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2. EXEMPLES DE GESTION DE PPE (Continuer)

2.7. Barrages agro-pastoraux des zones de savane au nord de la Côte d'Ivoire

2.7.1. Le milieu naturel et son écologie

Le nord de la Côte d'Ivoire est une région très peu vallonnée, au climat soudano-guinéen recevant moins de 1 000 mm de précipitations réparties de mai à octobre. La végétation naturelle la plus courante est constituée de savane arbustive avec parfois de la forêt sèche. Les principales cultures sont l'igname, les manguiers, le coton; l'élevage nomade et semi-nomade de bovins et d'ovins est largement pratiqué.

La saison sèche très marquée pendant cinq à six mois a conduit les divers organismes de développement para-étatiques tels que la SODEPRA (Société de Développement de la Production Animale), SODERI (SODE Riziculture), SODESUCRE, SODECI (SODE Cultures Industrielles), à construire de nombreux barrages agropastoraux dont la surface de retenue varie de moins d'un hectare à plusieurs milliers d'hectares.

L'eau de la plupart des barrages est gérée par les sociétés de développement qui les ont construits pour irriguer les cultures situées en aval. Le cas de barrages de la SODEPRA est quelque peu différent car ces ouvrages se trouvent le plus souvent loin des villages, le long des parcours de pâturage des troupeaux. Nous nous intéresserons plus particulièrement à ce type d'aménagements.

Les barrages agro-pastoraux de la SODEPRA sont constitués par une digue en terre d'une hauteur maximale de 5 à 6 m et d'une longueur totale de 20 à 60 m. Un déversoir de crue latéral protège l'ensemble des risques d'érosion pendant la saison des pluies; parfois, un moine central permet la vidange complète. Le bassin versant peut avoir une superficie de 100 à 1 000 ha tandis que le réservoir lui-même s'étend sur moins d'un hectare à quelques dizaines d'hectares. Normalement, une clôture empêche le bétail de passer sur la digue afin de limiter les dégâts provoqués par le piétinement. Le financement de la construction provient du budget de la SODEPRA, c'est-à-dire, de l'Etat.

Le rôle principal de ces ouvrages est de permettre aux troupeaux de s'abreuver pendant la saison sèche. Le passage fréquent des troupeaux sur son pourtour et sur toute la zone exondée font que le sol y reste à nu et qu'il est fortement imprégné de fumier. Au cours de la saison des pluies, l'érosion peut être intense et le ruissellement transporte la terre et le fumier dans la retenue dont l'eau est ainsi fertilisée; les blooms planctoniques sont fréquents.

La plupart des barrages agro-pastoraux de la région s'assèchent en totalité en fin de saison sèche. Ceux qui sont permanents renferment une ichtyofaune naturelle réduite provenant de ruisseaux qui l'alimentent. En général, aucun aménagement n'a été prévu pour pratiquer la pisciculture.

La responsabilité du barrage, une fois construit, incombe aux autorités du village le plus proche. Le plus souvent, aucun entretien n'est réalisé, ce qui fait que bon nombre d'ouvrages ont été endommagés par l'érosion. Etant donné que les barrages se trouvent le long des parcours pastoraux, il n'y a souvent aucune population riveraine. Dans certains cas où un campement existe au voisinage, des cultures sont pratiquées en aval afin d'utiliser les eaux d'infiltration.

Au cours des années 70 et 80, de nombreux réservoirs ont été alevinés par les services responsables: CTFT (Centre Technique Forestier Tropical) puis IDESSA (Institut des Savanes), Eaux et Forêts et Projet de pisciculture en milieu rural (FAO/PNUD/E&F) à partir des stations de pisciculture de Bouaké et de Korhogo et de la ferme de Natio-Kobadara (près de Korhogo). Les espèces stockées sont Tilapia nilotica et Clarias sp. La croissance de ces poissons est relativement rapide dans un milieu bien fertilisé. Deux cas peuvent se présenter: tout d'abord, le réservoir est temporaire; l'assèchement a lieu entre février et avril. Si l'alevinage a eu lieu en début de saison des pluies (mai) les poissons peuvent avoir un poids unitaire de 200 à 300 gr. La récolte se fait avec un panier lorsqu'il ne reste plus que quelques centimètres d'eau. Les poissons sont vendus ou consommés par ceux qui les capturent: agent des Eaux et Forêts, chef du village voisin, gardien de troupeau de passage, etc. Au début de la prochaine saison des pluies, il sera nécessaire d'aleviner à nouveau le réservoir; les budgets de fonctionnement des organismes publics étant limités, seuls quelques barrages pourront recevoir de nouveau des poissons, mais encore faut-il que cette opération ait lieu à la bonne époque afin que la durée d'élevage soit suffisante et que la récolte soit valable.

Le deuxième cas possible est celui des retenues permanentes. Les poissons stockés peuvent se reproduire, ce qui permet à une population halieutique de se développer dans ce nouveau milieu qu'il convient de gérer par des pêches régulières.

Les habitants de la région sont soit des agriculteurs, soit des éleveurs nomades, mais aucun d'eux n'a une tradition de pêche, ni même d'utilisation de poisson frais. Le seul poisson que l'on rencontre sur les marchés est le poisson séché-fumé qui sert à préparer les sauces. Les autorités d'un village où se trouve un barrage agro-pastoral récent se trouvent confrontées à un problème imprévu: comment exploiter la ressource que représentent les poissons du réservoir.

Les premières personnes consultées pour résoudre cela sont les agents des Eaux et Forêts qui eux même ne sont pas équipés pour pêcher dans de nombreux réservoirs répartis dans une vaste région. Tout au plus peuvent-ils effectuer des pêches de contrôle pour évaluer le stock halieutique. La méthode la plus aisée a été de faire venir des équipes de pêcheurs Bozos. En effet, ces Maliens parcourent la région d'un point de pêche à l'autre où ils établissent des campements pour la durée d'une campagne, en particulier le long du fleuve Bandama et du lac créé par le barrage de Kossou, au sud de la région qui nous intéresse. Les Bozos ont une organisation sociale très stricte; ils se déplacent avec leur équipement, sont des pêcheurs très efficaces, savent fumer le poisson lorsque cela est nécessaire, connaissent très bien les circuits commerciaux. Les pêcheurs installent un campement au bord du réservoir. Il faut environ un pêcheur pour 5 ha d'eau lorsqu'il s'agit d'une exploitation permanente, mais le nombre peut être bien supérieur dans le cas d'un petit réservoir dans lequel les captures ne durent qu'un temps limité et, après épuisement du stock, les pêcheurs migrent ailleurs. Les engins utilisés sont les filets maillants, les éperviers, les hameçons et, si l'assiette du réservoir n'est pas encombrée de souches d'arbres, la senne de rivage. Une ou plusieurs pirogues sont nécessaires pour mouiller tout ce matériel.

