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I. INTRODUCTION

1. Antécédents historiques des bilans alimentaires

Les bilans alimentaires donnent une idée d'ensemble de la composition des approvisionnements alimentaires d'un pays durant une période spécifiée. Les premières tentatives d'élaboration de bilans alimentaires remontent à la Première Guerre mondiale. Plus tard, les bilans alimentaires furent la source principale de données quand, en 1936, une comparaison internationale systématique des statistiques de la consommation alimentaire fut effectuée, à la demande du Comité mixte de la Société des Nations sur le problème de la nutrition et de son Sous-comité des statistiques de la nutrition.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, l'intérêt porté aux bilans alimentaires grandit considérablement. Le Comité interallié sur les nécessités de l'après-guerre se servit de ces bilans en 1942-43 pour étudier les besoins des pays européens après la guerre. Une technique plus détaillée fut alors développée et mise en oeuvre par un comité conjoint d'experts du Canada, des Etats-Unis d'Amérique et du Royaume-Uni dans son rapport sur «Les niveaux de la consommation alimentaire aux Etats-Unis, au Canada et au Royaume-Uni». En Allemagne aussi et pendant ces mêmes années, des bilans alimentaires furent élaborés pour le pays lui-même et pour les pays occupés. Les bilans alimentaires jouèrent un rôle important dans les travaux du Conseil international des besoins alimentaires d'urgence qui s'occupa de l'attribution des vivres et de leur distribution pendant la période des vastes pénuries alimentaires de l'après-guerre.

Dès le début, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) ne cessa d'attacher une haute importance au développement des bilans alimentaires, en raison de leur utilité pour l'analyse de la situation alimentaire à l'échelle nationale. Lors de sa 4e session à Washington en 1948, la Conférence de la FAO recommanda que les gouvernements soient encouragés à développer leurs propres bilans alimentaires et que la FAO assiste dans cette tâche les gouvernements qui en ont besoin. Il fut également proposé qu'à l'avenir les bilans alimentaires soient publiés régulièrement pour autant de pays que possible.

En 1949, un Manuel pour la préparation des bilans alimentaires fut publié. La même année, furent publiés pour 41 pays des bilans alimentaires couvrant les périodes 1934-38 et 1947/48, puis en 1950 un supplément contenant les données de 1948/49 pour 36 pays. En 1955, des bilans alimentaires contenant les données de 1950/51 et de 1951/52 furent publiés pour 33 pays, ainsi qu'une révision des données de la période 1934-38. Des suppléments furent publiés en 1956 contenant les données de 1952/53 pour 30 pays, puis en 1957 avec les données de 1953/54 et de 1954/55 pour 29 pays.

En 1957, la FAO décida, pour des raisons méthodologiques, de suspendre la publication de bilans alimentaires annuels et de publier plutôt des bilans alimentaires exprimant des moyennes triennales. La première de ces séries fut publiée en 1958 pour 30 pays, couvrant la période 1954-56; la deuxième en 1963 pour 43 pays, couvrant la période 1957-59; la troisième en 1966 pour 63 pays, couvrant la période 1960-62 et la quatrième en 1971 pour 132 pays, couvrant la période 1964-66. En 1960, furent publiées des séries temporelles couvrant les périodes 1935-39, 1948-50, 1951-53 et 1954-56, et présentant pour 32 pays des données sur la production, la disponibilité, les aliments du bétail et les produits destinés à l'industrie alimentaire, ainsi que sur les approvisionnements disponibles par habitant pour la consommation humaine, en quantités, en calories, en protéines et en lipides.

En 1977, il fut possible de publier des bilans alimentaires provisoires en moyenne triennale 1972-74 pour 162 pays développés et en développement. Pour la première fois, furent inclus pour tous les pays, continents, classes économiques, régions et pour le monde entier, des tableaux de séries temporelles des disponibilités alimentaires par habitant, en équivalent de calories, de protéines et de lipides par grands groupes de denrées, pour la période triennale 1961-63 et par année de 1964 à 1974. L'édition suivante présenta les bilans alimentaires de la moyenne triennale 1975-77 pour 164 pays, accompagnés de séries temporelles des disponibilités alimentaires par habitant et de tableaux indiquant les coefficients de conversion appliqués ainsi que les diverses hypothèses conduisant aux chiffres publiés. Pour la première fois dans ces séries, le tableau des approvisionnements alimentaires par habitant indiquait aussi, en plus des calories, des protéines et des lipides, la disponibilité en certains minéraux (fer, calcium) et certaines vitamines (retinol, thiamine, riboflavine, niacine, acide ascorbique) par groupe d'aliments.

