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3. LES CONCEPTS DE NORMES, DE CERTIFICATION ET DE LABELLISATION


3.1 NORMALISATION

Un des principaux objectifs de la normalisation est habituellement que tout le monde adhère aux mêmes normes, c’est-à-dire aux mêmes procédures ou spécifications de produits. Elle peut assouplir les procédures logistiques, faciliter le commerce, empêcher que les consommateurs ne soient trompés et améliorer la qualité. On voit aisément comment la normalisation facilite le commerce et les autres procédures logistiques, ne serait-ce qu’en constatant les complications que des systèmes différents de mesure du poids peuvent causer. Cependant, l’amélioration de la qualité ne résulte pas automatiquement de la normalisation. Cela n’est le cas que lorsque la norme préconisée est une norme «supérieure», c’est-à-dire que les exigences constituent une amélioration par rapport à la pratique courante.

3.2 NORMES

Les normes sont définies par l’ISO comme

... des accords documentés contenant des spécifications techniques ou d’autres critères précis à utiliser de manière cohérente comme règles, directives ou définitions, afin d’assurer que les matériaux, produits, processus et services sont adaptés à leur objet.[7]

Avec cette définition il apparaît clairement que les normes ne sont pas seulement utilisées pour la normalisation, mais également comme «directives», c’est-à-dire pour le renforcement institutionnel.

Les normes de produits sont les spécifications et critères se rapportant aux caractéristiques des produits. Les normes de processus sont les critères concernant la façon dont les produits sont faits. Les normes sociales et environnementales dans l’agriculture sont essentiellement des normes de processus. Ces critères de processus peuvent avoir une influence ou non sur les caractéristiques des produits finis.

Les normes de processus peuvent encore se décomposer en normes de système de gestion et normes de performance. Les normes de système de gestion posent des critères pour les procédures de gestion, par exemple pour la documentation ou pour les procédures de suivi et d’évaluation. Elles ne posent pas de critères pour la performance du système de gestion en termes de ce qui se passe effectivement sur le terrain ou dans l’usine d’emballage. Inversement, les normes de performance posent des exigences vérifiables pour les facteurs tels que la non utilisation de certains pesticides, ou la disponibilité des services sanitaires.

L’adoption de normes internationales s’est révélée très difficile en raison de la diversité des circonstances qui existent à travers le monde. Cela est particulièrement vrai pour les pratiques agricoles, qui doivent répondre à des différences de climats, de sols et d’écosystèmes, et font partie intégrante de la diversité culturelle. En réponse à cette diversité, les normes environnementales et sociales internationales sont souvent des standards normatifs, à savoir des normes ou directives génériques à utiliser comme un cadre par les organes locaux d’élaboration de normes ou de certification afin de formuler des normes plus spécifiques. Il faut noter que les normes environnementales et sociales dans l’agriculture n’ont habituellement pas pour objet la normalisation en soi, mais sont développées pour améliorer la durabilité environnementale et sociale dans la diversité des systèmes existants d’exploitation et de commerce agricole.

3.3 CERTIFICATION

La certification est une procédure par laquelle une tierce partie donne l’assurance écrite qu’un produit, processus ou service est en conformité avec certaines normes[8]. La certification peut être vue comme une forme de communication le long de la filière d’approvisionnement. Le certificat montre à l’acheteur que le fournisseur obéit à certaines normes, ce qui peut s’avérer plus convaincant que si le fournisseur lui-même en avait donné l’assurance.

L’organisme accomplissant la certification est appelé organisme de certification ou certificateur. L’organisme de certification peut effectuer l’inspection effective, ou donner l’inspection en sous-traitance à un inspecteur ou à un organe d’inspection. La décision de certification, à savoir la délivrance de l’assurance écrite ou «certificat», se fonde sur le rapport d’inspection, éventuellement complété par d’autres sources d’information.

La certification est toujours effectuée par une tierce partie. La vérification est faite et l’assurance est fournie par une partie qui n’a pas d’intérêt direct dans la relation économique entre le fournisseur et l’acheteur. Un contrôle interne est une vérification par première partie. Lorsqu’un acheteur vérifie si le fournisseur adhère à une norme, il s’agit d’une vérification par seconde partie.

Il est important de noter que la vérification par tierce partie ne garantit pas automatiquement l’impartialité ou l’absence de conflits d’intérêts. En premier lieu, l’élaboration des normes peut être faite par toute partie. Le producteur (première partie) peut adopter une norme, auquel cas il est probable que les intérêts du producteur seront reflétés dans la norme. De même, l’acheteur (seconde partie) peut adopter une norme, auquel cas les intérêts commerciaux seront reflétés dans la norme. En second lieu, si l’organe d’élaboration de normes et l’organisme de certification sont une seule et même entité, cela peut également causer des conflits d’intérêts. L’organe d’élaboration de normes peut souhaiter une application large de sa norme, ou risque d’avoir un parti pris contre certains types de producteurs pour des raisons idéologiques, ce qui peut influencer les décisions de certification. En troisième lieu, un conflit d’intérêts peut survenir selon la personne qui paye les coûts de certification. Les organismes de certification commerciale sont confrontés à la concurrence de la part d’autres entités et ils peuvent perdre des clients s’ils sont trop sévères.

