Table des matièresPage suivante


Module 1 - Les principes de base régissant les droits de propriété intellectuelle


Objectif
Points clés
1.1 Introduction
1.2 Dispositifs de protection et catégories de DPI
1.3 Les DPI et leur rapport avec le commerce
1.4 Les DPI et leur rapport avec les ressources phytogénétiques
1.5 Les DPI et le débat Nord-Sud sur les ressources phytogénétiques
Bibliographie


R. Silva Repetto et M. Cavalcanti
Bureau juridique

Objectif

L’objectif est de se familiariser avec les principes et les notions de base qui régissent les droits de propriété intellectuelle (DPI) et les différences entre droits d’auteur et propriété industrielle. Le rapport entre les DPI et le commerce et entre ces droits et les ressources phytogénétiques est ici mis en évidence. Ce module identifie également les effets positifs et négatifs de la protection de la propriété intellectuelle et décrit brièvement les débats en cours sur ce thème entre le sud et le nord de la planète.

Points clés

· Les droits de propriété intellectuelle recouvrent le droit d’auteur et les droits connexes, ainsi que la propriété industrielle incluant les marques et les indications géographiques.

· Les droits de propriété intellectuelle sont un instrument de protection et de rémunération de l’innovation. L’équilibre entre les intérêts publics et privés dans la protection de l’innovation constitue le fondement de la législation sur la propriété intellectuelle.

· Les progrès de la science autorisent désormais la création de gènes spécifiques et l’ouverture des droits de propriété intellectuelle au vivant, faisant ainsi naître des inquiétudes concernant l’exploitation des ressources phytogénétiques.

· Différentes solutions aux conflits possibles entre le Nord, pauvre en gènes mais riche en technologies, et le Sud, riche en gènes mais pauvre en technologies, ont été passées en revue. L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) permet de reprendre le débat dans la version révisée de cet Accord.

1.1 Introduction

Equilibrer les intérêts publics et privés quant à la protection du droit de propriété intellectuelle

Les hommes ont de tous temps mis à profit les connaissances techniques tirées de l’exercice de leurs capacités intellectuelles. On pourrait considérer la recherche du progrès technique comme une caractéristique inhérente à la nature humaine; cependant, lorsque des intérêts économiques et financiers entrent en jeu, cet esprit d’innovation est profondément conditionné. Là où la société est fondée sur des structures économiques, le succès financier devient le principal moteur du développement de nouvelles technologies; les coûts élevés qu’entraîne généralement le succès d’une invention rendent ce phénomène inévitable. Lorsque ce n’est pas l’inventeur qui est concerné, ce sont les promoteurs de l’invention.

Ce scénario part du principe que les connaissances existantes deviennent un objet de convoitise. En l’absence de moyens de protection de l’innovation technologique, cette dernière est exposée à l’exploitation par des tiers. Il n’y a aucune raison d’investir de l’argent et des efforts dans de nouvelles technologies si l’on peut en exploiter ailleurs les résultats. Les coûts élevés du développement seront estimés inutiles si une reproduction à faible coût peut conduire aux mêmes résultats. C’est là un obstacle important à la recherche et au développement dans une économie de marché. C’est pourquoi la propriété intellectuelle a été conçue comme un instrument de protection et de rémunération de l’esprit d’invention.

Par ailleurs, dans une législation concernant la propriété intellectuelle, il convient de tenir compte des aspects de finalité publique. En effet, l’innovation est essentiellement un bien public. De fait, trouver un équilibre viable entre ces différents aspects est une tâche fondamentale pour les responsables de l’établissement de dispositifs de protection de la propriété intellectuelle.

Ce module traite des questions suivantes:

· la définition des différents types de propriété intellectuelle;

· les aspects positifs et négatifs du DPI en rapport avec le commerce;

· la relation entre le DPI et les ressources phytogénétiques; et

· les différents points de vue au Nord et au Sud concernant la protection des ressources phytogénétiques.

1.2 Dispositifs de protection et catégories de DPI

Sur la base des éléments ci-dessus énoncés, des DPI ont été établis dans plusieurs pays et sous de multiples formes. Des droits concernant les œuvres de l’esprit sont conférés à des personnes. Les DPI donnent à l’inventeur un droit exclusif sur l’exploitation de sa création pendant une certaine période de temps et dans un territoire donné, normalement celui de l’Etat qui lui reconnaît ce droit.

