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L’APPLICATION DES PRINCIPES: Les bonnes pratiques d’aménagement des sols


Systèmes durables dans les tropiques humides
Systèmes durables dans les régions tropicales subhumides
Systèmes durables dans les tropiques semi-arides
Systèmes durables pour les terres humides

Les principes de bonne gestion des sols sont universellement applicables. Dans la pratique, l’application de ces principes est assez variable selon les conditions pédologiques, climatiques et autres. La culture itinérante, avec des périodes de jachère suffisamment longues pour permettre une régénération totale de la fertilité du sol, est un système durable. Il est encore utilisé dans chacune des trois zones climatiques examinées ici, mais, du fait que les pressions exercées sur les terres augmentent partout et qu’il s’agit d’un système qui n’est pas économiquement viable, sauf au niveau de subsistance, on ne s’y attardera pas davantage. Il existe plusieurs stades intermédiaires entre la culture itinérante et la culture semi-permanente et permanente. Dans la majorité des cas, la capacité de production du sol se dégrade du fait de la diminution de matière organique, de la détérioration de la structure du sol ou de la baisse des éléments nutritifs.

Systèmes durables dans les tropiques humides

Les cultures pérennes, telles que le palmier à huile, l’hévéa, le cacaoyer, les bananes et le plantain sont pratiquées depuis de nombreuses années dans toutes les régions tropicales humides (Figure 24). Ces cultures assurent une couverture végétale et produisent en général des résidus suffisants pour garder au sol une teneur satisfaisante en matière organique. La reconstitution des éléments nutritifs est nécessaire si l’on veut que le système reste productif. Lorsqu’on utilise des engrais azotés, il faudra parfois corriger l’acidité en ayant recours au chaulage (Figure 25). Le fait de cultiver une légumineuse sous le couvert de la culture pérenne peut apporter aux plantes l’azote dont elles ont besoin et compléter la protection contre l’érosion qu’offre l’étage supérieur des arbres. C’est au cours de la phase initiale d’établissement que le risque d’érosion est le plus grand, et qu’il est en général nécessaire d’utiliser une culture de couverture pour protéger le sol jusqu’à ce que les feuillages des arbres de la culture pérenne se rejoignent.

Figure 24. Cultures intercalaires d’hévéas et d’ananas qui protègent le sol tout en étant rentables (Malaisie).

IBSRAM
Figure 25. Résultats de la correction de l’acidité due à une utilisation excessive d’engrais ammoniaques et de chaux lors d’une expérience ‘sur du maïs (Institut International d’Agriculture Tropicale, Ibadan - Nigeria).
Professeur D.J. Greenland, F.R.S.

Le système n’est durable que le temps de sa rentabilité, c’est-à-dire jusqu’au moment où la valeur du produit reste suffisante pour couvrir les coûts des intrants essentiels. Le marché mondial pour nombre de cultures pérennes des régions tropicales humides est limité, ce qui, par contre-coup, limite également les surfaces réservées à ces cultures.

Dans les systèmes de plantes cultivées, les sols dominants des régions tropicales humides sont souvent simples à gérer du point de vue de leurs propriétés physiques. Les agrégats sont relativement stables et le drainage est facile. Cependant, si le drainage est efficace et les précipitations sont abondantes, on constate souvent un lessivage des éléments nutritifs et un niveau élevé d’acidité. La gestion des propriétés chimiques de ces sols est donc extrêmement importante. On a démontré à Yurimaguas, dans les plaines tropicales humides de l’Amazonie tropicale péruvienne (Sanchez et al., 1982) que la productivité peut être maintenue par une bonne gestion des engrais et de la chaux, mais il reste à prouver que de tels systèmes sont rentables.

On combine souvent cultures arbustives et cultures arables comme c’est le cas lorsqu’on associe plantations forestières et production vivrière (système taungya). Ces systèmes peuvent être durables, en fonction de l’aptitude de la culture arbustive à recycler les nutrients, et des effets des arbres sur la matière organique du sol et l’acidité. Leur contribution peut être très importante dans les régions tropicales humides.

Systèmes durables dans les régions tropicales subhumides

Dans les régions les plus humides des tropiques subhumides, les plantations pérennes ont parfois été viables, en général lorsqu’il s’agissait de café ou de thé, et à des altitudes modérées où le risque d’érosion n’est pas trop fort. Les cultures ont posé des difficultés considérables de gestion durable des sols. Si l’état chimique des sols est habituellement meilleur dans les zones plus humides, les sols dominants sont en général faiblement structurés et donc très exposés au risque d’érosion. Les systèmes de culture itinérante à jachère longue étaient viables mais se détérioraient lorsque la durée des jachères diminuait et que les périodes de culture augmentaient sous l’effet des pressions démographiques. Ces changements ont entraîné une diminution de matière organique et une dégradation de la structure des sols causant à leur Cour érosion et problèmes dérivés. L’agroforesterie est la meilleure solution pour l’application d’un système durable (Nair, 1989; Young, 1989) mais exige que les arbres choisis soient rentables.

