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Module 6. Les mesures de protection spéciale


6.1 Introduction
6.2 Les caractéristiques fondamentales de quatre clauses de sauvegarde
6.3 Quelques problématiques propres aux pays en développement

R. Sharma
Division des produits et du commerce international

OBJECTIF

L'objectif de ce module est de décrire les différentes clauses de sauvegarde contenues dans les accords de l'OMC et d'analyser les problèmes et difficultés auxquels doivent faire face les pays en développement dans le domaine de la sauvegarde des produits agricoles.

POINTS CLÉS

· Un certain nombre de clauses de sauvegarde dans l'Accord de l'OMC permettent la suspension provisoire des obligations. Un mécanisme de sauvegarde spéciale a également été crée dans l'Accord sur l'agriculture pour les produits soumis à tarification.

· Les clauses de sauvegarde sont nécessaires au commerce des produits agricoles du fait de son caractère éminemment volatile. Dans le cas des pays en développement, le problème est de savoir comment améliorer leur capacité d'utilisation des sauvegardes générales tout en s'assurant que les clauses de sauvegarde ne deviennent pas abusives.

6.1 Introduction

Le rôle des sauvegardes

Les clauses spéciales ou de sauvegarde sont des droits additionnels ou des réglementations des importations qui peuvent être imposés par un pays lorsqu'il est confronté à une brusque poussée des importations et/ou à une baisse anormale des prix des importations, l'un ou l'autre étant susceptible de provoquer des dommages sur le secteur d'activité intérieur en concurrence. En des termes plus formels, dans le cadre juridique de l'OMC, les clauses de sauvegarde autorisent un pays importateur à suspendre ses obligations envers l'OMC dans des circonstances comme celles mentionnées ci-dessus.

Avant le Cycle d'Uruguay, les clauses de sauvegarde n'avaient que peu d'importance pour le commerce des produits agricoles car ceux-ci échappaient à de nombreuses disciplines du GATT. La majorité des tarifs agricoles n'étaient pas consolidés et diverses exemptions permettaient l'application de restrictions quantitatives. Même si l'Accord sur l'agriculture du Cycle d'Uruguay a prévu une clause de sauvegarde spéciale applicable au commerce des produits agricoles - limitée à certains produits et à certains pays, comme on le verra plus loin -, cette disposition ne s'applique pour le moment que pendant la durée encore à définir du «processus de réforme». Mais au-delà, les sauvegardes générales s'appliqueront effectivement au commerce des produits agricoles1. Il est donc important de se familiariser avec ces mesures.

1Il existe des sauvegardes générales du GATT pour tous les pays et pour tous les produits, y compris les produits agricoles.
Il existe plusieurs clauses de sauvegarde du GATT qui permettent de suspendre les obligations (et quelques-unes qui permettent de les supprimer définitivement). Ces mesures sont présentées dans l'encadré 1 avec la clause de sauvegarde spéciale de l'Accord sur l'agriculture. Il nous est impossible d'examiner ici toutes ces dispositions - les lecteurs qui souhaitent le faire peuvent se référer aux Textes juridiques du Cycle d'Uruguay.

Ce module aborde les aspects suivants:

· les caractéristiques de base de quatre clauses de sauvegarde (la sauvegarde spécifique à l'agriculture et les trois principales sauvegardes générales du GATT: les mesures anti-dumping, les mesures compensatoires et les clauses de sauvegarde d'urgence);

· les considérations pour les PVD en ce qui concerne l'utilisation et la validité des clauses de sauvegarde dans le commerce agricole.

Encadré 1: La liste des sauvegardes du GATT et de l'OMC

Anti-dumping: mesures de lutte contre le dumping - fixation par une entreprise privée d'un prix à l'exportation inférieur à celui pratiqué sur le marché d'origine - qui cause un dommage important à une branche de production nationale (Article VI du GATT et Accord sur la mise en œuvre de l'Article VI du GATT de 1994).

Droits compensateurs: mesures visant à neutraliser l'effet des subventions instituées par le gouvernement d'un pays exportateur qui causent ou sont susceptibles de causer un dommage important à une branche de production nationale (Articles VI et XVI du GATT et Accord sur les subventions et les mesures compensatoires).

