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Les aspects socioculturels des pêches: implications pour la sécurité alimentaire et la garantie des moyens d'existence; monographie sur l'Etat du Kérala (Inde) par John Kurien

Associate Fellow
Center for Development Studies
Thiruvananthapuram - 695011, Kerala (Inde)

1. INTRODUCTION

Les aspects sociaux et culturels de toute société évoluent dans le contexte de différentes caractéristiques écologiques, démographiques, techniques et économiques interdépendantes qui lui sont propres. Les conditions écologiques et les facteurs connexes dont dépendent les ressources tendent à présenter une grande stabilité puisqu'elles sont dans une large mesure déterminées par la nature; en revanche, les variables démographiques, techniques et économiques semblent fluctuer davantage, puisqu'elles résultent de l'activité humaine. Les aspects sociaux et culturels, qui découlent des interactions antérieures entre l'homme et la nature se manifestent dans le cadre du déroulement quotidien des activités de subsistance et font la spécificité de la société considérée. Leur accumulation au fil des ans forme l'ensemble constitué des caractéristiques comportementales d'un peuple. Dans les sociétés plus anciennes (par exemple, en Asie), ces caractéristiques socioculturelles ont été transmises essentiellement par le biais des apprentissages pratiques et des traditions orales véhiculées par les chants, les récits et les proverbes. Leur évolution conduit à l'apparition d'une sorte de «vision du monde» des communautés en question qui traduit de façon succincte un système cohérent de pratiques, de connaissances et de croyances (Gadgil et al., 1993).

Les aspects sociaux et culturels des sociétés en développement ont été considérés comme un facteur de ralentissement de leur modernisation économique. Par exemple, certains principes communautaires et certaines préférences alimentaires qui se sont mis en place dans un contexte de fragilité des ressources et de pression démographique, ont été perçus comme des obstacles aux transformations techniques et à l'élargissement du marché. Les nombreuses défaillances de l'orientation essentiellement technico-économique des politiques de développement sont à l'origine d'une nouvelle exigence: il s'agit de trouver une signification neuve à des normes socioculturelles négligées jusqu'ici, avant que leur évolution ne les rende méconnaissables.

Les ressources halieutiques initiales et le contexte écologique correspondant, outre nombre des aspects technico-économiques traditionnels des pêches dans les pays en développement des régions tropicales d'Asie, ont défini toute une série de caractéristiques socioculturelles de base étroitement liées à la situation des populations concernées en quête de moyens de subsistance et de sécurité alimentaire. L'étude de certains aspects de cette réalité insuffisamment pris en compte permet d'apprécier à quel point ils restent d'actualité si l'on veut atteindre les objectifs indissociables suivants: préserver l'intégrité de l'écosystème et garantir la sécurité de l'alimentation et des moyens de subsistance de la communauté.

L'approche ainsi suggérée présente par ailleurs un intérêt particulier dans cette période de mondialisation qui implique dans nombre de cas le remplacement chronique de la culture et du patrimoine culturel par un savoir objectif et des institutions impersonnelles. Ce processus tend à accélérer les tendances à une homogénéisation des spécificités sociales et culturelles et compromet à long terme la variété et la diversité des pratiques et des conceptions de ces sociétés quant à leur avenir. La durabilité d'une société quelconque dépendra dans une large mesure du degré de diversité et d'autonomie qu'elle est capable de préserver dans un but de reproduction de ses caractéristiques sociales et culturelles. La question de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance des populations est au cœur de cette problématique.

La présente étude se rapporte à l'Etat de Kérala, principale province maritime de l'Inde, dont les ressources halieutiques exceptionnelles se trouvent imbriquées avec certaines caractéristiques technico-économiques et socioculturelles de ses pêches marines. La présente étude montre comment les gestionnaires des pêches peuvent mettre à profit une analyse approfondie des significations de la pratique actuelle de la pêche. La connaissance de cette pratique peut contribuer notablement à une gestion des pêches et à un développement qui soient justes, participatifs et durables.

