Previous PageTOCNext Page

Les arbres génétiquement modifiés sont-ils
une menace pour les forêts?

M.H. El-Lakany

M. Hosny El-Lakany est Sous-Directeur général, Département des forêts de la FAO, Rome.

Il faut des informations fiables sur les arbres génétiquement modifiés pour distinguer les faits des émotions.

Les organismes génétiquement modifiés (OGM) sont des organismes qui ont été transformés par l’insertion d’un ou de plusieurs gènes isolés. Souvent, mais pas toujours, les gènes transférés proviennent d’espèces différentes de celle du destinataire.

La question de la modification génétique a fait l’objet de débats passionnés et a récemment ravivé des préoccupations plus générales concernant l’introduction de nouveaux génotypes (Cock, 2003). Tant les scientifiques que le grand public ont exprimé leurs inquiétudes quant aux risques de flux génétiques possibles (transfert de gènes à des populations génétiques ou des plantes sauvages apparentées, pouvant entraîner l’hybridation ou l’introgression, et désigné parfois sous le nom de pollution génétique) et d’impacts sur l’environnement (y compris l’élimination d’espèces locales). La pollution génétique et l’élimination d’espèces indigènes intéressent aussi les variétés améliorées par les techniques conventionnelles et les espèces exotiques sauvages; mais on connaît peu les effets de la mise en circulation d’organismes obtenus en abattant les barrières naturelles qui prédominent à ce jour dans l’amélioration génétique traditionnelle. La santé des consommateurs et l’inégalité potentielle des coûts et avantages pour les pays en développement et les agriculteurs pauvres font aussi l’objet d’inquiétude. Dans le domaine agricole, les organismes génétiquement modifiés (OGM) sont déjà une réalité: la superficie des cultures ainsi modifiées s’est accrue, passant de 2,8 à 67,7 millions d’hectares entre 1996 et 2003, et les cultures génétiquement modifiées étaient produites à des fins commerciales dans 18 pays en 2003 (James, 2003). Plus de la moitié de la superficie mondiale plantée en soja est transgénique. Dix cultures génétiquement modifiées sont disponibles sur le marché, mais quatre d’entre elles et deux caractères s’adjugent 99 pour cent des cultures génétiquement modifiées produites actuellement. Les questions liées à la modification génétique dans le domaine de l’alimentation et de l’agriculture sont examinées en détail dans La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2003-2004 (FAO, 2004).

Le secteur forestier reste loin derrière le secteur agricole – et pourrait profiter de l’expérience de ce dernier.

Populus est le genre d’arbre forestier où la modification génétique a été le mieux étudiée (peuplement de Populus nigra génétiquement modifié près de Beijing, Chine)
J.J. HU


QUEL RÔLE POURRAIT JOUER LA MODIFICATION GÉNÉTIQUE DANS LE SECTEUR FORESTIER?

Il est encore impossible de tirer des conclusions quant aux impacts éventuels des OGM forestiers, en raison de la pénurie d’informations fiables. La FAO entreprend à l’heure actuelle un premier examen mondial de la biotechnologie dans le domaine forestier, y compris des statistiques sur des faits nouveaux survenus dans la technologie des OGM et de ses applications aux essences forestières (FAO, en préparation). D’après les résultats préliminaires de cette étude, en 2002 moins de 500 ha d’arbres génétiquement modifiés (clones de peupliers) ont été produits commercialement, dans un seul pays (la Chine). Populus est le genre d’arbre forestier où la modification génétique a été le mieux étudiée, bien qu’un certain nombre de recherches connexes aient été signalées dans le cas de 19 genres d’arbres.

Les deux tiers environ de toutes les activités de recherche sur la modification génétique d’essences forestières ont été menées aux Etats-Unis, la majeure partie des autres ayant été entreprises dans quelques autres pays développés. Cependant, la technologie évolue rapidement et est adoptée dans certains pays en développement techniquement avancés.

Si les arbres génétiquement modifiés sont utilisés à des fins commerciales, l’emploi de matériel à reproduction contrôlée (stérile ou à pollen réduit) devrait être un préalable. Les caractères les plus susceptibles d’être ciblés à des fins d’amélioration sont la résistance aux insectes et la qualité du bois (changements dans la composition et la teneur en lignine) à utiliser dans les plantations forestières commerciales. L’objectif serait de réduire les intrants et d’augmenter les rendements pour répondre à une demande croissante de bois, pâte et papier – sur la base du modèle agricole et piloté principalement par le secteur privé. Les principaux caractères de la première reproduction à l’étude (par exemple, résistance aux ravageurs, tolérance aux herbicides), à l’exception des caractères relatifs à la qualité du bois, proviennent de la recherche sur les cultures agricoles; ce sont des caractères qui intéressent essentiellement le producteur, et beaucoup moins le consommateur. Toutefois, on peut se demander si l’investissement dans la modification génétique des arbres pour la production commerciale de bois est économiquement justifiée à l’heure actuelle.

D’autres utilisations pourraient intéresser des créneaux particuliers: par exemple, le renforcement de certains caractères pourrait accroître les possibilités de survie d’espèces menacées d’extinction par des ravageurs ou des maladies, et contribuer à la remise en état des sols, à la foresterie urbaine et d’agrément, à l’agroforesterie et aux arbres hors forêt.