Mesure d'urgence: protection temporaire s'appliquant dans les cas où l'importation d'un produit cause ou est susceptible de causer un dommage grave aux producteurs nationaux de produits directement concurrents (Article XIX).

Clause de sauvegarde spéciale - prévue par l'Accord sur l'agriculture (Article 5) uniquement pour les produits agricoles ayant fait l'objet d'une tarification durant le Cycle d'Uruguay, désignés dans les listes des pays par le symbole «SGS», qui donne le droit d'invoquer cette clause. La disposition reste en vigueur pendant la durée du «processus de réforme» visé par l'Article 20 de ce même Accord, qui reste à déterminer.

Balance des paiements: restrictions à l'importation visant à sauvegarder la position financière extérieure d'un pays (Article XII).

Industries naissantes: aide publique au développement économique, autorisant les restrictions à l'importation pour protéger les industries naissantes (Articles XVIII:a et XVIII:c).

Dérogations générales: autorisent les Membres à demander d'être relevés d'une obligation (Article XXV et Accord de l'OMC). A la différence d'autres mécanismes, ces dérogations nécessitent l'approbation officielle du Conseil de l'OMC.

Dispositions prévoyant des exemptions permanentes des obligations.

Exceptions générales: mesures nécessaires à la protection de la moralité publique, de la santé, des lois et des ressources naturelles, sous réserve que ces mesures ne soient pas discriminatoires et ne constituent pas une restriction déguisée au commerce (Article XX).

Modifications des Listes et Renégociations tarifaires: permet le retrait de certaines concessions (par exemple le relèvement des tarifs consolidés) sous réserve d'offrir une compensation aux Membres affectés (Article XXVIII, Article XXVIII bis).

Source: Données compilées par Hoekman et Kostecki. (1996), Chapitre 7 - Sauvegardes.

6.2 Les caractéristiques fondamentales de quatre clauses de sauvegarde

6.2.1 La Clause de sauvegarde spéciale de l'Accord sur l'agriculture

Les clauses de sauvegarde spéciale peuvent être invoquées lorsque...

L'article 5 de l'AsA - qui est le plus long de tous les articles de cet Accord - définit les conditions dans lesquelles il est possible d'augmenter temporairement les droits applicables à des produits agricoles déterminés au-dessus des niveaux consolidés. Pour que puisse être invoquée cette clause de sauvegarde, trois conditions doivent être réunies: i) le produit considéré doit avoir été soumis au processus de tarification2; ii) le produit doit être désigné dans la Liste du pays comme un produit pour lequel la clause peut être invoquée; et iii) les critères de déclenchement basés sur le volume ou sur le prix doivent être réunis. L'AsA a institué la Clause de sauvegarde spéciale car on craignait que la suppression des mesures non tarifaires n'entraîne soit une poussée des importations qui pénaliserait la production nationale, soit un effondrement des prix intérieurs au cas où les droits consolidés uniquement à travers le processus de tarification ne seraient pas suffisants. Trente six pays Membres de l'OMC se sont réservé le droit d'invoquer la Clause de sauvegarde spéciale, chacun pouvant le faire pour un nombre limité de produits seulement. Etant donné que la plupart des pays en développement ont préféré proposer des «consolidations des taux plafonds» plutôt que de se soumettre à la procédure de tarification, ils sont très peu nombreux à pouvoir invoquer cette disposition.

2Autrement dit, la clause ne peut pas être invoquée pour des produits déjà protégés uniquement par des droits de douane, ni pour les produits pour lesquels des consolidations à des taux plafonds ont été proposées.
... les prix à l'importation baissent de façon significative...

La sauvegarde spéciale basée sur le prix - Le concept de base est que des droits additionnels peuvent être imposés en sus des taux consolidés lorsque les prix à l'importation tombent au-dessous d'un certain seuil de déclenchement. Le prix de référence pour le calcul du prix de déclenchement s'entend, en règle générale, de la valeur unitaire c.a.f. moyenne du produit considéré pendant la période de base (1986-88), exprimée en monnaie nationale, mais ce prix peut également être un prix «approprié», eu égard à la qualité du produit et à son stade de transformation. Les pays qui recourent à la clause de sauvegarde spéciale ont notifié ces prix de déclenchement à l'OMC. La formule à appliquer pour calculer le niveau autorisé du droit additionnel est assez complexe - la valeur de ce droit est fonction de la différence entre le prix à l'importation et le prix de déclenchement. Le mécanisme fonctionne un peu comme un prélèvement variable, en ce sens que plus le prix à l'importation baisse et tombe au-dessous du prix de déclenchement, plus le droit est élevé - cependant il ne compense pas totalement la baisse du prix à l'importation, de sorte que les prix intérieurs ne sont pas complètement isolés des effets des fluctuations des prix sur le marché mondial.

