Page précédente Table des matières Page suivante


La pêche artisanale à la baleine en Amérique du Nord[1] (par Milton M.R. Freeman)

Institut canadien circumpolaire
Université d'Alberta
Edmonton, Alberta
T6G 2E1 Canada

1. INTRODUCTION

Bien que la sécurité alimentaire soit souvent définie en termes économiques (par ex., FAO, 1995) et diététiques, elle dépend également à l'évidence d'autres facteurs non économiques. De fait, la notion même de ce qui constitue une ressource alimentaire est en soi une construction culturelle. Sur le point de savoir ce que l'on peut considérer ou non comme une ressource alimentaire, on trouve de nombreux exemples; ainsi, une espèce jusqu'à présent dépréciée devient la cible d'une nouvelle pêche alimentaire à l'issue d'un processus d'éducation des consommateurs, parallèlement à un développement du marché et du produit correspondant.

Cette situation, marquée par le caractère évolutif de l'acceptabilité des aliments, prévaut également dans la région arctique et concerne des pêches axées davantage sur l'économie locale (de «subsistance») non monétarisée, que sur l'économie de marché. Il y a une trentaine d'années dans certaines régions arctiques canadiennes, les chabots (Myoxocephalus spp. et Scorpio spp.), ainsi que le cabillaud arctique (Boreogadus saida), récoltés en tant que captures accessoires des pêches au filet maillant, étaient jugés utilisables seulement comme nourriture pour chien, appât pour renard, ou aliment réservé aux périodes de pénurie; or, de nombreux Inuits, dont l'existence est plus sédentaire et moins exposée aux risques économiques, pêchent aujourd'hui régulièrement la morue et le chabot, et les intègrent à leur régime alimentaire quotidien.

Pour ces raisons, les facteurs sociaux et culturels doivent être soigneusement pris en compte lors de l'examen des questions de sécurité alimentaire. Tel est particulièrement le cas des problèmes posés par les pêches internationales, puisqu'ils mettent en jeu des différences culturelles très marquées entre gestionnaires et pêcheurs, et que les points de vue des populations rurales risquent spécialement dans ce contexte de passer au second plan ou d'être ignorés. Lors de la formulation de politiques «globales» il est fréquent que des décisions apparemment judicieuses aux yeux des décisionnaires des villes puissent paraître irrationnelles ou pitoyablement inappropriées dans les zones rurales concernées par les choix en question. Aussi n'est-il pas surprenant que l'assemblée des organisations non gouvernementales représentant les intérêts des pêcheurs et des populations locales lors de la conférence de Kyoto de 1995 sur les pêches et la sécurité alimentaire, ait invité instamment les délégués à:

Reconnaître et respecter l'importance des cultures et des traditions et empêcher tout groupe et toute nation d'imposer ses propres valeurs morales, éthiques ou esthétiques aux autres.

Ce plaidoyer en faveur d'une meilleur compréhension a effectivement été inscrit dans la version finale de la Déclaration et du Plan d'action de Kyoto, dans laquelle les délégués:

Demander un plus grand respect et une plus grande compréhension des différences sociales, économiques et culturelles qui existent entre les États et les régions concernant l'utilisation des ressources aquatiques vivantes, et en particulier la diversité culturelle des habitudes alimentaires...

Dans le domaine des pêches, un problème illustre sans doute particulièrement bien le hiatus culturel susceptible d'apparaître lorsqu'il est question de l'utilisation des mammifères marins à des fins de consommation. Certes, des différences idéologiques entre ceux qui jugent acceptable de tuer des mammifères pour se nourrir et ceux pour lesquels de telles actions sont inadmissibles, existent depuis de nombreuses décennies; or, certains de ceux qui admettaient autrefois l'abattage des animaux pour des besoins alimentaires, jugent à présent inadmissible que l'on continue à tuer des baleines dans ce but. Les raisons de ce changement ne seront pas examinées dans la présente étude mais ont été analysées dans d'autres publications (par exemple, Cawthorn, 1999; Freeman, 1990; 1997; Kalland, 1993; Lunge, 1992).

Toutefois, un certain nombre de sociétés de l'Arctique, de l'Atlantique Nord, du Pacifique Nord, des Caraïbes et de l'Asie du Sud-Est continuent en fait à chasser la baleine et à l'utiliser à des fins de consommation. D'après la tendance récemment observée, la chasse à la baleine connaît actuellement une intensification (CBI, 1999), avec plus de 98 pour cent des baleines et des petits cétacés tués chaque année lors d'opérations ciblées de chasse à la baleine, dans les zones relevant de juridictions nationales ou régionales, évitant ainsi les répercussions socio-économiques, culturelles et alimentaires particulièrement préjudiciables provoquées par les dissonances culturelles à l'origine du grave dysfonctionnement constaté dans la gestion du régime mondial de chasse à la baleine (Burke, 1997; Friedheim, 1997; Aron et al., 2000).

La présente monographie étudie la pêche artisanale à la baleine menée dans les zones les plus septentrionales de l'Amérique du Nord. Depuis des milliers d'années, les Inuits la population autochtone de la région ont considéré les différentes espèces de baleines comme d'importantes sources de denrées alimentaires. Bien que la peau, les os, les muscles, et l'ivoire aient joué un grand rôle à des fins non alimentaires, le niveau de sécurité alimentaire assuré par ces animaux dotés d'une masse corporelle considérable est à l'origine de leur importance persistante dans l'alimentation des Inuits. Aussi, le rôle des baleines et de la consommation des produits qui en sont dérivés repose-t-il sur un certain nombre de considérations autres qu'alimentaires et contribue-t-il au maintien de l'identité culturelle des Inuits.

Dans ce contexte, cette étude de cas se propose d'examiner les événements sociaux et culturels propres à renforcer la sécurité alimentaire de ces sociétés du grand Nord et inversement, les facteurs qui la compromettent. En rapport avec l'aménagement de ces pêches arctiques, il sera également question des institutions, des pratiques et des normes sociales et culturelles qui concourent à la durabilité de la chasse aux mammifères marins.

2. LES SOCIÉTÉS NORD-AMÉRICAINES DE PÊCHE ARTISANALE À LA BALEINE

A l'heure actuelle, la pêche artisanale à la baleine est pratiquée en Amérique du Nord par environ une centaine de communautés des Provinces et des Territoires du nord du Canada et de l'Alaska. Globalement, ces communautés capturent plus d'un millier de baleines chaque année, essentiellement de trois espèces: bélouga (ou baleine blanche) (les prises les plus importantes), narval et baleine boréale (les prises les plus faibles des trois espèces). A un niveau nettement plus limité, il existe quelques communautés indiennes autochtones du sud de l'Alaska et du littoral pacifique du nord-ouest des États-Unis qui soit pratiquent le pêche à la baleine, soit utilisent les baleines échouées pour leur alimentation.

La pêche à la baleine par les populations non autochtones en Amérique du Nord a maintenant cessé. Autrefois, des pêcheurs opéraient à partir des côtes atlantique et pacifique au moyen de baleinières ou par rabattage. Toutefois, ces activités avaient cessé dans les années 1970, période à partir de laquelle, elles étaient devenues économiquement incertaines en raison de l'évolution des débouchés commerciaux des produits obtenus et de la rareté des espèces de baleines recherchées de préférence.

Dans les sociétés autochtones, la pêche à la baleine est considérée comme une activité économique mais seulement dans une mesure limitée; cela ne signifie pas pour autant qu'elle joue un rôle économique négligeable, puisqu'elle contribue incontestablement à la sécurité alimentaire des peuples du Nord en fournissant des quantités notables de viande et de graisse, lesquelles, si la pêche à la baleine n'était pas pratiquée, augmenteraient vraisemblablement les importations d'autres denrées alimentaires ou exigeraient une intensification de la chasse dirigée vers d'autres espèces de mammifères marins. Toutefois, puisque toutes les transactions économiques ont des caractéristiques sociales et culturelles, il importe davantage d'étudier comment le comportement économique coutumier associé à la chasse à la baleine contribue à la vitalité sociale et à la viabilité culturelle de ces communautés dont l'existence est tributaire de la ressource marine.

La chasse aux mammifères marins - en particulier les espèces de taille plus importante comme les baleines - à partir de petites embarcations, peut être une activité dangereuse, potentiellement responsable de disparitions en mer ou sur la banquise. Heureusement, ces dangers se traduisent actuellement par un risque limité, grâce aux transmissions radio, aux services de sauvetage aérien et à l'utilisation de navires de plus fort tonnage. Toutefois, il importe lorsqu'on étudie le rôle culturel de la chasse à la baleine de ne pas perdre de vue le fait que ces sociétés axées sur la chasse en mer ont fondé leurs systèmes de croyance à des époques où la pêche à la baleine était beaucoup plus dangereuse qu'aujourd'hui. En raison des risques inhérents à la chasse à la baleine, nombre de croyances et pratiques religieuses et rituelles y ont été étroitement associées, afin de garantir la sécurité de ceux qui pratiquaient cette activité à haut risque.

Il n'est donc pas étonnant qu'au sein des populations qui chassent la baleine et qui s'en nourrissent (ou qui l'ont fait jusqu'à une date récente), la chasse proprement dite et la célébration de l'animal restent jusqu'à ce jour, à des degrés divers, un élément essentiel de leur culture sociale, symbolique, esthétique, cérémonielle et spirituelle. Il faut en outre prendre en compte la contribution notable d'une baleine débarquée en termes de sécurité économique et alimentaire d'une petite communauté de chasse; on comprend aisément la persistance de la place essentielle des baleines et de la chasse dans la mentalité et la vie sociale actuelles de ces communautés.

2.1 Signe d'un regain d'intérêt pour la chasse à la baleine

Pour ces différentes raisons, il n'est pas étonnant qu'à la faveur de la plus grande abondance actuelle des baleines dans maintes régions du monde, on ait enregistré au cours des années 1990 une renaissance progressive de la chasse à la baleine dans nombre de sociétés. Pour beaucoup d'entre elles, et bien qu'elles aient interrompu la chasse pendant plusieurs décennies, la consommation de produits dérivés de la baleine s'est maintenue, grâce aux échouages ou aux captures occasionnelles, comme par l'intermédiaire des échanges commerciaux ou de cadeaux reçus de pêcheurs voisins. Ainsi, et par la perpétuation des traditions orales, des croyances religieuses, comme des arts visuels et des arts du spectacle, un lien intact avec leur passé récent de chasse à la baleine a été conservé en tant qu'élément central de l'identité culturelle de ces sociétés autochtones de pêcheurs à la baleine.

A titre d'exemple de ce type de résurgences survenues dans les années 1990, les chasseurs inuvialuits de la zone occidentale de l'Arctique canadien ont repris en 1991 la chasse à la baleine boréale après une interruption de 70 années, suivis peu de temps après par les chasseurs inuits de trois communautés de pêcheurs à la baleine de l'est de l'Arctique canadien, qui dans un cas capturèrent une baleine boréale, après une interruption de 50 ans. De manière analogue, les Yuppits de Litteram Diomede Island en Alaska ont pris leur première baleine boréale depuis 70 ans en 1999, tandis que la nation indienne Makah de l'État de Washington a renoué avec succès avec la chasse à la baleine grise en 1999 - également au terme d'une interruption de 70 ans. Cette reprise n'intervient pas seulement en Amérique du Nord; elle est en partie associée, notamment, avec le rétablissement à grande échelle des stocks baleiniers dans maintes régions du monde. A l'heure actuelle, certains stocks baleiniers augmentent à des rythmes supérieurs à dix pour cent par an. En fait, le rétablissement des stocks de plusieurs espèces de baleines a été très marqué suite à l'effondrement de la demande mondiale de produits dérivés et à la fin des opérations à grande échelle de pêche industrielle à la baleine (Freeman 1994:147-148).

Pour les pêcheurs à la baleine des populations autochtones d'Amérique du Nord, tel qu'indiqué plus haut, l'importance de leur activité ne repose pas essentiellement sur la valeur économique des produits. En fait, lorsque les stocks baleiniers deviennent abondants dans les eaux locales, la volonté de chasser obéit dans chaque cas à des impératifs culturels. Un indien Makah a fait l'observation suivante lors du débarquement d'une baleine grise par sa communauté en mai 1999: «Un homme peut recevoir uniquement ce qui lui est donné du ciel» (propos notés dans Andersen, 1999). Dans chaque cas, le renouveau de la pêche à la baleine en Amérique du Nord s'est manifesté de façon respectueuse de l'environnement avec un souci de continuité vis-à-vis d'un certain nombre d'importantes pratiques culturelles autochtones et, dans la mesure où cela était effectivement possible, en prêtant attention à la sensibilité de l'opinion des populations non autochtones à l'égard des baleines (par exemple, Erikson, 1999).