Les autorités locales (chef du village et agent des Eaux et Forêts) négocient avec le chef Bozo la répartition des captures. Cependant, le manque de confiance réciproque ne facilite pas la discussion. Les villageois sont persuadés que les Bozos vendent une partie des captures en cachette, alors que ceux-ci pensent que la part exigée d'eux est trop élevée. Quoi qu'il en soit, ce mode d'exploitation est le plus logique dans une région où les autochtones ne savent pas pêcher, tandis que des pêcheurs nomades sont à la recherche de points de pêche. L'inconvénient majeur est que les Bozos épuisent la totalité du stock halieutique avant de se déplacer vers d'autres lieux; on ne peut pas vraiment parler de gestion.

Confronté à ce problème et aussi à celui de l'émigration des populations rurales vers les villes, le gouvernement a tenté, à plusieurs reprises, d'intéresser les Ivoiriens à la pêche. Ainsi, les jeunes qui manifestaient le désir de devenir pêcheurs, ont eu la possibilité de recevoir une formation et un équipement (pirogue et filet). Certains agriculteurs ont pu s'installer pour exploiter un barrage de leur région. Malheureusement, très peu d'entre eux ont persévéré dans cette voie et ont plutôt préféré vendre leur équipement à des Bozos et retourner cultiver la terre.

2.7.2. Les institutions

Le personnel technique concerné par les barrages agropastoraux dépend de plusieurs organismes. Il y a tout d'abord les employés de la SODEPRA (Production Animale) qui sont chargés des implantations de barrages le long des parcours de pâturages et ensuite, de suivre l'utilisation de l'eau. Pendant quelques années, la SODEPRA s'est occupée de l'alevinage de certaines retenues et de pisciculture; une équipe spécialisée, animée par deux volontaires étrangers, était chargée de cette activité.

Les Eaux et Forêts, qui étaient l'agence gouvernementale du projet FAO/PNUD de développement de la pisciculture en milieu rural, ont aussi participé à l'alevinage des barrages, mais le personnel de Korhogo et de Ferkessédougou, plutôt spécialisé en pisciculture rurale, n'a jamais reçu la formation, l'équipement de transport d'alevins et le matériel de pêche nécessaires à la gestion des petits barrages. Il faut aussi indiquer que le potentiel de production d'alevins des stations piscicoles du nord-ouest de Côte d'Ivoire est insuffisant pour permettre un stockage régulier de l'ensemble des retenues de la région. Ce travail de pêche et de pisciculture extensive ne représente qu'une partie des responsabilités de ces agents qui sont chargés du contrôle de la pêche sur le Bandama, de la chasse, des feux de brousse et de l'exploitation forestière.

L'IDESSA (institut des Savanes, ex-CTFT) a aussi fourni des alevins pour certains barrages du nord-ouest à partir de sa station de Bouaké, mais son personnel effectue rarement du travail de terrain. Ce sont des chercheurs et non pas des vulgarisateurs.

La plupart des techniciens sont aussi chargés des tâches administratives. C'est un avantage, car ils connaissent bien les problèmes du terrain, mais en contrepartie, ils passent beaucoup de temps au bureau.

Les trois organismes concernés par les barrages appartiennent à des ministères différents, ce qui rend parfois les relations officielles délicates. Par exemple, les moyens de transport sont limités, mais il est difficile d'organiser des missions communes, dans la même véhicule, de fonctionnaires de services différents. Pourtant, les relations humaines sont excellentes.

En 1991, un programme de recherche exécuté par l'IDESSA a débuté. Outre l'inventaire complet des barrages de la région et leur situation, le but de ce travail est d'étudier la productivité de tous ces PPE afin d'en évaluer le potentiel halieutique.

Quelques éleveurs privés, sensibilisés par les techniciens des divers organismes déjà cités, ont entrepris d'exploiter les poissons produits dans leur barrage. Peu de données sont disponibles à ce sujet.

2.7.3. Valeur technique de ce mode de gestion

Les réservoirs temporaires nécessitent un alevinage régulier à chaque début de saison des pluies; le poisson est obligatoirement récolté quelque soit sa taille, en saison sèche, lorsque le niveau d'eau ne permet plus de poursuivre l'élevage. Il s'agit d'une forme de pisciculture extensive, utilisant une faible ressource en eau fertilisée par le bétail; sa pratique est limitée par le manque d'alevins et/ou le manque d'équipement de transport de poissons vivants. L'influence de cet élevage sur l'environnement est limitée, mais peut-être pas négligeable, car les poissons peuvent contrôler la prolifération des larves de moustiques dans le PPE et ainsi réduire les risques de malaria dans le voisinage.

L'exploitation des réservoirs permanents met en oeuvre une méthode de gestion totalement différente. Tout d'abord, il faut introduire les espèces de poissons que l'on juge adaptées à ce milieu. Ensuite, il faut surveiller la croissance et la reproduction des poissons. Lorsque la population semble établie, il faut organiser son exploitation, c'est-à-dire qu'il faut déterminer le niveau de captures possible sans que cela ne réduise le stock. Cette théorie est très difficile à appliquer dans les PPE étudiés pour plusieurs raisons. Les captures sont effectuées le plus souvent par des pêcheurs étrangers dont l'intérêt immédiat réside dans le volume des captures et non pas dans la permanence de la ressource; lorsque le stock est épuisé, ils migrent ailleurs. Un contrôle strict des pêcheurs par un agent des Eaux et Forêts est impossible, étant donné l'isolement de la plupart de ces barrages. Les pêcheurs locaux devraient pouvoir respecter un plan d'exploitation avec réglementation des maillages des filets et périodes de fermeture de la pêche, mais nous avons vu qu'ils ne sont pas assez nombreux pour exploiter tous les barrages. Il reste la solution délicate d'intégrer les pêcheurs Bozos à la population locale afin qu'ils trouvent une raison matérielle à préserver l'environnement.