Une troisième application de la technologie de la modification génétique, souvent ignorée mais, sans contredit, la plus importante, concernerait la recherche sur la biologie des arbres, à savoir des études sur le fonctionnement des gènes et les caractères que les gènes contrôlent.

Dans de nombreux pays, le secteur privé hésite à communiquer ses intentions au sujet de la modification génétique dans le domaine forestier. Il est vrai qu’en ne participant pas à la recherche sur les OGM les sociétés pourraient craindre la perte de bénéfices potentiels, mais elles reconnaissent normalement la puissance de l’opinion publique et se rendent compte que la résistance du public aux arbres génétiquement modifiés est un risque commercial.


NÉCESSITÉ D’UN CADRE RÉGLEMENTAIRE

Il est indispensable de créer un cadre réglementaire régissant la recherche et les applications en matière d’arbres génétiquement modifiés. La question transcende le niveau national, car les flux de pollen et la dissémination des graines ne tiennent pas compte des frontières, et le bois est un produit mondial. Les systèmes réglementaires nationaux et internationaux devraient inclure des dispositions relatives à l’évaluation préliminaire des risques, au suivi et au contrôle, ainsi qu’à la responsabilité et la réparation.

A l’heure actuelle, de nombreux pays appliquent des règlements pour l’établissement des cultures agricoles, y compris les arbres fruitiers, mais beaucoup de pays en développement ne disposent pas de tels cadres ni de la capacité de les mettre en œuvre. Cependant, il n’existe pas de règlements visant spécifiquement l’emploi de la modification génétique en matière de foresterie. Bien que les politiques et les règlements adoptés pour les cultures agricoles pourraient s’appliquer aussi aux essences forestières, ces dernières présentent des enjeux particuliers (longueur du cadre temporel et de la durée de vie, état naturel, rôle des composantes importantes d’un écosystème). Les forêts ne sont pas constituées seulement d’arbres, et les écosystèmes forestiers sont plus fragiles, durent davantage et sont surveillés moins étroitement que les champs agricoles. Les prises de décisions sont compliquées, notamment du fait que, contrairement à l’agriculture qui est perçue surtout comme un système de production, les forêts sont en général considérées comme un système naturel, important non seulement aux fins de la conservation de la biodiversité, mais aussi pour ses valeurs sociales et culturelles. C’est pourquoi on estime que la modification génétique des essences forestières est davantage une question politique et environnementale que technique ou commerciale.

Au niveau international, quelques instruments ont traité directement ou indirectement de l’échange et du commerce des essences forestières génétiquement modifiées.

Les arbres génétiquement modifiés sont considérés aussi dans certains instruments juridiquement non contraignants:


DE LA RÉVOLUTION VERTE À LA RÉVOLUTION GÉNÉTIQUE: QUE PEUT APPRENDRE LA FORESTERIE DE L’AGRICULTURE?

Dans le domaine agricole, la révolution verte des années 60, fondée sur l’amélioration des plantes et les variétés agricoles hybrides, a été promue dans une large mesure par les recherches du secteur public dans les pays développés et les pays en développement. En revanche, la révolution génétique est encouragée essentiellement par le secteur privé multinational dans les pays industrialisés, encore qu’elle commence à être mieux acceptée dans les pays en développement. Cependant, il a fallu 23 ans pour que la révolution génétique aille du laboratoire jusqu’au terrain. Initialement, la majeure partie de la recherche était publique, le secteur privé n’intervenant que dans le cas de situations assurant un revenu de l’investissement.

La valeur monétaire des produits forestiers dans le commerce mondial est bien inférieure à celle des produits agricoles, et la justification économique de l’utilisation des OGM dans le secteur forestier n’a pas encore été clairement démontrée. De nombreuses plantations du monde ont été établies dans des pays qui ne pratiquent pas l’amélioration génétique ou qui n’appliquent pas des techniques sylvicoles appropriées. Le succès des programmes d’amélioration des arbres au cours des 50 dernières années suggère qu’il est encore possible d’accroître la productivité et les rendements de façon durable par des techniques d’amélioration conventionnelles, sans recourir à l’emploi de la modification génétique. Telle est cependant la situation actuelle, et elle ne devrait pas laisser entendre que la technologie de la modification génétique ne procurera pas des avantages lorsqu’elle sera appliquée aux essences forestières.


CONCLUSIONS

La modification génétique et les autres biotechnologies pourraient avoir un rôle à jouer dans les plantations forestières de certains pays. Cependant, les terres boisées du monde étant à 95 pour cent naturelles ou semi-naturelles, il est probable que la superficie plantée en arbres génétiquement modifiés restera relativement limitée. Le déploiement des OGM dans le domaine forestier, s’il a lieu, restera sans doute le fait du secteur privé et suivra le modèle agricole.

Bibliographie

Cock, M.J.W. 2003. Biosecurity and forests: an introduction – with particular emphasis on forest pests. FAO Forest Health and Biosecurity Working Paper FBS/2E. Rome. Disponible sur Internet: www.fao.org/DOCREP/006/J1467E/J1467E00.HTM

James, C. 2003. Preview: global status of commercialized transgenic crops: 2003. ISAAA Briefs No. 30. Ithaca, New York, Etats-Unis, International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications. Disponible sur Internet: www.isaaa.org/kc/CBTNews/press_release/briefs30/es_b30.pdf

FAO. 2004. Situation mondiale de l’alimen-tation et de l’agriculture 2003-2004. Rome.

Previous PageTop Of PageNext Page