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Chapitre 9 LA PISCICULTURE EXTENSIVE EN LAC NATUREL

9.1 AMENAGEMENT ET GESTION PISCICOLES DES LACS NATURELS

En Chine, les lacs sont classifiés en trois catégories selon leur superficie (ADCP, 1979) comme suit:

a)grand lac:plan d'eau de plus de 6 667 ha (plus de 100 000 mu)
b)moyen lac:de 667 à 6 667 ha (10 000–100 000 mu)
c)petit lac:de 67 à 667 ha (1 000–10 000 mu)

Tout plan d'eau de moins de 67 ha est considéré (par exemple dans les statistiques) comme un “étang”.

L'aménagement et la gestion des lacs naturels sont d'autant plus extensifs que leur superficie est grande. Ce sont donc les petits lacs qui reçoivent le plus d'attention en vue d'y augmenter la production halieutique par la gestion piscicole. Ce type de pisciculture est particulièrement bien développé dans les Provinces de la vallée du Chang Jiang (par exemple Hubei, Anhui, Jiangsu et Zhejiang), où les meilleurs rendements sont obtenus. Cependant, le système cultural y demeure généralement extensif, bien que, dans certains cas et uniquement dans des lacs de quelques centaines d'hectares tout au plus, la fertilisation organique (fumier de porc surtout) et l'alimentation supplémentaire (végétaux) soient appliquées. Les taux de ces applications restent néanmoins toujours bien inférieurs à ceux observés en étangs piscicoles.

Aménagement et gestion sont collectifs et réalisés au niveau soit de l'Etat (par exemple ferme d'Etat, district ou municipalité), soit de la commune populaire (par exemple brigade de production ou C.P. elle-même). L'aspect particulièrement attrayant du système chinois est qu'un même et unique groupe assume les responsabilités d'aménagement et de gestion, cette dernière comprenant au cours de l'année toutes les activités piscicoles, depuis l'empoissonnement initial jusqu'à la pêche finale. Ceci résulte dans le développement du sens des responsibilités chez tous les membres de la collectivité d'exploitation, directement intéressés dans les résultats de leurs propres efforts.

L'exploitation piscicole ne se limite pas nécessairement aux poissons mais peut également s'adresser à d'autres animaux aquatiques tels que, par exemple, les crabes et les crevettes au Tai Hu (Section 9.6). Généralement, l'exploitation piscicole est d'ailleurs complétée par des exploitations aquatiques annexes, comme par exemple la cueillette et la culture de plantes aquatiques (lotus, jacinthe d'eau, jonc, etc.), la récolte de mollusques et l'enlèvement de la vase organique. Cet ensemble d'exploitations lacustres est de plus intimement associé aux exploitations terrestres conduites au voisinage immédiat du lac, l'intégration des diverses activités étant ainsi facilement réalisée. Par exemple, à la ferme d'Etat du Baitan Hu (Figure 54), le groupe d'étude a pu observer l'intégration des productions de poisson en eau profonde, de lotus en eau peu profonde, de riz en zone marginale et de mûriers/arbres sur les digues artificielles. Jusqu'à 20 pour cent du revenu total de ce lac provient des cultures associées à l'exploitation piscicole.

L'aménagement piscicole des lacs naturels comprend généralement les interventions suivantes: i) régularisation du niveau du plan d'eau, par exemple par l'installation de stations de pompage et de vannes; ii) la construction de barrières et clôtures empêchant les poissons de s'évader du lac par ses affluents; et iii) la création de frayères (Figures 55 et 56) afin d'augmenter le succès de la reproduction des poissons et, en particulier, des espèces dont les oeufs s'attachent à la végétation submergée (Tai Hu - Section 9.6). Il y a de plus tendance actuellement à aménager les zones les moins profondes des lacs naturels en grands étangs piscicoles, pour y pratiquer une pisciculture plus intensive. Par exemple au Tai Hu, une digue construite en travers d'une baie a permis le morcellement de 150 ha de terres lacustres en étangs de pisciculture.

Figure 54

Figure 54. Aménagement agricole de la zone en bordure du Baitan Hu, District de Huanggang, Hubei