Cette sensibilité du grand public à l'égard des baleines a exigé différentes modifications des techniques liées aux pratiques autochtones de chasse à la baleine, notamment l'utilisation d'armes modernes pour garantir un traitement rapide des animaux harponnés. De manière analogue, pour tâcher de réduire la durée de la poursuite, et de limiter ainsi le traumatisme infligé aux baleines, l'utilisation d'embarcations motorisées et des transmissions par radio est à présent un élément essentiel des activités autochtones de chasse à la baleine. Toutefois, ces innovations techniques ne sont qu'une petite partie de la réalité complexe inhérente à la pratique autochtone de la chasse à la baleine, dont les différents aspects sociaux et culturels sont examinés ci-après.

3. RESSOURCES ALIMENTAIRES UTILISÉES PAR LES POPULATIONS ARCTIQUES D'AMÉRIQUE DU NORD

Compte tenu des conditions climatiques et géographiques présentes aux latitudes extrêmes, la chasse, la pêche et la cueillette constituent les bases de la production alimentaire. Pour les populations du littoral, la mer représente normalement une source de denrées alimentaires plus sûre que les étendues arides de la toundra.

La cueillette est une activité saisonnière: ainsi, certains coquillages intertidaux, les oursins de mer et algues marines sont ramassés au printemps et à l'automne, les oeufs d'oiseaux au printemps, les racines et les jeunes feuilles des rares végétaux de la toundra en été, et les baies en automne. La pêche est également saisonnière. La pêche au filet ou au harpon des poissons anadrome, lorsqu'ils descendent les rivières au printemps et lors de leur retour dans leurs habitats dulcicoles en automne, fournissent fréquemment la plus grande partie des captures annuelles de poisson. La pêche au filet en été et en automne est parfois pratiquée dans certains endroits en mer, dans des cours d'eau ou dans les lacs, tandis qu'en hiver et au printemps il est possible de pêcher à la turlutte ou au harpon par des trous percés dans la glace.

Néanmoins, la production alimentaire est de loin assurée principalement par la chasse. La faune ichtyque des régions arctiques est pauvre par comparaison aux zones marines tempérées ou moins septentrionales; ainsi certains poissons de mer abondants (par exemple, le flétan du Groënland) ou certains invertébrés marins (par exemple, la crevette ou le crabe) sont présents dans des eaux plus profondes que les techniques autochtones ne permettaient pas d'exploiter efficacement jusqu'à une date récente. Or, des espèces migratoires à sang chaud (notamment des oiseaux et des baleines) viennent en abondance pour se nourrir des invertébrés marins présents de façon saisonnière. Sous ces latitudes extrêmes des facteurs tant biogéographiques que techniques ont donc imposé une étroite dépendance des sociétés humaines à l'égard des mammifères marins pour leur alimentation.

La chasse à la baleine a lieu généralement en eau libre. Bien que les baleines soient présentes toute l'année dans certaines régions arctiques (par exemple, dans la Baie et le Détroit d'Hudson), la chasse est pratiquée essentiellement à la lisière de la banquise au printemps ou en eau libre en été et à l'automne. Même lorsqu'elles sont présentes quelques semaines par an, les baleines - mammifères dont la masse corporelle est considérable - fournissent souvent suffisamment de viande, de graisse (petit lard) et de mattak [la peau et le lard qui lui est attaché] pour couvrir en partie les besoins alimentaires toute l'année. Parmi les méthodes d'entreposage des produits dérivés de la baleine, figurent la congélation, dans des glacières réalisées dans le permafrost, ou dans des cachettes en surface, du mois de septembre jusqu'au mois d'avril, lorsque la température moyenne de l'air reste inférieure au point de congélation. La viande est également séchée, le mattak pouvant être entreposé dans l'huile et donner lieu à une fermentation contrôlée. Il est à noter que le mattak de baleine boréale peut être conservé à l'état non congelé pendant des périodes de temps prolongées et au frais sans détérioration.

3.1 Importance de la baleine en tant que nourriture

Les Inuits signalent une perte de vitalité, une propension accrue à la maladie, ainsi qu'un sentiment d'altération de leur bien-être, lorsqu'ils ne consomment pas leur nourriture locale habituelle. Pour ces raisons, les aliments d'origine locale sont toujours consommés de préférence aux aliments comme l'indiquent les résultats des enquêtes sur l'alimentation menées au sein des communautés inuites. Cela ne signifie pas pour autant que nombre d'Inuits n'apprécient pas différents types d'aliments importés ou d'origine extérieure, mais plutôt qu'ils jugent leur alimentation manifestement incomplète lorsqu'elle est dépourvue d'aliments traditionnels (Freeman et al., 1998: 35-39).

Parmi les aliments traditionnels les plus appréciés figurent le mattak, dont la qualité est classée par ordre de préférence en fonction de l'espèce de la baleine, de l'âge et de l'emplacement d'origine à la surface du corps. Cet ordre de préférence est observé aussi bien chez les enfants que chez les adultes (Wein et Freeman, 1992; Wein et al., 1996). Le mattak constitue semble-t-il le met le plus prisé dans la cuisine inuite. Le goût du mattak est si prononcé que de vieux Inuits de régions arctiques de l'Est du Canada ont exprimé une profonde tristesse à l'idée de ne pas manger de mattak de baleine blanche (selon eux le type de mattak le plus précieux) une dernière fois avant leur mort - même si le mattak de narval et de baleine blanche est actuellement un élément courant de leur alimentation habituelle (Freeman et al., 1998:33, 37).

Pour les Inuits, les aliments provenant des animaux dont ils se nourrissent font partie intégrante de leur identité. «Nous sommes ce que nous mangeons» est un dicton que l'on retrouve dans maintes sociétés partout dans le monde, mais qui correspond chez les Inuits à une vérité profonde:

«Les baleines ont une grande importance pour les populations qui s'en nourrissent... Si les éléments nutritifs fournis par les baleines sont absents de nos organismes, c'est comme si nous étions privés d'une partie de nous-mêmes» (Tina Netser, dans Freeman et al., 1998: 39).

Il n'y a pas de mots pour dire le sentiment de vide que je ressentirais si nous n'avions pas de mattak... je ne pourrais même pas l'imaginer, puisque le mattak fait tellement partie de moi-même. (Vieil habitant de l'Alaska, dans ibid.:38)

Aujourd'hui comme autrefois, les produits dérivés de la baleine continuent semble-t-il à avoir une importance culturelle considérable pour les Inuits. Bien plus qu'un simple besoin nutritif dans un climat froid, les aliments traditionnels constituent un fondement durable de l'identité inuite à une époque où tant d'autres choses évoluent à cette époque de mondialisation. Toutefois, ce qui est jugé important n'est pas simplement la consommation d'aliments locaux; de fait, la chasse, la transformation, le partage et la consommation de la nourriture sont autant d'aspects qui conjointement répondent amplement à nombre de besoins psychologiques et spirituels. Cet ensemble complexe d'activités, de besoins, de satisfactions, ainsi que de normes et de croyances socioculturelles, correspond à la notion de subsistance, laquelle a souvent été assimilée de façon erronée au seul aspect alimentaire ou à un contexte économique restreint (Freeman, 1993).

Compte tenu de ce qui précède il est évident que les aliments importés, de plus en plus disponibles ces derniers temps dans les régions arctiques, ne peuvent être qu'un complément - et non remplacer - l'alimentation inuite habituelle.

4. FONDEMENT SOCIAL DE LA PRODUCTION ALIMENTAIRE ET RÔLE DES FEMMES

Dans la société inuite traditionnelle, l'unité de base de la production alimentaire était le ménage, généralement constitué d'un couple marié et de ses enfants non mariés. Les établissements saisonniers, dans la plupart des cas de taille limitée, regroupaient des ménages de personnes apparentées, dans lesquels l'homme actif le plus âgé faisait office de «chef» du groupe - bien que dans la société inuite tous les chefs de ménage conservent un niveau élevé d'autonomie individuelle. Une forme d'organisation plus importante et plus structurée a été observée dans les communautés inupiates de chasseurs à la baleine du nord de l'Alaska, caractérisées par la nécessaire solidarité des équipages de pêche (Worl, 1980; voir Stevenson (1997) où l'on trouve la description de dispositifs sociaux analogues dans les campements de chasse à la baleine blanche des zones arctiques de l'Est du Canada).

Les campements de chasseurs se déplaçaient fréquemment de façon saisonnière plusieurs fois par an. Les sites saisonniers étaient choisis pour optimiser l'accès aux principales ressources alimentaires, par exemple en fonction de la proximité de la lisière de la banquise (un lieu de chasse privilégié) ou des lieux où les animaux destinés à l'alimentation se déplacent ou se nourrissent. Certains emplacements étaient utilisés comme lieux traditionnels d'échanges commerciaux ou pour organiser des chasses collectives à grande échelle - en particulier des rabattages de baleines (Friesen et Arnold, 1995; Lucier et Vanstone, 1995; McGhee, 1974).

On observe dans chaque ménage inuit une division du travail selon le sexe, bien que la répartition effective des tâches puisse varier suivant le contexte domestique particulier considéré. Les hommes ont actuellement la responsabilité de chasser et de dépecer les baleines, tandis que les femmes préparent la viande et les autres parties comestibles (ce qui n'implique pas nécessairement une cuisson), et procèdent au séchage de la viande. Dans les régions arctiques de l'Est du Canada, la viande rouge des baleines est jugée adaptée à la consommation humaine à condition d'avoir été séchée à l'air (faute de quoi elle était traditionnellement utilisée pour nourrir les chiens). Hormis les modalités d'organisation domestique définies en fonction du sexe, il y a lieu de noter que le savoir traditionnel qui a une grande importance dans tous les aspects des activités d'obtention, de transformation et de distribution des produits alimentaires, est également différencié selon le sexe. Toutefois, on n'a pas encore entièrement analysé ni établi la mesure exacte de la contribution des femmes inuites à la vitalité socioéconomique de leur communauté (Nuttall, 1998:164).

On estime néanmoins que les femmes jouent un rôle décisif quant à la réussite des opérations concrètes de chasse dans certaines régions inuites. Par exemple, chez les chasseurs à la baleine boréale du nord de l'Alaska, les femmes sont considérées en temps que co-capitaines (ou même capitaines) des équipes de chasse, même si elles ne sont pas physiquement présentes lors de la chasse:

La femme du capitaine de l'équipe de chasse est comme un général. Ses responsabilités sont si étendues que le capitaine ne part pas à la recherche de la baleine... La femme du capitaine... joue un rôle clé dans la capture... Elle «introduit» la baleine, elle simplifie la tâche du capitaine consistant à capturer effectivement la baleine... Elle porte le nom de «capitaine d'équipage». (Frank Long, dans Jolles 1995:331; voir également Bodenhorn, 1990).

Le Président d'alors de l'organisation politique pan-inuite, la conférence inuite circumpolaire, a également fait état de l'importance des femmes dans son allocution prononcée à une rencontre internationale en 1995:

Le tissu même de nos communautés et de nos économies provient dans une large mesure de la force et des talents de nos femmes... A mon avis, nous devrions à nouveau emmener avec nous des femmes âgées aux réunions de la Commission baleinière internationale, comme à celles de la Convention sur le commerce international des espèces menacées [CITES] et de l'UICN. Nous devrions leur donner l'occasion de se faire entendre plus nettement aux audiences de la Commission des États-Unis créée dans le cadre de la Loi sur la protection des mammifères marins. (Pungowiyi, 1995)

Dans les zones arctiques de l'Est du Canada, au cours des chasses à la baleine, les femmes chantaient sur la grève des chants spéciaux pour appeler les baleines et permettre à leurs époux de les rabattre plus facilement à terre. Des actions de remerciement étaient également une pratique courante après une chasse fructueuse (Freeman, 1968). Des danses au son du tambour auxquelles participaient essentiellement des femmes ont eu lieu au camp de chasse à la baleine boréale organisé dans l'Arctique de l'Ouest canadien en 1991. Ces danses ont été exécutées pendant les préparatifs de la chasse et suite au débarquement d'une baleine. En outre, une fois la baleine débarquée, la femme du capitaine de l'équipe de chasse, conformément à la tradition, a été la première à découper les morceaux de choix en vue du repas pris en commun sur les lieux du campement par les quelques 100 personnes réunies pour cet événement historique. En 1998, les femmes ont interprété sur la grève un chant traditionnel de célébration et de remerciement suite au débarquement d'une baleine boréale dans la région arctique de l'Est du Canada.

