Page précédente Table des matières Page suivante


3. SYNTHÈSE DES ENSEIGNEMENTS TIRÉS DE CES EXEMPLES

3.1. Cas général

Le milieu naturel et le stock halieutique d'un PPE sont soumis à l'influence des populations qui les exploitent; les niveaux de gestion de chacun de ces éléments peuvent être plus ou moins élevés, mais ne sont pas directement dépendants l'un de l'autre.

Ainsi, un milieu naturel tel qu'un lac n'ayant subi aucune modification en vue d'améliorer son exploitation (niveau de gestion du milieu peu élevé), peut voir son stock halieutique exploité selon les méthodes les plus performantes (niveau de gestion du stock élevé). Au contraire, un réservoir artificiel (niveau de gestion du milieu élevé) peut avoir un stock halieutique provenant d'alevins sélectionnés (niveau de gestion du stock élevé) mais totalement négligé par les riverains (bas niveau de gestion des méthodes de capture).

Nous avons résumé sur un tableau différents niveaux possibles de gestion pour quatre éléments communs aux PPE: milieu physique, stock halieutique, méthodes de capture et enfin, utilisation du poison.

Il apparaît que lorsque les quatre éléments cités ont tous un bas niveau de gestion, nous avons à faire à un PPE naturel exploité de façon traditionnelle par des riverains. Au contraire, lorsque les quatre éléments ont tous un niveau élevé de gestion, le PPE est pratiquement transformé en ferme piscicole. Entre ces deux extrêmes, tous les cas de figure sont possibles.

Pour chacun des éléments pris individuellement, l'augmentation du niveau de gestion conduit à une augmentation des captures, depuis un niveau très bas correspondant à une exploitation traditionnelle (sous-exploitation), en passant par un niveau optimal de captures (total des captures voisin de la productivité du stock halieutique), pour arriver à un épuisement du stock par suite de surexploitation. En effet, l'un des quatre éléments porté tout seul à un niveau élevé de gestion va produire un déséquilibre dans l'exploitation du PPE et va conduire, soit à une dégradation du milieu, soit à une surexploitation du stock, soit encore à une faillite du système d'utilisation du poisson. Quoiqu'il en soit, la productivité du PPE va être réduite au détriment des riverains.

Il est donc indispensable de modifier ensemble le niveau de gestion des quatre éléments et de le maintenir de telle sorte que le niveau de capture demeure au niveau optimal. Le développement d'un PPE doit donc être intégré à celui des autres activités des riverains. Globalement, la gestion d'un PPE doit permettre d'en tirer le maximum possible de production au bénéfice des riverains, tout en préservant le milieu et le stock halieutique.

Niveau des captures comparé au niveau de gestion de certains éléments

NIVEAU DE GESTION

Exemples de Niveaux de Gestion observés dans des PPE.

Milieu PhysiqueStock HalieutiqueMéthode de CaptureUtilisation du Poisson
-Milieu contrôlable en totalité-Stock entièrement contrôlé. Reproduction et grossissement séparés.-Capture par vidange totale (barrages agro-pastoraux)-Pêcheurs professionnels ayant un contrat d'exclusivité avec un mareyeur.
-Aménagement intégré Agriculture/Pisciculture-Stock exploité provenant en majorité d'alevins déversés.
Espèces locales présentes
-Capture par vidange partielle et filets.-Quota de captures et/ou de commercialisation.
-Pisciculture extensive-Capture totale d'un stock par pêcheurs professionnels avec engins modernes; Surpêche.-Pêche autorisée aux riverains, Commercialisation interdite du poisson.
-Niveau d'eau contrôlable
-Aménagement des berges.
-Contrôle partiel de l'eau par des aménagements saisonniers.-Introduction d'une ou de plusieurs espèces exotiques destinées à combler une ou plusieurs niches écologiques vides.-Captures sélectives destinées à améliorer le rendement tout en préservant le stock.-Pêcheurs professionnels “allochtones” commercialisant eux-même leur poisson frais ou séché (vendeurs du même groupe ethnique).
-Répartition des zones de pèche entre groupements de pêcheurs.-Stock Naturel.-Pêche rationelle permettant la conservation du stock par professionnels contrôlés-“Contrat” passé entre paysan pêcheur occasionnel et mareyeur de la ville voisine.
-Aménagement de circuits de pêche.-Absence de stock halieutique (lac de rift-valley lac volcanique, réservoir temporaire).-Prélèvements en fonction des besoins par paysans/pêcheurs occasionnels.-Monétarisation des captures.
-Séchage/fumage/stockage/commercialisation sur les marchés locaux.
-Aménagement d'accès à la berge.-Prélèvement au jour-le-jour en fonction des possibilités (temps disponible et matériel) par les riverains.-Troc des excédents sur le marché.
-Milieu naturel non contrôlable.-Hors circuit commercial
-Auto-consommation.

