5.1 - Le choix dun approvisionnement des villes à partir de ressources nationales, régionales ou internationales?
5.2 - Le rôle du gouvernement et ses institutions
5.3 - La décentralisation des pouvoirs
5.4 - Comment favoriser lemploi et à quelles conditions?
5.5 - Le rôle des organismes financiers
5.6 - Linformation et sa gestion
Le débat peut sexprimer de la façon suivante: quel est le degré de pertinence dune approche de stratégie de sécurité alimentaire des populations urbaines dAfrique subsaharienne, fondée exclusivement sur des ressources nationales, alors que lheure est à la mondialisation ou à la régionalisation comme réaction à la mondialisation?
Trois constats simposent. La régulation agricole et alimentaire sur un plan strictement national est peu efficace comme en témoignent les importants flux transfrontaliers informels qui régulent les approvisionnements dans la région et notamment vers les villes. Le commerce intra-régional régulier est très faible, puisquil représente en moyenne 5 pour cent du total des exportations et des importations enregistrées dans la zone. Celui-ci na pas progressé depuis vingt ans malgré la création de la Communauté économique des Etats de lAfrique de louest (CEDEAO) en 1975. Certains facteurs expliquent la faiblesse de ces échanges: infrastructures de transport et de communication défaillantes, manque dinformations sur les marchés, politiques commerciales et monétaires non stimulantes, manque de réglementations cohérentes, coûts excessifs, etc. Les échanges avec lextérieur du continent restent dominants, notamment avec les anciennes métropoles. Ces échanges procurent une part déterminante des ressources budgétaires et surtout les précieuses devises nécessaires au règlement des biens dimportations nécessaires à la production, la transformation, et la distribution des biens alimentaires.
Lidée dintégration régionale en matière de sécurité alimentaire remonte aux années 80, mais la mise en oeuvre des programmes est très lente. La forme dintégration peut revêtir plusieurs formes:
Actuellement, les proclamations dintention vont dans le sens dune union économique, mais les résultats ne sont pas conformes aux traités.
Les échanges régionaux de produits alimentaires ont toutes les chances de réussite car ils bénéficient dun certain nombre de facteurs favorables:
Lunion économique doit dépasser un certain nombre de contraintes qui réclament une volonté politique et du temps. Citons principalement les contraintes liées à linsuffisance des productions et qui limitent ainsi les échanges, la fragmentation politique des Etats, les contraintes économiques qui conduisent les opérateurs à privilégier les produits les plus rentables et non les produits vivriers diversifiés, les contraintes de transport et dinfrastructures routières et commerciales, les contraintes administratives (réglementations différentes, barrages, corruption), les contraintes socioculturelles basées sur la «gérontocratie» (TERPEND, 1993).
Etant donné la somme de travail de concertation et dharmonisation nécessaire à la constitution de cet espace régional au service de la sécurité alimentaire, on peut difficilement imaginer quil soit réalisable dans le court terme. Il est cependant concevable que ces espaces soient des lieux dharmonisation et de politiques cohérentes de sécurité alimentaire.
Certains auteurs, à juste titre (DELORME, et al., 1995) estiment que louverture totale des pays de la région au marché mondial nest pas favorable à la sécurité alimentaire de ces populations à moyen terme et à long terme. En effet, malgré le discours libéral, les pratiques sont protectionnistes (notamment par les normes de qualité des produits) et les pays africains ne peuvent pas espérer être compétitifs, sinon au prix dune paupérisation accrue et dune exportation de malnutrition urbaine. Les organismes internationaux, apparemment indifférents à la régionalisation, cachent en fait une réelle opposition. Dans la plupart des pays de la zone, le pouvoir ne tire sa légitimité politique que de la structure dEtat, aussi est-il peu probable que les pouvoirs politiques franchissent le seuil de la profession de foi dans lunion économique. Dans ces conditions, il paraît plus sage de concevoir la coopération régionale comme une voie utile et nécessaire à une ouverture mondiale sur le long terme.
Aujourdhui, les modalités dapplication de la libéralisation sont encore ouvertes. LEtat, qui jadis assumait toutes les fonctions indispensables à la sécurité alimentaire, sest retiré presque totalement de ces fonctions en libéralisant la production, le commerce, les prix à la consommation, les contrôles, etc. Mais il na pas pris de dispositions sur le maintien et lorganisation de services publics indispensables à la bonne marche de léconomie libérale.
LEtat doit modifier sa conception en passer du rôle dopérateur économique au rôle de soutien et daccompagnement. Ce changement de mentalité nest pas aisé; par ailleurs lEtat découvre que ses agents ne sont pas forcément formés à ces nouvelles tâches. Enfin, lEtat inquiet de ne plus maîtriser les opérateurs a conservé une clé majeure de léconomie, qui est le crédit. Sans crédits ou avec des crédits accordés selon une logique de planificateur ou en fonction dintérêts de groupes de pression, il ne peut pas y avoir une relance de léconomie.