Avec les différents changements qui surviennent aujourd'hui dans l'Arctique, sous l'effet notamment des programmes de télévision diffusés sur les canaux multiples, de l'évolution politique et de la diversification de l'économie, peut-on constater la persistance de ces aspects traditionnels de la chasse à la baleine? Des changements surviennent incontestablement et en particulier dans certaines des implantations les plus importantes et les plus urbanisées qui abritent les sièges des administrations autonomes récemment créées. Toutefois, le nombre des équipages continue à augmenter dans les communautés de chasse à la baleine boréale en Alaska et les hommes jeunes accompagnent toujours leurs pères lorsqu'ils partent chasser la baleine dans tout l'Arctique canadien. Comme l'a déclaré un jeune étudiant à l'école Maani Ulujuk du centre administratif régional de la zone arctique de l'Est canadien:

Je veux simplement dire que la chasse à la baleine dans la baie de l'Hudson joue déjà un grand rôle dans ma vie bien que je sois encore jeune. Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours chassé la baleine avec mon grand-père, mon père, mes oncles et beaucoup d'autres parents...La chasse à la baleine joue un rôle majeur dans l'existence de la plupart des Inuits... La chasse, la cuisson ou la consommation [des animaux] sont autant d'aspects importants de la culture inuite. (Neco Towtongie, dans Freeman et al., 1998:43)

Dans les situations où la chasse représente une activité aussi fondamentale et aussi chargée de signification aux yeux de la majorité des résidents, la société continue donc à inciter nombre de jeunes gens à y participer, dans la mesure où leurs autres responsabilités le permettent. La chasse aux principales espèces destinées à l'alimentation (oies, caribous, phoques ou baleines), facilite une intégration rapide et affectivement satisfaisante au sein de la société inuite adulte.

4.1 Importance du partage

En vertu d'une règle fondamentale observée chez les Inuits comme en fait chez beaucoup d'autres populations vivant de la chasse et de la cueillette - la nourriture et un certain nombre d'autres substances essentielles sont mises en commun en fonction des besoins. Cette norme culturelle est particulièrement fortement développée pour la nourriture; ainsi, le fait de dissimuler la nourriture est jugé équivalent au fait même de mettre en péril une vie et, à ce titre, passe pour un comportement dangereusement anti-social. L'avarice est donc généralement considérée de façon négative et à l'inverse, la générosité est hautement appréciée. Cette culture du partage de la nourriture reste très forte chez les Inuits d'aujourd'hui:

Ici nous partageons toujours avec nos voisins, même le peu que nous avons. [Les Inuvialuits] veulent tous du mattak et de la viande de baleine boréale. Nous partageons la nourriture avec ceux qui n'en ont pas. Ainsi, les gens d'Aklavik chasseront [la baleine boréale] pour tous les Inuvialuits... Nous distribuerons la viande à tous ceux des communautés qui en veulent. Nous partageons toujours notre nourriture. (Dorothy Arey dans Freeman et al., 1992:61).

Aujourd'hui, puisque les Inuits vivent eux-mêmes dans des communautés de plus en plus importantes, dont beaucoup comptent plus de 1 000 résidents, nombre de corésidents ne sont pas apparentés. Or, les modalités de partage formel étaient autrefois régies par les liens de parenté. Aujourd'hui par conséquent, il est devenu de plus en plus difficile, à l'intérieur de populations plus importantes, de partager effectivement à l'échelle de la communauté les produits alimentaires provenant de la chasse, d'où un regain d'intérêt attribué à la chasse à la baleine: en effet, ces animaux à masse corporelle importante permettent davantage d'exprimer pleinement le désir de partage à grande échelle de la nourriture collective. Dans le cas des aliments obtenus à partir d'animaux à plus petite masse corporelle (par exemple, phoques, poissons, caribous ou oies) les chasseurs partagent néanmoins le produit de leur chasse avec leurs parents proches, leurs voisins et leurs amis.

Un autre aspect important du partage favorise la préservation de la ressource en réduisant la nécessité pour chaque ménage d'assurer en permanence sa propre alimentation. Les chasseurs peuvent ainsi réaliser délibérément des captures supérieures aux besoins de leur propre ménage, d'une part parce que d'autres auront sans doute besoin de nourriture et d'autre part, en raison des normes sociales encourageant la générosité et l'approbation collective suscitée par le niveau de compétence dont les chasseurs ont fait preuve. Néanmoins, cette mise en commun généralisée de la nourriture réduit effectivement le risque de gaspillage que pourrait provoquer un approvisionnement excédentaire, puisque les individus savent que le fait de ne pas chasser ne se traduira pas par une pénurie alimentaire dans leurs propres ménages.

Aujourd'hui, beaucoup d'hommes adultes sont dans l'obligation de combiner la chasse avec une forme ou une autre de travail rémunéré qui leur fournira l'argent nécessaire pour acheter du matériel et des fournitures de chasse. La norme sociétale de réciprocité généralisée sur laquelle repose l'attitude de partage, assure aux ménages de travailleurs salariés qui n'ont pas la possibilité de chasser régulièrement, qu'ils recevront périodiquement en cadeau les produits alimentaires locaux dont ils ont besoin de la part de chasseurs, auxquels les hommes salariés peuvent fournir leur aide sous forme de dons d'argent ou d'achat de matériel pour les besoins de la chasse. D'après une étude récente du Gouvernement canadien, le remplacement du gibier chassé sur place par des importations de viande dans les communautés aborigènes du Grand Nord coûterait à chaque famille plus de 10 000 dollars canadiens [7 000 dollars EU] par an (Gilman et al.,. 1997:306). De tels coûts de substitution des denrées alimentaires mettent en évidence l'intérêt de ces transferts économiques entre chasseurs détenteurs d'un excédent de nourriture et chasseurs à temps partiel dont les ménages peuvent se trouver en situation de déficit alimentaire.

5. NORMES CULTURELLES ET CONSERVATION DES RESSOURCES

Afin d'illustrer les répercussions de la mise en commun de la nourriture en matière de conservation, on peut observer qu'en dépit du doublement à toutes fins pratiques de la population inuvialuite au cours des vingt dernières années, le nombre moyen de baleines blanches capturées chaque année est resté pratiquement constant et voisin de 120, en dépit des améliorations notables des techniques de chasse au cours de ce laps de temps. La baleine blanche reste une proie très recherchée dans la région (Wein et Freeman, 1992) et malgré le nombre croissant de consommateurs et le perfectionnement des techniques de chasse, le stock est resté stable, sans qu'il ait fallu imposer des contingents à ces populations inuites de chasseurs à la baleine.

Le mattak, la viande et le lard de baleine blanche sont toujours partagés dans les communautés et offerts en cadeau aux parents et amis des communautés voisines. Fait particulièrement important, les normes culturelles garantes de la durabilité de la chasse ne sont pas mises en cause par la modernisation apparue dans ces communautés inuites: les pratiques locales sont rigoureusement contrôlées par la communauté, dans le respect de la culture de la chasse et en veillant à la conservation des ressources locales. L'exploitation durable des principales espèces alimentaires est assurée - sans qu'il soit nécessaire de modifier des pratiques autochtones de conservation efficaces, suivies depuis des générations.

A titre d'exemple de ces pratiques coutumières, une règle de chasse en vigueur interdit de tuer une baleine blanche femelle lorsqu'elle est accompagnée de baleineaux ou de jeunes baleines. Cette règle a été introduite officiellement dans les statuts de la chasse des six communautés inuites arctiques de l'Ouest du Canada. Ainsi, lorsque la violence des vents entraîne une turbidité élevée des eaux côtières peu profondes où se déroule la chasse, celle-ci peut être suspendue de telle sorte qu'il n'y ait aucun risque de tuer une baleine blanche femelle pouvant être accompagnée d'un baleineau ou d'une jeune baleine restés inaperçus.

Il est évident que tout système de «gestion» externe de la chasse, susceptible de modifier les choix stratégiques ainsi adoptés par les chasseurs, pourrait avoir des répercussions potentiellement préjudiciables sur la population des baleines blanches - et en fait sur la préservation de la biodiversité en général (en effet, des considérations analogues fondées sur le respect, s'appliquent aux activités de chasse et de pêche des populations locales axées sur les autres espèces). Par exemple, une mesure populaire appliquée par les gestionnaires des pouvoirs publics afin de «gérer» les pêches, consiste à imposer des contingents dans le but de garantir la durabilité des captures. Heureusement, cette mesure n'a jamais été appliquée dans la zone arctique du Canada. Il en a été de même des contingents imposés aux Inuits de la région arctique du Québec, dont les effectifs et la capacité de chasse ont connu un accroissement comparable à celui observé dans la région arctique de l'Ouest du Canada, mais où - comme dans cette même région arctique de l'Ouest - les captures annuelles de baleines blanches n'ont pratiquement pas changé depuis vingt ans (à un niveau de l'ordre de 270 baleines par an).

Ces derniers mois, les contingents imposés de l'extérieur ont été levés pour toutes les communautés de chasse à la baleine narval de la zone arctique de l'Est du Canada, comme pour certaines communautés de cette région en ce qui concerne la baleine blanche. Ces mesures ont été prises par un comité régional de cogestion récemment créé, désireux de décentraliser la réglementation de la chasse à la baleine; elles doivent permettre d'introduire une amélioration par rapport aux méthodes jusqu'ici orthodoxes d'aménagement au niveau fédéral, qui se sont avérées inadéquates. L'une des imperfections ainsi observées concerne l'exactitude des rapports de chasse, en particulier la notification du nombre de baleines qui n'ont pas été récupérées après avoir été tuées. En conférant la responsabilité des bonnes pratiques de chasse à l'organisation des chasseurs de chacune des communautés concernées (comme cela a été le cas dans la région arctique de l'Ouest du Canada où la cogestion a été instituée dans les années 1980), la difficulté d'obtention de comptes-rendus exacts devrait être réduite, voire purement et simplement disparaître (par exemple, Stirling, 1990).

5.1 Menaces pour l'identité culturelle et pour la conservation des ressources

A l'inverse des mesures de conservation de type communautaire, acceptées par la collectivité, fondées sur des caractéristiques culturelles et actuellement appliquées dans ces régions arctiques du Canada, que se passerait-il si un organisme de gestion centralisé fixait un nombre maximum de captures aux Inuvialuits des régions arctiques de l'Ouest du Canada? Si le contingent fixé était de 125 baleines (nombre moyen de captures annuelles au cours des deux dernières décennies), ce nombre devrait tout d'abord être réparti entre les six communautés inuites de chasseurs, chacune devant ensuite répartir un nombre déterminé de baleines entre un beaucoup plus grand nombre de chasseurs.

Hormis les tensions sociales éventuelles que de telles répartitions pourraient provoquer, les contraintes imposées par le calendrier ou la météorologie à un individu détenteur d'un permis, risquent de se traduire par une décision de chasse inappropriée. Par exemple, les retards que peut entraîner l'attente de conditions plus favorables, risquent tout à fait de priver un chasseur de la possibilité d'utiliser un permis au cours de la période prescrite et de favoriser ce type d'activité lorsque les conditions s'éloignent des conditions idéales. Des préoccupations concrètes et des impératifs sociaux aussi pressants risquent d'affecter ou du moins de remettre en cause les traditions de chasse et les résultats correspondants obtenus en matière de conservation des ressources.

On entend souvent des déclarations telles que: «Les contingents, certains les appliquent... d'autres les oublient!». Elles reflètent un aspect incontestablement négatif d'une conception de la gestion «à distance», la distance étant aussi bien d'ordre social et culturel que géographique. Des mesures de gestion inappropriées et parfois d'autant plus mal perçues, risquent de déclencher des réactions pouvant avoir des répercussions préjudiciables pour la ressource. Il est donc essentiel que l'on admette la nécessité pour la réglementation de la chasse de comporter des dispositions souples et reflétant les besoins de la collectivité, dont par ailleurs l'objet et l'efficacité risquent d'être gravement compromis lorsqu'elles s'éloignent de l'intérêt concret et du bien-fondé tels que la communauté des utilisateurs les perçoit (voir Townsley, 1998:58).

La présente étude a pris soin d'éviter d'utiliser le terme «gestion» pour qualifier les pratiques de conservation inuites. Ce terme implique en effet la manipulation, le contrôle ou la responsabilité de quelque chose ou de quelqu'un. Or, le fait de qualifier ainsi le rapport des hommes avec la nature traduit une complète méconnaissance du rapport entre les personnes humaines et les personnes non humaines [les animaux]. Pour les Inuits, l'idée même que des personnes humaines contrôlent la nature est non seulement absurde, mais également irrespectueuse et outrageante. De fait, ces caractéristiques culturelles fondamentales sont à l'origine des nombreuses difficultés rencontrées par les «gestionnaires» occidentaux, qui s'appuient sur des données scientifiques et s'emploient à réglementer les activités de chasse. D'autres problèmes viennent de la différence d'évaluation des gestionnaires de l'administration fédérale et des utilisateurs locaux quant à l'état des ressources et au choix des mesures à prendre à cet égard. Ces différentes questions seront examinées dans une autre section du présent document.

