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Introduction

Depuis la fin de la Conférence de Rio, appelée aussi Sommet de la Terre, organisée par le CNUCED, les produits forestiers non ligneux (PFNL) ne cessent d'être propulsés sur le devant de la scène internationale. Sont désignés par cette expression, tous les biens et services, différents du bois d'oeuvre et ses dérivés, fournit par la forêt ou d'autres écosystèmes ayant des fonctions similaires tels que les jardins de case, les vergers villageois et d'autres systèmes agroforestiers.

Ainsi définis, les PFNL englobent entre autres les plantes cultivées et les plantes spontanées. Connues et utilisées depuis plusieurs années par les populations locales, ces ressources étaient désignées par différents noms : les produits de cueillette, les produits forestiers secondaires, les produits forestiers mineurs, les produits forestiers spéciaux, les produits agricoles traditionnels, les produits vivriers, etc. L'utilisation de ces expressions remonte à la conquête des zones tropicales par les Européens au cours de laquelle les richesses de la forêt, des agroforêts (jardins de case et vergers villageois) et de l'agriculture familiale étaient divisées en deux groupes : celles qui étaient essentielles à l'économie coloniale et les autres. Les premières étaient représentées en majorité par le bois d'oeuvre, ses dérivés (sciage, contreplaqué, aggloméré, etc.), les produits agricoles de rente (café, cacao, thé, etc.) et quelques produits de cueillette destinés à l'industrie occidentale (gomme arabique, caoutchouc, résine, ivoire, etc.). Les autres ressources étaient représentées par toutes celles dont l'utilisation et la consommation étaient limitées aux populations locales. C'est pourquoi pendant la période coloniale et avant le sommet de Rio, ce dernier groupe était exclu des projets de développement, des échanges internationaux et des statistiques nationales et mondiales.

Cette méconnaissance a conduit en Afrique à l'exclusion de la valeur socio-économique des PFNL et à leur marginalisation au profit des richesses minières, des produits de rente et du bois d'oeuvre (acajou, ébène, niové, bilinga, limba, etc.). Mais depuis le début des années 90, cette lacune est en train d'être comblée au travers des travaux des chercheurs africains et européens (Falconer, 1990 ; 1992 ; Tabuna, 1993 : Ros-Tonen and al. 1994 ; Ndoye, 1995 ; Ndoye et Ruiz-Perez, 1999). Ces travaux ont confirmé l'importance écologique des PFNL et ont révélé le rôle socio-économique de ces ressources tant pour l'économie domestique que pour l'économie rurale. Une partie des produits cultivés et cueillis ou ramassés est utilisée pour l'autoconsommation, une autre est écoulée sur les marchés nationaux ou régionaux et internationaux, constituant ainsi la source principale des revenus des paysans. Si les marchés nationaux ou régionaux sont anciens, en revanche les débouchés internationaux n'existent que depuis 1960 et ont commencé à émerger à partir des années 80 (Tabuna, 1999). Nous avons récemment décrit le marché des PFNL de l'Afrique Centrale en France et en Belgique. De cette étude, il ressort que les principaux consommateurs de ces produits sont les Africains de la diaspora dont la demande est en évolution constante. De plus, cette consommation pourrait s'étendre aux consommateurs européens, en raison de l'émergence de nouveaux marchés en Europe, favorisés par la globalisation et l'internationalisation des échanges.

En effet, ces processus ont entraîné d'importants mouvements de recomposition sur le plan économique, politique, commercial, social aussi bien dans les pays du Nord que ceux du Sud. Sur le plan politique, on assiste à la création de nouveaux espaces économiques (Union Européenne, ALENA, MERCOSUR, etc.). Sur le plan économique, on assiste à des fusions et à des regroupements des grands groupes de biens (agro-industries, automobiles) et des services (banques, assurances, télécommunications). Sur le plan commercial, il y a eu la naissance de l'organisation mondiale du commerce (OMC). Enfin, sur le plan social on assiste à l'émergence de nouveaux modèles de consommation qui, en Europe, sont illustrés par une croissance de la demande de produits alimentaires ou non à forte "charge culturelle" et l'augmentation des voyages à l'étranger. Le consommateur européen veut de plus en plus découvrir les cultures lointaines, diversifier son alimentation, préserver sa santé et son environnement. Ainsi, plusieurs produits (produits biologiques, produits de terroir, aliments santé ou alicaments, aliments ethniques) connaissent une demande croissante et attirent aussi bien la Grande Distribution que les filiales des grands groupes alimentaires. Nous reviendrons sur la définition de certains termes : produits biologiques, aliments santé et aliments ethniques.