Du reste, les connaissances biologiques sur ces PPE sont insuffisantes pour pouvoir préparer des plans de gestion. Les résultats de l'étude entreprise par l'IDESSA dans ce but sont indispensables.

2.7.4. Facteurs limitatifs

Parmi les nombreux barrages agro-pastoraux construits dans le nord-ouest du pays, un certain nombre sont devenus inutilisables par manque d'entretien et dégradation par l'érosion. Comme cela n'est pas leur finalité première, aucun de ces barrages n'a été prévu pour la reproduction de poisson avant sa construction, et lorsque cela fut fait par la suite, les résultats obtenus n'ont pas permis de justifier un budget supplémentaire pour améliorer la situation.

Pour les réservoirs temporaires, la production de poisson exige le ré-alevinage annuel, ce qui est impossible compte tenu du manque d'alevins et de moyens de transport. C'est pour cela que la grande majorité de ces milieux ne renferme jamais de poisson.

Le cas des réservoirs permanents est plus complexe. La gestion de leur production halieutique s'apparente à celle des grandes pêcheries, mais ici, les dimensions du réservoir étant réduites, on en arrive rapidement à des situations de surexploitation aggravées par le fait que les intérêts des pêcheurs et des riverains sont opposés. De plus, les connaissances sur la productivité de ces milieux est insuffisante pour prévoir le niveau maximum soutenable des captures. Ainsi, la plupart des barrages permanents ne renferment que quelques poissons atteints de nanisme qui n'intéressent que les enfants pendant les vacances scolaires. D'autres, par contre, ont un stock halieutique important mais inexploité car protégé par des cadres locaux puissants mais ne possédant pas les moyens de gérer cette ressource.

La gestion de ces PPE dépend principalement de facteurs humains provoqués par les relations entre riverains et pêcheurs, et aussi par les moyens limités des services techniques concernés.

2.7.5. Elément instructif

Les conflits entre agriculteurs, éleveurs et pêcheurs nomades sont relativement fréquents car ces trois groupes ont des intérêts divergents sur la gestion de l'eau.

La solution, si elle existe, réside dans la négociation basée sur une connaissance scientifique du milieu naturel et des méthodes d'exploitation (agriculture, élevage, pêche).

La présence d'une personnalité compétente et reconnue par tous constitue un atout décisif pour parvenir à une solution. Cette personnalité peut être aussi bien un chef traditionnel, un politicien local ou régional, un fonctionnaire d'un service technique, un chef religieux.

2.7.6. Conclusion

Il semble à priori que des réservoirs de superficie limitée, récemment créés, surveillés par des fonctionnaires qualifiés, devraient constituer des exemples de gestion. Or, il n'en est rien.

Le but principal de ces barrages étant l'amélioration de l'élevage extensif du bétail, la gestion du stock halieutique n'est pas considérée comme importante. De plus, les riverains ne sont pas compétents dans la matière. Pour tirer le meilleur parti de la ressource que représentent les poissons des barrages agro-pastoraux, il conviendrait d'organiser des unités spécialisées pour leur gestion, travaillant sous l'autorité d'une seule administration. Il faudrait faire porter les efforts sur les seules retenues présentant un réel potentiel halieutique, c'est-à-dire celles d'au moins cinq hectares de surface et permanentes.

Enfin, le produit des captures devrait profiter aux riverains, au moins lorsque ceux-ci participent activement à l'entretien et à la gestion du barrage.

2.8. Barrages agro-pastoraux del'Adamaoua, Cameroun

2.8.1. Le milieu naturel et son écologie

Cette région située au centre du Cameroun, est un plateau dont l'altitude est supérieure à 1 000 mètres. La pluviométrie est d'environ 1600 mm par an, avec une saison sèche de cinq mois. Le drainage est assuré par des affluents de la Djerem (bassin du Sanaga) et du Mbéré (Logone). La température varie de 12 à 33 °C au cours de l'année. La végétation naturelle est principalement constituée de savane arborée et de forêt galerie le long des cours d'eau.

La densité de population est très faible (7 habitants/km2), donc les cultures sont très clairsemées (mais, mil, manioc), principalement le long des quelques axes de circulation. L'activité dominante est l'élevage, qui trouve dans la région un climat exceptionnellement favorable. Il y a de nombreux petits cours d'eau permanents ou temporaires, mais la longueur de la saison sèche rend nécessaire l'aménagement de points d'eau le long des parcours pastoraux et à l'intérieur des ranches.

C'est ainsi que de nombreux barrages ont été construits par les services de l'élevage et par les propriétaires de troupeaux. Les réservoirs ont une superficie d'un à dix hectares environ et sont pour la plupart permanents. L'intérêt de leur alevinage avec des tilapia et des silures commence à être compris par les personnes concernées car le poisson provenant du barrage de Mbakaou est consommé fréquemment à l'état séché/fumé, mais plus rarement à l'état frais car les communications ne sont pas aisées. Il faut de plus souligner que l'élevage et la pêche dépendent depuis quelques temps du même ministère (MINEPIA: Ministère de l'élevage, de la pêche et des industries alimentaires) et que cette administration dispose d'une magnifique station de pisciculture à Ngaoundéré.

L'alevinage des barrages agro-pastoraux est donc une activité récente, menée par le service des pêches du MINEPIA avec des moyens très limités. La station de Ngaoundéré ainsi que les trois petits centres d'alevinage répartis dans l'Adamaoua ne disposent malheureusement pas de personnel motivé, ni des moyens suffisants pour fonctionner au maximum de leur capacité. Dans ces conditions, les pisciculteurs possédant des étangs intensifs, et les propriétaires de barrages doivent attendre longtemps les alevins commandés.