5.2 Contrôle de l'accès aux ressources

En dépit des différences et des difficultés qui viennent d'être évoquées, il est à présent de plus en plus admis dans de nombreuses régions du monde qu'en dehors des systèmes de gestion mis en place au niveau des États pour réglementer l'utilisation des ressources, il existe toujours des systèmes autochtones ou des systèmes au niveau local qui modulent les interactions entre les populations locales et les espèces dont elles dépendent pour leur alimentation. Ces systèmes autochtones utilisent des ensembles de connaissances qualifiés de différentes façons, notamment savoir autochtone, savoir écologique traditionnel et systèmes traditionnels de connaissances écologiques et de gestion (voir par exemple, Freeman et Carbyn, 1988; Johnson, 1992; Inglis, 1993). Ainsi, dans le nord du Canada et en Alaska, les efforts déployés pour établir des formes plus coopératives de gestion (ou de cogestion) commencent à modifier de façon notable les anciens systèmes de gestion étatiques (Huntington, 1992; Notzke, 1995; Usher, 1995; Freeman, 1989; Freeman et al,. 1998:115ff).

On dispose à présent d'un corpus considérable de publications scientifiques qui décrivent et analysent en détail les dispositions institutionnelles communautaires mises en place au sein des sociétés humaines; ces dispositions réglementent les intérêts personnels désordonnés et contribuent par conséquent à rendre possible une vie sociale harmonieuse (par exemple, NRC, 1986; McCay et Acheson, 1987; Berkes et al., 1989: Feeny et al., 1990; Ostrom, 1990; Bromley, 1992). Toutefois, ce constat ne saurait nier la possibilité persistante d'une utilisation non durable des ressources ni le fait que certains individus puissent se livrer à des activités purement intéressées et anti-sociales. En outre, les individus ou les groupes étrangers aux communautés locales ne sont généralement guère incités ou intéressés à préserver la durabilité de la base de ressources exploitée par autrui.

Toutefois, les exemples fréquemment cités pour illustrer de tels cas d'utilisation non durable des ressources se rapportent souvent à des aménagements de régions éloignées, à des économies coloniales et à différentes formes de capitalisme industriel fondées sur le principe du laissez-faire (ou de capitalisme d'État), situations dans lesquelles les droits de propriété autochtones pré-existants sont supprimés, ignorés ou ne sont pas appliqués (Berkes, 1996:94-95). Tel a été le cas, par exemple, lorsque des colons ou des marchands européens firent irruption, puis décimèrent les stocks arctiques de baleines blanches et de rhytines (dugon) au XVIe siècle. Il serait faux au demeurant de conclure que les pêcheurs de subsistance ou les pêcheurs pré-modernes ont toujours exploité prudemment les ressources marines (par exemple, McGoodwin, 1990:49-64). Cependant, indépendamment des cas disséminés de surexploitation des ressources par les populations autochtones, de très nombreuses publications tendent à démontrer que dans maintes sociétés humaines sédentarisées les rapports entre les ressources locales et leurs utilisateurs sont efficacement modulés par des institutions sociales qui réglementent véritablement l'utilisation desdites ressources par l'homme (par exemple, Berkes et al., 1989; Freeman et al., 1991; Dyer et McGoodwin, 1994).

Lors d'un atelier de l'Organisation mondiale pour la conservation de la nature (UICN) sur l'utilisation durable des ressources, qui a eu lieu en 1998 à Bratislava (Tchécoslovaquie), les participants ont conclu que le remplacement de systèmes d'exploitation coutumiers par des régimes de gestion administratifs (étatiques) a comporté, dans une large mesure, des effets préjudiciables en matière de conservation de la biodiversité. Aux termes des conclusions de l'atelier, là où des droits d'exploitation et d'accès bien définis ont été conférés au niveau de la communauté des utilisateurs locaux, la durabilité d'utilisation des ressources a été notablement améliorée (Jenkins, 1999-75). L'atelier de Bratislava aboutit implicitement à la conclusion selon laquelle (au moins) deux systèmes différents de réglementation des ressources sont en vigueur, d'une part le système de gestion étatique fondé sur les connaissances scientifiques occidentales et d'autre part, les systèmes autochtones fondés sur des ensembles très différents de connaissances et d'approches concernant la nature des ressources en question et la façon dont il convient de les conserver.

Les mesures de gestion étatique touchant à l'utilisation des ressources ne peuvent être comprises sans faire référence au système en place de droits de propriété ou de droits d'exploitation, lesquels reflètent l'organisation politique fondamentale de la société (Usher, 1984-389). L'idée selon laquelle un objet devient un produit ou un bien seulement après avoir été modifié par le travail humain est un élément courant des conceptions occidentales. Par conséquent, et par extension, la nature à l'état vierge - lorsqu'elle n'est pas encore transformée par le travail de l'homme - ne constitue pas un bien et ne possède pas une valeur marchande réelle, jusqu'à ce qu'elle soit affectée d'une manière ou d'une autre. Cette conclusion représente la justification fondamentale de la décision des gestionnaires étatiques d'affecter des ressources naturelles à des régimes de gestion particuliers.

A l'inverse de ce processus américano-européen qui, en théorie, transforme les espèces sauvages en produits ou en biens, les conceptions des utilisateurs autochtones des ressources en Amérique du nord sont tout à fait différentes. En fait, la distinction fondamentale opérée par les américano-européens entre les populations et les ressources (ou entre l'humanité et la nature) tel qu'indiqué plus haut, est soit purement et simplement inexistante, soit nettement moins marquée dans la conception du monde de la plupart des sociétés autochtones, par comparaison à celle qui prévaut au sein de la société occidentale.

Dans la plupart des traditions autochtones, ceux qui vivent dans des groupes socialement et géographiquement définis avaient un droit et une possibilité d'accès et d'utilisation des ressources vivantes présentes sur leur territoire, en fonction de règles approuvées par la collectivité. Les espèces-proies locales étaient considérées comme une ressource collective, tandis qu'une communauté d'utilisateurs en partageaient les droits d'accès, les avantages et les responsabilités. Une limitation de cet accès n'était mise en place que si elle était jugée nécessaire pour préserver l'harmonie sociale ou afin de préserver les ressources en question en vue de leur utilisation future.

Il a donc fallu définir un système garantissant la durabilité du rapport entre les hommes et les ressources naturelles, pour éviter une surexploitation de ces dernières, susceptible de perturber l'ordre social; un certain nombre d'institutions sociales et de normes culturelles ont donc été progressivement adoptées. On peut néanmoins se poser la question importante de savoir si de telles institutions évolutives qui semblent avoir bien fonctionné dans le passé restent aujourd'hui en mesure de garantir une utilisation durable des ressources, en dépit de la modification du contexte - notamment l'existence d'incitations économiques visant à commercialiser les ressources excédentaires par rapport aux besoins immédiats.

6. LES INCITATIONS COMMERCIALES MENACENT-T-ELLES LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE?

Il est indispensable d'examiner succinctement la question de l'utilisation commerciale des ressources alimentaires dans le cadre des sociétés nord-américaines de chasse artisanale à la baleine. Il faut en effet se pencher sur cette question en raison de la croyance persistante de beaucoup de personnes concernées par la gestion des stocks baleiniers: celles-ci estiment en effet que les populations autochtones ont été - ou seront - inévitablement corrompues par la possibilité de commercialiser les produits tirés des ressources fauniques à des fins de subsistance (Freeman, 1993). Bien que la raison exacte de cette inquiétude ou de ses conséquences n'ait jamais été formulée explicitement, il existe semble-t-il une conviction répandue et incontestée selon laquelle une fois les populations autochtones corrompues par la commercialisation de la faune moyennant un revenu en espèce, il sera pratiquement impossible de limiter les massacres excessifs qui, affirme-t-on, se produiront de façon inéluctable.

Or, de très nombreuses indications tendent à démontrer que les Inuits du Canada et de l'Alaska ne semblent guère s'intéresser à toute commercialisation à grande échelle de ressources alimentaires importantes pour leur subsistance. Les Inuits sont apparemment très conscients du risque de mettre en cause des valeurs fondamentales de générosité et de partage de la nourriture, sur lesquelles s'appuie leur culture, dans l'hypothèse où une valeur monétaire devrait être attribuée aux ressources en question.[2] L'importance économique actuelle des produits alimentaires mis en commun repose sur le niveau élevé de réciprocité entre producteurs - dans l'intérêt manifeste de tous. Aussi toute modification susceptible de compromettre ce système coutumier suscite apparemment une forte opposition au niveau de la communauté. Par conséquent, les efforts constamment déployés par les services économiques du Gouvernement canadien, pour encourager les échanges de produits alimentaires locaux entre les différentes implantations, n'ont rencontré qu'un succès extrêmement limité depuis de nombreuses années. Les réussites commerciales observées le cas échéant ont impliqué d'ordinaire des produits de la faune non alimentaires vendus à des entreprises extérieures (par exemple, ivoire, bois de renne, duvet d'eider), des articles alimentaires vendus également à des entreprises extérieures (par exemple, ombles chevaliers, vendus à des restaurants des villes du sud du pays) ou des produits alimentaires non traditionnels (par exemple, crevettes, crabe ou flétan).

Il est significatif que, d'après les conclusions d'une étude récente du World Wildlife Fund (WWF) visant à établir les directives pour une utilisation durable à des fins de consommation de la faune arctique (notamment des mammifères marins), rien ne justifie la distinction entre l'utilisation à des fins de subsistance et l'utilisation commerciale de la faune dans les communautés inuites considérées des régions arctiques de l'Ouest ou de l'Est du Canada. Le rapport en concluait que dans ces communautés une attitude fortement orientée sur la conservation des ressources, une série de principes, ainsi qu'un cadre institutionnel approprié, autorisaient une gestion durable des espèces sauvages (Curtis et Ewins, 1998a et 1998b). Il semblerait donc que dans un avenir prévisible les ventes sur le marché de baleines et de différents produits alimentaires (dans les conditions prévues aux termes de la loi des États-Unis sur la protection des mammifères marins et de tous les règlements en matière de revendications territoriales des inuits canadiens) ne mettent pas en danger la sécurité alimentaire de ces sociétés de chasse artisanale à la baleine.

6.1 Risques écologiques menaçant la sécurité alimentaire dans la région arctique

Nombre de transformations sociales, économiques et écologiques risquent d'avoir des répercussions préjudiciables pour la sécurité alimentaire. Toutefois, la présente étude s'intéresse essentiellement aux facteurs sociaux et culturels potentiellement susceptibles de garantir une sécurité alimentaire accrue en assurant la durabilité des pratiques d'utilisation des ressources; il est supposé par ailleurs que la menace la plus grave pour la sécurité alimentaire des sociétés nord-américaines de chasse artisanale à la baleine, vient des pratiques d'utilisation non durables qui ont pour effet de limiter l'accès des consommateurs aux produits alimentaires traditionnels tirés de la baleine. D'autres dangers potentiels menaçant la sécurité alimentaire seront toutefois brièvement passés en revue: (1) le changement climatique; (2) les agents polluants et (3) les campagnes de protection des animaux.

De l'avis de nombreux scientifiques, le changement climatique se manifestera de façon très marquée aux latitudes les plus élevées. A l'heure actuelle différentes transformations de l'environnement apparaissent clairement en Alaska, dont on estime qu'elles résultent de la hausse des températures. D'autre part, le changement du climat semble avoir entraîné un refroidissement dans la zone arctique de l'Est du Canada. Il ne s'agit pas au demeurant d'un phénomène nouveau dans la région arctique et nombre de vieux Inuits ont connu des décennies plus chaudes et d'autres plus froides. Quels qu'ils soient, les changements à venir auront cependant une influence sur l'abondance et la répartition des différentes espèces-proies, les changements étant favorables à certaines espèces et défavorables à d'autres et n'ayant par contre aucune incidence vraisemblable sur d'autres encore. On ne saurait toutefois prévoir si ces transformations auront en définitive pour résultat de compromettre ou de renforcer la sécurité alimentaire. Par ailleurs, de nombreux scientifiques ont des doutes concernant les modèles climatiques sur lesquels repose exclusivement la prévision des conditions météorologiques saisonnières au cours des prochaines décennies. De fait, la prévision des répercussions futures du changement climatique mondial sur la sécurité alimentaire des populations arctiques semble donc particulièrement incertaine à l'heure actuelle.

Parmi les différents agents polluants de l'environnement figurent plusieurs composés organiques (par exemple, les PCV, la dioxine, le chlordane), des métaux lourds (par exemple, mercure, cadmium et plomb) et des radionucléides. Toutes ces substances risquent de s'introduire dans l'organisme des Inuits par l'intermédiaire des aliments qu'ils consomment. Il est établi que la peau et la graisse de baleine ont de fortes teneurs en mercure et en composés organochlorés solubles dans la graisse, tandis que d'autres tissus contiennent également des taux élevés d'autres agents polluants. Toutefois, on n'a détecté jusqu'à présent aucun accroissement des taux de mortalité, des taux de cancer, des anomalies congénitales ou des effets toxicologiques préjudiciables sur les Inuits suite à de nombreuses années d'exposition à ces polluants (Middaugh, 1994). Sans que cela signifie nécessairement qu'aucun effet préjudiciable pour la santé n'apparaîtra à l'avenir, cela tend néanmoins à démontrer que les inquiétudes les plus graves (apparues en conclusion d'essais sur les animaux, selon une technique contestable quant à l'applicabilité à l'homme des conclusions obtenues, ne sont pas nécessairement fondées (Ames et Gold, 1995; Dewailly et al., 1996:16). Il est sans doute très significatif que les experts actuels en médecine et en nutrition déconseillent aux Inuits de remplacer les produits alimentaires frais locaux par des aliments importés dont la plus faible valeur tant nutritive que socioculturelle est bien connue. (Dewailly et al., 1994:104; Gilman et al., 1997:345,353,361-366).

