels environnementaux plus récents sur les aliments sont le label Rainforest Alliance Certified (anciennement ECO-OK); le label Birdfriendly coffee de l’Institut smithsonien, et diverses déclarations de recours à des «méthodes de production raisonnée» et à une Protection Intégrée contre les ravageurs (PI). De même, l’Organisation internationale de normalisation (ISO) a mis au point une norme relative aux systèmes de gestion environnementale, ISO 14001.

2.4 COMMERCE ÉQUITABLE

Lors de la Conférence économique de Londres dans les années 30, la Société des Nations a identifié deux problèmes importants. En premier lieu, l’importance d’une augmentation du pouvoir d’achat des producteurs de produits de base, en maintenant les prix à l’exportation des matières premières à des niveaux de rémunération justes. En second lieu, le fait que les mesures protectionnistes ont souvent conduit à une surproduction, provoquant une pression à la baisse sur les prix[4]. Ce n’est qu’avec la création de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) en 1947 qu’une organisation pour le commerce est enfin née. Le GATT s’est concentré sur la suppression des obstacles au commerce par des engagements en faveur de la réduction et de l’élimination des quotas et des tarifs d’importation. Le GATT ne se concentrant que sur les réductions des tarifs et des quotas, l’insatisfaction de nombreux pays en développement a conduit à la création de la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le Commerce Et le Développement) en 1964. Pendant la Conférence CNUCED en 1968, à Delhi, les pays en développement réclamèrent «Trade not Aid» («oui au commerce, non à l’assistanat»). Ce slogan se référait à la nécessité de réduire l’écart entre les devises étrangères que les pays en développement se procuraient grâce à leurs exportations, et les devises étrangères nécessaires pour leurs importations[5].

Les premières actions de «commerce équitable» d’ONG ont eu lieu aux États-Unis, Ten Thousand Villages et SERRV ayant commencé à faire du commerce avec les communautés pauvres dans les pays en développement à la fin des années 40. En Europe, Oxfam a commencé à importer et vendre de l’artisanat fabriqué par des réfugiés chinois à Hong Kong à la fin des années 50. En 1964, Oxfam a créé le premier Organisme de Commerce Alternatif (OCA). Des initiatives parallèles sont nées aux Pays-Bas, avec la mise en place en 1967 de l’organisme importateur S.O.S Wereldhandel (aujourd’hui Fair Trade Organisatie). Dans le même temps, des groupes tiers-mondistes néerlandais ont commencé à vendre du sucre de canne portant la mention «En achetant du sucre de canne, vous... donnez aux pays pauvres une place au soleil de la prospérité». Ces groupes ont continué à vendre de l’artisanat des pays en développement, et en 1969 s’est ouvert le premier magasin de commerce équitable[6]. Les OCA ont mis en place des relations directes avec les petits producteurs pauvres et leur ont payé (du moins affirment-ils leur avoir payé) un prix plus élevé pour leurs produits.

Au début des années 80, les prix de nombreux produits agricoles de base se sont effondrés, et les petits producteurs de café en particulier ont connu une période difficile. Aux Pays-Bas, un label de commerce équitable (Max Havelaar Keurmerk) a été créé, et le premier café portant un label du commerce équitable a été mis en vente en 1988. Cette date est considérée comme le début de la seconde génération d’initiatives de commerce équitable, les organismes de labellisation n’ayant aucun intérêt économique dans les produits avec label. Ce modèle a permis de vendre des produits du commerce équitable par le biais des réseaux conventionnels.


[1] FAO/OMS, 1999.
[2] Les deux premiers paragraphes de cette section s’inspirent de l’OIT, 2000.
[3] CNUED, 1992.
[4] Coote, 1992.
[5] Corea, 2001.
[6] Bowen, 2001; Douglas, 2002.

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