3.4 ACCRÉDITATION

Le système de règles, de procédures et de gestion pour réaliser la certification, y compris les normes par rapport auxquelles la certification est faite, est appelé programme de certification. Un seul organisme de certification peut mettre en œuvre plusieurs programmes de certification différents. Pour assurer que les organismes de certification aient la capacité de mettre en œuvre des programmes de certification, ils sont évalués et accrédités par un organe faisant autorité. Les organismes de certification doivent éventuellement être accrédités par un institut gouvernemental ou para-étatique, qui évalue la conformité aux directives adoptées par l’ISO, l’Union européenne ou autre entité pour le fonctionnement des organismes de certification et d’inspection. De plus, les organes d’élaboration de normes peuvent accréditer les organismes de certification quant à la portée de leur norme spécifique. Lorsque les organes d’élaboration de normes ont développé des standards normatifs, ils évaluent si la norme spécifique utilisée par l’organisme de certification est conforme à la norme générique et s’ils sont satisfaits de la méthode de vérification.

La certification et l’accréditation ont un coût. La mise en œuvre de normes requiert habituellement des investissements, mais entraîne parfois une réduction des coûts de production à plus long terme. Les effets possibles de la mise en œuvre de la norme et des coûts de certification sur les coûts de production, revenus et aspects économiques seront traités plus en détail dans le chapitre 6.

3.5 LABELS

Un label de certification est un label ou un symbole indiquant que la conformité aux normes a été vérifiée. L’utilisation du label est habituellement contrôlée par l’organe d’élaboration de normes. Le label peut appartenir aux organismes de certification lorsque ceux-ci certifient par rapport à leurs propres normes spécifiques.

Alors que le certificat est une forme de communication entre vendeur et acheteur, le label est une forme de communication avec le consommateur final. Pour que cette communication soit réelle, le label doit avoir une signification. Pour l’Union des consommateurs aux États-Unis, un label qui a une signification n’est pas seulement soutenu par un bon système de certification dénué de conflits d’intérêts, mais le système doit aussi être transparent, les informations sur le contenu et l’organisation à l’origine du label doivent être accessibles et le public doit pouvoir faire des observations. L’Union des consommateurs préconise également que la signification du label doit être cohérente pour l’ensemble des produits portant le label.[9]

3.6 ASPECTS ÉCONOMIQUES DE LA LABELLISATION ENVIRONNEMENTALE ET SOCIALE

Aspects économiques de l’information[10]

La labellisation offre l’opportunité de créer des marchés de niche dans lesquels des prix plus élevés peuvent être demandés. La théorie économique inhérente à la labellisation des produits peut remonter aux travaux de Stigler[11] sur les aspects économiques de l’information. Dans les travaux de Stigler, l’information est décrite comme une ressource précieuse, en particulier l’information sur les prix. La détermination des prix exigés par chaque vendeur pour un produit est une tâche qui demande beaucoup de temps. Nelson[12] soutient que le problème de la détermination des niveaux de qualité est même plus important que celui de la détermination des niveaux de prix. De plus, la qualité étant visible au moment de l’achat, les vendeurs sont non seulement incités à promettre des produits de qualité supérieure mais aussi à commercialiser des produits de qualité médiocre, comme le fait remarquer Akerlof[13]. Ainsi, sur certains marchés, le consommateur est confronté à une plus grande incertitude en ce qui concerne la qualité qu’en ce qui concerne les prix[14].

Les économistes font la distinction entre les attributs de recherche, d’expérience et de croyance des produits. Les attributs de recherche sont les caractéristiques que les consommateurs peuvent vérifier avant d’acheter le produit, tels que le prix, la taille et la couleur. Les attributs d’expérience sont ceux qui peuvent être évalués après l’achat du produit, comme le goût[15]. Les attributs de produit que les consommateurs ne peuvent évaluer, même par l’utilisation, sont appelés attributs de croyance[16]. L’impact environnemental des méthodes de production et des conditions de travail le long de la filière d’approvisionnement sont des attributs de croyance.