A l'image de plusieurs pays du Sud, les pays de l'Afrique subsaharienne ne restent pas en marge de ces mouvements, comme le témoigne le maintien des anciens et la création de nouveaux espaces économiques (UEMOA, CDEAO, CEMAC, SADC, etc.). Pour les pays africains, l'avènement de nouveaux marchés en Europe est une occasion d'intégrer les agricultures familiales dans la mondialisation. Car ce sont elles qui produisent les principaux produits " porteurs d'identité" et tous ceux qui sont susceptibles d'être écoulés sur ces marchés, non seulement émergent en Europe, mais existent également en Amérique du Nord depuis plusieurs années. Cette occasion est d'autant plus intéressante qu'elle permet à l'Afrique subsaharienne d'exporter, par exemple, des produits agro-alimentaires spécifiques, qui, contrairement aux produits tropicaux connus (ananas, avocat, jus d'ananas, etc.) peuvent échapper à la concurrence des autres régions tropicales.

Dorénavant, les PFNL jadis marginalisés pourraient participer aux échanges internationaux et être destinés aussi bien à la diaspora africaine qu'aux consommateurs occidentaux. Cette nouvelle "économie africaine", basée sur l'exportation des PFNL et de tous les savoir-faire qui leurs sont associés, devrait répondre aux principaux défis actuels de l'Afrique subsaharienne (augmentation des revenus des paysans, création d'emplois, valorisation des produits locaux, valorisation des savoir-faire traditionnels, gestion de la biodiversité, protection de l'environnement, la valorisation de l'économie "informelle", etc.). La relève de ces défis passe avant tout par une parfaite connaissance des marchés concernés et des attentes des acteurs qui y sont impliqués. Les résultats obtenus devront orienter l'organisation des systèmes de production et d'exportation des PFNL en Afrique subsaharienne.

Aussi, consacrons-nous depuis quelques années nos recherches sur la connaissance des circuits de distribution des PFNL de l'Afrique subsaharienne en Europe. Après avoir décrit depuis trois ans (Tabuna, 1998 ; 1999 ; 2000) le commerce des PFNL de l'Afrique Centrale en France et en Belgique, il nous paraît intéressant, avec un appui financier de la FAO et de CARPE, d'étendre nos recherches sur l'ensemble des PFNL de l'Afrique subsaharienne. Contrairement à nos travaux antérieurs, cette étude est consacrée à l'évaluation des échanges (volume et valeur) de ces produits entre l'Afrique subsaharienne et l'Europe.

Cependant, elle ne pend pas en compte certains PFNL (ex : paniers faits à base des feuilles de Cypearceae ou d'autres matériaux et importés entre autres du Burkina Faso et de Madagascar). Une partie est écoulée dans le créneau du commerce équitable, une autre est présente dans les réseaux de distribution très spécialisé dont l'étude exige un temps plus long, en raison de l'absence d'un annuaire sur les différents acteurs de cette filière. De même, elle n'aborde pas non plus tous les PFNL référencés dans les échanges internationaux, car leur volume et leur valeur sont connus dans les échanges internationaux (Iqbal, 1993). C'est le cas des huiles essentielles, des produits à base du karité (Vitellaria paradoxa), des produits en rotin (ex : Laccosperma spp., Calamus spp. et Eremospatha macrocarpa) dont le marché international est de 6,5 milliards $US (IITO, 1997) et sur lequel certains pays de l'Afrique subsaharienne sont présents (Sunderland, 1999). Il en est de même des plantes médicinales dont la part des exportations de l'Afrique subsaharienne dans les échanges internationaux est publiée dans les statistiques nationales et mondiales. Plusieurs de ces plantes médicinales sont très connues (Cunningham and Mbenkum, 1993 ; Cunningham, 1995). Citons entre autres : le Prunus africana, plante endémique de cinq pays africains (Cameroun, Madagascar, Congo-Kinshasa, Kenya et de l'Ouganda) importé principalement par la France, l'Italie et l'Espagne ; le Pausinystalia johimbe exporté par le Cameroun vers l'Europe (Pays Bas, l'Allemagne, la France, la Belgique et le Luxembourg) et les racines de Harpagophytum procumbens exporté par trois pays (Namibie, Mozambique, Botswana) vers l'Afrique du Sud, les Etats Unis, l'Allemagne, l'Italie et la France.

Aussi, notre étude va se limiter aux échanges des PFNL alimentaires et non alimentaires importés dans plusieurs pays européens et décrits par Woldesselassié (1989) et nous mêmes (Tabuna, 1999 ; 2000). La deuxième raison de ce choix tient au fait que ces ressources sont au coeur des activités quotidiennes des paysans. Après avoir exposé le cadre méthodologique de cette étude, nous analyserons d'abord la question de la population subsaharienne en Europe. Nous aborderons ensuite l'identification des PFNL principaux importés par chaque pays. Elle sera suivie par : l'analyse des flux, l'organisation des débouchés existants, l'évolution et le devenir du commerce des PFNL, l'identification des principaux obstacles et les attentes des importateurs. Enfin cette étude se terminera sur une discussion autour de deux problèmes fondamentaux liés au développement du commerce des ressources naturelles peu disponibles et surtout des produits peu volumineux issus des agricultures familiales dans le contexte socio-économique mondial actuel (demande croissante) : l'accessibilité aux marchés et la durabilité de ceux-ci, c'est-à-dire la durabilité de la demande et la durabilité de la production.

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