2. LES PÊCHES ET LES PÊCHERIES DE L'ÉTAT DU KÉRALA: CONTEXTE ÉCOLOGIQUE ET SOCIOCULTUREL

Le Kérala est un petit Etat situé à l'extrémité sud-ouest de la péninsule indienne. Il est nettement délimité par la mer d'Arabie et la chaîne de montagne des Western Ghats, tandis que son littoral s'étend sur quelque 600 km et que sa largeur ne dépasse pas 100 km en son point le plus large. Il existe une tradition ancienne expliquant l'origine de cette étroite bande de terre, selon laquelle un sage, connu sous le nom de Parasurama, à l'instar du turbulent dieu Thor de la mythologie nordique, n'eut qu'à lancer sa hache de bataille loin dans l'immensité de la mer d'Arabie, uniquement pour voir les eaux reculer et la terre de Kerala émerger au soleil et à l'air libre (Chaitanya, 1994).

Il y a tout lieu de penser que le territoire du Kerala a été façonné par un soulèvement géologique. La chaîne des Western Ghats qui forme la frontière orientale de l'État semble avoir été écartée et soulevée comme si une inondation avait jailli à travers elle. Des fossiles marins, notamment des récifs coralliens, ont été déterrés dans des zones actuellement à l'intérieur des terres, indiquant ainsi que la mer s'étendait autrefois jusqu'au pied des Ghats. Des géologues sont d'avis que les passages souterrains dont l'existence remonte au cataclysme, constituent la structure de base du réseau étendu de rivières, d'eaux mortes et de lagons qui sillonnent aujourd'hui l'Etat du Kérala. On compte 41 cours d'eau dirigés vers l'ouest, d'une longueur moyenne de 64 km. Ils prennent leur source dans les forêts pluviales tropicales denses des Ghats. Les lagons et les eaux mortes, qui subissent l'effet des marées sur une distance pouvant atteindre 50 km en amont, puisqu'une grande partie de ces terres se trouvent au-dessous du niveau de la mer, couvrent une superficie estimée à 355 000 ha (Gouvernement du Kérala, 1983).

Les pluies torrentielles de mousson emportent les nutriments des collines et des forêts. Ces accumulations de limon s'acheminent à travers les voies d'eau pour s'intégrer aux courants littoraux des eaux côtières. Pendant la mousson, elles y entraînent la formation de bancs de boue connus sous le nom de chakara. Connus des navigateurs des temps anciens qui se sont rendus au Kérala, ces bancs de boue constituent des havres étranges offrant des lieux d'ancrage calmes, en particulier lorsque la mer est forte. Lorsque ces bancs se forment, ils regorgent de poisson et de crevettes.

Les premiers poèmes de la période du Ie au IVe siècles de notre ère, c'est-à-dire de la période Sangam (Pillai et Ludden, 1997) font état de l'abondance des ressources halieutiques et de la présence de communautés de pêche dans cette région, ainsi que les textes de Pline, géographe et célèbre voyageur romain du Ie siècle de notre ère (Ray, 1993). Au cours des siècles suivants (aux VIIe et VIIIe siècles) les marchands arabes trouvèrent leur chemin vers le nord du Kérala, en suivant les bancs grouillants de sardinelles indiennes qui migrent le long de la côte ouest de l'Inde pour s'entasser dans les eaux côtières. Friar Ororic qui naviguait le long de la côte sud-ouest de l'Inde en 1320 faisait observer:

«Certains poissons viennent dans ces mers... en telle abondance que sur une distance considérable rien d'autre n'apparaît à la surface de l'eau que le dos de ces poissons, qui se jettent d'eux-mêmes sur le rivage et doivent attendre pendant trois jours l'arrivée des hommes qui en capturent alors autant qu'ils veulent» (Cité dans Day, 1865).

Sous le régime colonial et à des époques plus récentes, la flore et la faune d'une région septentrionale de l'actuel Etat du Kérala (appelé également Malabar) ont été systématiquement décrites pour les besoins scientifiques de l'ichtyologie. «Fishes of Malabar» (les poissons de Malabar) de Francis Day (Day, 1965) est un exemple de ce type d'ouvrage. On a calculé que les eaux côtières de la partie sud de l'État actuel du Kérala (région connue également sous le nom de Travancore) atteignaient une productivité de 250 kg par ha, soit:

«Le double de la quantité produite par un acre d'un plan d'eau considéré comme riche par les experts mondiaux de la pêche.» (Velu Pillai, 1940).