A partir de l'édition 1979-81 qui couvrit 146 pays, les bilans alimentaires en moyenne triennale furent publiés selon un modèle normalisé. La publication renfermant les bilans alimentaires des moyennes de la période 1984-86 contenait, en plus du modèle normalisé des bilans alimentaires par pays, des tableaux de longues séries temporelles des disponibilités par habitant, exprimées en poids du produit et en équivalent de calories, de protéines et de lipides par grands groupes d'aliments. Ces tableaux furent présentés par pays et pour le monde, les pays développés et les pays en développement. L'information de base de ces tableaux fut tirée d'un plus grand nombre de pays que la publication n'en a décrit et couvrit la quasi totalité de la population des pays développés et en développement. L'édition 1992-94 couvrit 175 pays et l'édition 1994-96, presque 180 pays.

Les bilans alimentaires furent la source principale des données utilisées pour l'analyse et l'évaluation de la situation alimentaire mondiale que réalisa la FAO pour la période d'avant-guerre dans sa Première enquête mondiale sur l'alimentation (1946), pour le début de la période d'après-guerre dans la Deuxième enquête mondiale sur l'alimentation (1952), pour la fin des années 1950 dans sa Troisième enquête mondiale sur l'alimentation (1963), pour le début des années 1970 dans sa Quatrième enquête mondiale sur l'alimentation (1977), pour les années 1970 et 1980 dans la Cinquième enquête mondiale sur l'alimentation (1985) et, couvrant les deux décennies de 1969-71 à 1990-92, dans la Sixième enquête mondiale sur l'alimentation (1996). Les bilans alimentaires servirent aussi de source majeure d'information pour établir la base statistique du Plan indicatif mondial de la FAO pour le développement de l'agriculture, dans la perspective duquel furent préparés les bilans alimentaires de la moyenne triennale 1961-1963 pour chacun des 64 pays en développement inclus dans cette étude.

Les données officielles et officieuses dont la Division de la statistique et plusieurs autres unités de la FAO disposent ont servi à l'élaboration de ces bilans. L'Organisation a suppléé au manque de certaines données par des estimations basées sur des résultats d'enquêtes, des informations diverses et les travaux de ses propres experts. Il a également été tenu compte des commentaires sur les éditions précédentes des bilans alimentaires en moyenne triennale et des suggestions reçues des pays en vue de leur amélioration.

2. Nature des bilans alimentaires

Répétons-le, un bilan alimentaire donne une idée d'ensemble de la composition des approvisionnements alimentaires d'un pays durant une période de référence donnée. Le bilan alimentaire indique pour chaque denrée - c'est-à-dire pour chaque produit primaire et pour un certain nombre de produits transformés potentiellement utilisables pour la consommation humaine - les sources d'approvisionnements et leur utilisation. La quantité totale des denrées alimentaires produites dans un pays, majorée de la quantité totale importée et ajustée en fonction des variations éventuelles des stocks depuis le début de la période de référence, correspond aux disponibilités durant cette période. Du côté de l'utilisation, il faut distinguer les quantités exportées, utilisées pour l'alimentation animale, employées comme semences, transformées à des fins alimentaires ou autres, les pertes en cours de transport et de stockage et les approvisionnements disponibles pour l'alimentation humaine au niveau du détail, c'est-à-dire lorsque les denrées quittent le magasin de détail et qu'elles entrent dans le ménage. Pour obtenir les disponibilités par habitant de chaque denrée utilisée pour la consommation humaine, on divise les quantités respectives par le nombre des personnes qui ont eu effectivement accès à ces approvisionnements. Les disponibilités alimentaires par habitant sont exprimées en quantités et, par application de coefficients appropriés de composition des aliments pour tous les produits primaires et transformés, aussi en calories, en protéines et en lipides.