... ou que les importations déferlent

La sauvegarde spéciale basée sur le volume - Comme dans le cas qui précède, le concept de base est que des droits additionnels peuvent être imposés (en sus du taux consolidé) si les importations augmentent et dépassent un niveau de déclenchement déterminé. Le niveau de déclenchement se calcule à l'aide d'une formule basée sur les éléments suivants: i) la quantité moyenne effectivement importée durant les trois années précédentes; ii) la part des importations dans la consommation intérieure; iii) la variation du volume en chiffre absolu de la consommation pendant l'année la plus récente pour laquelle des données sont disponibles. Dans cette formule, le niveau de déclenchement est d'autant plus élevé (et les probabilités de l'atteindre moindres) que: i) la quantité moyenne importée durant les trois années précédentes est élevée; ii) la part des importations dans la consommation intérieure est faible; iii) la croissance de la consommation intérieure est rapide.

L'utilisation de cette clause est limitée par trois autres conditions: i) le droit additionnel maximal autorisé n'excédera pas 30 pour cent du droit de douane normal en vigueur pendant l'année où la clause de sauvegarde spéciale est invoquée; ii) le droit additionnel ne pourra être maintenu que jusqu'à la fin de l'année pendant laquelle il a été imposé; iii) le droit additionnel ne pourra pas être appliqué aux produits importés dans le cadre des contingents tarifaires.

En ce qui concerne l'utilisation de cette sauvegarde, peu de pays l'ont invoquée pendant la période 1995-97 (mais quelques-uns y ont eu recours à plusieurs reprises), et ce probablement pour deux raisons: les tarifs consolidés appliqués à de nombreux produits pour lesquels la clause de sauvegarde spéciale pouvait être invoquée restent élevés et les prix d'un grand nombre de produits agricoles sur le marché mondial ont été fermes pendant presque toute cette période. Il reste à évaluer dans quelle mesure cette clause a été utilisée en 1998-99 lorsque les cours mondiaux ont baissé.

6.2.2 La clause anti-dumping

Les droits anti-dumping protègent contre les entreprises privées qui vendent à des prix inférieurs au coût de production...

Le dumping est défini, en règle générale, comme étant le fait, pour une entreprise privée, de vendre un produit sur un marché extérieur à un prix inférieur à celui auquel ce même produit est ordinairement vendu sur le marché d'origine. Il y a dumping lorsque le prix du produit exporté n'est pas «normal», c'est-à-dire qu'il est inférieur au coût de production. La principale disposition du GATT relative à la protection contre le dumping est l'Article VI du GATT de 1994 - Droits anti-dumping et droits compensateurs. L'Accord sur la mise en œuvre de l'Article VI du GATT de 1994, généralement connu sous le nom d'Accord AD, présente une analyse plus approfondie des principes de base énoncés dans l'Article VI et donne des détails sur les procédures d'enquête, de détermination et d'application des droits anti-dumping.

Pour appliquer un droit AD, il faut réunir trois conditions: i) l'existence d'un dumping doit être établie (avec estimation de la marge de dumping, c'est-à-dire de la différence des prix); ii) il doit être établi qu'une branche de production nationale subit ou risque de subir un dommage important; et iii) le dumping doit être la cause du dommage. Il est donc crucial d'établir l'existence d'un dommage, c'est-à-dire de démontrer que les importations faisant l'objet d'un dumping ont causé ou risquent de causer un dommage important à une branche de production établie dans le pays importateur.

Les autres règles importantes sont les suivantes: le droit AD ne doit pas être supérieur à la marge de dumping, et il doit avoir été imposé sans discrimination sur les importations provenant de toutes les sources ayant fait l'objet d'un dumping et causé un dommage. Les pays membres dans lesquels il existe une législation AD sont tenus de maintenir des «tribunaux judiciaires, arbitraux ou administratifs» pour pouvoir réviser dans les moindres délais les mesures administratives se rapportant aux déterminations finales et maintenir les droits AD.