Les fonctionnaires concernés sont conscients de ces difficultés et attendent une amélioration de la situation. Pour l'instant, les problèmes de gestion du stock halieutique des barrages ne se posent pas encore car on en est toujours à la phase de croissance des populations. Il est indispensable de prévoir dès maintenant comment le poisson des barrages pourra être exploité car la pêche ne fait pas partie des traditions parmi les populations de l'Adamaoua. Deux possibilités existent: des équipes de pêcheurs professionnels travaillant habituellement sur le lac de Mbakaou pourront se déplacer avec leur équipement d'un barrage à l'autre, ou encore, le service des pêches pourrait organiser une équipe mobile chargée de la pêche à la demande des propriétaires de barrages. La deuxième solution présenterait l'avantage d'assurer un encadrement strict des pêcheurs et d'éviter tout conflit entre populations.

Pour l'instant, ce type de conflit est inconnu dans le région car il n'y a pas de pêcheurs parmi les résidents de l'Adamaoua; mais leur irruption est toujours à craindre lorsque de nouvelles personnes s'installent sans accord préalable dans une région pour exploiter une ressource que les autochtones ne savent pas gérer eux-mêmes mais désirent utiliser.

Les risques sanitaires liés aux barrages agro-pastoraux sont limités dans cette région située à plus de 1 000 m d'altitude. La concentration de troupeaux autour des points d'eau peut favoriser les parasitoses transmises par le bétail lui-même ou par les diptères inféodés. L'alevinage des retenues constitue un moyen de lutte contre les vecteurs aquatiques de maladies telles que la malaria et la bilharziose.

2.8.2. Les institutions

L'administration responsable des barrages, aussi bien pour les problèmes touchant à l'élevage qu'à la pêche, dépend du MINEPIA. Les fonctionnaires ont une formation de haut niveau, mais plus orientée vers les problèmes vétérinaires que vers les poissons. De plus, les actions auprès des éleveurs dégagent des ressources non négligeables alors que les opérations d'alevinage des barrages nécessitent au contraire des moyens que les services concernés ont du mal à dégager; il s'ensuit que les alevins disponibles sont fournis aux propriétaires de ranches qui peuvent eux-mêmes en assurer le transport.

La coopération multi-institutionnelle s'organise, notamment entre les services de l'agriculture et ceux de l'élevage pour améliorer la vulgarisation en milieu rural. La gestion des barrages est comprise dans ce programme de sensibilisation.

Plusieurs projets de développement avec assistance extérieure existent dans l'Adamaoua, en particulier, un projet de pisciculture rurale exécuté par des volontaires du Peace Corps avec financement USAID, ainsi qu'un projet de développement intégré villageois exécuté par des Volontaires du Progrès Français. Ces deux projets entretiennent d'utiles relations avec les services de l'élevage et des pêches.

2.8.3. Valeur technique

Il est difficile d'évaluer la valeur technique d'une action qui débute et n'a pas encore atteint sa phase de production. L'alevinage de barrages artificiels est utile à l'environnement car la présence de poisson dans un milieu aquatique participe à son équilibre biologique.

L'exploitation des stocks halieutiques des barrages agro-pastoraux permettra de créer quelques emplois en zone rurale et d'améliorer la qualité de l'alimentation des riverains en leur fournissant du poisson frais alors qu'il leur fait défaut.

Les connaissances sur la productivité de ces plans d'eau sont trop limitées. On peut cependant faire des comparaisons avec les barrages de pisciculture extensive de la zone forestière qui sont en exploitation depuis une quarantaine d'années. C'est d'ailleurs en se basant sur ces comparaisons que la direction des pêches a invité ses fonctionnaires à sensibiliser les populations de l'Adamaoua sur l'intérêt de l'alevinage des barrages.

2.8.4. Facteurs limitatifs

Le principal frein au développement de la gestion piscicole des barrages agro-pastoraux est le manque de moyens de la direction de pêches qui ne peut pas produire et transporter les alevins nécessaires.

2.8.5. Eléments instructifs

Le fait d'aleviner les petits réservoirs est intéressant et devrait être généralisé dans toutes les régions où existent des parcours de troupeaux.

En ce qui concerne la gestion des stock halieutiques, la région manque d'expérience et il serait utile de former quelques techniciens à cette activité.

2.8.6. Conclusion

Les barrages agro-pastoraux de l'Adamaoua sont en plein développement, tandis que leur alevinage n'en est qu'à ses débuts. La région dispose d'une bonne administration qui a la responsabilité de l'élevage ainsi que, depuis peu, de la pêche et de la pisciculture. Cette situation récente constitue un gage de succès pour ces activités; malheureusement, il existe une trop grande disparité de moyens mis en oeuvre au profit du bétail d'une part, et au détriment du poisson d'autre part. Un rééquilibrage des activités de l'administration responsable est souhaitable. Il serait en particulier important que la station d'alevinage de Ngaoundéré puisse fonctionner à plein rendement et qu'elle soit dotée d'un véhicule équipé pour le transport d'alevins.

2.9. Marigots de la zone forestière de l'ouest de la Côte d'Ivoire. Cas similaire en forêt camerounaise autour de Yaoundé

2.9.1. L'ouest forestier de la Côte d'Ivoire est une région d'une centaine de kilomètres d'est en ouest le long de la frontière avec le Libéria. Le relief est constitué de collines de 300 à 400 m d'altitude, s'élevant à plus de 1 000 m au nord de la ville de Man. Entre les collines, on trouve des bas-fonds marécageux, drainés par de petites rivières s'écoulant vers les fleuves Cavally et Sassandra. Les précipitations sont comprises entre 1 500 et 2 000 mm par an, réparties d'avril à octobre.

La végétation est constituée de forêt plus ou moins dégradée suivant les régions, avec de grands arbres jusqu'au sommet des reliefs et une majorité de palmiers raphia dans les marécages.

La densité de population est très variable au sein de cette région, ce qui apparaît nettement dans la végétation: les zones de forêt peu dégradée sont très faiblement peuplées; ailleurs, diverses plantations (café robusta, cacao, bananeraies, etc.) couvrent de grandes surfaces et témoignent d'une population beaucoup plus dense. Beaucoup de bas-fonds marécageux sont aménagés en rizières, le riz étant l'un des aliments de base de la région avec les bananes. Les protéines d'origine animale proviennent surtout de viande de chasse et de poisson; parmi les poissons, les plus estimés sont les silures.