Etablis régulièrement sur plusieurs années, les bilans alimentaires annuels montrent l'évolution des disponibilités alimentaires nationales totales, révèlent les changements qui peuvent être intervenus dans les types d'aliments consommés, donc dans la structure du régime alimentaire, et indiquent dans quelle mesure les approvisionnements alimentaires du pays sont dans l'ensemble ajustés aux besoins nutritionnels.

En regroupant la plus grande partie des statistiques alimentaires et agricoles concernant chaque pays, les bilans alimentaires servent également à l'examen détaillé et à l'analyse de la situation alimentaire et agricole du pays. En tant qu'estimations des disponibilités nationales globales, les bilans alimentaires conviennent à l'estimation des pénuries et des excédents d'ensemble dans le pays. Ils sont également utiles au développement de projections des besoins futurs de l'approvisionnement alimentaire ou de la future demande alimentaire, à la détermination des objectifs de la production et du commerce agricoles, à l'établissement des relations entre les disponibilités alimentaires nationales, la famine et la malnutrition, ainsi qu'à l'évaluation des politiques nationales de l'alimentation et de la nutrition. Les bilans alimentaires offrent aussi une base solide à l'analyse politique et au processus de décision qu'implique le maintien de la sécurité alimentaire. C'est la raison pour laquelle les organisations internationales, les gouvernements, les planificateurs et les chercheurs y trouvent un intérêt inestimable pour déterminer dans quelle mesure un pays dans son ensemble se rapproche des régimes alimentaires recommandés pour la nation. En comparant les quantités d'aliments disponibles pour la consommation humaine et les quantités importées, on peut voir dans quelle mesure le pays dépend des importations pour se nourrir (taux de dépendance des importations). De même, en comparant la quantité de produits végétaux utilisés pour l'alimentation des animaux et la production végétale totale, on voit dans quelle mesure les ressources alimentaires primaires sont utilisées à la production d'aliments pour les animaux, ce qui est bon à savoir pour analyser les politiques de l'élevage ou la structure de l'agriculture. Les statistiques de disponibilités par habitant sont indispensables pour établir des projections de la demande alimentaire avec d'autres éléments, tels que les coefficients d'élasticité/revenu, les projections des dépenses privées de consommation et les projections démographiques.

En principe, les bilans alimentaires donnent la mesure des approvisionnements alimentaires de la population, mais dans la réalité, il leur est souvent impossible de réconcilier la pratique avec la théorie. Par conséquent, il est souvent reproché aux bilans alimentaires de ne pas toujours répondre à l'attente des utilisateurs de données statistiques. Les bilans alimentaires donnent la mesure de la consommation humaine dans la perspective de la disponibilité alimentaire. Ils ne donnent aucune indication sur les différences de régime alimentaire qui peuvent exister entre divers groupes de population qui se distinguent, par exemple, par la catégorie socio-économique, l'aire écologique ou la zone géographique de résidence, à l'intérieur du même pays. Les bilans ne fournissent pas non plus d'indication sur les variations saisonnières des disponibilités alimentaires. Pour obtenir un tableau vraiment complet de la situation, il faudrait effectuer à des périodes différentes de l'année des enquêtes de consommation alimentaire montrant la répartition des ressources alimentaires nationales entre les différents groupes de la population. En fait, les deux séries de statistiques se complètent l'une l'autre. Pour certains produits, les estimations de consommation tirées des enquêtes de consommation permettent de dériver les meilleures estimations de la production. A l'inverse, pour certains autres produits, les statistiques de production, de commercialisation et d'utilisation conduisent à de meilleures estimations de la consommation à l'échelle nationale que les données dérivées des enquêtes de consommation alimentaire.