Cest bien là la difficulté. Comment parvenir à la sécurité alimentaire dans un contexte libéral? Les opérateurs privés nont aucun objectif social et vont là où leur intérêt est le plus fort. Le rôle de lEtat est dassurer les conditions dune bonne fluidité des marchandises, de bonne qualité et au meilleur prix final. Pour cela, il semble important quil légifère le foncier, quil investisse dans les infrastructures (routes, eau, électricité, marchés) tout en laissant la gestion au secteur privé, quil sassure de lexistence et de la diffusion de linformation indispensable au jeu de la concurrence, quil favorise les groupements professionnels et les associations de consommateurs et mette en place des réglementations à chaque niveau de la chaîne alimentaire. La tâche est tellement immense que lEtat ne peut pas tout assurer dans le court terme avec les moyens dont il dispose. Un palliatif ou un complément indispensable serait lappui du consommateur dont il faut éveiller la conscience.
Le retrait total des interventions alimentaires nest pas souhaitable, dans la mesure où les chocs économiques récents sont certes source despoirs, mais ont aussi contribué à une marginalisation croissante de certaines zones et à un appauvrissement de certaines populations. LEtat a pour devoir dassurer la sécurité alimentaire de ces populations au moyen de techniques connues, car non solvables, ces populations nintéressent pas le système privatisé. Encore faut-il les localiser et évaluer leurs besoins.
La décentralisation des services publics est intervenue en application des recommandations des programmes dajustement structurel. Le rôle des administrations centrales a ainsi été réduit au profit des collectivités locales (GNAMMON-ADIKO, 1997). Les Etats ont donc procédé au découpage de lespace en plusieurs niveaux hiérarchisés: régions, départements, communes. Leurs compétences par rapport aux SADA, couvrent la réalisation dinfrastructures, déquipements (marchés, abattoirs), de voirie urbaine, ainsi que leur gestion et leur entretien. Elles doivent aussi sassurer de la fluidité de la circulation aux abords des points de vente, ainsi que de la salubrité des lieux. Le contrôle de la qualité des produits leur appartient aussi la plupart du temps.
La gestion urbaine sest prioritairement concentrée sur des actions qui ne relevaient pas du secteur de lalimentation. Aujourdhui, le ravitaillement des villes en produits alimentaires suffisants et au moindre coût devient une priorité dont les collectivités nont pas toujours conscience. Il est vrai quelles ont souvent été mises devant le fait accompli: gestionnaires des flux de marchandises, des marchés, de la salubrité des lieux et des produits, responsables du contrôle, sans formation du personnel à ces nouvelles tâches, sans prise de conscience de lenjeu considérable et de la difficulté de mise en uvre de nouvelles politiques et surtout sans stratégie pilote.
Pourtant, si loption de la sécurité alimentaire des populations urbaines devient une priorité affichée, la décentralisation des pouvoirs apparaît comme nécessaire pour que les décideurs et les gestionnaires soient au plus près de linformation et des bénéficiaires des politiques de développement des SADA. Toutefois, une clarification des attributions des autorités locales par rapport aux autorités centrales reste à définir pour ne pas mettre en place des mesures contradictoires et pour éviter le laisser-faire, chacun pensant que le problème posé nest pas de son ressort.
Un des grands dilemmes pour les sociétés africaines est le démantèlement ou lappui du secteur informel. Face au monopole dEtat et à son inaptitude à assurer la sécurité alimentaire de toutes les populations, il sest créé une économie parallèle dynamique qui a permis lapprovisionnement alimentaire des zones reculées et une adaptation extrême aux conditions des populations marginalisées. Aujourdhui, on estime que la moitié au moins de lactivité économique est informelle. Outre ses aptitudes dans le domaine de la sécurité alimentaire, ce secteur a lavantage doccuper une main-doeuvre abondante. Une rationalisation trop poussée, à limage de ce qui se passe dans les pays développés, ou une réglementation trop dure risque de conduire à lélimination de certains flux et au chômage.
Cependant, linformel préserve son système et ses richesses sur la base de lopacité du marché et dune désinformation, autant de conditions insoutenables pour une économie libérale; la multiplicité de linformel allonge la chaîne alimentaire et pèse sur le prix final des denrées alimentaires. Il semble que lidéal serait de créer des services formels tels que linformel trouverait avantage à y rentrer.