Les droits d’auteur

La législation relative à la propriété intellectuelle prévoit habituellement deux grandes catégories de protection. L’une comprend les droits d’auteur et droits connexes, qui concernent essentiellement les droits sur les créations issues de l’activité de l’esprit humain, l’expression de la pensée (les droits des auteurs sur leurs œuvres littéraires et artistiques, les droits des programmeurs sur leurs programmes informatiques, les droits des compositeurs sur leurs œuvres musicales, etc.).

Les nouvelles méthodes de diffusion de la production intellectuelle ont rendu nécessaire d’étendre la protection aux nouveaux modes d’expression de la pensée. Les droits d’auteurs et droits connexes sont, de ce fait, étendus aux producteurs de phonogrammes et aux entreprises de radiodiffusion et autres produits similaires. Dans tous les cas, le principal but social de la protection des droits d’auteurs et des droits connexes est d’encourager et de rémunérer le travail de création et d’en garantir une exploitation équitable et viable.

La propriété industrielle inclut les marques de fabrique et les indications géographiques

L’autre catégorie de DPI, à savoir la propriété industrielle, peut se subdiviser en deux domaines principaux. Le premier comprend la protection des signes propres à distinguer les produits, notamment les marques de fabrique ou de commerce et les indications géographiques. La protection de ces signes distinctifs vise à stimuler et à assurer une concurrence équitable, et à protéger les consommateurs en leur permettant d’opérer des choix fondés entre différents biens et services. Au sein d’un marché en expansion croissante, où les consommateurs sont soumis à une grande quantité de produits différents, ces signes assurent la distinction entre les produits.

Le deuxième domaine de la propriété industrielle est protégé en premier lieu aux fins de stimuler l’innovation, les créations ornementales et la création technologique. Les inventions (protégées par des brevets), les dessins et modèles industriels et les secrets de fabrique font partie de cette catégorie. Le but social est d’offrir une protection aux produits de l’investissement dans la mise au point de nouvelles technologies et, par là, de fournir une incitation et des moyens propres à financer les activités de recherche et développement. Ces régimes de propriété intellectuelle facilitent également le transfert technologique sous forme d’investissement étranger direct, d’entreprises conjointes ou de concession de licences.

Bien que les principaux objectifs sociaux des droits de propriété intellectuelle restent ceux décrits ci-dessus, il est à remarquer que les droits exclusifs conférés sont normalement assujettis à un certain nombre de limitations et d’exceptions visant à affiner l’équilibre qui doit s’établir entre les intérêts légitimes des détenteurs des droits et ceux des usagers.

1.3 Les DPI et leur rapport avec le commerce

Il est probable que la coordination internationale des politiques de DPI apporte des changements dans les relations commerciales mondiales. La demande d’une protection juridique générale contre l’imitation illicite de créations, d’inventions, de marques et d’appellations doit être comprise comme un produit de la révolution commerciale. Cette demande s’est considérablement accrue avec les progrès de la publicité moderne et de la vente au détail à grande échelle.

Protection contre la contrefaçon et le piratage

Une protection adéquate des DPI réduit les distorsions du marché et les barrières du commerce international, notamment le commerce des biens contrefaits et des biens dont les droits d’auteur sont piratés. Les DPI fournissent un cadre pour une concurrence libre et juste. Ils protègent aussi les consommateurs en leur permettant de choisir en connaissance de cause entre les biens et services disponibles.

Du fait qu’ils récompensent l’imagination, l’habileté et l’esprit d’invention, les DPI encouragent la créativité. Grâce à leur application dans les domaines du commerce, de l’industrie et du développement culturel, ils favorisent l’utilisation de créations, d’inventions, d’expressions d’idées et de signes distinctifs aux fins de créer la richesse.

Favoriser les exportations et le transfert de technologie

Les DPI favorisent les exportations ainsi que le développement et le transfert technologique car ils stimulent l’investissement et, à l’échelon international, font respecter la position des industries exportatrices.

Toutefois, les mesures et procédures adoptées pour mettre en vigueur les DPI ne devraient pas constituer des barrières aux échanges légitimes par des pratiques de concurrence injuste, des restrictions au commerce et au transfert international de technologies, etc.