La menace provenant des défenseurs des animaux, indépendamment du fait que leurs initiatives soient fondées sur les droits des animaux ou sur le souci de leur bien-être, représente un danger plus immédiat pour la sécurité alimentaire des populations arctiques - en particulier lorsque cette sécurité globale repose en partie sur la chasse et la consommation de différents mammifères marins, notamment des baleines. Néanmoins, le point d'apogée de cette menace appartient vraisemblablement au passé, puisque l'opinion semble de plus en plus critique à l'égard des affirmations exagérées de ces mouvements selon lesquelles la chasse provoquera l'extinction de la plupart des espèces de baleines. La situation des stocks baleiniers sera sans doute mieux connue grâce aux mesures de cogestion prenant en charge la responsabilité de la réglementation de la chasse à la baleine en Amérique du Nord.

Les mouvements de défense des baleines prétendent en outre que la chasse est inutile et cruelle. Nombre de citadins éprouvent un malaise lorsqu'ils voient n'importe quel animal de grande taille qui se fait tuer: des images affectivement dérangeantes continueront vraisemblablement à être communiquées périodiquement aux journalistes de la presse écrite et télévisuelle, qui les jugent certainement suffisamment choquantes pour les publier. Pour faire échec à ces campagnes, il faudra que les communautés d'utilisateurs manifestent une plus grande assurance lorsqu'elles communiquent au public des informations factuelles récentes quant à la nécessité pour elles de pratiquer de façon durable la chasse à la baleine et quant aux efforts qu'ils déploient en permanence pour limiter autant que possible la souffrance des baleines en rapport avec la chasse (ou la perception de cette souffrance). On dispose à présent des techniques permettant d'assurer que les baleines meurent rapidement; compte tenu par ailleurs du maintien à un niveau élevé des compétences des chasseurs et de la sensibilisation du public, celui-ci sera en mesure de dégager ses propres conclusions quant au bien-fondé de la poursuite d'une utilisation durable des baleines.

7. CONSIDÉRATIONS ETHIQUES DES POPULATIONS AUTOCHTONES EN FAVEUR DE PRATIQUES D'UTILISATION DURABLE DES RESSOURCES

L'action menée par les défenseurs des droits des animaux pour introduire des considérations éthiques dans le cadre de leurs campagne contre l'utilisation des ressources de la faune, donne à entendre au public en général qu'ils occupent une position morale inattaquable. Or, les sociétés autochtones sont également fondées sur des principes moraux et éthiques. Ainsi, les dispositions institutionnelles sur lesquelles s'appuient les pratiques d'utilisation durable des ressources de la faune comportent par exemple des règles qui prescrivent une conduite appropriée et qui trouvent leur origine dans un système de valeurs régissant les attitudes et les comportements à l'égard des ressources vivantes.

Selon une de ces règles, la capture d'animaux destinés à l'alimentation doit répondre exclusivement au besoin de nourriture: sinon, la chasse n'est pas justifiée. Evidemment, il ne s'agit pas uniquement du besoin du moment ou du besoin immédiat: à certaines époques de l'année, il peut s'avérer nécessaire de recueillir et d'emmagasiner des vivres en vue de la pénurie prévisible qui interviendra invariablement à une date ultérieure de l'année. Les chasseurs se montrent sensibles aux besoins des autres en matière de nourriture traditionnelle. Comme l'a déclaré Don Long, un chasseur inupiat à la baleine:

...pourquoi suis-je devenu capitaine d'équipage de chasse à la baleine? En raison de la possibilité qui m'était ainsi offerte de nourrir la communauté... La baleine est fondamentalement un animal à vocation communautaire... Nourrir sa communauté est un honneur... Si nous partons chasser la baleine, ce n'est pas une perspective de profit individuel, mais de profit pour la communauté. (Don Long, dans Freeman et al., 1998:32).

Selon une deuxième règle éthique, il convient d'éviter tout gaspillage[3] de nourriture. Cette règle encourage une pratique généralisée du partage, tel qu'indiqué plus haut. Les travaux ethnographiques consacrés aux peuples du Nord font constamment mention de l'importance donnée à la générosité et au fait de veiller à ce que les autres disposent en permanence de nourriture selon une préoccupation encore particulièrement évidente chez les Inuits d'aujourd'hui:

Lorsqu'un chasseur tue une baleine, la viande n'est jamais gaspillée. Chacun reçoit un morceau de baleine destiné à sa famille. Dieu les a créées pour une raison bien précise... S'il leur échoit une quantité excessive, (les chasseurs) font cadeau de ce qui leur reste à ceux qui en ont besoin. (Jeune collégien de la région arctique de l'Est du Canada, cité dans Freeman et al., 1998:39).

Une troisième règle consiste à limiter la perturbation physique de la population animale au moment de la capture et peut s'exprimer comme la nécessité de rester en permanence attentif aux conséquences de la capture proprement dite. Cette forme de manifestation de respect garantit que les animaux continueront à revenir au même endroit:

Quiconque a observé une chasse à la baleine aura constaté à quel point la capture d'un gros cétacé ou de plusieurs petits aura provoqué une perturbation limitée. Bien que le banc de baleines proprement dit soit momentanément perturbé, elles reviennent néanmoins jour après jour et année après année. (Ingmar Egede, dans Freeman et al., 1998:13).

Une quatrième croyance en vigueur veut que la chasse soit couronnée de succès lorsque le chasseur et, dans nombre de cas, les autres membres de sa famille ou de sa communauté, manifestent du respect pour les animaux (Fienup-Riordan, 1990:172, 184-187; Mcdonald et al., 1997:6). Le respect signifie notamment ne pas infliger de violence à un animal et réduire au minimum la souffrance qu'il peut subir. Les chasseurs expérimentés savent qu'il importe de réduire la souffrance des animaux et comment opérer à cet effet:

Nous n'éprouvions aucune peur lorsque nous cherchions à tuer une grande baleine... mon père...savait exactement où planter le harpon, il pagayait le long de la baleine, examinant soigneusement le dos de l'animal. Il y a un endroit au-dessous de la colonne vertébrale dont le mouvement est perceptible... Là se trouvent les reins et il s'agit du seul endroit que l'on puisse harponner en toute sécurité. Ce geste était réalisé soigneusement et lentement et vous seriez étonné de constater à quel point l'animal ne se rendait pas compte que l'on était en train de le tuer. Il n'y avait aucune lutte. La baleine continuait à nager et nous la suivions jusqu'à ce qu'elle meure. (Jim Kilabuk, dans Freeman et al., 1998:77-8)

7.1 Importance du respect et de la réciprocité

Chez les populations autochtones de l'Arctique, la notion de «respect» traduit effectivement ces différents principes éthiques concernant les animaux et la nature.

Le respect est la clé de la compréhension de la faune et de l'environnement. Les problèmes d'environnement se posent lorsque le respect est absent... le respect pour la nature est indispensable si l'on veut avoir de quoi se nourrir et vivre une existence digne de ce nom. (Lucassie Arragutainaq, dans McDonald et al., 1997:5).

Parmi ces populations autochtones le respect est considéré comme une condition fondamentale du maintien d'une relation saine entre les humains et les autres êtres vivants qui partagent le même environnement. Autrefois, il était parfaitement évident de connaître le sens religieux de cette relation et de nombreux Inuits conservent aujourd'hui cette croyance. L'anthropologue Carol Zane Jolles, dans son ouvrage consacré à la pratique contemporaine de la chasse à la baleine chez les Inupiats a fait observer que les universitaires avaient tendance à privilégier simplement le rôle de la baleine du point de vue des besoins de subsistance, sans attirer par ailleurs l'attention sur leur importance non moins grande «en tant qu'élément d'une identité socioreligieuse profondément ancrée et hautement valorisée... [ainsi] la chasse à la baleine répond à des besoins souvent identifiés comme étant de nature tant religieuse, spirituelle et/ou psychologique que physique» (Jolles, 1995:334; voir aussi Freeman et al., 1998:53-56).

Le principe de réciprocité étendue (qui garantit aux membres de la société qu'ils recevront toujours la nourriture dont ils auront besoin) observé couramment au sein des sociétés américaines autochtones, s'étend aux autres êtres vivants. Ainsi, il est du devoir des chasseurs et de leur famille de manifester du respect pour les autres êtres vivants qui fournissent leur nourriture et d'autres produits d'usage courant, en consentant à se faire capturer par des humains qui en sont dignes. Il existe toutes sortes de façons pour témoigner de cette dignité par une attitude de respect, notamment en observant les règles éthiques mentionnées plus haut, par exemple en limitant les captures aux quantités requises pour répondre aux besoins alimentaires légitimes et en réduisant les pratiques génératrices de gaspillage par des moyens comme l'acquisition de compétences de chasseur de façon à réduire le nombre d'animaux «perdus» qui s'échappent après avoir été blessés. La compétence élevée des chasseurs confère évidemment des avantages à la communauté humaine en contribuant à la conservation de ses principaux animaux-proies et donc - tant directement qu'indirectement - à sa sécurité alimentaire.

Hormis le respect qu'il faut témoigner aux baleines dans le contexte de la chasse, il est indispensable au terme d'une saison de chasse couronnée de succès d'exprimer de manière appropriée la célébration du don reçu de la baleine par la communauté, à savoir le don de la nourriture essentielle au maintien de la vie. Cette célébration est particulièrement développée dans plusieurs des communautés inupiates de chasseurs à la baleine dans le nord de l'Alaska, où des cérémonies comme l'apugauti (arrivée du bateau des heureux chasseurs à la fin de la campagne de chasse de printemps), l'aniruq et le qinu (festivals de la queue de la baleine qui ont lieu respectivement au printemps et en automne), le qagrup et le nalukataq (les grandes fêtes à l'échelle de l'ensemble de la communauté, à la fin de la période de chasse (le «saut sur couverture», en l'occurrence la peau de morse ou la peau de phoque barbu dont l'embarcation des chasseurs est garnie). Des danses au tambour traditionnelles et des festins accompagnent la présentation de plats spéciaux à base de baleine (par exemple, le mikigak, mattak fermenté, ainsi que le coeur et différentes parties de l'animal) (Maggie Ahmagoak, dans Jolles, 1995:327-328; Freeman et al., 1998:73, 79-80).

Cette obligation de respect impose non seulement des actes appropriés, mais aussi des pensées. Ainsi, on considère qu'il est incongru pour une personne qui se prépare à aller chasser de croire que sa chasse va être fructueuse ou que la capture de l'animal sera facile ou rapide, ou qu'elle réussira à en capturer un certain nombre déterminé. De telles pensées impliquent que les animaux ne sont pas capables de décider eux-mêmes s'ils vont se présenter au chasseur (Fienup-Riordan 1990:169, 172-3; Turner 1991). Ainsi, pour expliquer l'absence imprévue des baleines blanches au voisinage d'un camp de chasse inuvialuit en 1991, une femme de chasseur a déclaré:

Il ne faut jamais dire que l'on va attraper un animal à une occasion particulière - si vous voulez l'attraper ou si vous dites que vous l'attraperez, alors vous n'avez aucune chance... S'ils veulent se laisser prendre, alors ils le feront et sinon, vous n'avez aucune chance. (Dororhy Arey, dans Freeman et al., 1992:57).

C'est la raison pour laquelle une administration gouvernementale qui délivre des permis permettant aux chasseurs de «capturer» une baleine à une occasion particulière, peut être considérée comme responsable d'un malaise moral pour ceux qui continuent à adhérer profondément aux croyances et aux principes traditionnels inuits.

L'utilisation appropriée des aliments provenant de la chasse est considérée comme agréable à l'animal qui s'est offert à cet effet (Wenzel, 1991:139). Cette façon de voir les choses conduit à la croyance qui prévaut parmi les chasseurs, selon laquelle il faut continuer à chasser les animaux de proie pour qu'ils restent en bonne santé et abondants, car seule l'activité de la chasse permet aux chasseurs de manifester une attitude de respect grâce à l'observation des rituels et des pratiques appropriés de chasse et de partage de la nourriture.

Il y a une autre raison pour laquelle certains chasseurs ne croient pas à l'efficacité d'une limitation de la chasse pour encourager le rétablissement de la population d'un animal raréfié: les animaux, en tant que personnes non humaines possèdent un esprit (inua) qu'il faut libérer après la mort, avant qu'un autre animal puisse devenir un être vivant. Dans cette optique autochtone il est donc absurde, lorsque des animaux se raréfient localement, d'arrêter de le chasser et de mettre ainsi un terme à la libération de leurs esprits (Fienup-Riordan 1990:72-74, 171).