Les divers exemples de PPE étudiés nous montrent qu'en général, des captures “diffuses” effectuées par les riverains dans un but d'autoconsommation procurent une ressource continue alors que des pêches effectuées par des professionnels conduisent à l'épuisement rapide de la ressource.

Ces réflexions conduisent à l'idée que, dans le cas d'un PPE, le niveau de gestion le plus élevé est celui qui procure un apport continu au bénéfice des riverains tout en préservant le milieu et le stock halieutique, et non pas celui qui fournit le bénéfice immédiat le plus élevé.

Nous avons tenté de présenter sur des graphiques l'évolution hypothétique des captures dans un PPE en fonction du niveau de gestion des quatre principaux éléments. Ces courbes, qui devraient être vérifiées par des études statistiques, montrent que le niveau optimal des captures d'un PPE correspond à des niveaux moyens de gestion de chacun des éléments.

3.2. Explication des exemples de niveau de gestion

3.2.1. Le milieu physique

Il ne se limite pas au milieu aquatique: étant donné la dimension réduite du système étudié, l'environnement immédiat influe directement sur le PPE. Le régime hydrique d'un PPE de forêt humide n'est pas le même que celui d'un PPE situé en savane. De nombreux PPE ne sont même pas accessibles à pied car la végétation est très dense dans les zones humides. Le premier niveau de gestion consiste justement à créer des chemins permettant aux riverains d'accéder à la berge. Le niveau suivant pourrait être caractérisé par l'aménagement de sentiers permettant de se rendre sur les lieux de pêche et par la répartition de zones d'action aux différents riverains. Ensuite, les aménagements auraient pour but de contrôler le niveau d'eau par la construction de diguettes, de barrages et de canaux.

De plus, les aménagements à vocation villageoise, récréative agricole ou d'élevage, réalisés à proximité d'un PPE influent directement sur le niveau d'eau (pompage pour irriguer des cultures ou approvisionner le village), sur sa qualité (pollution par rejets domestiques, lessivage des pesticides et des engrais agricoles), sur le milieu (déboisement ou surpâturage du bassin versant conduisant au comblement progressif du PPE par les produits de l'érosion). Les niveaux ultimes de gestion du milieu sont représentés par les réservoirs artificiels et par les fermes piscicoles.

Un autre degré de gestion du milieu physique consiste à drainer en partie ou en totalité le PPE lorsque le bénéfice attendu des terrains ainsi obtenus à des fins agricoles, pour la pisciculture, en vue d'un développement urbain, ou encore pour éradiquer une maladie liée à l'eau, est supérieur au revenu provenant initialement du PPE.

L'augmentation du niveau de gestion du milieu dans l'absolu conduit à une amélioration de la productivité du stock halieutique. Mais cela implique un contrôle strict des captures. Dans le cas général où les captures ne sont même pas connues, le stock halieutique est rapidement épuisé par suite de la facilité des captures (par vidange totale).

3.2.2. Le stock halieutique

Le premier cas est représenté par les PPE dépourvus de stock halieutique naturel, ou tout au moins sans intérêt pour l'alimentation humaine: lacs volcaniques ou de bassins clos (rift-valley), ou bien encore, les réservoirs artificiels.

En général, le stock halieutique des PPE comporte peu d'espèces de grande taille (exception faite parfois pour certains silures), ce qui explique en partie le désintérêt des pêcheurs professionnels pour ce milieu, mais par contre, justifie l'exploitation en vue de l'autoconsommation.

La gestion d'un stock halieutique débute par des prélèvements plus ou moins incontrôlés effectués par des pêcheurs occasionnels; un niveau de gestion plus élevé est atteint lorsque des espèces exotiques sont introduites dans le but de combler un vide écologique. Les poissons les plus fréquemment introduits dans les PPE sont divers tilapia, parfois des clarias ou des heterobranchus. Dans ce cas, les espèces exotiques cohabitent avec les espèces locales.

Dans les PPE dépourvus à l'origine de poissons, le stock halieutique provient en totalité d'espèces introduites qui, dans certains cas, peuvent s'acclimater et se reproduire, ou au contraire, ces poissons grandissent mais ne se reproduisent pas, par suite de conditions naturelles inadéquates. Lorsque ce stock halieutique est exploité, il est indispensable de réaleviner régulièrement le PPE, sinon, la quantité de poisson disponible régresse rapidement jusqu'à épuisement total.