1.3.1 Effets positifs

Encourager l’investissement privé dans l’innovation

Les connaissances considérées comme innovatrices déterminent normalement des coûts élevés de recherche et de développement. Les industries entreprennent de tels investissements dans l’espoir d’obtenir un avantage technologique par rapport à d’autres concurrents commerciaux et, par là, de réaliser de plus grands bénéfices.

Cependant, étant donné la facilité de reproduction des biens protégés par la propriété intellectuelle, un tel objectif est souvent sérieusement menacé. Si les investisseurs ne disposent pas de moyens propres à protéger leurs résultats et à recouvrer leurs coûts, les nouvelles technologies n’auront guère d’intérêt au plan économique.

Les DPI sont considérés comme un mécanisme fiable de recouvrement de l’investissement. A l’inventeur/investisseur est conféré, de ce fait, un statut «monopolistique» vis-à-vis de l’invention, ce qui lui donne droit à son exploitation exclusive, c’est-à-dire à exclure les tiers de sa jouissance. L’inventeur jouira ainsi d’une position commerciale assurée garantissant un rendement, et l’investisseur privé sera incité à placer son capital dans une technologie novatrice.

Les DPI relèvent de la juridiction nationale. Une œuvre littéraire ou artistique, ou une invention, n’est protégée que dans le pays où les DPI lui ont été accordés. Si une société entreprend des activités commerciales dans plusieurs pays, elle sera obligée de demander une protection dans chacun de ces pays. En l’absence de telles mesures, toute transaction qui dépasse les frontières nationales court le risque de contrefaçon ou de piraterie. Ce scénario représente un facteur de dissuasion important pour les échanges commerciaux internationaux axés sur des connaissances innovatrices et pourrait, dans certains cas, interdire le transfert de technologies durables entre les pays.

1.3.2 Effets négatifs

Les coûts d’acquisition des technologies augmentent dans les pays développés

En dépit des aspects positifs des DPI, certains effets négatifs sont inévitables. Notamment, les gouvernements des pays en développement expriment des doutes quant à l’introduction d’un régime international fort de DPI dans le cadre des négociations sur les politiques de DPI mutuelles.

Les pays en développement fondent souvent leur économie et leur recherche scientifique sur l’emploi de technologies d’origine étrangère importées des pays industrialisés. Les uns et les autres pourraient être affectés de manière négative par une forte protection de la propriété intellectuelle. L’octroi des droits respectifs permet à l’inventeur de percevoir des rentes élevées pour l’utilisation de son invention. Il en résulte des prix plus élevés dus aux paiements de royalties, licences etc. entraînant un fléchissement dans la commercialisation du produit final et, partant, une régression de l’économie nationale.

En outre, les coûts prohibitifs de la technologie de base étrangère dissuaderont les inventeurs de poursuivre leurs recherches. Les entreprises détenant des DPI verront augmenter la valeur de leur capital et seront en mesure de décourager leurs concurrents afin de consolider leur position sur le marché1. L’innovation industrielle finit ainsi par devenir le monopole des pays développés au détriment de l’objectif du transfert de technologies, à savoir sa diffusion généralisée.

1 http://www.iisd1.iisd.ca/trade/trips.htm.

La recherche fondamentale est affectée

D’autres problèmes peuvent surgir lorsque des institutions scientifiques (des universités, par exemple) doivent affronter des régimes de DPI. Dans de nombreux pays, la divulgation anticipée d’une invention (sa publication, par exemple) exclut sa brevetabilité et, partant, toute forme de protection2. En établissant des régimes de DPI forts on encourage une divulgation confidentielle des connaissances innovatrices, ce qui pourrait compromettre gravement la recherche dans plusieurs domaines scientifiques. Le partage ou l’échange de connaissances est d’une importance fondamentale pour l’innovation technologique dans de nombreux secteurs relevant du domaine public (pharmacie, médecine, chirurgie, agriculture, etc.). Dès lors, il devient impératif que les politiques relatives aux DPI s’attachent à éviter de telles dérives.

2 Wallerstein, M.B., Mogee, M.E. et Schoen, R.A. (1993); p. 7.

Distorsion des orientations de recherche

L’introduction de systèmes de DPI forts pourrait également donner lieu à une concentration des efforts sur des connaissances valables au seul plan économique, ce qui porterait à négliger certains domaines technologiques et aboutirait à ne poursuivre la recherche que dans certains créneaux spécialisés.3

3 http://www.acephale.org/bio-safety/IoC-ipr.htm, p. 3.