7.2 Fondement de l'utilisation durable des ressources dans les régions arctiques

Il existe une longue tradition d'utilisation durable des ressources biologiques dans les régions arctiques: celle-ci s'appuie d'une part sur l'existence de systèmes autochtones communautaires d'exploitation et, incontestablement, sur la densité relativement faible des populations humaines. Toutefois, puisque toutes les régions arctiques sont passées récemment sous la coupe de systèmes étatiques occidentaux de gestion scientifique, et compte tenu de l'accroissement de l'effectif des populations humaines, il est à présent davantage question de préoccupations concernant la pénurie, la surexploitation et la menace d'extinction des espèces (par exemple, Macpherson, 1981; Theberge, 1981; Ludwig et al., 1993; Fienup-Riordan, 1999).

Dans certains cas, les affirmations concernant la surexploitation des ressources suscitent la perplexité des utilisateurs effectifs, qui sont proches des ressources et en rapport suivi avec les autres utilisateurs, et ne perçoivent pas ces problèmes:

En tant qu'Inuits, nous savons que les animaux disparaissent pendant certaines périodes. Nous avons appris des anciens que... tous les mammifères [marins] notamment les baleines blanches obéissent à cette règle. Un jour, leur nombre est très important alors ils disparaissent pendant un temps et reviennent ensuite (Simeonie Akpik, cité dans McDonald et al. 1997:6).

Pour les anciens, tout animal s'éloigne pendant un certain temps ... alors que, de l'avis du Gouvernement, on constate un déclin des populations animales. Or, pour les Inuits ils se sont déplacés, mais leur effectif n'a pas diminué.... D'après ce que nous avons appris, les morses étaient très nombreux autrefois. Maintenant il n'y en a plus, mais ils n'ont pas disparu. Ils sont simplement partis ailleurs... Dans notre communauté il y a un endroit connu sous le nom de Ullikuluk où il n'y avait pratiquement aucun morse. Maintenant, ils y sont nombreux. Pour le gouvernement il y a eu une extinction, alors qu'en vérité ils se sont simplement déplacés. (Peter Alogut, dans McDonald et al., 1997:46).

Les Inuits font par ailleurs valoir qu'en dépit de l'augmentation de leur propre population, la faune locale a fait l'objet d'une demande globale qui a diminué depuis l'époque antérieure où chaque ménage possédait un grand nombre de chiens de traîneaux et alors que les aliments importés étaient nettement moins courants ou bien moins utilisés.

D'après une équipe de chercheurs en sciences sociales dont les travaux portaient sur l'utilisation durable des mammifères marins, la durabilité dans le temps de l'utilisation des ressources exige l'observation de cinq critères importants (Young et al,. 1994). Ces cinq conditions sont les suivantes:

1. Le groupe utilisateur doit se caractériser par des liens sociaux et culturels qui couvrent divers aspects non matériels de la vie quotidienne.

2. Le groupe utilisateur doit opérer à une distance acceptable de l'endroit où il habite et à l'intérieur d'un territoire bien défini.

3. Les pratiques de chasse doivent être transposables dans le temps par la collectivité, de telle sorte que le savoir local (notamment les règles et les croyances) est habituellement transmis de génération en génération, à l'intérieur de la même communauté.

4. Les membres de la communauté doivent attacher aux pratiques de chasse une valeur tenant à plusieurs aspects: autrement dit, ces pratiques doivent présenter, notamment, un intérêt historique, social, économique, nutritionnel, symbolique, esthétique, cérémoniel et spirituel.

5. Etant donné que les espèces des ressources utilisées, comme l'environnement dans son ensemble, peuvent faire l'objet de modifications indépendamment des ponctions liées à l'homme, il faut instaurer un suivi permanent de l'ensemble complexe hommes/ressources de façon à pouvoir apporter des modifications modulables et socialement équitables aux pratiques en cours.

8. RECHERCHE D'AMÉNAGEMENTS: L'APPROCHE DE LA COGESTION

Les formules de cogestion présentent un intérêt dans la mesure où elles s'emploient à instituer un système de réglementation susceptible de répondre à chacun des cinq critères énoncés ci-dessus, tout en impliquant pleinement les utilisateurs locaux dans les activités de cogestion et les processus décisionnels. Aussi, les conseils ou les comités de cogestion comportent-ils d'ordinaire des membres issus des communautés d'utilisateurs qui seront concernés par les décisions du conseil, ainsi que des représentants des services compétents de l'administration publique. A cet égard, les mesures adoptées par le conseil devraient tenir pleinement compte des aspects culturels et mettre à profit les connaissance tirées du savoir autochtone et celles qui proviennent du savoir scientifique occidental.

En dépit de cet avantage potentiel par rapport à nombre de systèmes de gestion étatique, la cogestion n'est pas une panacée et comporte des insuffisances souvent constatées dans les communautés d'utilisateurs comme dans les services de l'administration publique. Au demeurant, il y a incontestablement des exemples de réussite de la cogestion: la Commission baleinière esquimau de l'Alaska (AEWC), créée en 1977 pour assurer la cogestion des ressources de baleines blanches en Alaska, est souvent considérée comme un exemple de réussite (Freeman, 1989; Freeman et al., 1998; 123; Jolles, 1995:318ff).

Il existe par ailleurs des comités de cogestion des ressources baleinières de l'Arctique canadien (Goodman 1999). Ces arrangements administratifs particuliers ont été adoptés suite à la conclusion d'ententes sur le règlement de revendications territoriales, qui ont eu pour effet de transférer aux demandeurs différents aspects de la gestion des affaires publiques. Ainsi, un comité de gestion conjointe des pêches assure la responsabilité en matière de réglementation de toutes les activités de chasse et de pêche de mammifères marins dans les régions arctiques de l'ouest du Canada, tandis que le Conseil de gestion de la faune de Nunavut détient une responsabilité analogue pour les activités de chasse, de pêche et de piégeage dans l'ensemble des zones arctiques du centre et de l'est du Canada. Ces deux instances ont un rôle essentiellement consultatif, de même que toutes les instances de cogestion, leurs avis étant transmis pour approbation à un ministère du Gouvernement fédéral. Toutefois, aux termes de ces deux ententes sur le règlement de revendications territoriales les raisons susceptibles d'être invoquées par le Ministre pour ignorer les avis formulés sont strictement limitées: la conservation des ressources et la sécurité publique sont les seules raisons permettant au Ministre de passer outre aux recommandations du comité et celles-ci doivent être présentées par écrit dans un délai déterminé. Jusqu'à présent, le Ministre a accepté l'avis formulé visant à autoriser une reprise de la chasse à la baleine blanche dans les régions arctiques de l'ouest et de l'est du Canada, et de supprimer les contingents du Gouvernement fédéral appliqués à la chasse au narval, et ceux en vigueur dans certaines communautés de chasseurs à la baleine blanche.

Au sujet de cette recommandation, on peut s'interroger sur le point de savoir dans quelle mesure le savoir autochtone traditionnel a pu s'avérer plus pertinent que l'avis scientifique des gestionnaires étatiques précédemment communiqué au ministre fédéral? Pour pouvoir répondre à cette question, il faut admettre que l'information requise pour garantir l'utilisation durable des stocks de mammifères marins - à savoir la composition, la dynamique et l'identité des stocks baleiniers - s'avère difficile et coûteuse à obtenir. Dans ces conditions, des décisions de gestion sont parfois prises en définitive sur la base de données hautement incertaines, et sont en maintes circonstances de simples choix «au jugé» des scientifiques. Si ces estimations se traduisent par des décisions qui portent préjudice aux utilisateurs locaux et en outre, si les conclusions des scientifiques contredisent la perception des utilisateurs locaux quant à la situation des ressources, alors les conflits sont inévitables. L'exemple de la Commission baleinière esquimau de l'Alaska illustre l'apparition d'un problème de ce type et la façon dont il a été finalement résolu.

8.1 Cogestion de la chasse à la baleine blanche en Alaska

En 1977, la Commission baleinière internationale (CBI) a été informée par des scientifiques du Gouvernement fédéral des États-Unis du fait que la population de baleines blanches (Balaena mysticetus) était très réduite et qu'une intensification des activités des chasseurs autochtones de l'Alaska empêchait le rétablissement de cette population gravement décimée. La CBI a réagi en imposant aux pêches un contingent de captures nul. Le fondement de cette interdiction, à savoir une estimation du stock comprise entre 600 et 1 200 baleines blanches, a été contesté par les chasseurs qui faisaient état d'une population d'environ 7 000 baleines, c'est-à-dire d'un effectif qui, selon eux, ne serait pas compromis par le niveau actuel de la chasse.

Les informations utilisées par les scientifiques du Gouvernement américain pour estimer la population de baleines blanches ont été recueillies en plaçant des observateurs sur la banquise chargés de recenser le nombre de baleines blanches circulant dans les canaux d'eaux libres à proximité du bord de la banquise. Cette technique devait selon eux fournir un recensement exact, car les baleines devaient toutes nager en eaux libres puisqu'elles avaient besoin de respirer. Pendant la migration de printemps, on observe régulièrement la présence d'un canal d'eaux libres au large de la côte nord de l'Alaska, là où l'amas de glace de l'océan Arctique se trouve au contact des glaces marines solidaires des terres. C'est au niveau de ce point de contact que l'on observe des zones d'eaux libres, ainsi que la présence de baleines et de phoques qui viennent y respirer.

Or, les chasseurs inupiats contestèrent les points de vue des scientifiques sur différents points, notamment en faisant observer que les itinéraires de migration des baleines blanches ne se limitaient pas aux étroits canaux d'eaux libres, et que la période pendant laquelle les observateurs étaient présents sur la glace ne coïncidait pas avec la durée totale de la migration de printemps des baleines blanches. Les chasseurs à la baleine savaient que sur au moins 100 km à partir de l'emplacement des observateurs, il y avait des zones en eaux libres très éloignées du bord de la banquise côtière où se tenaient les observateurs, et que par ailleurs les glaces marines comportaient de nombreux trous de respiration effectués par les baleines blanches. Un recensement effectué sur cette fraction des baleines qui choisissaient de migrer par une bande étroite en eau libre de moins d'une centaine de mètres de large, ne permettait pas d'établir une estimation fiable de la population totale de baleines blanches en cours de migration.

Les chasseurs ont fait en outre observer que la surface inférieure des glaces marines de l'océan Arctique est extrêmement irrégulière en raison des empilements successifs de couches de glace sur plusieurs années. Ces inégalités créent de vastes poches d'air utilisées par des mammifères marins adaptés à ce milieu, notamment les baleines boréales. En outre, la surface de la glace se brise régulièrement en raison des pressions exercées par les mouvements latéraux qui créent des contraintes énormes ne pouvant être éliminées que par l'apparition de fractures. Une fois ces fractures apparues à la surface de la glace, une nouvelle glace se forme rapidement. Toutefois, la nouvelle glace reste mince une journée ou deux, par comparaison à la couche de glace pluriannuelle de deux ou trois mètres d'épaisseur (ou davantage). Lorsque l'épaisseur de cette nouvelle couche en formation atteint environ vingt ou trente centimètres, la pression exercée par une tête de baleine boréale suffit pour la briser. Des trous de respiration aisément reconnaissables se trouvent dans cette glace nouvellement formée le long des lignes de fracture et comportent des cristaux de glace caractéristiques, formés par la respiration des baleines; ces cristaux indiquent aux chasseurs que les baleines se déplacent vers l'est, sur un front d'une largeur pouvant atteindre plusieurs centaines ou plusieurs milliers de fois celle de la zone recensée.

Les chasseurs savent en outre que, lorsque les observateurs quittent à la fin du moins de mai et pour des raisons de sécurité l'emplacement où ils se trouvent sur la glace marine, ils continuent eux à suivre la migration des baleines boréales vers l'est, sur plusieurs centaine de kilomètres, à partir de l'ouest. De fait, pour les chasseurs à la baleine du nord de l'Alaska, on compte trois vagues de migration de baleines boréales, dont l'une est suivie en partie par les observateurs du gouvernement. Sans aucun facteur de correction appliqué aux relevés des observateurs, leur estimation d'environ mille baleines était manifestement dénuée de sens.