L'agriculture constitue l'activité principale des populations Yacouba; l'élevage est une activité secondaire car le climat, la végétation et les parasites ne sont pas favorables aux troupeaux. Dans les villages, on élève quelques vaches, porcs, moutons, chèvres et volailles. Le poisson consommé provient en grande partie d'ailleurs: barrage de Buyo sur le Sassandra, poisson congelé de l'océan, poisson séché du Mali. Il n'y a pas de grandes pêcheries alimentant les marchés des villes dans la région. Il existe cependant de nombreux PPE qui ont ici la configuration de marécages trop profonds (plus de 1 m) pour avoir été aménagés en rizières et dont la couverture forestière d'origine a été brûlée pour établir des cultures. De nombreux troncs à moitié calcinés témoignent de la disparition récente de la forêt.

Ces bas-fonds constituent un milieu de forte humification d'une grande quantité de déchets végétaux et cela se traduit par l'aspect noirâtre de l'eau et son acidité en saison sèche. En saison des pluies, étant donné le déboisement de grandes surfaces, le niveau de l'eau varie rapidement en fonction des précipitations et le transport de sédiments arrachés par l'érosion est intense.

L'habitat est groupé en villages de 1 000 à 2 000 habitants; lorsque les cultures sont éloignées de plusieurs kilomètres du village, des campements sont établis au milieu des plantations et sont utilisés lors des gros travaux. Le marécages dans les bas-fonds ne présentent que des surfaces réduites d'eau libre parmi la végétation, mais la surface totale inondée de façon presque permanente est relativement importante, surtout en saison des pluies. Lorsque le niveau d'eau est élevé, quelques hommes pratiquent la pêche comme activité secondaire, lorsque les travaux agricoles leur en laissent le temps. Les poissons les plus couramment capturés sont des silures (Clarias spp. et Heterobranchus spp.) pouvant dépasser plusieurs kg chacun. Les engins utilisés pour la pêche sont les nasses et les hameçons. En saison sèche, lorsque le niveau d'eau diminue, les femmes organisent des pêches collectives dans les flaques résiduelles. Souvent, elles aménagent des diguettes de boue afin d'orienter les poissons vers des endroits où leur capture est aisée. Dans certains cas, le niveau d'eau de la mare est abaissé par vidange au moyen de récipients. L'engin de capture le plus communément utilisé par les femmes est l'épuisette sans manche, d'un diamètre légèrement inférieur à un mètre et à mailles d'un à deux centimètres. Les espèces les plus fréquemment capturées sont toujours des silures, mais cette fois, leur taille est plus petite: de 20 à 500 g. Les nasses sont toujours utilisées en saison sèche. Il est très difficile d'évaluer la proportion du stock halieutique capturé tout au long de l'année tant le milieu est encombré de végétation et la pratique de la pêche irrégulière. La grande disparité des tailles des poissons capturés complique les estimations. Il faut aussi tenir compte de la capacité des silures à s'enfouir dans la vase pour échapper à leurs prédateurs et à supporter les périodes de sécheresse.

Les silures capturés en début de saison sèche sont achetés par certaines femmes spécialisées dans leur commerce, spécialement dans la région de la ville de Danané. Les poissons sont stockés vivants près du village dans des trous pleins d'eau. Les jours de marché dans les principaux villages et à la ville, les femmes préparent une ou deux bassines d'une capacité de 20 l, remplies de silures vivants et d'un peu d'eau.

Les bassines sont recouvertes d'une toile plastique maintenue par des lanières et transportées par la marchande en “taxi-brousse” jusqu'au marché du jour. La distance parcourue peut atteindre 50 km et une durée de plus de deux heures; les vendeuses se regroupent dans la même zone du marché. Les silures sont vendus à la pièce, à des prix plus élevés que les autres poissons frais: 1000 FCFA pour un silure de 1 kg et environ 25 FCFA pour un de 25 g (1 $ = 300 FCFA, sept. 1991). Malgré les divers mauvais traitements subis (capture, stockage, transport, manipulations diverses, grande concentration de poisson dans très peu d'eau à une température supérieure à 30 °C), la plupart des petits silures sont toujours vivants lors de la vente; ils vont alors servir à la préparation du repas suivant.

Il existe dans cette région un développement rapide de la pisciculture intensive de tilapia associée aux silures; de plus, les stations d'alevinage sont incapables de couvrir les besoins en alevins de silures. Le projet de développement de la pisciculture en milieu rural s'efforce d'organiser le marché des silures vivants dans la région de Danané afin de l'orienter vers la fourniture d'alevins aux pisciculteurs.

La filière: capture de silures - stockage au village - commercialisation par les femmes fonctionne et fait vivre de nombreuses familles. Cependant, les femmes ont besoin de beaucoup de temps et d'argent pour vendre chacune de petites quantités de poisson. Elles cherchent donc à améliorer leur système en se regroupant, mais jusqu'à maintenant, elles ne sont pas parvenues à s'organiser efficacement. Le projet de pisciculture leur propose un modèle: constructions de petits étangs communautaires de stockage au niveau des villages où l'on capture des silures, construction d'un étang de stockage et d'un stand de vente à Danané. Une assistance matérielle pourra leur être procurée si elles entreprennent les travaux, mais le début des travaux se heurte semble-t-il au manque de mise de fonds initiale car l'épargne féminine, bien qu'existante, est très limitée.

2.9.2. Les institutions

Les chefs traditionnels cohabitent avec l'administration moderne. Dans les villages qui sont généralement établis depuis peu de temps le long des routes, des concessions bornées ont été attribuées par les chefs à chaque famille. La plupart des champs situés à proximité des villages appartiennent à la même famille depuis plusieurs générations. En ce qui concerne le bas-fonds, l'intérêt que l'on y porte dépend principalement de la possibilité de les aménager en rizières ou parfois, en étangs de pisciculture intensive. La pêche n'est pas prise en compte car elle est très limitée. Les bas-fonds sont attribués par les chefs aux agriculteurs qui en font la demande.

L'attribution de nouveaux terrains peut être difficile dans les zones fortement peuplées; de longues discussions entre les chefs, les personnes concernées et leurs voisins sont nécessaires et suscitent parfois la jalousie de certains. L'échange de cadeaux est souvent nécessaire pour parvenir à un accord. En dehors des responsables administratifs locaux, divers services gouvernementaux sont chargés d'apporter leur soutien aux populations dans des domaines techniques: santé, éducation, agriculture, eaux et forêts, élevage. Excepté les enseignants qui sont logés près de l'école, les fonctionnaires résident normalement au chef-lieu de département et rendent visite aux villageois lorsque ceux-ci en font la demande. Le manque de moyens fait que ces visites sont de plus en plus rares, à moins que les personnes concernées ne prennent en charge le transport des techniciens.