Il n'est spécifié nulle part dans l'Accord AD que des règles différentes s'appliquent aux importations en provenance de pays en développement ou aux droits AD imposés par ces pays. Cependant, l'une des dispositions de l'Accord reconnaît que les pays développés devraient prendre «spécialement en considération» la situation des pays en développement et les exhorte à rechercher «des possibilités de solutions constructives» lorsque l'application de droits anti-dumping risque de porter atteinte aux intérêts essentiels de ces pays.

A la différence des actions aux fins de l'application de droits compensateurs (voir ci-après), la «clause de modération» (Article 13) de l'AsA n'exempte pas les produits agricoles des clauses anti-dumping pendant la période de mise en œuvre.

6.2.3 Les subventions et les droits compensateurs

... tandis que les droits compensateurs protègent contre les subventions publiques

Les droits compensateurs et les droits anti-dumping sont similaires dans leur esprit mais alors que les mesures AD visent à neutraliser les effets d'une activité d'une entreprise exportatrice privée jugée déloyale sur le plan de la concurrence, une mesure compensatoire vise à neutraliser les effets des subventions publiques (soutien interne et subventions à l'exportation) qui sont nuisibles sur le plan de la concurrence. Pour le reste, les règles de procédure sont à peu de chose près les mêmes.

Deux articles du GATT traitent ce sujet - l'Article XVI, Subventions (la source du problème), et l'Article VI, Droits anti-dumping et droits compensateurs (le remède). L'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires (Accord SMC) du Cycle d'Uruguay - 50 pages au total - s'étend longuement sur la question, notamment en donnant de nombreuses définitions (par exemple de ce qui constitue une subvention), une liste des types de subventions établie en fonction des mesures compensatoires possibles (subventions ne donnant pas lieu à une action, subventions prohibées et subventions donnant lieu à une action) et des indications détaillées sur les procédures d'enquête et les règles à appliquer.

Une mesure compensatoire est instituée unilatéralement par un Membre pour réparer un dommage mais elle peut aussi être appliquée à l'issue d'une enquête effectuée par ce Membre, établissant que les critères énoncés dans l'Accord SMC sont réunis. Les critères de fond sont les suivants: un Membre n'imposera une mesure compensatoire qu'après avoir déterminé l'existence d'importations subventionnées, d'un dommage à une branche de production nationale et un lien de causalité entre les importations subventionnées et le dommage, comme pour les mesures anti-dumping. Des règles de procédure détaillées disciplinent la conduite des enquêtes en matière de droits compensateurs ainsi que l'imposition et le maintien des mesures compensatoires. Le non-respect des règles de fond ou de procédure peut faire l'objet d'un règlement des différends et déboucher sur l'annulation du droit.

Pour des raisons exposées au début de ce module, à savoir que l'agriculture échappait à un bon nombre de disciplines générales du GATT, il est rare que des mesures d'urgence aient été appliquées au commerce des produits agricoles. Entre janvier 1993 et juin 1995, seulement 78 des 1148 actions anti-dumping enregistrées concernaient l'agriculture et les produits alimentaires3. En ce qui concerne les mesures compensatoires, ces chiffres étaient respectivement de 47 actions sur un total de 237.

3Low, P. (1997).
Dans le cas particulier des actions en matière de droits compensateurs concernant des produits agricoles, l'Article 13 de l'AsA contient une clause de «Modération» qui spécifie que les subventions intérieures autorisées (Boîte verte) sont exemptées de l'imposition de droits compensateurs pendant la période de mise en œuvre, et que les autres mesures de soutien interne et subventions à l'exportation (Boîte rouge) sont passibles de droits compensateurs uniquement après qu'une détermination d'un dommage ou d'une menace de dommage aura été établie, conformément à l'Accord SMC.