Les fournisseurs peuvent vanter les attributs d’expérience et de croyance de leurs produits sous forme de publicité, mais les fournisseurs ne feront de publicité que tant qu’ils la considéreront comme un moyen d’accroître leur part de marché, et ne révèleront que les informations qui sont à leur avantage. Aldrich soutient que cela aboutit à des revendications explicites sur tous les avantages de la marchandise et rend les consommateurs suspicieux à l’égard des marchandises sans revendication[17]. Les consommateurs seront probablement plus sceptiques à l’égard d’une revendication du fournisseur concernant les attributs de croyance, parce qu’ils savent qu’ils ne sont pas en position de contrôler sa validité même après l’achat. La labellisation basée sur une vérification par tierce partie peut transformer les attributs de croyance en attributs de recherche, donc en attributs pouvant être vérifiés par les consommateurs au moment de l’achat.[18]

Si l’information sur la qualité par unité d’aliment est répartie de manière égale entre les producteurs et les consommateurs, l’équilibre du marché sera alors effectif[19]. Les consommateurs sont en mesure d’acheter les marchandises qui correspondent le mieux à leurs préférences et les ressources de la société sont utilisées de manière efficace. Si en revanche l’information est asymétrique, alors cet équilibre du marché ne sera pas effectif. Un exemple pourrait être celui des producteurs qui fraudent sur les normes de qualité. L’information asymétrique en particulier peut être un problème sur les marchés des aliments ayant des attributs de croyance négatifs (par exemple des résidus de pesticides, ou le recours au travail des enfants dans le processus de production). Dans ces cas, les sociétés ne sont pas incitées à révéler des informations et les consommateurs finissent par acheter des marchandises qui ne correspondent pas à leurs préférences. Le marché ne fonctionne pas alors efficacement: les marchandises qui seraient rentables avec une information parfaite ne sont plus produites alors que celles qui ont une valeur moindre aux yeux des consommateurs sont produites à la place[20]. C’est ici que la certification (= vérification par tierce partie) et la labellisation peuvent créer un marché efficace en supprimant l’asymétrie de l’information, à supposer que les labels utilisés aient une signification.

Variables déterminant les effets de la labellisation

Plusieurs études ont tenté de modéliser les effets de la labellisation sur la demande, les prix et les niveaux de production[21]. Plusieurs suppositions doivent être inévitablement faites pour les objectifs de modélisation, et certaines de ces suppositions sont étudiées ci-dessous à la lumière de certaines des caractéristiques de la labellisation biologique, l’objectif étant celui d’un meilleur aperçu des variables déterminant les effets des programmes de labellisation. La discussion se concentrera sur la labellisation biologique car il s’agit actuellement du segment de marché «environnemental» le plus important pour les produits tropicaux et horticoles. La certification et l’agriculture biologiques seront présentées de manière plus complète dans le chapitre suivant, avec d’autres normes et programmes de labellisation.

La première supposition que font de nombreux modèles est qu’avant l’introduction de la labellisation, le produit n’était pas différencié. Pour les produits biologiques, des marchés différenciés existaient déjà avant l’introduction des labels biologiques. L’agriculture biologique provient d’exploitants sensibilisés qui ont développé des réseaux alternatifs de commercialisation au sein de leurs communautés, par le biais de marchés d’exploitants et de systèmes d’abonnement à un panier. Dans les systèmes d’abonnement à un panier, le producteur ou le magasin d’alimentation naturelle confectionne des paniers de nourriture (biologique) que les consommateurs peuvent se faire livrer à domicile ou aller chercher, généralement une fois par semaine. De même, les primes de prix existaient déjà, comme le constate le Ministère de l’agriculture des États-Unis (United States Department of Agriculture, ou USDA) pour plusieurs secteurs agricoles dans les années 70[22]. Une telle segmentation du marché avant la labellisation pourrait équilibrer dans une certaine mesure l’offre et la demande et réduire le risque de surplus ou de pénurie au moment de l’introduction du label.

La seconde supposition est qu’un produit homogène peut être produit en respectant ou pas l’environnement. Pour l’agriculture biologique, il s’est avéré assez difficile de «définir» le biologique. Il existe toute une gamme de modes de production agricole, qui va de l’agriculture «industrielle» à forts intrants externes, en passant par toutes sortes de «méthodes d’agriculture raisonnée», jusqu’à l’agriculture biologique et au-delà. La présence d’autres labels environnementaux sur les produits, qu’ils soient appuyés par une vérification par tierce partie ou non, pourrait aussi avoir des impacts sur la réaction du consommateur face au label biologique et aux primes de prix.

Certains modèles supposent que les consommateurs avertis n’achètent que des produits avec label, mais ils reconnaissent que cette supposition est quelque peu rigide. Dans la réalité du marché biologique, même les soi-disant «gros usagers» n’achètent pas cent pour cent biologique ou commerce équitable. Les consommateurs achètent probablement à la fois la version avec label et la version sans label d’un produit, en fonction de la disponibilité et du prix selon le moment et le lieu. Ainsi, les consommateurs peuvent se rendre occasionnellement dans des magasins spécialisés où se trouve un large éventail de produits biologiques, mais ils font leurs achats en temps normal dans des supermarchés ne disposant que d’une gamme réduite.