Les résultats des enquêtes de consommation alimentaire dans les ménages constituent souvent, et pour la plupart des analystes, la source préférée des estimations de la consommation alimentaire, parce qu'ils offrent plus d'informations sur la consommation humaine que les bilans alimentaires. Comme les données de ces enquêtes sont collectées auprès des personnes qui achètent et consomment les produits alimentaires, il est possible d'en dériver, par exemple, des informations sur les caractéristiques de la consommation des enfants, des personnes âgées, des personnes de sexe masculin ou féminin, et des populations rurales ou urbaines. Les bilans alimentaires ne permettent pas de dériver ce genre d'informations. Toutefois, à défaut d'une série internationale étendue de résultats d'enquêtes dans les ménages, les bilans alimentaires constituent l'unique source de statistiques normalisées qui se prêtent aux comparaisons internationales d'une période sur l'autre.

3. Sources des données de base

Les bilans alimentaires sont établis en exploitant des données de base tirées de sources diverses. La qualité des bilans et leur couverture diffèrent considérablement selon les pays et les produits. Des inexactitudes et des erreurs peuvent s'introduire à chaque stade de l'élaboration d'un bilan. Les limites de ces statistiques devront donc rester présentes à l'esprit de leurs utilisateurs. Idéalement, toutes les statistiques de base nécessaires à la préparation des bilans alimentaires devraient provenir d'une seule et même source. Ceci implique, premièrement, que le pays devrait posséder un système statistique étendu qui enregistre toutes les informations relatives à chaque élément du bilan alimentaire depuis le niveau de la production jusqu'au niveau de la consommation. En deuxième lieu, il faudrait que les concepts régissant l'information et les concepts régissant les bilans alimentaires soient les mêmes. Enfin, l'information disponible doit être cohérente, tout au moins pour ce qui concerne les unités de mesure et la période de référence. Cependant, tel système statistique idéal n'existe pas dans la pratique. Même dans les quelques rares pays, industrialisés surtout, qui possèdent des systèmes d'information particulièrement avancés, les données disponibles ne respectent pas toujours les conditions deux et trois ci-dessus. C'est pourquoi, dans la pratique, les données de base sont inévitablement puisées à des sources très variées. Les principales sources d'usage courant sont évoquées dans les paragraphes suivants.

Les données sur la production et le commerce font partie des statistiques nationales officielles courantes. Elles sont directement tirées des enquêtes et des rapports ou bien elles résultent d'estimations faites par les services gouvernementaux. Les informations sur les variations des stocks sont disponibles auprès des autorités commerciales et des fabriques ou bien à partir des enquêtes sur les stocks à la ferme. Les informations sur les utilisations industrielles proviennent des recensements et des enquêtes au niveau des usines et des ateliers de transformation. Les taux d'ensemencement et les taux d'utilisation pour l'alimentation animale sont extraits des enquêtes sur les coûts de production, à moins qu'ils ne soient estimés par les services publics compétents en la matière. Les pertes à la transformation sont également extraites des enquêtes industrielles.

Comme les données de base proviennent de sources diverses, elles courent le risque de manquer de cohérence. Il est peu probable que les concepts qui les sous-tendent soient les mêmes que ceux des bilans alimentaires, car elles n'ont pas été programmées dans ce but dès l'origine. Quant à la période de référence, elle peut manquer de cohérence çà ou là, et la disponibilité des données peut être entrecoupée d'intervalles creux. En outre, les données recueillies sont souvent incomplètes ou peu fiables. De toute évidence, il est quasiment impossible d'incorporer de telles données dans le cadre des bilans alimentaires. Pour garder aux bilans alimentaires un certain niveau de cohérence, de complétude et de fiabilité, il peut donc se révéler nécessaire d'ajuster les données de base et de combler les lacunes par des estimations. Dans certains cas, l'exercice devra se baser aussi sur d'autres sources extérieures.

4. Problèmes conceptuels relatifs à l'établissement des bilans alimentaires

Fréquemment se pose un problème conceptuel relatif à la couverture et à la représentativité des statistiques de base. Les statistiques de production ne couvrent généralement que les principales cultures vivrières commercialisées. Le plus souvent, la production de subsistance non commercialisée - à savoir la production domestique et les aliments que les ménages tirent de la chasse, de la pêche et de la cueillette - n'est pas incluse, alors qu'elle peut constituer, dans certains pays, une proportion notable des approvisionnements. Les enquêtes sur la transformation des aliments ne portent dans certains cas que sur les établissements industriels d'une certaine taille. Il arrive que l'on dispose d'informations sur les stocks commerciaux auprès des instances officielles ou des autorités commerciales, des industriels, des grossistes et des détaillants, mais que les inventaires des centres de restauration collective et autres institutions et ceux des ménages ne soient pas disponibles. De même, il arrive que l'information sur les pertes à la transformation industrielle soit disponible, tandis que l'information sur les pertes en cours de transport et de stockage et sur les quantités de vivres détruits expressément à des fins de contrôle des prix ou de prévention des épidémies ne l'est pas.