6.2.4 Les sauvegardes d'urgence

La principale disposition du GATT couvrant les sauvegardes d'urgence est l'Article XIX - Mesures d'urgence concernant l'importation de produits particuliers -, un article simple et court qui se réduit à trois paragraphes. Dans la pratique, l'Article XIX a rarement été invoqué et lorsqu'il a été utilisé, c'était souvent à mauvais escient. Il a notamment ouvert la voie à des mesures de «zone grise» telles que les limitations volontaires d'exportation, les accords de commercialisation ordonnée, et d'autres mesures similaires. L'Accord sur les sauvegardes du Cycle d'Uruguay a été négocié «pour rétablir un contrôle multilatéral sur les sauvegardes et éliminer les mesures qui échappent à ce contrôle».

L'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires énonce des règles détaillées pour l'application des clauses de sauvegarde relevant de l'Article XIX. Les conditions entraînant l'application des clauses de sauvegarde sont les mêmes que celles définies dans les accords sur les droits anti-dumping et les droits compensateurs, à savoir l'augmentation des importations et le dommage mais il y a aussi des différences importantes. Les principes directeurs de l'Accord sur les sauvegardes sont les suivants: i) ces mesures doivent être temporaires; ii) elles ne peuvent être imposées que s'il est démontré que des importations causent ou menacent de causer un dommage grave à la branche de production nationale de produits concurrents; iii) elles doivent être, en règle générale, appliquées de manière non sélective (régime de la Nation la plus favorisée); iv) elles doivent être progressivement libéralisées pendant leur période d'application; et v) le Membre qui les impose doit offrir une compensation aux Membres dont le commerce est affecté.

Les sauvegardes d'urgence sont flexibles et rapides...

Les sauvegardes d'urgence se distinguent des mesures anti-dumping et des mesures compensatoires par quelques traits importants. Premièrement, elles ne sont pas conditionnées par une «pratique déloyale», c'est-à-dire que l'existence d'un dumping ou de subventions n'est pas nécessaire. Elles se justifient par un autre argument, à savoir que la branche de production qui subit un dommage doit être protégée pour s'ajuster aux chocs externes, tels que les poussées des importations. Deuxièmement, les clauses de sauvegarde peuvent être prises très rapidement dans la mesure où les circonstances sont jugées critiques (l'imposition provisoire de droits anti-dumping et de droits compensateurs n'est possible qu'après une enquête préliminaire qui donne une possibilité à toutes les parties intéressées de donner leur avis et de présenter des preuves). Troisièmement, le recours à des restrictions quantitatives des importations est possible alors que, dans le cas des mesures anti-dumping et des mesures compensatoires, seule l'imposition de droits additionnels est autorisée.

... mais nécessitent une compensation

L'autre caractéristique importante des sauvegardes d'urgence est que, à la différence des actions anti-dumping ou compensatoires, une compensation est exigée. L'Accord sur les sauvegardes a énoncé des règles spécifiques sur la «compensation» ou sur les mesures de compensation. Conformément à la tradition du GATT, ces règles exigent que le Membre qui impose la mesure consulte les Membres «ayant un intérêt substantiel dans la fourniture» du produit considéré et s'efforce de maintenir «un niveau de concessions substantiellement équivalent». Les Membres peuvent convenir de tout moyen adéquat de compensation commerciale mais si aucun accord n'intervient, le Membre exportateur affecté peut suspendre les mesures de concession ou autres obligations équivalentes, dans un délai de 30 jours (il peut donc appliquer des mesures de rétorsion) et sous réserve que le Conseil du commerce des marchandises ne s'y oppose pas.

La majorité des pays en développement voient leurs possibilités d'utilisation des sauvegardes sérieusement limitées par cette obligation de compensation. Compte tenu du volume souvent faible de leurs échanges commerciaux qui sont par ailleurs fortement concentrés, ils n'ont généralement guère de possibilités d'offrir d'autres concessions commerciales en échange.

On trouve dans l'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires deux catégories de mesures de Traitement spécial et différencié en faveur des pays en développement. L'une prévoit une durée plus longue pour les clauses de sauvegarde introduites par les pays en développement, et l'autre limite l'utilisation des sauvegardes en fonction du volume de leurs exportations: une clause de sauvegarde ne sera pas appliquée à l'égard des exportations originaires d'un pays en développement dont la part dans les importations concernées du pays qui impose la mesure est inférieure à 3 pour cent. Mais cette exemption ne s'applique pas si les pays en développement dont la part individuelle dans les importations est inférieure à 3 pour cent contribuent collectivement pour plus de 9 pour cent à ces importations. Il reste à déterminer la valeur de ces mesures de TSD, dans la pratique.