En outre, les modèles peuvent supposer que le nombre des consommateurs avertis et des consommateurs non avertis est fixe. Certains prennent en considération l’influence du label sur la volonté de payer une prime de prix pour le consommateur déjà averti. D’autres reconnaissent que la volonté de payer peut varier d’un consommateur averti à l’autre, à savoir que si les primes de prix baissent, plus de consommateurs seront prêts à acheter le produit avec label. Cependant, la présence de labels peut en soi accroître la prise de conscience des consommateurs ainsi que le nombre de consommateurs avertis. En effet, de nombreux consommateurs n’ont appris que récemment l’existence de méthodes d’agriculture biologique et la différence par rapport aux méthodes conventionnelles, grâce au label et à la publicité s’y rapportant.

Une des suppositions les plus importantes est que tous les produits issus de toutes les unités de production qui respectent l’environnement porteront automatiquement un label. Or, lorsque l’offre des unités certifiées est supérieure à la demande, une partie de ces produits est vendue sur le marché conventionnel/sans label. L’expérience du marché biologique montre que cela se produit avant que les prix biologiques ne tombent au niveau des prix conventionnels. Dans ce cas, il n’existera pas de mesure d’incitation pour convertir plus de producteurs au biologique, car ils ne seront probablement pas en mesure de vendre sur le segment de marché biologique. Cependant, en général, les producteurs certifiés existants ne sortent pas du système de certification et ils continuent à recevoir une prime de prix pour une partie de leur production. En raison de la nature des systèmes de production biologique, non seulement les producteurs conventionnels font preuve d’une certaine inflexibilité à passer aux méthodes de production biologique, mais également d’une inflexibilité à revenir aux méthodes conventionnelles.

De plus, la demande de produits alimentaires tels que le café et les bananes est assez rigide sur les marchés considérés. Les consommateurs avertis peuvent souhaiter payer plus cher pour des produits avec label, mais cela ne signifie pas que si la prime de prix diminue, ils achèteront une quantité plus importante du produit portant le label. Cependant, il est probable que les baisses de prix persuadent les consommateurs qui sont sensibilisés de manière marginale, de passer des produits sans label aux produits avec label. En outre, si un produit portant un label biologique présente une prime bien supérieure à celle d’un autre produit biologique dans la même catégorie, les consommateurs avertis peuvent substituer le produit plus cher par un moins cher. Ainsi, sur le segment de marché biologique, certains «légumes traditionnels» ont une part plus importante que sur les marchés conventionnels parce qu’ils sont plus résistants et donc plus faciles à faire pousser en recourant aux méthodes de production biologique. En particulier en raison du potentiel d’extension de la base des consommateurs aux consommateurs avertis de manière marginale, il se pourrait fort bien que la demande de produits biologiques soit plus souple au niveau des prix que la demande en aliments conventionnels. En effet, une plus grande souplesse des prix a été constatée au Danemark pour des produits laitiers biologiques par rapport aux aliments conventionnels[23].

Une considération finale concerne les répercussions de prix le long de la filière d’approvisionnement. Il est connu qu’en général la répercussion des prix est imparfaite. Les primes de prix à la consommation biologique peuvent être inférieures ou supérieures aux primes pour les producteurs primaires. De nombreux observateurs des marchés biologiques pensent que les primes sont habituellement plus élevées au niveau du détaillant qu’au niveau du producteur. Les effets de la labellisation sur les prix sont même plus difficiles à analyser si l’on considère l’existence de prix différents pour le même produit conventionnel, principalement en fonction de la notoriété de la marque. Les prix à la consommation biologique sont souvent du même ordre que ceux des marques conventionnelles les plus chères.


[7] ISO, 1996.
[8] ISO, 1996.
[9] Rangan, 2002.
[10] Cette section s’inspire de la FAO, 2001.
[11] Stigler, 1961.
[12] Nelson, 1970 et 1974.
[13] Akerlof, 1970.
[14] Andrews, 1992.
[15] Nelson, 1970.
[16] Darby et Karni, 1973.
[17] Aldrich, 1999.
[18] Caswell, 1998.
[19] FAO, 2001.
[20] Golan, Kuchler et Mitchell, 2000.
[21] Inter alia, Mattoo et Singh, 1994, et Sedjo et Swallow, 1999, ont étudié l’éco-labellisation dans un modèle d’équilibre partiel. Marette, Crespi et Schiavana, 1999, utilisent la théorie du cartel, et Mason, 2002, modélise la certification comme test de parasite.
[22] USDA, 1980.
[23] Wier, Hansen et Smed, 2001.

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