Le rendement annuel potentiel des eaux côtières a été évalué à un demi-million de tonnes. Cette abondance a permis aux administrateurs de spéculer quant à la possibilité future d'un coup de baguette magique qui permettrait aux pêches modernes de redresser complètement leur situation.

La chaîne des Western Ghats a isolé le Kérala du reste du sous-continent. Cela explique les caractéristiques socioculturelles très différentes de la population de cet État par comparaison au reste du sous-continent indien. Elle a semble-t-il été davantage ouverte aux influences des autres cultures venues à leur contact par les mers. A travers les âges, Phéniciens, Egyptiens, Grecs, Romains, Syriens, Maures, Arabes, Chinois, Hollandais, Juifs, Danois, Français, Portugais et Anglais ont rivalisé en leur temps pour se procurer les épices et les bois de cette terre en échange d'or, de lin, de céramique et autres produits de luxe (Curtin, 1984; Arasaratnam, 1994). Pendant cette période de 20 à 30 siècles, ces communautés n'ont pas seulement échangé leurs biens, mais également ont laissé leur empreinte sur le tissu technico-économique et socioculturel de la population du Kérala. Ces influences sont manifestes dans maintes techniques des métiers traditionnels, dans les formes architecturales, dans les nuances de la langue et dans les habitudes alimentaires. Toutes les grandes religions du monde se sont manifestées de manière précoce au Kérala, de telle sorte que les différentes communautés en cause, qui vivaient dans une étroite interdépendance économique, coexistaient harmonieusement, grâce aux apports mutuels des cultures propres à chacune d'elles. Cette étroite bande côtière était devenue le creuset culturel de la région.

A différentes époques du dernier millénaire, Arabes et Portugais ont véhiculé ladite tradition aryenne, et en sont arrivés à exercer une influence considérable sur la vie sociale et religieuse des communautés côtières de pêcheurs du Kérala, dont les membres étaient réprouvés en tant qu'impurs au sens brahmanique strict de la culture indienne. Vu le cosmopolitisme religieux de ce littoral, le Kérala est le seul État maritime de l'Inde (sur l'ensemble des neufs) où les communautés musulmanes, hindoues et chrétiennes de pêcheurs en mer sont fortement présentes. Les communautés musulmanes sont prédominantes dans la région côtière septentrionale, tandis que les hindous sont concentrés dans la zone centrale et les chrétiens sont majoritaires au sud. Ces communautés se caractérisent en outre par des traditions maritimes et des techniques de pêche distinctes, qui traduisent dans un cas comme dans l'autre l'influence des facteurs commerciaux et culturels auxquels la communauté considérée a été associée (Ray, 1993). De même et peut-être plus encore, les facteurs liés à l'océanographie physique et à la configuration des ressources marines des eaux exploitées ont joué un rôle prépondérant dans l'évolution des traditions et des techniques. Un traité célèbre du XIIe siècle, intitulé Valavisu Puranam (une épopée de la pêche) contient plusieurs référence à la méthode de pêche en vogue, ainsi qu'aux arts et aux sciences ayant un rapport avec la pêche.

Une étroite bande de terre parsemée de lagunes et d'eaux mortes et parcourue par un réseau de cours d'eau qui s'écoulent dans des eaux côtières enrichies de nutriments réunit les conditions écologiques propres à garantir l'abondance des ressources aquatiques. Ce facteur, joint à la diversité des techniques de pêche a constitué l'explication socio-écologique aux termes de laquelle le poisson est devenu partie intégrante de la cuisine de cette région du sous-continent indien. Les terres y étant sillonnées par les eaux, les établissements humains au Kérala se sont particulièrement densifiés (en moyenne 750 ha par km2), tout en étant extrêmement dispersés. Cette spécificité a contribué pour l'essentiel à la décentralisation plus marquée du réseau de troc et d'échange de produits entre producteurs et consommateurs de poisson. Le long du littoral, toutefois, la population des pêcheurs en mer, soit plus de 700 000 personnes, s'est répartie sur les 600 km de la côte en 220 agglomérations densément peuplées, serrées dans un espace de moins de 200 mètres par rapport au bord de mer. Aussi les villages de pêcheurs du Kérala sont-ils les plus denses (230 habitants par km2) de tous les États maritimes de l'Inde.