La situation pourrait être meilleure dans certains secteurs si une organisation para-étatique (pour le café et le cacao) ou un projet avec financement extérieur (pisciculture) apportaient des ressources supplémentaires en faveur de certaines activités. L'intérêt de ces actions, outre leur apport technique et matériel, est de permettre aux agriculteurs de rencontrer des spécialistes de diverses branches qui puissent leur apporter des innovations et aussi les aider à régler divers problèmes administratifs. D'une manière générale, les divers services techniques n'ont que peu de relations entre eux. L'existence d'un “projet de développement intégré” peut donner l'opportunité aux divers techniciens d'une même zone de travailler ensemble. C'est le cas du “Projet d'Aménagement Péri-Urbain de la Commune de Daloa” qui rassemble des spécialistes d'agriculture, de petits élevages et de pisciculture afin de vulgariser ces techniques en milieu rural proche de la ville.

Le personnel des Eaux et Forêts s'occupe surtout de la gestion forestière: attribution de concessions à des exploitants, contrôle des abattages d'arbres et du transport de grumes. Parmi ces fonctionnaires, certains ont reçu une formation complémentaire en pisciculture et travaillent dans le cadre d'un projet FAO/PNUD “Développement de la pisciculture en milieu rural”. La pêche n'est pas considérée dans la région comme étant une activité économique, hormis dans le réservoir de Buyo. Les pêcheurs occasionnels travaillant dans les bas-fonds ne sont donc pas recensés pour ce genre d'activité et n'ont pas de permis.

2.9.3. Valeur technique

Le système d'exploitation traditionnelle des marécages de bas-fonds, et sourtout le procédé original de commercialisation de silures vivants, permettent à de nombreuses familles de participer à l'économie monétaire. Le manque de données concernant le potentiel halieutique des bas-fonds ainsi que les quantités de poissons capturés et commercialisés rendent aléatoires toutes les estimations sur un développement futur de ces activités, notamment sur les possibilités d'accroître ce commerce à destination des pisciculteurs. Une étude scientifique devrait précéder toute action de développement du secteur.

2.9.4. Facteurs limitatifs

Jusqu'à présent, le mode d'exploitation des ressources halieutiques des basfonds par des pêcheurs locaux occasionnels apporte une ressource régulière quoique faible aux familles riveraines. Un développement de cette activité se heurte à la disponibilité des hommes et des femmes qui ne peuvent pratiquer la pêche qu'à certaines époques de ralentissement des travaux agricoles.

Le mode de commercialisation des poissons vivants est peu efficace car la vendeuse se déplace en même temps que sa marchandise, ce qui augmente considérablement les frais de transport et le temps passé à la vente. De plus, il n'existe aucune structure de stockage au niveau du marché de détail, ce qui oblige les commerçantes à écouler leurs invendus, s'il y en a, à bas prix en fin de journée.

2.9.5. Eléments de gestion pouvant être transférés ailleurs

La commercialisation de petits silures vivants capturés dans les marigots doit être rapprochée des tentatives de développement de la pisciculture rurale. L'un des facteurs limitant le développement de la pisciculture est justement le manque d'alevins de silures. L'utilisation d'alevins “sauvages” en pisciculture devrait pouvoir permettre d'atteindre l'aménagement d'écloseries privées fonctionnelles à condition, d'une part, que le stock halieutique naturel et les captures puissent couvrir les besoins des pisciculteurs et que, d'autre part, les espèces fournies présentent des caractéristiques de croissance convenables.

2.9.6. Autre cas similaire

Nous venons d'étudier un exemple choisi dans l'ouest de la Côte d'Ivoire; il existe un cas similaire au Cameroun, dans la région de Yaoundé. La pluviométrie supérieure à 2 000 mm/an et la topographie font que l'on retrouve ici une végétation dense avec des bas-fonds inondés de façon presque permanente. Les riverains sont des pêcheurs occasionnels qui consomment le poisson qu'ils capturent et vendent le surplus. C'est ainsi que l'on peut trouver des silures vivants sur certains marchés de Yaoundé. De nombreux paysans ont depuis quarante ans, aménagé des étangs de pisciculture, mais sont restés entièrement dépendants des stations piscicoles gouvernementales pour leur approvisionnement en alevins. Devant les difficultés pour obtenir leurs commandes, la plupart des pisciculteurs ont abandonné leurs étangs. Il semblerait logique d'orienter le commerce des petits silures vivants vers les pisciculteurs qui sont disposés à les acheter à un bon prix afin de pouvoir reprendre leurs élevages qu'ils considèrent comme étant financièrement très intéressants.

2.9.7. Conclusion

On observe ici le rapprochement entre une activité traditionnelle, la pêche de subsistance dans un PPE, et une activité nouvelle, la pisciculture intensive. Cela permet de trouver un débouché commercial à un de produit ayant jusque-là une valeur assez fluctuante. Les riverains sont décidés à développer encore les captures de silures. Cependant, le problème de la méconnaissance, du potentiel naturel exploitable et des besoins réels des pisciculteurs en alevins de silures, se pose.

2.10. Marais du Rwanda et du Burundi

2.10.1. Le milieu naturel et son écologie

Le terme “marais” désigne dans ces pays les bas-fonds inondés une partie de l'année, occupés par une importante végétation de papyrus. Ces PPE constituent la liaison entre les petits cours d'eau provenant des collines et les petits lacs que nous avons étudiés précédemment. Leur importance écologique est capitale dans des régions au relief très accidenté sur lesquelles tombent des précipitations violentes, où la forêt a pratiquement disparu au profit de cultures laissant le sol à nu une partie de l'année. Les quantités importantes de sédiments arrachés aux collines sont en grande partie retenues par les papyrus et se déposent sur le fond du marais où elles se mélangent aux débris végétaux. Les surfaces d'eau libre dans le marais sont limitées à un ruisseau qui court parmi les papyrus et dont le niveau varie en fonction des précipitations. L'eau arrivant dans les petits lacs est donc très peu chargée en sédiments. De plus, le marais joue le rôle de régulateur de débit dans une région qui est le château d'eau d'une grande partie de l'Afrique.