La culture en couloirs, dans laquelle des rangées d’arbres sont plantées le long de la courbe de niveau, avec les cultures au milieu, est vivement encouragée en tant que système durable pour les régions tropicales subhumides. Dans un système modèle, on plante des rangées de légumineuses à croissance rapide, telles que Leucaena leucocephala et du maïs et des pois chiches entre les rangées. Les branches des arbres sont utilisées comme paillis pour protéger le sol et fournir de l’azote. Si l’on veut obtenir de bons rendements, il faut utiliser du phosphore et peut-être d’autres engrais, y compris un complément d’azote. Bien qu’on ne puisse éviter la concurrence entre les arbres et les cultures pour l’eau et les éléments nutritifs, les arbres offrent également un potentiel économique. En effet, si l’on veut que ce système soit diffusé plus largement qu’il ne l’est actuellement, il est important de tenir compte de la rentabilité des arbres en plus du rôle qu’ils jouent pour lutter contre l’érosion et accroître la fertilité du sol. Les pratiques locales en matière d’agroforesterie semblent offrir un meilleur point de départ pour des systèmes d’exploitation agricole durable dans les tropiques semi-arides que la culture en bandes, sauf sur les grandes exploitations où les rangées sont suffisamment larges pour permettre la culture mécanisée. Les exploitations de taille moins grande ne peuvent en général se passer de la surface occupée par les arbres, sauf si ceux-ci sont rentables à court terme et contribuent à long terme à empêcher la dégradation du sol.

Dans la perspective du maintien de la productivité, le système de culture continue sans préparation du sol, qui utilise une litière végétale et des engrais pour maintenir le niveau des éléments nutritifs, est certainement supérieur à celui basé sur la préparation du sol avec labour (Figure 26). Bien que les données dont on dispose montrent que les rendements baissent lorsqu’il n’y a pas de préparation du sol, cette baisse est plus lente qu’avec un travail de labour. Il apparaît aussi qu’au bout de quelques années, une interruption dans la culture peut régénérer la productivité du sol. On ne sait pas précisément pourquoi cette interruption est nécessaire, si ce n’est peut-être pour des raisons phytosanitaires. Pour que le système dans son ensemble soit durable, il faut que la culture de ‘jachère’ apporte un bénéfice économique, et dans ce cas des cultures fourragères à base de légumineuses pourraient constituer la solution la meilleure à condition que l’élevage soit praticable d’une manière rentable.

Figure 26. Rendement du maïs sans préparation du sol et avec labour pendant 17 années consécutives (34 saisons de croissance) sur un Luvisol dans l’ouest du Nigeria. Les rendements sont exprimés en t/ha/an comme total cumulatif de deux saisons par an.

a) pas de préparation du sol

Source: Lal, 1991a
b) système avec labour
Source: Lal, 1991a

Systèmes durables dans les tropiques semi-arides

Les incertitudes liées aux précipitations et la longueur de la saison sèche peuvent compromettre la durabilité des cultures dans les régions tropicales semi-arides. C’est l’élevage, et non la production végétale, qui offre les meilleures perspectives de durabilité, à la condition - non négligeable - que la charge par unité de surface reste inférieure à la capacité de charge du parcours. Cela garantit le maintien de la végétation et de la couverture végétale qui est essentielle. Dans la plus grande partie des régions tropicales semi-arides, la demande en vivres est telle que la charge par unité de surface dépasse souvent le seuil viable et que les cultures arables continuent d’empiéter sur les zones traditionnelles de pâturage. Les pratiques culturales se fondent sur des systèmes de culture itinérante dans lesquels la restitution de la fertilité dépend de la repousse des herbages naturels. La restauration de la fertilité des sols est souvent limitée. Cela entraîne une baisse de la productivité, qui est parfois partiellement freinée par l’introduction d’engrais venant compléter l’épandage de fumier. Dans certains cas, des variétés à cycle court, telles que le sorgho, ont contribué à atténuer les pénuries d’eau en réduisant la période durant laquelle la culture prélève de l’eau. La demande en éléments nutritifs n’est pas moins forte pour autant. Les légumineuses nécessitent presque constamment un niveau satisfaisant de phosphore de sorte qu’il faut en général leur appliquer des engrais phosphores.

Pour maintenir la capacité productive de la terre dans les régions tropicales semi-arides, il faut un système de culture qui permette une régénération de la fertilité du sol (avec une culture de récupération) bien plus rapide qu’elle ne l’est avec des herbages naturels. Malheureusement, après de nombreuses années d’expérience, on a constaté que l’association de graminées et de légumineuses ne convenait à l’amélioration du sol et au pâturage qu’en de rares secteurs. Il faut citer à cet égard le système mis au point en Australie pour les régions tropicales semi-arides du Queensland.