L'Etat du Kérala est par ailleurs exceptionnel dans la mesure où tous les groupes religieux notamment les Hindous - qui sont strictement végétariens dans la plupart des autres régions de l'Inde - sont grands consommateurs de poisson. Ce fait confirme l'importance du rôle déterminant des conditions écologiques dans la définition des préférences alimentaires. Le poisson est ainsi devenu une composante culturellement importante et indispensable du régime alimentaire. Dans cet Etat extrêmement peuplé de l'Inde, on estime que 96 pour cent des trente millions d'habitants consomment du poisson (Srivastava et al., 1991). Le riz étant la principale source de glucides, le poisson est un élément indispensable de l'alimentation, pour les riches comme pour les pauvres. Il existe une variété de riz dite Pokkali qu'il est possible de cultiver dans les eaux saumâtres du littoral, en présence de poisson et de crevettes d'élevage. La production mixte de riz et de poisson est également pratiquée dans les eaux dulcicoles de l'Etat. Le poisson représente plus des trois quarts de la ration quotidienne de protéines animales des habitants du Kérala. Dans les communautés de pêcheurs, la proportion est naturellement plus élevée. La consommation de poisson est comprise entre 15 et 20 kg par habitant et par an selon les fluctuations des disponibilités annuelles. La moyenne à l'échelle de l'Inde est de l'ordre de 4 kg par habitant et par an (Gouvernement de l'Inde, 1996).

Le fait que les sardinelles indiennes, l'espèce marine la plus abondante, soit connue sous le nom de kutoombum-pularthi, ce qui signifie «pourvoyeur des familles» ou «protecteur des familles» permet d'apprécier pleinement l'importance pour les communautés de pêcheurs du poisson en tant que moyen de subsistance et garant de la sécurité alimentaire. Il s'agit aussi de l'espèce la plus prisée chez les consommateurs de poisson au Kérala. Ce poisson nourrissant est acheminé sur les marchés, dans tous les coins et recoins du Kérala - initialement sous forme séchée et salée, mais maintenant avec l'arrivée des glacières, à l'état frais. Chez les consommateurs, les sardinelles indiennes portent également le nom de protéines du pauvre. Ce poisson se marie délicieusement bien avec le tapioca (manioc), autre source importante de glucides pour la population du Kérala, et en particulier pour les pauvres.

3. ASPECTS SOCIAUX ET CULTURELS DES PÊCHES: IMPLICATIONS POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA GARANTIE DES MOYENS D'EXISTENCE

L'étude des aspects sociaux et culturels des pêches au Kérala couvre un certain nombre de questions qui continueront d'avoir une incidence sur les caractéristiques futures de la gestion des pêches au Kérala. Ces différentes questions doivent être situées dans le contexte d'un processus moderne particulier de développement des pêches dans la région. En bref, il s'agit d'un processus de modernisation dirigé par l'État qui s'est efforcé d'imiter le modèle des pêcheries nordiques et tempérées en matière de normalisation des embarcations et des engins, et ce pour obtenir une production halieutique maximale. Les bases de ce processus ont été définies par le premier projet tripartite international élaboré dans le monde le projet indo-norvégien pour le développement des pêches, supervisé conjointement par les Nations Unies et les Gouvernements de la Norvège et de l'Inde (voir Klausen, 1968; Galtung, 1974 et Kurien, 1985 où figurent des indications détaillées). Ce modèle de développement a été associé à un programme de relance des exportations. Pendant environ trois décennies, à partir de la création de l'État du Kérala en 1956, le développement des pêches a été lié en quasi-totalité à la capture et à l'exportation de crevettes.

L'absurdité de ce processus, en particulier l'absence d'enracinement dans l'histoire technique et écologique, comme dans l'évolution socioculturelle des pêches de la région et de façon plus importante le fait que son champ d'action ignorait la majorité de la population de pêcheurs en activité, n'est apparue sur la place publique qu'au début des années 1980. A cette époque, les véritables communautés de pêcheurs artisanaux se sont organisées pour protester contre la marginalisation dont ils faisaient l'objet à cause du processus engagé. Il s'agissait en fait d'un développement des pêches ignorant le développement des pêcheurs, joint à un désastre tant écologique que socioculturel, du moins en ce qui les concernait (voir Kurien, 1992).