La gestion piscicole a pour but, sinon d'améliorer, du moins de maintenir la production piscicole à un niveau adéquat. Au cours de l'année, diverses opérations sont ainsi conduites, dont les principales se résument comme suit:

i) Empoissonnement

En Chine, la faune piscicole naturelle des lacs est relativement peu diversifiée et elle ne peut assurer l'utilisation de toutes les ressources naturelles disponibles. La polyculture de carpes chinoises, accompagnées d'autres espèces piscicoles, permet une meilleure exploitation de ces ressources et cette solution est à l'origine de la pisciculture chinoise en lacs naturels. Cependant, ces espèces piscicoles d'origine fluviale ne se reproduisant pas naturellement en milieu limnétique, des empoissonnements périodiques sont nécessaires, en vue de maintenir dans le lac la population piscicole requise pour une exploitation régulière des stocks. Ces empoissonnements sont annuels et se font généralement au printemps avec des alevins produits localement. La taille et le nombre des alevins stockés varient suivant les possibilités locales de production (Tableau 34). La tendance actuelle est d'utiliser autant que possible d'assez grands alevins, afin d'en diminuer la mortalité ultérieure, et d'augmenter leur densité d'empoissonnement. Alors qu'auparavant l'on stockait moins de 1 000 alevins de 6–7 cm à l'hectare, aujourd'hui l'on s'efforce de stocker en moyenne au moins 1 500 (et même 2 250) alevins de 15–20 cm (plus de 50 g). En général le choix des espèces inclut au moins deux des carpes chinoises familières et de préférence les carpes planctonophages marbrée et argentée, ainsi que la brème de Wuchang, le carassin doré et d'autres espèces, selon les conditions trophiques du lac.

Tableau 34

PISCICULTURE EXTENSIVE DANS QUELQUES LACS NATURELS

Lac (Province)Superficie (ha)Profondeur moyenne (m)Espèces piscicoles principalesEmpoissonnementRécolte poisson
Taille (cm)Nombre (million)Densité (indiv./ha)t/an2 kg/ha
A.Petits lacs        
 Baitan Hu
(Hubei)
4002,5C. argentée16–200,92 250300750
 C. marbrée
         
 Xi Hu
(Zhejiang)
5591,5C. argentée130,71 252300 max. 550536 max. 984
  C. marbrée
        
B.Moyens lacs        
 Tang/Est1
(Hubei)
1 4674–5----660*450
 
 Dianshan Hu
(Shanghai)
6 670max. 3-4–15101 49950075
 
C.Grand lac        
 Tai Hu
(Jiangsu)
226 700
(213 330)
2C. marbrée10104711 98056
 C. argentée
 C. herbivore
 C. noire

1 Réf. ADCP, 1979,
2 Valeurs pour 1979 sauf *1977

ii) Contrôle des prédateurs

Celui-ci ne semble se pratiquer que dans les petits et moyens lacs où il a pour objectif de réduire autant que possible les populations de poissons ichtyophages comme Siniperca chautsi, S. scherzeri et Elopichthys bambusa. Les méthodes employées à cet effet se basent principalement sur les connaissances acquises de la biologie et du comportement de chacune de ces espèces. Par exemple: lorsque les individus se regroupent en période de frai, de grands nombres peuvent être capturés par seinage; les frayères elles-mêmes peuvent être détruites; des trous peuvent être creusés dans le fond du lac où certains prédateurs vont se réfugier et peuvent ainsi être localisés et pêchés plus facilement.

iii) Réglementation de la pêche

Elle peut concerner la saison de pêche (protection des poissons en période de fraye), le lieu de pêche (protection des frayères), les engins de pêche (protection des poissons pesant moins de 0,5 kg), et les méthodes de pêche (ni poison, ni explosif). Le braconnage semble être inconnu en Chine, mais s'il devait y être découvert, il serait plus que probablement sévèrement condamné par la communauté toute entière.

iv) Régularisation du niveau d'eau et entretien des barrières/clôtures.

v) Récoltes des poissons

Elles se font par pêches successives au moyen de chaluts, seines tournantes, seines de plage, filets maillants, verveux, trappes, etc. Des techniques particulières ont été mises au point localement, qui permettent de concentrer les poissons dans certaines parties du lac, en vue d'en faciliter la récolte.

9.2 PRODUCTION PISCICOLE DES LACS NATURELS

La moyenne annuelle nationale du rendement piscicole des lacs naturels s'est élevée en 1978 à 135 kg/ha (Tableau 8). Ce rendement cependant varie d'un lac à l'autre et, principalement, en fonction de la superficie. La productivité en effet diminue lorsque celle-ci augmente, une relation bien établie également pour les lacs naturels d'autres régions du globe. Sur cette base, la productivité moyenne annuelle des lacs de Chine a été estimée dans le passé, par Tapiador et al. (1978), comme variant ainsi de 1 000 kg/ha dans les petits lacs à 225 kg/ha dans les moyens lacs et à 60 kg/ha dans les grands lacs. Il est probable que depuis 1976, date de ces estimations, l'amélioration de la gestion piscicole a permis d'augmenter ces valeurs moyennes.