Suite à la mise en place d'un système de cogestion des baleines blanches, les connaissances des chasseurs quant à leur comportement et à leur biologie ont été mises à profit pour leur consacrer un programme scientifique de recherche et de suivi plus satisfaisant. Comme l'a fait observer le chef des services scientifiques de la commission baleinière esquimau de l'Alaska:

Nous nous efforçons d'associer étroitement savoir local et savoir scientifique. Sans doute le meilleur exemple de cette démarche a-t-il été fourni en 1981, date à laquelle nous avons effectivement repris le processus de comptage. Nous avons alors conçu la base de tout le programme de recherche sur les indications de quelques vieux chasseurs esquimaux et en particulier d'un homme, Harry Brower. Il m'a pris avec le plus grand soin sous son aile protectrice pour m'expliquer comment les baleines se déplaçaient dans la glace: certes, cela ne paraissait guère raisonnable pour un biologiste normalement constitué, dont le point de vue se résume à ceci: «j'ai peur de la glace et je suis persuadé que les baleines en ont aussi peur». Or, en réalité ces mêmes baleines n'en ont pas peur et c'est là l'essentiel. Lui le savait, et nous tous l'ignorions. Nous avons passé quelque quatorze années de recherche et dépensé des millions et des millions de dollars pour vérifier si ce qu'il disait était exact ou non, et chaque fois que nous avons pu le constater, il avait raison. (M. Thomas Albert, cité dans Freeman et al., 1998:121)

8.2 Vers une cogestion des baleines blanches dans la région arctique de l'est du Canada

Une divergence comparable d'opinions entre chasseurs locaux et scientifiques des services gouvernementaux est apparue au sujet des comportements et des effectifs de la baleine blanche (Delphinapterus leucas) dans la région arctique de l'Est du Canada (Freeman et al., 1998:132-135). Des suivis satellites récents de baleines blanches ont confirmé le point de vue des chasseurs en ce qui concerne les baleines observées dans le détroit de Cumberland, qui ne constituent pas nécessairement une petite population résidente. En fait, les baleines observées à un moment donné à l'entrée de la baie constituaient une fraction restreinte, limitée par l'habitat considéré, d'une vaste population très diversifiée de baleines blanches. D'après les chasseurs locaux, le groupe de quelque cinq-cent baleines dénombrées par les scientifiques à l'entrée du détroit de Cumberland est constamment renouvelé par de nouveaux arrivants, lesquels sont eux-mêmes remplacés par la suite suivant un processus qui dure toute la saison. Les chasseurs savent distinguer différents groupes de baleines blanches, selon les caractéristiques de leur peau, leur morphologie, ainsi que leurs façons de nager et de plonger.

De plus, les chasseurs ont noté que l'effectif d'environ cinq-cent baleines blanches recensé par les scientifiques en 1990 dépassait le nombre relevé en 1986, en dépit des quatre-cent baleines capturées entre temps. Comment demandent-ils alors, la chasse pourrait-elle aboutir à l'extinction de cette population dans les quatre ou cinq années à venir, comme l'affirment les scientifiques du gouvernement?

Les patientes observations détaillées réalisées par les utilisateurs locaux des ressources au cours de nombreuses saisons, complétées par les observations anciennes transmises de génération en génération, confirment pleinement l'intérêt des renseignements écologiques présentés par les utilisateurs dans le cadre des discussions des instances de co-gestion. L'intérêt des observations inuites tient à leur connaissance du comportement animal et de ses relations avec le milieu ambiant; leur point faible concerne sans doute l'évaluation quantitative des effectifs. Toutefois, comme le démontre amplement l'exemple de la baleine boréale d'Alaska, dans le cas des mammifères marins difficilement observables, les évaluations quantitatives risquent d'être totalement erronées lorsqu'elles ne sont pas associées à une connaissance approfondie du comportement animal. Le processus de cogestion des ressources offre donc la possibilité d'acquérir cette connaissance complète qui constitue la condition préalable d'une utilisation durable des ressources.

9. ANALYSE ET CONCLUSIONS

La sécurité alimentaire des chasseurs artisanaux à la baleine d'Amérique du Nord est tributaire dans une large mesure de la poursuite d'une exploitation durable des populations de baleines recherchées. De même cette durabilité semble dépendre du maintien persistant par ces sociétés d'un certain nombre d'institutions, de pratiques et de normes sociales et culturelles qui à l'heure actuelle, et pour l'essentiel, sont encore en vigueur et efficaces.

Le fait que pour les sociétés de chasseurs à la baleine les stocks de ressources conservent une importance liée à des aspects multiples, joue semble-t-il un rôle essentiel. Tel semble être le cas des sociétés considérées dans la présente étude. La valeur des baleines tient en partie à la nourriture hautement prisée qu'elles fournissent, mais aussi à un certain nombre d'autres raisons. Jusqu'à un certain point, la grande importance attachée aux baleines s'explique par la solidarité sociale, le bien-être physique et psychologique et le sentiment de sécurité que procurent les chasses fructueuses, ainsi que la transformation, la distribution, la consommation et la célébration des produits issus de cette activité.

Les aspects cérémoniels de la chasse à la baleine jouent également un rôle majeur pour différentes raisons d'ordre culturel et spirituel et il convient de ne pas y voir uniquement des activités récréatives ou artistiques d'ordre séculier. L'importance des célébrations liées à la chasse à la baleine tient à leur caractère ancestral et à la façon dont elles établissent un lien fort entre les générations qui participent à ces événements et les générations passées qui ont accompli les mêmes cérémonies. A ces occasions la baleine est remémorée et honorée pour le rôle qu'elle joue pour assurer la continuité de la culture et de la société; elle est également remerciée avec toutes sortes d'égards au moyen de cérémonies bien ordonnées et chargées de symboles.

Aujourd'hui, les sociétés autochtones de chasseurs à la baleine dans les régions arctiques de l'Alaska et du Canada connaissent une évolution perceptible et régulière, comme cela a été le cas depuis de nombreux siècles. On peut cependant s'interroger à bon escient quant à la persistance de ces liens culturels anciens avec la chasse à la baleine, et ce pour combien de temps. Le fait de poser cette question dans un contexte historique permet d'y répondre par l'affirmative.

Il y a un peu plus d'un siècle, des chasseurs commerciaux envahirent les territoires où opéraient les chasseurs Inuits de l'Alaska et du Canada. Il en a résulté pour les Inuits un recul démographique lourd de conséquences, infligé par l'apparition d'épidémies et par des transformations techniques, alimentaires et économiques survenues à un rythme et à une échelle jamais connus auparavant (ou semble-t-il depuis lors) au cours des quelque deux mille ans de leur présence sur leurs terres. Ces répercussions physiques ont été suivies peu de temps après par le déploiement d'une activité missionnaire qui visait à éliminer les fondements religieux et spirituels de l'existence des Inuits. Par la suite, c'est-à-dire depuis un siècle à peine, il y a eu d'autres agressions sociales et culturelles: l'emballement et l'effondrement des entreprises de fourrure et d'exploitation minière; les brusques épidémies (souvent mortelles) de grippe, de tuberculose, de poliomyélite et de rougeole; la disparition de langues et de dialectes autochtones; les mesures militaires et défensives à grande échelle; les activités de prospection pétrolière et gazière présentant de graves dangers pour l'environnement; les effets destructeurs de l'alcool et de la drogue; les campagnes de défense des droits des animaux mettant un terme à la traque à la fourrure et au commerce de la peau de phoque et mettant en cause la chasse à la baleine par les autochtones, etc.

Cependant, aucune de ces perturbations ne semble avoir provoqué une perte irréversible d'identité culturelle et, chose particulièrement importante, aucune d'entre elles n'a altéré l'adaptabilité qui a permis aux cultures successives des Inuits de survivre aux changements climatiques (et plus récemment aux changements d'origine humaine) qui ont affecté leur monde depuis plus de deux millénaires. La poursuite de l'existence d'un peuple qui dispose librement de lui-même n'exige pas nécessairement la survie de chacun des éléments de son patrimoine culturel actuel. Une culture est évolutive, souple et résistante: certains éléments qui disparaissent peuvent aussi être réinventés; les éléments essentiels, ceux qui importent avant tout, du point de vue de l'identité culturelle spécifique d'un peuple, sont vraisemblablement impossibles à éliminer par des moyens extérieurs - même en cas de neutralisation prolongée, par exemple l'arrêt pendant trois générations de la chasse à la baleine mentionné plus haut. La chasse et le partage sont au cœur de la culture inuite, car rien d'autre n'aurait permis à un peuple autochtone de survivre aussi longtemps et de développer une culture aussi riche dans la région arctique, leur chère patrie.

Le noyau culturel inuit est particulièrement solide en ce qui concerne la culture de la chasse à la baleine. Il en est ainsi en raison de l'insécurité alimentaire et des multiples besoins, auxquels répond cet aspect de leur culture, du niveau de partage et de solidarité sociale obtenu grâce aux activités de capture et aux opérations connexes de transformation et de célébration, et enfin de l'enrichissement spirituel né de la réflexion sur les baleines et leur utilisation. Pour ces différentes raisons, des sociétés qui accordent aux baleines une importance présentant des aspects multiples et qui vivent dans un cadre où ces animaux abondent, sont dans l'impossibilité d'envisager un arrêt de la chasse, ce qui reviendrait à renoncer à leur identité, à dévaluer leur histoire et à dénigrer leurs aïeux.

La conférence inuite circumpolaire (CIC), organisation représentant les Inuits d'Alaska, du Canada, du Groënland et de Russie a récemment commandé une étude internationale sur les activités inuites de chasse à la baleine, dont les conclusions ont fourni une partie des données utilisées dans la présente étude de cas. A la fin du rapport de la CIC, les auteurs déclarent:

... pour les Inuits, comme pour d'autres peuples ailleurs dans le monde, les baleines ont une importance spéciale. Les Inuits, par leur participation aux efforts internationaux visant à protéger l'environnement arctique et à entreprendre des activités de recherche, de suivi et de gestion concernant les baleines, ont fait savoir que les baleines arctiques relevaient de leur responsabilité et qu'ils continueront à remplir pleinement leur rôle protecteur vis-à-vis de ces magnifiques créatures. Ce souci de conservation se manifeste par une collaboration avec les chercheurs, les agences gouvernementales.... comme par les garanties spirituelles apportées par la prière et les rituels traditionnels. Pour assurer la poursuite de mesures de conservation aussi déterminées, la culture, ainsi que l'engagement personnel des protecteurs Inuits des baleines, doivent conserver toute leur vigueur. En ce qui concerne les non-Inuits, il est impératif de bien comprendre comment leurs propres actions soutiennent ou entravent cette lutte menée en première ligne pour la conservation des baleines (Freeman et al., 1998:192, ajouté par l'auteur).

Il faut souhaiter que les gouvernements et les organismes intergouvernementaux percevront que les intérêts bien compris des baleines comme de leurs protecteurs inuits sont inextricablement liés. De fait, en l'occurrence, la sécurité alimentaire des Inuits et la gestion efficace et équitable des ressources sont indissociables de leur pratique permanente et respectueuse de la chasse à la baleine.

10. BIBLIOGRAPHIE

Ames, B.N. et L.S. Gold 1995. The causes and prevention of cancer: the role of environment. Dans: R. Bailey (dir. publ.), The True State of the Planet, p. 142-175. Free Press, New York.

Andersen, P. 1999. Makah tribe rejoices in reviving centuries-old whaling tradition. Edmonton Journal, May 23 1999 (Associated Press report).

Aron, W., W. Burke et M.M.R. Freeman 2000. The whaling issue. Marine Policy 24(3):179-191.

Berkes, F. 1996. Social systems, ecological systems, and property rights. Dans: S. Hanna, C. Folke et K-G. Mäler (dir. publ.), Rights to Nature: Ecological, Economic, Cultural, and Political Principles of Institutions for the Environment, p.87-107. Island Press, Washington, D.C.

Berkes, F., D. Feeny, B.J. McCay et J.M. Acheson 1989. The benefits of the commons. Nature 340, 13 July:91-93

Bodenhorn, B. 1990. “I'm not the great hunter, my wife is.” Etudes Inuit Studies 14:55-74.

Bromley, D.W. (dir. publ.) 1992. Making the Commons Work: Theory, Practice and Policy. Institute for Contemporary Studies Press, San Francisco.

Burke, W.T. 1997. Whaling and international law. Dans: Guðrún Pétursdóttir (dir. publ.), Whaling in the North Atlantic: Economical and Political Perspectives, 113-122. University of Iceland Press, Reykjavík.

Caulfield, R.A. 1997. Greenlanders, Whales and Whaling: Sustainability and Self-determination in the Arctic. University Press of New England, Hanover et London.

Cawthorn, M.W. 1999. The changing face of New Zealand's whaling policy. Dans: Whaling and Anti-whaling Movement, p. 17-30. The Institute of Cetacean Research, Tokyo.

Dewailly, E., S. Bruneau, C. Laliberté, G. Lebel, S. Gingras, J. Grondin et P. Lavallois, 1994. Contaminants. Dans: J. Jette (dir. publ.), Et la Santé des Inuits, ça va?; rapport de l'Enquête Santé Québec auprès des Inuits du Nunavik, 1992, Volume 1, p. 73-107. Ministère de la Santé et des Services Sociaux, Gouvernement du Québec, Montréal.

Dewailly, E., P. Ayotte, C. Blanchet, J. Grondin, S. Bruneau, B. Holub et G. Carrier, 1996. Weighing contaminant risks and nutrient benefits of country food in Nunavik. Arctic Medical Research 55: Supplement 1: 13-19.