En de tels cas, et même si les statistiques de base sont fiables, certains ajustements sont requis pour adapter les statistiques de base aux concepts qui régissent la formulation des bilans alimentaires et, d'autre part, à l'éventail des produits couverts.

Généralement, les lacunes de l'information de base et ses inexactitudes constituent le problème principal qui se rencontre dans les pays. Parfois, les statistiques de production ne sont pas disponibles pour tous les produits voulus et, même lorsqu'elles sont disponibles, ces statistiques ne sont pas toujours fiables. Cela peut résulter du fait que les systèmes agricoles et l'utilisation des récoltes sont quelquefois plutôt complexes dans les pays en développement, au point de compromettre l'estimation de la production. C'est ainsi que le manioc, par exemple, ou certains fruits et certains légumes sont récoltés en continu sur une longue période, à intervalles réguliers ou irréguliers, ce qui rend encore plus compliquée l'estimation de la production. En outre, la production de certaines cultures vivrières comme le manioc ou la banane plantain n'est pas récoltée complètement, soit qu'une partie reste en place et sert de réserve où puiser en cas de besoin, soit qu'on la laisse pourrir sur pied. Qui plus est, certains types d'aliments ne sont pas nécessairement couverts par les bilans alimentaires, dans la mesure où ils ne sont pas repris dans les statistiques nationales de la production. Certains produits carnés, le gibier, les animaux sauvages et les insectes peuvent se trouver exclus des bilans pour cette raison. Or, il arrive que les conditions de vie soient telles, notamment dans les pays en développement, que ces viandes représentent une part considérable de la faible consommation de protéines d'origine animale. Il arrive aussi que les principaux végétaux ne soient pas exploités en cultures pures, mais bien en cultures mixtes d'une complexité déroutante. La fiabilité des données officielles de production peut être sujette à caution. Ceci résulte d'une part du fait que les fermiers identifient souvent la production à la collecte des impôts et, d'autre part, qu'on ne dispose habituellement pas de statistiques fiables sur les pertes que les prédateurs et les maladies infligent aux cultures céréalières avant la récolte. Donc, les estimations de rendement sont probablement inexactes et, s'il en est ainsi, les statistiques de production dérivées de la superficie récoltée et du rendement estimé sont également sujettes à caution.

Les statistiques d'importation et d'exportation peuvent être exactes dans la plupart des pays, mais il arrive, dans certains d'entre eux, que des quantités importantes de denrées traversent les frontières nationales sans être déclarées. De plus, les transactions à l'exportation et à l'importation ne reçoivent pas toujours une égale attention de la part de l'administration des douanes, parce que les taxes et/ou les contrôles quantitatifs touchent généralement les importations plus que les exportations. En conséquence, la fiabilité des statistiques d'exportation peut être sujette à caution.

Les statistiques de base sur la part des approvisionnements utilisés dans l'alimentation animale, aux semis et par l'industrie de transformation sont relativement peu disponibles. Les taux d'ensemencement des végétaux sont assez bien documentés dans la plupart des pays, mais il convient de tenir compte de diverses considérations dès qu'il s'agit d'estimer les quantités données en nourriture aux animaux. En effet, les pratiques de nourrissage varient d'un pays à l'autre selon l'étendue et la qualité des pâturages, selon le mode d'élevage plus ou moins intensif, selon le prix des provendes, etc. Par ailleurs, la qualité des farines et autres provendes données aux animaux peut aussi varier d'une année à l'autre.