Un cas extrême est représenté par l'introduction de truites dans des ruisseaux de montagne pour la pêche sportive.

Il est important de noter que le plus souvent ces introductions ont été réalisées par les administrations sans concertation avec la population, ce qui a des conséquences sur la gestion du stock établi.

3.2.3. Organisation des captures

Le niveau de gestion le moins élevé est celui rencontré dans les sociétés traditionnelles peu nombreuses; les captures sont limitées à ce qui est nécessaire pour la consommation des riverains. Les engins peu performants utilisés ne permettent pas d'obtenir des prises importantes (filets et nasses fabriqués en fibres naturelles, hameçons). Par ailleurs, les chefs traditionnels limitent les époques de captures (pêche autorisée par les Anciens suivant les préceptes de la religion traditionnelle, en fonction des phases de la lune). Le plus souvent, la pêche est pratiquée par les femmes et les enfants pour l'alimentation des familes riveraines, soit individuellement la plus grande partie de l'année, soit collectivement lors des basses eaux. Ce système n'est pas très efficace au niveau des captures mais présente l'avantage de préserver le milieu et le stock halieutique.

Le niveau suivant de gestion est représenté par la pratique de la pêche à temps partiel par des paysans riverains d'un PPE. Ce début de spécialisation permet à ceux qui pratiquent la pêche d'avoir un matériel simple mais souvent performant, car utilisé judicieusement (filet maillant, palangre). Le temps constitue le principal facteur limitant; les paysans ne peuvent aller à la pêche que lorsque le travail des champs leur en laisse la possibilité (le temps est donc un facteur de préservation du stock halieutique).

Dans les étapes suivantes, la pêche est pratiquée par des pêcheurs professionnels dotés d'un équipement efficace. Le niveau des captures, s'il n'est pas contrôlé, dépasse rapidement le potentiel du PPE qui voit son stock halieutique s'épuiser progressivement. Une limitation des captures doit donc être imposée aux pêcheurs.

Enfin, le stade le plus évolué des captures se rencontre dans les réservoirs artificiels et dans les PPE aménagés; il s'agit des captures par vidange partielle ou totale. Ce système conduit à l'élimination complète du stock et doit être associé à un réalevinage régulier du PPE.

3.2.4. Utilisation du poisson

Cet élément présente une grande importance sur la gestion des PPE. En effet, lorsque les captures sont destinées à l'alimentation des familles des pêcheurs, il n'y a pas de danger de surexploitation (sauf en milieu urbain). Le niveau des captures augmente lorsque les pêcheurs ont la possibilité d'échanger le poisson contre d'autres produits au marché du village. En général jusque-là, l'exploitation demeure audessous du seuil maximum soutenable.

La situation devient très différente lorsque le circuit d'utilisation du poisson se monétarise; il est vendu hors du village et la demande augmente. Les pêcheurs gagnent de l'argent, achètent du matériel souvent à crédit, doivent rentabiliser l'investissement et cherchent à augmenter les captures par tous les moyens, poussés en cela par les mareyeurs et les fournisseurs d'équipement.

Si aucune mesure administrative n'est prise pour limiter les captures et leur commercialisation, le stock halieutique peut être rapidement épuisé.

Il faut aussi considérer l'influence sur le bassin versant de la commercialisation du poisson sous la forme séchée/fumée; l'utilisation intensive de bois pour le fumage conduit à la déforestation de la périphérie du PPE.

3.3. Principaux facteurs limitatifs et contraintes

3.3.1. Fragilité du milieu

Le rôle des PPE dans la vie des riverains est important: l'eau constitue la première ressource que l'on en tire, alors que le poisson ne représente qu'une production annexe. En conséquence, il est rare qu'un programme de gestion piscicole existe, ou, si c'est le cas, qu'il soit appliqué. Les PPE sont des milieux limités et biologiquement fragiles, dont la vie est souvent menacée par les activités des riverains. Ainsi, l'utilisation de l'eau pour les besoins du village et des cultures peut assécher un PPE.

En l'absence d'égouts, les eaux usées des riverains se déversent directement dans le PPE qui peut, dans un premier temps, être fertilisé et voir ainsi augmenter sa productivité, mais ce stade est très rapidement dépassé et peut évoluer vers l'eutrophisation du milieu. De plus, trop souvent les riverains déversent tous leurs déchets solides dans le marigot voisin qui, non seulement est improductif, mais devient un foyer d'infection.

Les services techniques du gouvernement manquent en général de moyens pour s'occuper de PPE qui ne représentent qu'un potentiel limité pour les activités dont ils ont la responsabilité. Pour les mêmes raisons, il est rare que des financements extérieurs soient attribués à des projets dépassant rarement l'échelle familiale.