Des études de cas détaillées sur l’impact des DPI sur la croissance sont nécessaires

Une prévision détaillée de la nature des effets des DPI serait du domaine de la spéculation. Il est extrêmement difficile de définir le rôle des DPI ou de prévoir s’ils auront un effet de ralentissement ou d’encouragement sur les échanges commerciaux internationaux ou le développement technologique. Les systèmes de DPI font partie de nombreuses situations qui évoluent dans le temps et qui dépendent des pays et de leurs structures économiques. C’est pourquoi avant d’avancer une théorie il conviendra de l’analyser en fonction des pays intéressés. Les effets possibles varieront selon les cas, lorsque des pays qui ont des niveaux de développement ou des systèmes économiques différents doivent adopter des politiques de DPI mutuelles. C’est pourquoi il est impératif de réaliser des études de cas spécifiques par pays sur l’incidence des différents systèmes de DPI sur la croissance.

Il faudra vérifier si des incitations privées sont suffisantes à garantir un accroissement optimal du stock des connaissances scientifiques et technologiques. L’expérience montre que les contrats privés de transfert technologique réussissent souvent à assurer une exploitation durable des connaissances et une diffusion efficace d’informations novatrices. Cependant, en l’absence de mesures particulières, les résultats restent imprévisibles et sont fortement subordonnés au comportement commercial des parties concernées. L’abus de positions de force sur le marché demeure un risque inhérent. Il est donc nécessaire de faire appel à l’intervention publique.

Les aspects décrits ci-dessus jouent un rôle important dans la mise au point de systèmes de DPI internationaux et nationaux.

1.4 Les DPI et leur rapport avec les ressources phytogénétiques

On pourrait, de prime abord, douter de l’existence d’un lien entre les DPI et les ressources phytogénétiques (RP). Cependant, l’importance du matériel biologique dans l’industrie va en s’accroissant de manière significative. Les industries pharmaceutiques, biotechnologiques et agricoles étendent constamment leurs domaines d’intervention, établissant un lien direct entre les questions économiques et environnementales.

La possibilité de définir les gènes permet désormais de déposer des brevets

On estimait à l’origine que les ressources génétiques faisaient partie du «patrimoine commun» à l’humanité, vouant la communauté mondiale à sa préservation et à son exploitation durable et excluant la matière vivante de la notion de propriété privée. Cet idéal était le reflet de l’impossibilité de définir du point de vue génétique les espèces végétales et animales, interdisant ainsi toute spécification, qui est un prérequis pour l’obtention de la protection au titre des DPI. Par la suite, le développement des sciences et de la technologie génétiques a fourni des définitions qui permettent une détermination plus précise des espèces, faisant entrer ainsi la matière vivante dans le domaine de la propriété intellectuelle. Le présent programme ne prend pas en considération les aspects éthiques de la question. Cependant, il ne faudra pas négliger les impacts exercés sur l’environnement.

Les avantages de la brevetabilité sont difficiles à réaliser dans les pays riches en gènes...

Les ressources biologiques et génétiques, y compris le matériel génétique, présentent manifestement un intérêt économique. Les ressources génétiques comprennent un vaste réservoir de caractéristiques héréditaires qui ont une importance économique réelle ou potentielle. Dans les pays riches en ressources génétiques, l’application de DPI à la matière vivante peut fournir une incitation financière directe à en protéger, préserver et contrôler l’exploitation, et les bénéficiaires en seront principalement les pays en développement. Malgré ses aspects positifs, cette théorie est difficile à mettre en pratique. L’attribution de droits précis à du matériel génétique spécifique risque de susciter des différends complexes entre les pays, notamment si l’origine des espèces végétales ou de leur matériel génétique ne peut être définie à l’intérieur de zones géographiques établies politiquement (un problème qui est propre à la plupart des espèces végétales). Des complications supplémentaires surgissent lorsqu’on recherche le détenteur attitré des droits, dans la mesure où la variabilité génétique est le résultat d’efforts d’une communauté ou de l’interaction de populations. Conférer des DPI au matériel génétique implique le droit d’exclure des tiers de son utilisation, ce qui pourrait avoir un effet de dissuasion sur les échanges de matériel génétique au sein du réservoir mondial de gènes, et entraîner des conséquences imprévisibles sur l’environnement.