Systèmes durables pour les terres humides

Les systèmes d’exploitation agricoles fondés sur la riziculture dans les terres humides sont le parfait exemple d’un système durable, et ce pour les raisons suivantes:

· les éléments nutritifs sont entraînés dans le sol et non lessivés;

· l’approvisionnement en eau est normalement assuré par l’irrigation et par la construction de diguettes de retenue;

· l’érosion n’est pas un problème du fait que les diguettes empêchent le ruissellement et que l’eau qui reste en surface atténue l’impact des gouttes de pluie sur le sol;

· l’acidité n’est pas un problème car les sols inondés sont toujours proches de la quasi-neutralité de l’eau des crues;

· la fixation de l’azote dans le système inondé est relativement élevée;

· la teneur en phosphate des sols inondés est relativement élevée car le fer est présent sous forme ferreuse plutôt que ferrique;

· le problème des adventices est moins aigu dans les zones inondées qu’en terrain sec.

Il n’est donc pas surprenant que les systèmes de production rizicole existent depuis des milliers d’années dans certaines parties de l’Asie et que dans de nombreuses régions leur productivité continue d’augmenter (Figure 27). Les augmentations les plus fortes ont été enregistrées lorsque la culture de riz est pratiquée avec une irrigation parfaitement maîtrisée et les applications requises d’engrais. Bien qu’on ait vivement encouragé l’emploi pour la riziculture d’engrais organiques, y compris les engrais verts, l’utilisation effective a diminué considérablement à mesure que les rendements rizicoles et la consommation d’engrais azotés augmentaient. Comme on l’indique ci-dessus, la plupart des avantages découlant d’une augmentation de la teneur en matière organique du sol ne s’appliquent pas dans le cas de la production rizicole. Elle peut même être nuisible par suite de la formation de sous-produits phytotoxiques dus à la décomposition de matière organique fraîche dans le sol dans des conditions anaérobies. En outre, le fait de réduire l’utilisation des engrais organiques pour le riz freine l’évolution du méthane, gaz à effet de serre très actif.

Figure 27. Rendements rizicoles dans différents pays (1961-1991)

Données de: FAO Production Yearbooks et IRRI Rice Almanac, 1993
Pour obtenir des rendements rizicoles élevés, il faut un apport important d’engrais azotés (de l’ordre de 50 à 100 kgN par culture). Cela n’entraînera pas de pollution des eaux souterraines par le nitrate puisque celui-ci ne se forme pas dans les conditions inondées des terres à riz. L’inefficacité des applications d’engrais azotés est essentiellement due aux pertes d’ammoniac (Figure 28). On peut en grande partie les éviter en incorporant au sol une fumure basale avant le repiquage et en retardant la deuxième application jusqu’à ce que la culture soit bien démarrée de manière à ce que la libération d’ammoniac dans l’atmosphère soit freinée par la lenteur de la circulation de l’air à la surface de l’eau.

Figure 28. Mesure de l’ammoniac atmosphérique provenant des engrais azotés appliqués au riz à l’Institut International de Recherche sur le Riz, Los Baños (Philippines).

Professeur D.J. Greenland, F.R.S.

Le plus grand danger pour la viabilité durable de la production rizicole irriguée provient du système d’approvisionnement en eau. Les principaux problèmes ont trait à la mauvaise gestion des sols dans les bassins hydrographiques des barrages alimentant les périmètres d’irrigation. L’érosion du sol peut, d’une part, réduire la capacité de stockage du barrage et, d’autre part, obstruer les canaux de distribution. Lorsque les eaux phréatiques sont salines dans la zone desservie par le barrage, la remontée des nappes souterraines risque de saliniser la zone radiculaire des plantes et d’entraîner une baisse des rendements - phénomène qui semble avoir été à l’origine de la stagnation et de la diminution des rendements dans une grande partie des régions sèches du sous-continent indien. Une mauvaise gestion de l’approvisionnement en eau peut se traduire par un apport d’eau excessif en amont du système de distribution, et des sécheresses en aval. L’eau du barrage devenant moins abondante, des pénuries occasionnelles peuvent se produire dans tout le périmètre desservi, avec des effets catastrophiques pour les rendements.

Là où le système d’irrigation est basé sur la dérivation des cours d’eau ou sur les crues naturelles (c’est-à-dire irrigation pluviale en opposition avec l’irrigation contrôlée), la gestion de la riziculture est plus difficile et le facteur risque est tel que les agriculteurs ne sont pas toujours prêts à investir dans l’achat d’engrais. C’est pour cette raison que les rendements rizicoles n’ont pas autant augmenté dans ces régions que dans celles faisant l’objet d’une irrigation contrôlée. Les régions pluviales représentent près de la moitié de la superficie rizicole totale et, sur la plus grande partie d’entre elles, une culture de montagne est pratiquée après la récolte de riz. Cela pose des difficultés supplémentaires du fait qu’il faut créer les conditions convenant à la culture du blé ou d’une légumineuse sur un sol précédemment mis en boue pour le riz. De nombreuses recherches restent à faire pour rendre ces systèmes plus productifs.


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