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12. MISE EN OEUVRE


12.1 Réaction de la communauté de pêcheurs

Les pêcheurs ont réagi initialement au projet en fonction de leur expérience préalable en matière d'aide extérieure. La première réunion de personnel de terrain s'est toujours passée avec des chefs et d'autres anciens. Sur accord de ces derniers, la seconde étape a consisté habituellement en une réunion à caractère plus public. Dans certains établissements la réaction initiale a été marquée par le soupçon, la méfiance et même le dédain. Dans d'autres, elle a été plus ou moins nettement positive, notamment dans un cas où les villageois ont construit, de leur propre initiative et à leur frais, une hutte pour héberger le personnel des unités de traitement des pêches lors de ses passages dans la communauté. La plupart du temps l'approche concrète adoptée dans le cadre du projet, s'abstenant de faire des promesses emphatiques, et laissant la majorité des décisions aux pêcheurs, tout en stipulant que l'obtention d'une aide pour les microprojets exigeait de leur part une contribution en termes de temps, de matériaux et de main-d'œuvre, les a convaincus de prendre le projet au sérieux.

Hormis un ou deux incidents, les pêcheurs sont devenus en temps opportun les éléments les plus stables, les plus actifs et les plus disponibles du projet. Les taux de remboursement des prêts ont été variables mais, en règle générale, sont restés à des niveaux acceptables. D'après un membre de la mission de 1998 du Fonds de garantie pétrolier PTF, il y avait eu récemment semble-t-il un désaccord entre les agents de vulgarisation locaux et certains responsables bancaires quant aux taux de remboursement. Les chiffres officiels, comme les informations du personnel de terrain faisaient état d'un bon taux de remboursement; par contre, d'après certaines opinions formulées au sein de la Banque agricole coopérative du Nigéria, le ralentissement récent des avances de fonds était imputable à la faiblesse du taux de remboursement; aussi la banque souhaitait-elle attendre que les remboursements aient atteint un certain niveau avant de consentir de nouveaux prêts. D'autre part, certaines des raisons à l'origine du ralentissement ont sans doute été tout à fait autres, tel qu'indiqué ci-après au paragraphe 12.6.

Les microprojets de développement communautaire ont progressivement recueilli une très large adhésion, les villages attendaient leur tour pour la mise en oeuvre de leurs projets: dans un cas, un conflit violent a même éclaté entre deux villages au sujet de leur place dans la file d'attente. D'après la mission récente du Fonds de garantie pétrolier, l'impact social le plus spectaculaire a sans doute été celui de la composante microprojets. Les propositions formulées dans le cadre du projet propre au Fonds PTF ont porté sur plusieurs initiatives de ce type (J. Miller et D. Thomson, communication personnelle).

12.2 Comportement du personnel du projet

Pratiquement sans exception, le personnel du projet s'est très bien comporté. La motivation nécessaire a été assurée conjointement par les mesures d'incitation financière (les indemnités de mission versées pour les journées passés effectivement sur le terrain devaient pratiquement doubler le salaire normal) et par la formation préparatoire. Leur action a été, dans l'ensemble, couronnée de succès en dépit des fréquentes contrariétés généralement imputables aux différentes bureaucraties, notamment des États, par exemple des retards dans le paiement des indemnités; ils n'ont été que rarement déçus dans leurs rapports avec les pêcheurs.

12.3 Comportement des banques

Initialement, la direction et le personnel permanent de la Banque coopérative agricole du Nigéria ont été lents à accepter le principe et la démarche du projet. La notion même de «banquiers aux pieds nus», arpentant des plages lointaines pour mettre au point des prêts bancaires à l'intention de pêcheurs ruraux n'offrant aucune garantie, était parfaitement étrangère à tout ce que leur avaient appris leurs enseignants occidentaux ou formés à l'occidentale. L'idée selon laquelle une banque pouvait consentir un prêt garanti collectivement par une dizaine ou une vingtaine d'indigents, leur apparaissait encore plus étrange. Or, à la suite de l'atelier et du programme de formation initiale, certains cadres supérieurs de la banque ont été gagnés par l'enthousiasme communicatif de leur personnel de terrain et de façon générale, les succursales bancaires de la région, comme du siège central, ont bien coopéré. De plus, lors de la phase préparatoire au siège de la banque coopérative agricole du Nigéria, la collaboration d'un consultant chargé de participer à l'adaptation des procédures bancaires aux caractéristiques du projet, a contribué à assurer une participation efficace de la banque.

Néanmoins, chaque remise de fonds sur le terrain a généralement pris un temps excessif, provoquant ainsi l'insatisfaction des membres du personnel de terrain, comme celle des pêcheurs bénéficiaires des prêts. Par ailleurs, les procédures bancaires ont été un facteur seulement parmi d'autres à l'origine de ces retards. Il y a lieu également de citer la nécessité de faire passer tous les documents par le siège du projet à Abuja, la capitale du Nigéria, par la Banque centrale du Nigéria, et également par le siège du FIDA et enfin, de les renvoyer au Nigéria. Les exigences procédurales strictes propres au FIDA conçues dans le style du système bancaire international ont par ailleurs été difficiles à observer, ce qui a contribué à aggraver les retards. Le circuit de l'argent fonctionnait cependant non sans quelques grincements parfois, et les prêts étaient octroyés, puis remboursés.