... tandis que les inconvénients liés à la perte de diversité génétique sont évidents

Les industries qui se fondent sur les ressources phytogénétiques entreprennent de coûteuses activités de recherche et développement pour mettre au point des techniques qui permettent l’utilisation efficace de gènes d’espèces naturelles et la commercialisation des produits améliorés qui en sont tirés. Ces mêmes industries feront donc un usage intensif de tout système de DPI mis en vigueur afin de recouvrer leurs investissements. L’application des DPI à du matériel génétique végétal pourrait donc avoir pour effet de contraindre les agriculteurs à n’utiliser que certaines semences, en grande partie manipulées, sur de longues périodes de temps. Les possibilités de sélection à la disposition de ces agriculteurs et des collectivités autochtones seront largement limitées à du matériel génétique d’origine artificielle. Il en résultera une uniformité génétique croissante dans les cultures agricoles ou d’autres espèces végétales très commercialisées et une extrême vulnérabilité aux ravageurs et aux maladies, car seule la variabilité génétique peut assurer la survie continue. A longue échéance, des systèmes de DPI forts favorisent l’érosion génétique, ce qui aura des répercussions graves sur le réservoir mondial de gènes. Il est indispensable de prendre des mesures visant l’exploitation durable et la conservation de la diversité génétique lorsque l’on élabore un système de DPI.4

4 A l’heure actuelle, les systèmes de DPI en vigueur pour la protection de nouvelles variétés végétales imposent l’«uniformité» comme condition de garantie de cette protection.

1.5 Les DPI et le débat Nord-Sud sur les ressources phytogénétiques

L’expansion généralisée des biotechnologies dans les différents domaines industriels a déterminé, dans les pays industrialisés, une demande massive de protection de la propriété intellectuelle des organismes vivants.

De fait, les gènes de ces organismes, à savoir les ressources phytogénétiques, représentent la «matière première» des nouvelles biotechnologies. C’est ainsi que la «ruée vers les gènes» est désormais une nouvelle version de la «ruée vers l’or», dans la bousculade générale en vue de futurs profits.5

5 Khor, s.d.

D’après l’Institut mondial pour les ressources, plus de la moitié des espèces végétales et animales du monde vit dans les forêts ombrophiles du tiers monde et nulle part ailleurs.6 Les principaux détenteurs de ces ressources se trouvent donc dans l’hémisphère sud, une situation qui recèle un potentiel énorme de conflits entre le Nord, pauvre en gènes mais riche en technologies, et le Sud, riche en gènes mais pauvre en technologies.

6 Kimbrell (1997).

Conflits entre les détenteurs de ressources et les entreprises de biotechnologie

De nombreuses entreprises ont obtenu des brevets pour des végétaux dont la sélection génétique s’est faite dans des pays en développement et, souvent, à partir des savoirs locaux concernant leur emploi. Cette situation se rencontre dans de nombreuses parties du monde en développement où la sagesse populaire autochtone est mise à profit pour identifier les plantes médicinales, en apprendre l’utilisation, et les exploiter ensuite commercialement en brevetant systématiquement les résultats. On revendique des DPI pour des espèces végétales utilisées de longue date par les Africains, des analgésiques employés par les Chinois, des espèces agricoles andines et des variétés traditionnelles de riz cultivées par les fermiers indiens. Les pays en développement utilisent le terme de «biopiraterie»7 pour désigner ce type de concession de brevets. Les législations de leurs pays permettent aux industriels de profiter des bénéfices commerciaux tirés de l’exploitation des ressources phytogénétiques sans les partager nécessairement avec les communautés autochtones des pays d’où provient le matériel génétique.

7 GRAIN, s.d.

Les communautés indigènes et les paysans cherchent désormais à s’opposer à l’octroi de DPI pour des plantes utilisées pour leurs fonctions nutritionnelles, médicinales ou autres, identifiées et développées par eux. Ces communautés soutiennent aussi qu’elles encourent le risque de devenir totalement tributaires de la fourniture industrielle de certains intrants d’une importance vitale comme les semences.