Le marais renferme peu de poissons et de crustacés économiquement intéressants, ce qui fait que les riverains ne pratiquent pas d'activité de pêche dans ce biotope.

La délimitation des parcelles agricoles sur les flancs des collines voisines est très précise, et constitue l'objet de fréquents conflits entre voisins; par contre, le marais demeure la propriété de l'Etat. La pression démographique étant de plus en plus forte, les gouvernements ont été conduits à autoriser la mise en exploitation de certains marais. Les principales cultures possibles dans cette zone sont le riz, sur sol plané, ainsi que le taro, les haricots et les patates douces sur billons. Les gros travaux sont effectués en communauté (défrichage des papyrus, construction des diguettes), mais ensuite, chaque famille reçoit de l'administrateur communal, une parcelle ou un billon individuel.

Dans le marais mis en culture, le lit du ruisseau est rectifié, ce qui a pour effet d'accélérer la circulation de l'eau qui n'est plus freinée par la végétation et donc transporte sa charge de sédiment jusqu'au lac suivant. De plus, lors des crues, les cultures sont inondées, parfois arrachées, et l'érosion devient intense. Devant ces problèmes, on a cherché le moyen de préserver le rôle écologique du marais tout en le rendant productif pour les riverains. Cette réflexion, grâce à la coopération entre des paysans, les services techniques du Gouvernement rwandais, des scientifiques nationaux et belges, des ONG, la FAO et la CEE, a conduit à la mise au point d'un système de production dans lequel les cultures, les petits élevages et la pisciculture sont intégrés (Micha, 1988). Le rôle de filtre et de régulateur de l'écoulement d'eau du marais à papyrus est tenu dans ce système par un réseau de canaux servant d'étangs de pisciculture. Les digues délimitant les canaux ont une surface équivalant à celle de l'eau, et sont utilisées pour les cultures vivrières. Les déchets végétaux provenant des cultures servent à nourrir des poules, des canards et éventuellement des lapins qui à leur tour, grâce à leurs déjections, servent à fertiliser les étangs de pisciculture. La présence de canards et la pratique de cultures vivrières sur les digues des étangs présentent en outre l'avantage d'éliminer les mollusques vecteurs de bilharziose originaires du marais; les risques de propagation de cette maladie sont donc réduits.

2.10.2 Les institutions

Dans cet exemple, la gestion du PPE est indissociable des cultures et des élevages. A cet égard, la réalisation et la gestion de ce système de production nécessite la collaboration de plusieurs compétences: génie civil pour l'aménagement du marais, agronomie, élevage et pisciculture pour la gestion courante. Compte tenu du mode d'attribution des parcelles et de leur superficie inférieure à un are, plusieurs familles vont devoir se regrouper pour pouvoir organiser un ensemble cohérent pouvant réunir les différentes activités indispensables au fonctionnement du tout.

Ce mode de gestion nécessite, pour donner des résultats satisfaisants, la coordination de divers services techniques et l'association de plusieurs familles. Dans un premier temps, la mise en route du système et la formation des paysans demanderont un effort soutenu de vulgarisation de la part des services techniques et/ou d'une ONG ainsi qu'un surcroît de travail manuel pour les familles concernées, et éventuellement un financement pour le terrassement qui dépasse leurs capacités.

2.10.3. Valeur technique

Dans l'état actuel de développement d'un tel mode de gestion, son utilisation par un groupe de paysans est une opération quelque peu risquée car il existe peu d'exemples fonctionnels et l'assistance technique n'est pas disponible partout. Un système nouveau peut très bien fonctionner au niveau expérimental avec une équipe technique de haut niveau, mais échouer lorsqu'on tente de le vulgariser en milieu rural.

2.10.4. Facteurs limitatifs

Cette méthode de gestion d'un PPE est séduisante par le peu d'intrants nécessaires et sa haute productivité. Cependant, elle requiert un niveau technique très élevé, une coordination efficace des principaux services techniques gouvernementaux, et la mise en commun des concessions et du travail de plusieurs familles. Il existe peu de sociétés rurales pouvant bénéficier de toutes ces caractéristiques.

2.10.5. Eléments de technique de gestion pouvant être transférés ailleurs

Le modèle technique de production intégrant cultures vivrières, petits élevages et pisciculture est applicable à d'autres pays où il existe de bas-fonds à aménager. Pour réussir, il est cependant souhaitable que le même exploitant dispose d'une surface d'au moins d'un 1/2 hectare de telle sorte que les aménagements soient sous la responsabilité d'une seule personne.

2.10.6. Conclusion

Nous avons ici un système séduisant pour plusieurs raisons. Tout d'abord, l'aménagement ne nécessite aucun intrant extérieur à la région et maintient le rôle écologique du marais: filtre et régulateur de débit. Ensuite, il rend productif un milieu jusque-là inutilisé directement par les riverains. Cependant, il se heurte à des problèmes humains: parcelles de terrain trop petites, gestion très technique difficile à assimiler par des agriculteurs en majorité illettrés et sans tradition piscicole, surcroît de travail parmi une population déjà très occupée par les travaux agricoles et domestiques.

Ce modèle de gestion aurait probablement plus de chances de succès dans des pays moins fortement peuplés, où l'attribution de nouvelles parcelles agricoles ne rencontre pas d'obstacles, et aussi où des étudiants seraient intéressés par ce genre d'activité pour effectuer un “retour à la terre”.

2.11. Petits plan d'eau aménagés de la zone forestière du Cameroun

2.11.1. Le milieu naturel et son écologie

Cette vaste région est constituée par les bassins des fleuves Sanaga et Nyong, de la Haute Kadey (extrême est) et du Ntem (sud). Le relief est généralement constitué de séries de petites collines séparées par des vallées où coulent des ruisseaux. L'altitude est comprise entre 500 et 800 m, la température varie au cours de l'année entre 18 et 30 °C tandis que la pluviométrie se situe entre 1 500 et 2 000 mm par an.