Dyer, C.L. et J.R. McGoodwin, (dir. publ.), 1994. Folk Management in the World's Fisheries: Lessons for Modern Fisheries Management. University Press of Colorado, Niwot, Colorado.

Erikson, P.E. 1999. A-whaling we will go: encounters of knowledge and memory at the Makah Cultural and Research Center. Cultural Anthropology 14(4):556-583.

FAO. «Le rôle des pêches dans la sécurité alimentaire» Comité des pêches, Vingt-et-unième session, 10-15 mars 1995.. COFI/95/Inf.10, janvier. Rome: Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture.

Feeny, D., F. Berkes, B.J. McCay et J.M. Acheson 1990. The tragedy of the commons: twenty-two years later. Human Ecology 18:1-19.

Fienup-Riordan, A. 1990. Eskimo Essays: Yup'ik Lives and How We See Them. Rutgers University Press, New Brunswick, NJ.

Fienup-Riordan, A. 1999. Yaqulgewt Qaillun Pilartat (What birds do): Yup'ik Eskimo understanding of geese and those who study them. Arctic 52(1):i-22

Freeman, M.M.R. 1968. Eskimo Thanking acts in the Eastern Canadian Arctic. Folk 10:25-28.

Freeman, M.M.R. 1989. The Alaska Eskimo Whaling Commission: successful co-management under extreme conditions. Dans: E. Pinkerton (dir. publ.), Cooperative Management of Local Fisheries: New Directions for Improved Management and Community Development, p. 137-153. University of British Columbia Press, Vancouver.

Freeman, M.M.R. 1990. A commentary on political issues with regard to contemporary whaling. North Atlantic Studies 2(1-2):106-116.

Freeman, M.M.R. 1993. The International Whaling Commission, small-type whaling, and coming to terms with subsistence. Human Organization 52:243-251.

Freeman, M.M.R. 1994. Science and trans-science in the whaling debate. Dans: Freeman M.M.R. et U.P. Kreuter (dir. publ.) Elephants and Whales: Resources for Whom? p. 143-157. Gordon & Breach Science Publishers, Basel.

Freeman, M.M.R. 1997. Issues affecting subsistence security in arctic societies. Arctic Anthropology 34(1):1-17.

Freeman, M.M.R. et L.N. Carbyn, (dir. publ.), 1988. Traditional Knowledge and Renewable Resources Management in Northern Regions. Commission sur l'écologie de l'UICN et Boreal Institute for Northern Studies (Edmonton).

Freeman, M.M.R, T. Matsuda et K. Ruddle, (dir. publ.), 1991. Adaptive Management of Marine Resources in the Pacific. Harwood Academic Publishers, Philadelphia.

Freeman, M.M.R., E.E. Wein et D.E. Keith, 1992. Recovering Rights: Bowhead Whales and Inuvialuit Subsistence in the Western Canadian Arctic. Institut canadien circumpolaire (Edmonton).

Freeman, M.M.R, L. Bogoslovskaya, R.A. Caulfield, I. Egede, I.I. Krupnik et M.G. Stevenson, 1998. Inuit, Whaling, and Sustainability. AltaMira Press, Walnut Creek, CA.

Freese, C.H. et P.J. Ewins 1998a. Wild Species Use by the Inuvialuit of Inuvik and Paulatuk: An Analysis of WWF's Guidelines for Consumptive Use of Wild Species. WWF Arctic Programme Discussion Paper (avril 1998), Oslo.

Freese, C.H. et P.J. Ewins, 1998b. Wild Species Use by the Inuit of Clyde River: An Analysis of WWF's Guidelines for Consumptive Use of Wild Species. WWF Arctic Programme Discussion Paper (April 1998), Oslo.

Friedheim, R. 1997. Fostering a negotiated outcome in the IWC. Dans: Guðrún Pétursdóttir (dir. publ.), Whaling in the North Atlantic: Economic and Political Perspectives, p. 135-157. University of Iceland Press, Reykjavík.

Friesen, T.M. et C.D. Arnold, 1995. Prehistoric beluga whale hunting at Gupuk, Mackenzie Delta, Northwest Territories, Canada. Dans: A.P. McCartney, (dir. publ.), Hunting the Largest Mammals: Native Whaling in the Western Arctic and Subarctic, 109-125. Institut canadien circumpolaire (Edmonton)

Gilman, A., E. Dewailly, M. Feeley, V. Jerome, H. Kuhnlein, B. Kwavnick, S. Neve, B. Tracy, P. Usher, J. Van Oostdam, J. Walker, B. Wheatley. 1997. Human Health. Dans: J. Jensen, K. Adare et R. Shearer (dir. publ.), Canadian Arctic Contaminants Assessment Report, p. 295-377. Affaires indiennes et du Nord Canada (Ottawa).

Goodman, D. 1999. Inuit land claim agreements and the management of whaling in the Canadian Arctic. Dans: Hokkaido Museum of Northern Peoples (dir. publ.), The Proceedings of the 11th Symposium: Development of Northern Peoples, p. 39-50. Association for the Promotion of Northern Cultures, Abashiri, Hokkaido.

Huntington. H.P. 1992. Wildlife Management and Subsistence Hunting in Alaska. Belhaven Press, Londres.

Inglis, J.T. (dir. publ.) 1993. Traditional Ecological Knowledge: Concepts and Cases. Programme international sur le savoir écologique traditionnel et Centre de recherches pour le développement international (Ottawa).

Jenkins, H. 1999. Workshop on the influence of tenure and access rights on the sustainability of natural resource uses. Dans: J. Oglethorpe (dir. publ.), Tenure and Sustainable Use, p.. UICN, Gland (Suisse) et Cambridge (Royaume-Uni).

Johnson, M. (dir. publ.) 1992. Lore: Capturing Traditional Environmental Knowledge. Dene Cultural Institute et Centre de recherches pour le développement international (Ottawa).

Jolles, C.Z. 1996. Speaking of whaling: a transcript of the Alaska Eskimo Whaling Commission panel presentation on native whaling. Dans: A.P. McCartney, (dir. publ.), Hunting the Largest Mammals: Native Whaling in the Western Arctic and Subarctic, p.315-337. Institut canadien circumpolaire (Edmonton).

Kalland, A. 1993. Management by totemization: whale symbolism and the anti-whaling campaign. Arctic 46(2):124-133.

Lucier, C.V. et J.M. Vanstone 1995. Traditional Beluga Drives of the Iñupiat of Kotzbue Sound, Alaska. Fieldiana Publication 1468. Field Museum of Natural History (Chicago).

Ludwig, D., R. Hilborn et C. Walters, 1993. Uncertainty, resource exploitation, and conservation: lessons from history. Science 260, April 2, 1993:17, 36.

Lynge, F. 1992. Arctic Wars: Animal Rights, Endangered Peoples. University Press of New England, Hanover et London.

Macpherson, A.H. 1981. Wildlife conservation and Canada's north. Arctic 34(2):103-107.

Marquardt, O. et R.A Caulfield, 1996. Development of West Greenlandic markets for country foods since the 18th century. Arctic 49(2):107-119.

McCay, B.J. et J.M. Acheson, (dir. publ.) 1987. The Question of the Commons: The Culture and Ecology of Communal Resources. University of Arizona Press, Tucson.

McDonald, M., L. Arragutainaq et Z. Novalinga, 1997. Voices from the Bay. Comité des ressources de l'Arctique canadien (Ottawa).

McGhee, R. 1974. Beluga Hunters: An Archaeological Reconstruction of the History and Culture of the Mackenzie Delta Kittegaryumiut. Newfoundland Social and Economic Studies 13, Memorial University of Newfoundland, St. John's.

McGoodwin, J.R. 1990. Crisis in the World's Fisheries: People, Problems, and Policies. Stanford University Press, Stanford.

Middaugh, J.P. 1994. Implications for human health of arctic environmental contaminants. Arctic Research of the United States 8:214-219.

Notzke, C. 1995. A new perspective in aboriginal natural resources management: co-management. Geoforum 26(2):187-209.

NRC 1986. National Research Council Conference on Common Property Resource Management. National Academy Press, Washington, D.C.

Nuttall, M. 1998. Protecting the Arctic: Indigenous Peoples and Cultural Survival. Harwwod Academic Publishers, Amsterdam.

Ostrom, E. 1990. Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action. Cambridge University Press, Cambridge.

Pungowiyi, C. 1995. Trade and knowledge: strength of the Inuk woman. Presentation made to the Arctic Leaders' Summit, Tromsø, Norway, janvier 1995.

Stevenson, M.G. 1997. Inuit, Whalers and Cultural Persistence: Structure in Cumberland Sound and Central Inuit Social Organization. Oxford University Press, Toronto, New York, Oxford.

Stirling, I. 1990. The future of wildlife management in the Northwest Territories. Arctic 43(3):iii-iv.

Theberge, J.B. 1981. Conservation in the north: an ecological perspective. Arctic 34(4):281-285.

Townsley, P. 1998. Social Issues in Fisheries. FAO Document technique sur les pêches 375, Rome.

Turner, E. 1991. The whale decides: Eskimos' and ethnographer's shared consciousness on the ice. Etudes Inuit Studies 14(1-2):39-52.

Usher, P.J. 1984. Property rights: the basis of wildlife management. Dans: National and Regional Interests in the North: Third National Workshop on People, Resources and the Environment North of 600, p. 389-415. Comité des ressources de l'Arctique canadien (Ottawa).

Usher, P.J. 1995. Comanagement of natural resources: some aspects of the Canadian experience. Dans: D.L. Peterson et D.R. Johnson (dir. publ.), Human Ecology and Climate Change: People and Resources in the Far North, p. 197-206. Taylor and Francis, Washington, D.C.

WCW 1999. World Council of Whalers: 1999 General Assembly Report. World Council of Whalers, Brentwood Bay, B.C.

Wein, E.E. et M.M.R. Freeman, 1992. Inuvialuit food use and food preferences in Aklavik, N.W.T., Canada. Arctic Medical Research 51:159-172.

Wein, E.E., M.M.R. Freeman et J.C. Makus, 1996. Use and preference for traditional foods among the Belcher Island Inuit. Arctic 49(3):256-264.

Wenzel, G. 1991. Animal Rights, Human Rights: Ecology, Economy and Ideology in the Eastern Canadian Arctic. University of Toronto Press, Toronto et Buffalo.

Worl, R. 1980. The North Slope Inupiat Whaling complex. Senri Ethnological Studies 4:305-320

Young, O.R., M.M.R. Freeman, G. Osherenko, R.R. Andersen, R.A. Caulfield, R.L. Friedheim, S.J. Langdon, M. Ris et P.J. Usher 1994. Subsistence, sustainability, and sea mammals: reconstructing the international whaling regime. Ocean and Coastal Management 23:117-127.


[1] Document présenté dans le cadre du projet FAO pour la sécurité alimentaire.
[2] Au demeurant, les chasseurs inuits à la baleine au Groënland - opérant à bord de kayaks et équipés de fusils et de harpons ou à bord de chalutiers et équipés de canons harpons, mettent en vente régulièrement de la viande et du mattak de baleine. Ces ventes au comptant ont lieu sur des marchés de plein air ou dans des usines de transformations alimentaires qui assurent la redistribution de viande congelée conditionnée dans des supermarchés et des magasins situés dans tout le Groënland. Il convient néanmoins de signaler que les échanges commerciaux de produits alimentaires provenant de la faune et de différents produits locaux réglés en monnaie danoise, existent au Groënland depuis plus de deux siècles (Marquardt et Caylfield, 1996); la question de la distinction entre la chasse en vue d’un profit économique et l’introduction de l’argent dans une société de chasseurs a été traitée dans différentes publications (voir Lynge, 1992:43-48; Caulfield, 1997:54-74). Au Canada et en Alaska - contrairement au Groënland - des articles commerciaux importés (et non des espèces) ont été utilisés pour des opérations de troc entre des Inuits et des négociants de l’extérieur, et ce depuis nettement moins longtemps que cela n’a été le cas au Groënland. Au Canada, pour la plupart des Inuits les transactions en espèces ont commencé seulement après la Deuxième Guerre mondiale.
[3] La notion de «gaspillage» a un sens différent selon la culture considérée. Pour une personne non autochtone, la présence sur la grève d’une baleine partiellement dépecée donnera l’impression d’un gaspillage de nourriture qu’elle jugera par conséquent moralement condamnable. Par contre, un Inuit ne serait de cet avis que si aucune partie de la carcasse n’a servi de nourriture. Or, la viande et les autres tissus comestibles restant sur la carcasse ne sont pas «gaspillés», puisqu’ils permettent de nourrir d’autres êtres qui ne sont pas des humains (par exemple, mouettes, renards, crustacés et - par le biais du recyclage de toute matière organique et en définitive, des phoques et des baleines. (Voir également Fienup-Riordan, 1990:174-175; Freeman et al., 1992:67).

Page précédente Début de page Page suivante