Le coût des enquêtes sur la production et la transformation, qui constituent les sources de données appropriées, empêche la plupart des pays en développement d'entreprendre régulièrement ces exercices. Là où ces enquêtes se font, leur couverture est habituellement restreinte soit, par exemple, que le coût de l'enquête ne permette de couvrir que les cultures vivrières principales, soit qu'il ne permette pas de couvrir les produits de l'élevage, etc... De plus, les statistiques sur les variations de stocks et sur les pertes sont souvent presque inexistantes ou, au mieux, leur champ présente de nombreuses lacunes; pour certains produits, par exemple, l'information sur les stocks commerciaux n'est parfois disponible auprès des sources officielles ou des autorités commerciales que de temps en temps.

Les chiffres démographiques font aussi partie de l'ensemble des statistiques régulièrement suivies par les services publics. Les disponibilités par habitant de chaque denrée alimentaire sont calculées à partir des disponibilités totales pour la consommation humaine, en divisant ce chiffre par la population totale qui a effectivement eu accès aux approvisionnements alimentaires durant la période de référence, c'est-à-dire par la population présente de facto. Toutefois, dans nombre de pays, ce chiffre peut également prendre appui sur des données lacunaires ou douteuses. Il arrive que les estimations de la population totale se réfèrent exclusivement à la population résidente, c'est-à-dire à la population de jure. Ainsi, la population non-résidente, tels les immigrés illégaux, les touristes, les réfugiés, le personnel diplomatique étranger et leur famille, les forces armées étrangères et les autres catégories semblables ne sont pas incluses. Dans certains pays, cette omission peut concerner une fraction importante de la population de fait. Ceci conduit alors à sous-estimer le nombre des personnes qui ont eu accès aux approvisionnements.

Des problèmes peuvent également se poser quant au choix de la période de référence des bilans alimentaires. Diverses périodes de douze mois ont été suggérées et même appliquées: juillet-juin, octobre-septembre, avril-mars, par exemple. Cependant, aucune de ces périodes n'assure à tous les produits la couverture satisfaisante et uniforme de leur production, de leur commercialisation et de leur utilisation intérieure. On peut supposer qu'aucune période unique de douze mois ne conviendrait parfaitement à l'enregistrement des données sur la disponibilité et l'utilisation de l'ensemble des produits. C'est pourquoi le sentiment prévaut que, si l'année civile (janvier-décembre) n'offre peut-être pas une solution tout à fait satisfaisante au problème de la période de référence, ses avantages semblent l'emporter sur ses inconvénients. Le choix de l'année civile comme période de référence durant laquelle a lieu le gros de la récolte a l'avantage aussi d'aider à l'harmonisation des statistiques agricoles avec celles de l'industrie et des autres secteurs de l'économie.

5. Exactitude des bilans alimentaires

L'exactitude des bilans alimentaires, qui sont essentiellement des statistiques dérivées, dépend naturellement de la validité des statistiques de base de la population, des approvisionnements, de l'utilisation des aliments et de leur valeur nutritive. Le champ et l'exactitude de ces statistiques varient beaucoup d'un pays à l'autre. En fait, elles présentent de nombreuses lacunes, surtout en ce qui concerne les utilisations non alimentaires, par exemple pour l'alimentation animale, pour les semis et pour la transformation industrielle, et aussi en ce qui concerne les stocks à la ferme, les stocks commerciaux et même les stocks publics. Pour surmonter la première de ces difficultés, on peut établir des estimations, tandis que l'effet de l'absence de statistiques des stocks est considéré comme étant atténué par la préparation de bilans alimentaires représentant une moyenne sur trois ans. Mais même les statistiques de la production et des échanges commerciaux, dont dépend le plus l'exactitude des bilans alimentaires, peuvent souvent être améliorées par des enquêtes statistiques appropriées effectuées sur place. En outre, très rares sont les enquêtes qui permettent d'obtenir des chiffres fiables pour les déchets, et ces chiffres sont parfois très sujets à caution. Le plus souvent, les hypothèses utilisées pour les déchets reposent sur l'opinion d'experts recueillie dans les pays. L'identification des lacunes principales de l'information pourrait stimuler les pays sur la voie de l'amélioration des statistiques nationales à la source.