La plus grande partie de cette région est couverte de forêt généralement dense. La population est établie le long des axes de transport et des fleuves. De vastes zones inondables et de nombreux cours d'eau abritent un important stock halieutique. Cependant, l'effort de pêche est saisonnier de telle sorte que le poisson, qui est très apprécié, n'est disponible qu'à certaines époques. Afin d'assurer un approvisionnement régulier tout au long de l'année, un effort important a été entrepris pour développer la pisciculture de type extensif dans des barrages dont la surface de retenue varie entre 0,5 et 10 ha.

La sensibilisation de la population à la pisciculture a un effet induit intéressant: l'investissement nécessaire pour construire un barrage étant relativement élevé et risqué, certains riverains de PPE naturels ou artificiels les ont aménagés dans le but d'améliorer la production de poisson. Le résultat obtenu se situe à mi-chemin entre une zone de pêche réservée et la pisciculture extensive. Les exemples les plus significatifs s'observent le long des chantiers de routes: une carrière de latérite abandonnée peut constituer un PPE de plusieurs hectares de surface et de un à deux mètres de profondeur; ou bien, une portion de route en remblai traversant un bas-fond peut constituer un barrage. Des riverains ingénieux parviennent, à force de négociations avec les responsables du chantier, à obtenir l'usage d'un bulldozer pour quelques minutes, ce qui leur permet de faire renforcer une digue, de creuser un canal, ou encore de détourner un ruisseau vers la carrière, etc. Certains construisent un moine à l'entrée d'un drain traversant la route afin de transformer le remblai en retenue. Ces aménagements réalisés de façon presque clandestine et sans l'avis préalable d'un technicien en pisciculture, vont pouvoir servir à produire du poisson, l'importance de la récolte étant fonction de la technique employée par le “propriétaire”.

Une fois que le plan d'eau est établi, le premier soin du responsable est de se procurer des alevins. Comme la production des centres d'alevinage est insuffisante pour couvrir la demande, de longs délais sont nécessaires pour obtenir sa commande. Aussi, certains préfèrent stocker le PPE avec des poissons sauvages capturés dans un cours d'eau avec des nasses. En général, aucun aménagement n'est effectué sur les berges et à l'intérieur du plan d'eau. En conséquence, la végétation d'origine subsiste et si le niveau a augmenté notablement, une partie va mourir et se décomposer sur place provoquant l'acidification du milieu. De plus, la faune naturelle persiste et les nouveaux poissons s'ajoutent à ceux qui se trouvent déjà dans le réservoir. Tout contrôle du stock halieutique est donc impossible. Les captures s'effectuent en général de façon continue, avec des hameçons ou des filets maillants si toutefois la végétation le permet. Dans certains cas, il est possible de vidanger partiellement le plan d'eau, ce qui facilite les captures.

Le terme de “gestion” ne s'applique pas vraiment à ce genre d'exploitation; il serait préférable de parler de “zone de pêche améliorée”.

Dans ces régions peu peuplées, l'usage de la terre ne pose pas de problèmes particuliers. Celui qui en a besoin peut se faire attribuer un lot par le chef du village, ce qui limite les risques de conflit.

2.11.2. Les institutions

Ces aménagements sont réalisés le plus souvent sans l'avis de techniciens, de façon semi-clandestine. En effet, la procédure administrative préalable à la construction d'un barrage ou d'un aménagement piscicole est si compliquée que la plupart des personnes concernées l'évitent. Le fonctionnaire du service des pêches (qui dépend du Ministère de l'élevage, de la pêche et des industries alimentaires) est parfois consulté dans le but d'obtenir des alevins. C'est à partir de ce moment que le “propriétaire” peut recevoir des conseils pour améliorer son exploitation qui peut alors passer d'une situation de zone de pêche privée à celle de pisciculture extensive.

2.11.3. Valeur technique

Ce mode d'exploitation constitue un aménagement sommaire d'une zone naturelle ou artificielle en vue de la pêche. La production d'un tel plan d'eau est comparable à celle obtenue en pleine nature. L'avantage principal est d'avoir le plan d'eau à proximité de la maison ou de la plantation et de ne pas être obligé d'effectuer une longue marche en forêt pour aller sur des lieux de pêche.

Un premier stade d'amélioration de ce système consiste à éliminer la végétation immergée afin de rendre possible le contrôle du PPE. Si cela est possible, il faut ensuite aménager un système de drainage de façon à pouvoir tout d'abord éliminer la faune indésirable et ensuite, contrôler le stock ichtyologique introduit, et enfin, pratiquer des récoltes complètes. A ce niveau d'aménagement, on ne peut plus parler de pêche, mais de pisciculture. Cette activité est relativement bien encadrée par les techniciens du service des pêches.

2.11.4. Facteurs limitatifs

La technique décrite s'applique à des cas spéciaux (chantiers abandonnés); sa vulgarisation dépend donc de l'extension de grands projets, par ailleurs relativement nombreux. Les services techniques gouvernementaux devraient pouvoir informer les riverains des possibilités offertes par l'aménagement des reliquats de ces grands travaux et orienter ceux qui seraient disposés à effectuer de tels aménagements vers les fonctionnaires compétents. Or actuellement, les procédures administratives sont plus un frein qu'un stimulant pour les petits entrepreneurs qui préfèrent agir isolément. C'est pour cela que des aménagements mal conçus sont entrepris, alors que l'expertise technique existe, mais demeure inaccessible pour ceux qui en auraient besoin.

2.11.5. Eléments instructifs

Ce genre d'aménagement correspond tout à fait au créneau d'activité de nombreux petits entrepreneurs africains. L'idée devrait être vulgarisée dans toutes les régions humides d'Afrique. Il ne faut cependant pas perdre de vue que les PPE ainsi constitués ne pourront donner des résultats positifs que si des techniques de pisciculture extensive sont disponibles et mises en pratique par les responsables des aménagements.

2.11.6. Conclusion

L'aménagement d'un site naturel précède ici la mise en production. On devrait donc s'attendre à trouver par la suite de véritables exploitations de pisciculture. Cependant, on se heurte toujours à des idées erronées selon lesquelles la pisciculture intensive en étang exigerait beaucoup de travail pour donner de piètres résultats, tandis que la pisciculture de barrage permettrait d'obtenir sans effort de grosses récoltes.

Dans ces conditions, nombreux sont les propriétaires de retenues qui ne jugent pas nécessaire de rechercher les conseils techniques auprès des moniteurs piscicoles et se contentent d'attendre une hypothétique récolte.


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