Les pour et les contre des différentes solutions envisagées pour remédier à ce conflit

Les systèmes de DPI assurent des ressources financières à la technologie génétique mais il n’existe aucun système juridique qui rémunère les connaissances indigènes. Différentes propositions ont été avancées pour régler cette controverse.8 L’une des approches consiste à protéger les droits des agriculteurs-éleveurs autochtones en recourant aux instruments et méthodes de DPI propres au monde industriel tels que contrats, marques de fabrique ou de commerce et brevets. Toutefois, la possibilité d’une apparition périodique de similarités génétiques dans différentes espèces végétales pourrait poser des problèmes. En réalité, le partage généralisé de semences entre populations voisines risque de réduire, voire d’effacer, les différences génétiques entre les variétés locales de certaines espèces végétales. La complexité juridique s’accroît du fait que les contributions proviennent souvent de collectivités entières, ce qui empêche de les attribuer à des groupes ou des individus déterminés. Si un gène particulier, déterminant pour le succès d’une nouvelle variété, est originaire de différentes zones, il devient impossible d’établir une priorité pour sa reconnaissance et la rémunération due. Ce fait pourrait encourager la concurrence entre collectivités d’une même région et favoriser l’éclatement de conflits ethniques de nature économique. C’est pourquoi il n’est guère conseillé d’appliquer les mécanismes de DPI courants aux populations autochtones. Il faudra mettre au point des procédures spéciales pour reconnaître et récompenser leurs contributions à la mise en valeur des ressources génétiques.

8 Greaves (1994).

Une deuxième approche consisterait à harmoniser les droits des obtenteurs de plantes privés avec les droits des agriculteurs pris dans leur ensemble, en établissant un fonds destiné à financer au niveau national ou régional des programmes de conservation et d’utilisation du matériel génétique, en grande partie mais pas exclusivement dans les pays en développement, en offrant un transfert de technologies en échange de «matières premières».

Une autre suggestion, qui est l’antithèse des deux premières, vise à interdire le contrôle lucratif de ressources génétiques agricoles pour promouvoir leur utilisation par tous. Elle ne manque pas de susciter une forte opposition de la part des pays industrialisés car elle entre en conflit avec le principe de la propriété privée et risque de compromettre les intérêts économiques des industriels occidentaux.

Il a également été envisagé d’éliminer les variétés locales du champ d’investigation des obtenteurs de variétés végétales et d’obliger la communauté internationale à reconnaître que les valeurs des populations autochtones sont égales à celles de la société dominante. Cette approche pourrait être réalisée en intégrant la protection de la propriété naturelle, culturelle et intellectuelle dans la protection générale des droits humains des populations autochtones. Elle comporterait la protection de la propriété intellectuelle des communautés locales par la reconnaissance de la propriété collective de leurs terres d’origine et l’établissement de leurs droits souverains sur leurs propres connaissances et leurs ressources traditionnelles. Le partage de ces connaissances et ressources avec le reste du monde serait alors subordonné à la reconnaissance et à la protection à l’échelon international de leur droit de définir et de contrôler leurs connaissances.

Une dernière approche consiste en accords bilatéraux sur le partage des bénéfices. Ces accords seraient établis au cas par cas, ce qui aurait l’avantage de favoriser la gestion des aspects propres à chaque situation. Cependant, en l’absence de conditions déterminées juridiquement, l’abus de positions de force sur le marché resterait un risque inhérent.

L’Accord ADPIC laisse ouvertes les possibilités de résolution de ces conflits

L’Accord ADPIC aura une influence déterminante sur les législations nationales concernant ces questions. Toutefois, l’Accord s’exprime de façon ambiguë dans la clause relative aux organismes vivants (Article 27.3). Comme l’ont voulu ses auteurs, elle laisse ouvert un vaste champ d’action. Le résultat des procédures de mise en œuvre et de réexamen sera donc d’une importance cruciale pour la reconnaissance et le règlement de ces différends.

Bibliographie

GRAIN (Genetic Resources Action International). Patenting, Piracy and Perverted Promises. (téléchargeable à www.grain.org/publications/reports/piracy.htm

Greaves, T. 1994. Intellectual Property Rights for Indigenous People, A Source Book. Society for Applied Anthropology, Oklahoma City OK, USA.

Khor, M. A Worldwide Fight against Biopiracy and Patents on Life. Third World Network. (téléchargeable à www.capside.org.sg/souths/twn/pat-ch.htm

Kimbrell, A. 1997. Breaking the Law of Life: Raiding the Future, Patent Truth or Patent Lies? Vol. 2, GAIA Foundation.

Wallerstein, M.B., Mogee, M.E. et Schoen, R.A. 1993. Global Dimension of Intellectual Property Rights in Science and Technology. National Academy Press, Washington D.C.


Début de page Page suivante