3.3.2. Incidence de maladies liées à l'eau

Les PPE sont indispensables à la vie de nombreuses communautés rurales isolées dont ils permettent de satisfaire les besoins en eau. De plus, ils rendent possible la pratique de cultures vivrières nécessitant l'irrigation et fournissent du poisson. Pour ces raisons, les populations ont tendance à construire leurs habitations à leur proximité immédiate, sur les sites protégés des inondations. Mais cela ne va pas sans inconvénients; en effet, plusieurs maladies parasitaires transmissibles à l'homme et au bétail sont provoquées par des agents aquatiques, ainsi que leurs vecteurs.

La maladie la plus courante est le paludisme ou malaria, provoquée par un hématozoaire transmis à l'homme par les moustiques anophèles. La plus grande partie des populations riveraines de PPE est infectée par le parasite mais présente une assez grande résistance à la maladie. L'usage de médicaments préventifs et curatifs par les populations isolées est très limité du fait de leur prix d'achat. Il en est de même pour les moustiquaires.

Une autre maladie très courante à proximité des PPE est la bilharziose, provoquée par des trématodes et transmise à l'homme par des mollusques aquatiques. Ici encore, la prévention est difficile à appliquer parmi les populations riveraines; elle consiste à éviter de marcher pieds nus dans l'eau contaminée ou de s'y baigner. Plus de la moitié des personnes concernées sont porteuses du parasite et peuvent donc contaminer d'autres PPE, même si la maladie ne se déclare que chez quelques individus. La bilharziose se soigne mais le traitement est relativement coûteux et doit être appliqué sous contrôle médical, ce qui encore une fois, limite son application.

Enfin, une troisième maladie liée à l'eau, très fréquente dans les pays sahéliens, est l'onchocercose, provoquée par un filaire, transmis par un moucheron simulie. Elle peut provoquer à la longue, la cécité des personnes atteintes. Ces trois endémies font régulièrement l'objet de programmes régionaux d'éradication organisés en collaboration entre les gouvernements concernés et les agences de coopération internationales et bilatérales. Il s'agit le plus souvent de pulvérisations massives de pesticides destinés à éliminer le vecteurs. Les PPE constituent les cibles privilégiées pour les acteurs de cette lutte chimique, ce qui ne va pas sans provoquer des effets secondaires parfois graves sur les riverains, le bétail et les poissons.

Lorsque les populations riveraines sont denses, le PPE peut devenir spontanément la décharge publique et le collecteur des eaux usées, sans pour autant perdre sa fonction première de point d'approvisionnement en eau domestique. De nombreuses affections apparaissent alors: diarrhée, choléra, mycoses, infections diverses, blessures par déchets tranchants jetés dans l'eau, etc. La prévention de ces maladies est une question d'hygiène publique et familiale (consommation d'eau bouillie, creusement de puits, aménagement de latrines, creusement de canaux d'évacuation des eaux usées, aménagement de décharges) qui peut rester sans réponse dans des régions où d'une part, il est difficile d'obtenir de l'eau non polluée et, d'autre part, les problèmes d'hygiène sont du ressort des femmes qui sont en majorité illettrées et donc difficilement accessibles au messages de vulgarisation, malgré tout leur dévouement et leur désir d'avoir des enfants en bonne santé.

Dans certains cas, lorsque la faible densité de population le permet, la prévention contre ces maladies consiste à déplacer le campement vers un PPE non pollué, la décision étant généralement prise par les chefs traditionnels. Ailleurs, les pouvoirs publics interdisent de façon autoritaire l'accès à l'eau contaminée et la construction de maisons à proximité.

3.4. Principaux facteurs positifs

3.4.1. La grande qualité des PPE est qu'ils sont nombreux, mais aussi variés. Leur grand nombre fait qu'ils sont présents partout, ou à peu près, et qu'ils constituent l'un des centres vitaux de la majorité des villages, car ils fournissent l'eau pour les hommes, les troupeaux et les cultures.

3.4.2. Le poisson du PPE constitue un appoint plus ou moins important. C'est une ressource parfois limitée, mais accessible à tous et de très haute valeur alimentaire.

3.4.3. Les PPE artificiels constituent des pôles de développement dans des régions à saison sèche marquée. Leur variété fait que chaque PPE est un cas particulier, aux ressources propres.

3.4.4. Les femmes sont les principales utilisatrices des PPE. En effet, le transport de l'eau domestique et la réalisation des cultures vivrières sont des activités essentiellement féminines.


Page précédente Début de page Page suivante