La garantie de la qualité des bilans alimentaires est recherchée par une suite de procédures de vérification de la fiabilité de toutes les informations rassemblées et publiées. Les composantes des bilans alimentaires sont des transformations complexes de données provenant de sources aussi diverses que des enquêtes par sondage, des recensements, des rapports administratifs et des estimations au mieux, ce qui rend compliquée la tâche de garantir la qualité de l'ensemble. La qualité des données varie d'une source à l'autre et n'a généralement pas été évaluée. Les transformations elles-mêmes et les facteurs de conversion utilisés pour estimer les quantités des produits transformés et calculer la valeur nutritionnelle des aliments influencent aussi la précision des statistiques, rendant d'autant plus compliquée la tâche de garantir la qualité du bilan.

La manière usuelle de s'assurer de la qualité d'un bilan alimentaire consiste à recouper les unes avec les autres toutes les informations statistiques, notions sous-jacentes, définitions et méthodes, afin de les soumettre à vérification par une vigoureuse succession de tests de cohérence et de comparaisons avec d'autres informations pertinentes. Cependant, la cohérence n'est pas en elle-même une garantie de qualité, car les données peuvent être cohérentes sans être forcément exactes. Une des plus intéressantes techniques de vérification des données pour l'évaluation de la qualité d'un bilan alimentaire est d'une grande simplicité: elle consiste à comparer les agrégats statistiques du bilan avec toutes les informations supplémentaires disponibles.

Une fois que les estimations des autres composantes de la disponibilité intérieure ont été établies, l'estimation des quantités d'aliments disponibles pour la consommation humaine est habituellement dérivée par différence. Puisque l'estimation des quantités d'aliments disponibles pour la consommation humaine est faite par différence, sa fiabilité dépend de la disponibilité et de l'exactitude des autres termes de l'équation dont elle constitue le solde. Si la plupart des données de base sont disponibles et fiables et que les ajustements se fondent sur des jugements solides, l'estimation des quantités d'aliments disponibles pour la consommation humaine est probablement fiable, elle aussi.

En revanche, il va de soi que si les données de base sont lacunaires et douteuses, l'estimation de la quantité d'aliment disponible pour la consommation humaine a peu de chance d'être exacte. Qui plus est, puisque cette estimation est obtenue en solde, il n'est pas possible de quantifier l'erreur ni même de déterminer son sens. Les estimations des quantités aliments disponibles pour la consommation humaine étant fréquemment utilisées dans différentes études de l'alimentation et de la nutrition, il faut souhaiter qu'une estimation plus fiable et mieux fondée de cette composante soit disponible. Donc, il faudrait, au minimum, que les quantités d'aliments disponibles pour la consommation humaine puissent être estimées séparément et sur la base de statistiques tirées d'autres sources. Les enquêtes auprès des ménages, qui collectent des données sur les quantités de produits alimentaires consommés ou acquis constituent l'une de ces sources éventuelles. Bien entendu, la reconnaissance de ces résultats d'enquêtes comme bases statistiques utiles à l'information sur la disponibilité alimentaire n'implique pas nécessairement qu'on les utilise tels quels comme estimations de la disponibilité alimentaire. Il faut plutôt utiliser ces résultats d'enquêtes comme des ressources ou comme des points de départ dans un processus d'ajustements qui devront tenir compte des différences conceptuelles, des jugements portés sur la qualité des données, et qui devront aussi prendre en considération la cohérence entre ces données et les valeurs ou les estimations attribuées aux autres composantes du bilan alimentaire. Une utilisation des résultats d'enquêtes ainsi conçue contribue sûrement à réduire la nécessité de recourir à l'approche par solde ou par différence pour dégager des estimations de la disponibilité alimentaire; elle permet aussi de traiter avec plus de souplesse les autres composantes dont les fondements statistiques sont maigres.

On estime néanmoins que les bilans alimentaires, souvent considérés comme très peu satisfaisants du point de vue strictement statistique, donnent une image approchée de l'état des disponibilités totales dans les pays, image qui peut être utilisée pour des études économiques et nutritionnelles, pour l'élaboration de plans de développement et pour la formulation de projets correspondants.

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