Il ne semblerait cependant pas que la production totale des lacs ait similairement augmenté, suite à l'accélération de la mise en culture plus intensive (agricole ou piscicole) de zones lacustres peu profondes. Par exemple, les statistiques officielles montrent que la superficie totale de la pisciculture lacustre est récemment passée de 531 100 ha (1978) à 484 793 ha (1979), soit, en un an, une diminution de 46 307 ha (Zhu De-Shan, 1980; Song, comm. pers., 1980). Il est intéressant de remarquer qu'au cours de la même période, la pisciculture en étangs progressait sur 32 173 ha additionnels et la pisciculture en réservoirs (Chapitre 10) s'étendait à 45 613 ha supplémentaires.

Les récoltes et les rendements obtenus dans quelques lacs naturels sont consignés au Tableau 34. Quatre de ces lacs ont pu être personnellement visités au cours du présent voyage d'étude. Les informations plus détaillées qui ont pu alors y être recueillies sont résumées ci-dessous, afin de mieux illustrer les procédures d'aménagement et de gestion présentées auparavant (Section 9.1). Par ordre de grandeur, il s'agit des lacs naturels suivants: Baitan Hu, Hubei (400 ha); Xi Hu, Zhejiang (559 ha); Dianshan Hu, Shanghai (6 670 ha); et Tai Hu, Jiangsu (226 700 ha). Tous sont peu profonds, la profondeur moyenne ne dépassant pas cinq mètres.

9.3 BAITAN HU

Le Baitan Hu (District de Huanggang, Hubei) est aménagé et géré dans le cadre d'une ferme d'Etat spécialisée en pêche et pisciculture (Section 3.2). En 1979, son centre d'alevinage a produit 50 millions d'alevins de 3 cm, dont 3 millions furent utilisés par la ferme elle-même, en majorité pour la production de grands alevins d'empoissonnement (16–20 cm) destinés au stockage du lac. La production piscicole moyenne de celui-ci est relativement élevée et s'est stabilisée, depuis sept ans, à 750 kg/ha/an. Par contre elle n'atteignait auparavant que 450 kg/ha/an, lorsque de petits alevins de 6 cm étaient stockés à une densité d'environ 1 500 ind./ha seulement. Le système de polyculture extensive inclut 15 pour cent de carpes herbivores et quelques brèmes de Wuchang. La gestion est assurée par 19 ouvriers, sous la supervision de techniciens et cadres. L'objectif actuel est d'augmenter la production piscicole et d'atteindre 500 t annuellement.

9.4 XI HU

Le Xi Hu - lac de l'ouest (Hangzhou, Zhejiang) - était devenu au cours des âges très peu profond (0,55 m), enherbé et marécageux. En 1956, sa production piscicole annuelle n'atteignait plus que 20 t, soit environ 35 kg/ha. Cette même année, la restauration du lac fut entreprise et sa profondeur moyenne fut portée à 1,80 m par l'enlèvement de plus de 7 millions de m3 de terre. Une coopérative des pêcheurs fut également mise sur pied. En 1959, ces mesures furent complétées par la création d'un centre piscicole, responsable pour l'aménagement et la gestion piscicoles du lac ainsi que pour le reboisement du bassin versant. Une troisième activité, le tourisme, s'est depuis grandement développée dans la région, ce qui a amené les autorités responsables à se pencher sur les interactions possibles de cette activité avec la conservation du lac et de ses environs immédiats.

Les principales caractéristiques du Xi Hu peuvent se résumer comme suit:

  1. Morphométrie: bassin versant 2 122 ha; lac 603 ha dont 559 ha sous eau; forme ovale (2,8 x 3,3 km); circonférence 15 km; fond plat; profondeur moyenne (1979) 1,50 m maintenue constante par une vanne de drainage au nord-est.

  2. Qualité de l'eau: température 20°C d'avril à octobre; oxygène dissous 8–13 mg/1; pH 8,4–9,6; sels dissous 130 mg/1; profondeur de visibilité 25–45 cm; eutrophique.

  3. Plancton: important et dominé par le phytoplancton (moy. 43 mg/1) dont plus de 94 pour cent peut consister en Microcystis.

La polyculture extensive (Tableau 34) se base sur l'empoissonnement annuel d'alevins de 13 cm de carpe argentée (60 pour cent) et de carpe marbrée (25 pour cent). Les autres espèces (par exemple carpe commune, brème de Wuchang, carassin doré) se stockent à la taille de 7 cm seulement. Plus de 50 espèces diverses de poisson sont présentes dans le lac. La gestion piscicole occupe environ 110 personnes. La taille commerciale des poissons est assez petite (0,5–1 kg). La production annuelle atteint en moyenne 300 t soit 536 kg/ha. Dans le passé cependant elle s'est exceptionnellement élevée à 550 t soit 984 kg/ha.