6.3 Quelques problématiques propres aux pays en développement

Le défi pour les pays en développement - Il est impossible de faire le bilan de l'utilisation par les pays en développement des mesures de protection spéciales du GATT concernant le commerce des produits agricoles car, il y a peu de temps encore, la plupart des tarifs agricoles n'étaient pas consolidés et les échanges pouvaient être réglementés selon d'autres dispositions. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Le défi que devront relever ces pays dans les prochaines années est de trois ordres:

Les clauses de sauvegarde sont nécessaires au commerce agricole...

Premièrement, les secteurs agricoles ont effectivement besoin de sauvegardes car les marchés des produits agricoles sont par nature volatiles. A titre d'exemple, entre décembre 1997 et septembre 1998, le cours mondial du sucre brut est tombé de 12,3 cents EU la livre à 7,2 cents. Si le tarif initial était égal à zéro, il aurait fallu un taux de droit de 70 pour cent pour stabiliser le prix sur un marché intérieur au niveau de décembre 1997 (ou un tarif de 105 pour cent si le tarif initial était déjà de 20 pour cent)4. Le problème qui se pose ici n'est donc pas tant, en cas de baisse prolongée des cours mondiaux, d'adapter les prix intérieurs à cette tendance sur le moyen terme, ce qui est rationnel sur le plan économique, mais plutôt de stabiliser les prix intérieurs compte tenu de fluctuations à court terme.

4Sur la base de la formule simple, Pd = Pw·(1+t), où Pd est le prix intérieur, Pw le prix mondial, et t le taux de droit. Pour que Pd soit maintenu à 12,3 cents quand Pw est de 7,2 cents, t doit être égal à 71 pour cent. Mais si le tarif était initialement de 20 pour cent, le Pd initial sera de 14,8 cents - pour stabiliser Pd à ce niveau, lorsque Pw tombe à 7,2 cents, il faut un tarif de 105 pour cent.
Deuxièmement, l'instabilité des prix sur les marchés mondiaux est ressentie de la même manière par tous les pays, mais elle peut avoir des conséquences beaucoup plus grandes pour les pays en développement, pour deux raisons: i) le secteur agricole est en général plus vulnérable aux chocs externes de ce type; et ii) ce secteur joue un rôle prépondérant dans l'économie, notamment parce qu'une proportion importante de la population vit de l'agriculture. En outre, très peu de pays en développement ont mis en place des mécanismes d'assurance (systèmes d'assurance des récoltes, accès à des instruments de gestion des risques) pour s'adapter aux chocs, et peu d'entre eux peuvent se permettre de le faire. Dans ces circonstances, le dommage peut être considérable et se traduire à la fois par une augmentation transitoire de l'insécurité alimentaire et par une désorganisation du secteur dont les effets seront ressentis pendant quelques années.

... mais les procédures actuelles les rendent difficiles à appliquer dans les PVD

Troisièmement, l'utilisation des trois clauses de sauvegarde générale du GATT, même à titre provisoire, est soumise à des conditions et à des règles de procédure longues et détaillées - probablement à dessein pour qu'il n'en soit pas fait un mauvais usage. Or, tout laisse à penser que de nombreux pays en développement, vu leur état de développement socio-économique actuel, n'ont ni les capacités institutionnelles et juridiques nécessaires, ni les moyens financiers voulus pour invoquer ces dispositions5. Même si les sauvegardes d'urgence semblent soumises à des règles de procédure moins sévères, elles exigent une compensation financière, ce qui les rend inaccessibles à la majorité d'entre eux.

5L’utilisation des sauvegardes générales par les pays en développement est également compromise par l’absence de législation nationale sur les sauvegardes car, dans ce domaine, les règles de l’OMC sont appliquées par le biais de la législation en vigueur dans les pays membres.
Des voies sont à explorer dans le cadre du traitement spécial et différencié...

Compte tenu de cette situation, de quelles options disposent ces pays? Il va de soi qu'ils peuvent améliorer leurs capacités d'utilisation des sauvegardes générales, mais cela leur demandera du temps, des efforts et des ressources. Dans l'intervalle, que peut-on faire?