Récemment toutefois, la banque a ralenti considérablement ses prestations en faisant valoir la faiblesse du taux de remboursement des prêts. Techniquement, le personnel de terrain assurait le traitement des demandes de prêts, et non la banque proprement dite, de telle sorte que cela n'aurait pas dû se produire. Différentes rumeurs entretenaient certains soupçons: le fait que l'achat du silence de certains n'ait pas eu les effets escomptés aurait contribué à entraver le bon fonctionnement du système; ces rumeurs laissaient en outre supposer l'existence de problèmes de gestion au niveau de la direction de la banque. Selon une opinion formulée, la banque n'a pas déployé assez d'efforts pour faciliter le remboursement des prêts en détachant un personnel de terrain suffisant, sous le prétexte du coût excessif que comporterait cette mesure (Reddy, 1991; et communication confidentielle).

12.4 Rôle de la politique et comportement des pouvoirs publics, des Etats et des provinces

Les difficultés rencontrées par le projet sont venues essentiellement de là. Les pouvoirs publics des Etats faisaient preuve de mauvaise volonté pour s'acquitter de leurs responsabilités vis-à-vis du projet, les dignitaires abusaient de leur pouvoir afin d'utiliser les véhicules et les embarcations du projet à des fins tant officielles que privées, les directeurs des départements des pêches de certains Etats ne reconnaissaient pas l'autonomie du personnel du projet ou des dirigeants correspondants au niveau de chaque État, et certains mêmes n'avaient cesse de les avoir entièrement sous leur coupe.

Pendant les phases d'évaluation et de préparation, les commissaires (ministres d'État) en poste ont été soigneusement informés quant au principe du projet. Malheureusement, dans les années qui ont suivi il y a eu un grand nombre de changements de commissaires (et de leurs directeurs généraux) - jusqu'à trois à quatre changements dans chaque Etat. Il en résulté une détérioration de la connaissance du projet par les titulaires successifs. Au cours des deuxième et troisième années du déroulement du projet, suite au changement de pouvoir et à la tenue d'élections dans chaque Etat, les commissaires ont été nommés par le pouvoir politique. Or, les obligations et les aspirations des personnes nouvellement nommées étaient nettement plus complexes que celles de leurs prédécesseurs, qui avaient été nommés par le gouvernement militaire. De plus, l'effet le plus préjudiciable de ce changement a été une dégradation dans le versement des fonds de contrepartie, qui a compromis la réalisation des microprojets.

Cette situation a créé un terrain favorable aux pressions politiques. Les administrations des Etats, jusqu'aux gouverneurs, aux commissaires et aux directeurs des pêches, ainsi que les administrations locales (provinciales), se sont efforcées d'avoir le plus possible leur mot à dire sur tous les aspects du projet. En fait, elles voulaient contrôler le choix des établissements participants, le fonds de développement villageois et les microprojets communautaires, les bénéficiaires des prêts, et tout aspect susceptible de les doter d'une influence politique. Bref, les pouvoirs publics locaux n'ont pas toujours été utiles à la mise en oeuvre des projets.

Lors d'un séminaire d'évaluation organisé par le projet, un comité spécial a fait observer que le précédent régime militaire, tout à fait à l'inverse des nouvelles administrations civiles des Etats, «était sincère et optimiste à l'égard du projet et faisait face aux besoins correspondants en matière de financement de contrepartie.» En revanche, l'administration civile a été caractérisée par son «manque d'empressement, son apathie et son absence de véritable engagement». Parmi les termes utilisés par le comité pour qualifier l'administration civile figuraient notamment des expressions telles que «absence de sérieux», «soutien purement verbal», «tendance incontournable aux manœuvres politiques», et «marginalisation permanente du secteur des pêches». La situation réelle n'était pas exactement la même dans chacun des trois Etats, étant à cet égard nettement meilleure dans l'Etat de Rivers par comparaison à celui d'Akwa Ibom, et intermédiaire dans celui de Cross River (A. Keleshis; et J. Miller, communication personnelle).

12.5 Le phénomène de la corruption

Les concepteurs du projet étaient parfaitement conscients du fait que la corruption, phénomène incontournable au Nigéria, risquait facilement de détruire le projet. Aussi, un vaste effort pédagogique pour lutter contre ce fléau a été engagé pendant la période de formation. La méthode de la carotte et du bâton choisie par le projet reposait d'une part sur des indemnités relativement élevées versées aux membres des unités de développement des pêches et d'autre part, sur la menace de renvoi du personnel du projet de toute personne demandant ou acceptant des pots de vin. Les dirigeants communautaires ont été informés de cette dernière disposition, tandis que le personnel de terrain savait qu'il avait tout intérêt à ne pas s'impliquer dans l'extorsion de pots de vins. Par contre, il n'en a pas été ainsi dans le cas de personnels extérieurs au projet, plus élevés dans la hiérarchie, dont certains paraît-il ont cherché à obtenir des avantages matériels et politiques en venant se greffer à un projet de cette envergure dans leur région. De plus, le récent ralentissement, voire l'interruption du programme de prêts, s'explique sans doute notamment par les erreurs de gestion commises à l'intérieur de la banque chargée des décaissements, et par les pots de vins escomptés dans certaines de ses succursales (communication confidentielle; et A. Keleshis et D. Thomson, communications personnelles).


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