9.5 DIANSHAN HU

Le Dianshan Hu (District de Qingpu, Shanghai) est géré par la Commune populaire “Libération” (Tableau 15). Approvisionné par 71 affluents, ses eaux sont pauvres. En 10 ans (1968–1978), sa faune piscicole naturelle a perdu plus de 10 espèces, leur migration étant arrêtée par la pollution de deux affluents principaux. La chute de la production jusqu'à 320 t/an en 1977 a eu d'autres causes également, telles que la fermeture de la communication avec le Chang Jiang, le développement de la navigation et la diminution des herbes aquatiques. Un programme de recherches est en cours (Institut des Produits Aquatiques de Shanghai, Section 4.1.2). Depuis 1977, l'amélioration progressive de la gestion piscicole a déjà permis de porter la production annuelle de la pêche à plus de 500 t (75 kg/ ha) en 1979, soit une augmentation de 56 pour cent au cours des deux dernières années. En outre, la récolte de mollusques y atteint en moyenne plusieurs centaines de kilogrammes par hectare (1976 = 450 kg/ha d'après Tapiador et al., 1978).

9.6 TAI HU

Troisième lac de Chine par son étendue, le Tai Hu (Wuxi, Jiangsu) a une superficie d'environ 2 267 km2, dont 2 133 km2 sous eau. Alimenté par les eaux du Chang Jiang et celles de plusieurs affluents originaires des montagnes avoisinantes, ce lac eutrophique présente les caractéristiques hydrobiologiques suivantes:

Le Tai Hu est géré au niveau provincial par un Comité de Gestion. Celui-ci regroupe périodiquement les représentants des groupes intéressés (communes populaires, brigades de production, universités, districts, etc.), afin de passer en revue les informations les plus récentes sur l'exploitation du lac. Cette exploitation se faisant à plusieurs niveaux (pêche, plantes aquatiques, mollusques, irrigation agricole), la gestion tend à promouvoir chacun d'eux, tout en favorisant leur intégration. En particulier, le Comité de Gestion décide des mesures nécessaires en vue du bon aménagement de la pêcherie et de la protection de son environnement.

L'aménagement et la gestion piscicole comprennent:

  1. Empoissonnement: annuel et printanier; alevins des quatre carpes familières (taille 10 cm) et d'espèces d'accompagnement (taille 3 cm), comme la carpe commune, la brême de Wuchang et le carassin doré; ces 10 millions d'alevins sont produits localement dans plusieurs centres piscicoles. En 1978, 9 t de petits crabes, pêchés dans l'estuaire du Chang Jiang, ont également été introduits.

  2. Création et amélioration de frayères: repiquage de plantes aquatiques submergées; introduction de touffes d'herbe flottantes, ancrées dans des zones déterminées (Figures 55 et 56).

  3. Réglementation: de la saison de pêche (deux périodes de fermeture séparées par 20 jours d'ouverture) et des lieux de pêche (20 zones frayères fermées en automne).

  4. Régularisation du niveau d'eau: par des vannes.

  5. Pêche: 3 000 bateaux de pêche et 20 000 pêcheurs, actifs six mois par an; pêche par chalut de fond, filets maillants et trappes/verveux.

Figure 55

Figure 55. Zone aménagée du Tai Hu et engin de pêche fixe. Wuxi, Jiangsu

Figure 56

Figure 56. Détails d'une touffe d'herbe flottante, attachée à un bambou en zone aménagée du Tai Hu, Wuxi, Jiangsu

Les produits aquatiques récoltés en 1979 totalisaient 113 500 t et se subdivisaient en:

a)Plantes aquatiques (surtout émergentes) et mollusques: 100 000 t
b)Poissons:- petits cyprinides (max. 20 cm):8 000 t 
  - des stockages annuels:1 500 t 
  - divers2 480 t 
  - total 11 980 t
c)Crevettes (Penaeus japonicus et crevettes blanches)770 t
d)Crabes750 t

Le rendement annuel moyen en poisson est relativement faible et d'environ 56 kg/ha, dont 66,8 pour cent représentent malheureusement un cyprinide de petite taille (Coila ectenes) et de faible valeur marchande. Les espèces empoissonnées ne représentent que 12,5 pour cent des pêches. La composition de la faune piscicole naturelle (101 espèces) est tellement déséquilibrée en faveur de ce petit cyprinide, que le seul espoir d'augmenter la production piscicole réside dans des empoissonnements plus importants de carpes chinoises. Dans le passé, les empoissonnements alliés à une gestion améliorée ont d'ailleurs permis de faire passer la production des espèces piscicoles de 5 500 t (1953) à 13 500 t (1979). Les crevettes (en particulier la crevette japonaise qui se reproduit naturellement dans le lac) et les crabes contribuent à cette production, et la bonne gestion de leurs stocks s'avère également indispensable.


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