Certains pensent que le secteur informel a prouvé son efficacité et son adaptabilité; par ailleurs il est utilisateur de main-doeuvre abondante. Ils pensent quil serait dommageable pour la sécurité alimentaire de déstructurer ce système, et quil convient dapporter un appui à linformel pour lui donner les moyens de son existence. Dautres pensent quaucun système cohérent assurant le meilleur prix aux consommateurs et aux producteurs ne peut se construire dans linformel. Le maintien de linformel ne doit pas être un objectif car il ne peut pas y avoir maîtrise de linformation, de léconomie, des finances dans un tel système. Il permet tous les abus et tous les détournements de la loi. Le problème de fond est que ce système a été et est un palliatif utile aux carences de lEtat en matière de politiques demploi, dinvestissements en infrastructures, dorganisation du système alimentaire et de linformation; par ailleurs, les agents de ladministration profitent très largement de ce système informel.
La politique la plus efficace serait de sappuyer sur lorganisation du secteur informel afin de bénéficier de ses aptitudes dadaptation au milieu, tout en lamenant par une législation et une réglementation attractives et non systématiquement répressives à se formaliser de lui-même. Le maintien de lemploi dans les milieux urbains est à ce prix.
Le bon fonctionnement dun SADA est lié à deux ressources de base des échanges: les informations et le crédit. Etant donné les carences importantes dans ces deux domaines, les producteurs et les commerçants ont développé un réseau dense de relations informelles de façon à se garantir laccès à ces ressources. Cest ainsi que lon a un «dualisme financier».
Théoriquement, le secteur formel se rapporte à un système organisé, centré sur les zones urbaines, et capable de satisfaire les besoins financiers de léconomie moderne. Le secteur informel, non institutionnel, serait réservé aux zones rurales, à léconomie traditionnelle et aux activités commerciales marginales. La situation réelle semble être bien plus complexe et il est difficile de tracer une ligne de démarcation entre ces deux secteurs.
Le développement de linformel dans le secteur financier peut sexpliquer par deux facteurs:
Dans le cas particulier des SADA, les bailleurs de fonds sont fréquemment les grossistes, qui possèdent les moyens financiers les plus importants. Le deuxième type se trouve à lintérieur du groupe ayant les mêmes caractéristiques que le demandeur (même groupe ethnique, même origine rurale, même activité professionnelle). Le troisième type peut être une organisation fondée sur des règles établies dun commun accord par ses membres; lorganisation collecte les fonds dépargne et distribue des crédits, ce sont des associations mutuelles, des tontines etc.
Tous les secteurs des SADA seront dans limpossibilité de se développer si le secteur financier ne parvient pas à faire en sorte que les institutions qui le composent, apportent leur appui à un grand nombre de petits agents du secteur privé au lieu de nêtre au service que dun petit nombre dorganismes, du secteur public essentiellement.
La mise en place dun mode dynamique et innovant de financement de la commercialisation est un problème vital pour la formalisation du secteur privé. Lobjectif est dadapter le système de financement aux spécificités du commerce des produits alimentaires (TERPEND, 1993). Il sagirait de développer des instruments de financement au sein dun réseau de banques tels que des crédits à court terme, de campagne, de stockage, des crédits à moyen terme pour lachat déquipements, la construction ou lamélioration de magasins, etc. Leur spécificité doit provenir dune adaptation aux conditions locales: disponibilités des fonds en fonction des calendriers des ventes, conditions de remboursements liées aux ventes, systèmes de garanties liés aux produits et non au patrimoine ou au salaire, ou sappuyant sur les systèmes culturels africains (pression sociale).
Lune des principales lacunes des systèmes dapprovisionnement des villes est labsence dinformations le long de la chaîne alimentaire. Or, lopacité des marchés favorise les comportements abusifs et la corruption. Les informations circulent par linformel et sont très cloisonnées.
Au Burkina, les systèmes dinformation sont relativement développés par rapport aux autres pays. Il existe cinq groupes dobservation de linformation:
Ces systèmes élaborés ont un intérêt certain pour la connaissance de la chaîne alimentaire, mais leur objectif nest pas clair: les informations ne sont pas diffusées en retour sur les opérateurs des circuits, et semblent destinées à lexclusivité du gouvernement pour prendre les mesures daide durgence, ce qui laisse entendre aux opérateurs quil sagit uniquement dun contrôle. En conséquence, il se crée en parallèle des réseaux dinformations privés qui inspirent plus confiance aux opérateurs (les informations radiophoniques du SIM ne sont suivies quà hauteur de 15 pour cent). Par ailleurs, linformation est fournie brute, sans analyse.
Linformation doit passer par les marchés (cest une des fonctions majeures des mercuriales) mais pour faire la référence, il faut une masse critique. Elle doit être organisée pour que des arbitrages soient possibles sur les marchés, et améliorer ainsi leur efficacité. Ce domaine devrait être du ressort de lEtat pour éviter quelle ne devienne un objet de pouvoir, mais elle doit être conçue pour les opérateurs et non exclusivement pour le gouvernement lui-même.