Prévoir pour les pays en développement une clause de sauvegarde similaire à la Clause de sauvegarde spéciale de l'Accord sur l'agriculture - On l'a déjà dit, la sauvegarde spéciale de l'AsA est la plus simple de toutes celles de l'OMC. A l'heure actuelle, seuls 36 pays ont le droit de l'invoquer, et uniquement pour un nombre de produits limités; en outre, cette disposition devrait devenir caduque à la fin du «processus de réforme». Compte tenu des difficultés signalées plus haut qui empêchent les pays en développement d'utiliser les sauvegardes générales, il pourrait être justifié de s'orienter vers une sauvegarde similaire à la Clause de sauvegarde spéciale, dans le cadre du Traitement spécial et différencié. Bien évidemment, il pourrait être nécessaire d'améliorer quelques points, tels que les mécanismes de déclenchement etc. pour éviter que cette clause ne soit utilisée à mauvais escient. En outre, il serait souhaitable que le mécanisme n'isole pas complètement les marchés intérieurs des fluctuations des prix à l'importation.

Limiter la Clause de sauvegarde spéciale aux produits critiques pour la sécurité alimentaire - Cette option est similaire à celle qui précède, à ceci près que les clauses de sauvegarde spéciale sont limitées à une liste de produits sélectionnés qui sont critiques pour la sécurité alimentaire. Cette liste pourrait être composée d'aliments de base et/ou de quelques autres produits alimentaires «sensibles» du point de vue de la sécurité alimentaire (quelques critères peuvent être établis pour choisir et limiter le nombre de produits). Ceci pourrait être un moyen de «prendre en considération» la sécurité alimentaire dans le processus de réforme, comme le prescrit l'Article 20 de l'AsA.

Adopter une approche prudente pour la réduction des tarifs consolidés - La consolidation des tarifs à des niveaux élevés peut rendre les sauvegardes inutiles car, dans la mesure où les pays ne comptent pas appliquer en permanence le taux maximal, ils ont la possibilité de relever les droits de douane au niveau requis pour compenser la baisse du prix d'un produit sur le marché mondial. Les tarifs étant à présent consolidés et promis à de nouvelles réductions durant le prochain cycle, les pays qui ont des difficultés à utiliser une ou plusieurs sauvegardes générales du GATT auront sans doute intérêt à adopter une approche prudente pour réduire les tarifs. Dans cette optique, il faut trouver une sorte d'équilibre entre le niveau du tarif consolidé et l'accessibilité aux sauvegardes. Chaque pays en développement doit examiner sa propre situation sous cet angle.

... mais les Etats devront en définitive acquérir la capacité de mettre en œuvre les clauses générales de sauvegarde du GATT

Renforcer les capacités des institutions pour utiliser les sauvegardes générales du GATT - Dans l'esprit de l'OMC, toutes les dérogations et exemptions finiront par être éliminées si bien que tous les échanges se feront dans le cadre des règles générales du GATT. La clause de sauvegarde spéciale, ou l'une de ses variantes, peut donc être considérée, dans le meilleur des cas, comme une disposition temporaire. Au bout du compte, les pays en développement devront renforcer leurs capacités pour pouvoir utiliser les sauvegardes générales. Ce processus pourrait être accéléré par quelques mesures concrètes d'assistance technique et financière conformes à d'autres dispositions similaires des accords de l'OMC actuellement en vigueur. Parallèlement, une forme quelconque d'assistance juridique indépendante, au niveau international, pourrait être nécessaire pour aider les pays pour les questions ayant trait aux procédures d'utilisation des sauvegardes générales, en cas de besoin.

BIBLIOGRAPHIE

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GATT. 1994. Résultats des négociations commerciales multilatérales du Cycle d'Uruguay: Textes juridiques. Genève.

Hoekman, B. et Kostecki, M. 1996. The Political Economy of the World Trading System: From GATT to WTO. Oxford, Oxford University Press.

Low, P. 1997. Safeguards, antidumping, countervailing duties, and observations on administrative and technical barriers to trade. In Implementing the Uruguay Round Agreement in Latin America: The Case of Agriculture. Atelier FAO/Banque mondiale, Santiago, Chili.

OMC. 1999. Guide to the Uruguay Round Agreements. Secrétariat de l'OMC et Kluwer Law International. La Haye.


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