Je me propose dans le présent document d'attirer l'attention sur certains des principaux aspects des pêches du Kérala qui n'ont pas fait partie du programme de «modernisation» conventionnel prévu dans le cadre du développement des pêches au Kérala. Les aspects analysés et les points de vue proposés reposent sur l'expérience acquise à la faveur de 25 années d'engagement direct au sein des communautés de pêcheurs en mer du Kérala. J'ai passé les cinq premières années de cette période dans les villages de pêcheurs du district méridional de Thiruvananthapuram, avec une équipe d'animateurs sociaux. Nous aidions les communautés à commercialiser leur poisson plus efficacement; à introduire les changements techniques appropriés dans leurs opérations de pêche et enfin, à améliorer leur qualité de vie.

Il faut cependant situer la portée de ces initiatives auprès des communautés de pêcheurs dans le cadre général des transformations socio-économiques et culturelles de l'État du Kérala considéré dans son ensemble. Le Kérala a passé pour un bon exemple de société ayant atteint des niveaux élevés de développement humain, sans l'avoir associé à la recherche d'une croissance économique toujours plus forte et d'une progression des revenus (Franke & Chasin, 1994; Jeffery, 1992; Panikar and Soman, 1984). Ce résultat a été obtenu par un long processus de participation de la population à différents mouvements sociaux, religieux et politiques qui orientèrent l'action des pouvoirs publics dans le sens d'un accroissement des taux d'alphabétisation, d'une amélioration des conditions de santé et de nutrition et de l'augmentation correspondante de l'espérance de vie. Dans l'ordre défini par un indice de développement humain, l'État du Kérala vient en tête des États de l'Inde et se trouve à égalité avec un grand nombre de pays développés (Kannan, 1999). Ces comparaisons reflètent néanmoins une situation moyenne; aussi a-t-on fait observer que cette «tendance centrale» dissimulait la situation de certaines communautés «isolées» qui ne suivent pas ces normes pour la simple raison qu'elles sont restées à l'écart des grands mouvements sociaux, religieux et politiques mentionnés ci-dessus, et que leur situation socio-économique laisse en effet beaucoup à désirer. Les communautés de pêcheurs chrétiennes et musulmanes du Kérala font certainement partie de cette catégorie (Kurien, 1994). C'est pour faire face à cette situation que des animateurs sociaux se sont joints à ces communautés il y a une trentaine d'années.

Cette étroite association avec la communauté de pêcheurs s'est avérée un atout important dans le cadre de mes activités ultérieures en tant qu'animateur et chercheur. J'ai ainsi été en mesure d'étudier de près de nombreux aspects touchant à l'économie politique et au développement des pêches, comme à plusieurs aspects technico-économiques et socioculturels - le plus souvent en étroite coopération avec les communautés proprement dites.

La teneur de cet exposé repose par ailleurs sur les conclusions de mes travaux antérieurs. Je m'attache ci-après aux manifestations visibles des caractéristiques sociales et culturelles plus profondément ancrées et façonnées tout au long d'une très longue histoire: nature des règles de partage à l'intérieur de la pêcherie, savoirs et techniques traditionnels, arrangements institutionnels anciens et récents au sein des communautés de pêche, pêche et sécurité alimentaire, et rôle des femmes.

Les questions énumérées ci-dessus ont à mon avis une incidence extrêmement importante sur les moyens d'existence et la sécurité alimentaire des communautés de pêcheurs en mer du Kérala, en particulier, comme des millions de grands consommateurs de poisson que compte cet État, de façon plus générale. Ces mêmes questions jouent par ailleurs un rôle décisif dans la perspective de la définition d'un certain cadre propre à assurer une gestion et un développement justes et participatifs des pêches, dont bénéficieraient aussi bien les ressources halieutiques que la population. Les considérations concernant le poisson, la sécurité alimentaire et le rôle des femmes s'appliquent à tous les ménages consommateurs de poisson du Kérala, et non simplement aux ménages des communautés de pêcheurs.

4. RÈGLES DE PARTAGE

Les racines socioculturelles profondes de l'économie de la pêche du Kérala apparaissent très clairement lorsqu'on étudie les règles et principes de partage de la récolte de poisson et des revenus tirés de sa vente. On peut certes considérer simplement le système de partage d'une pêcherie comme un mécanisme efficace de répartition des risques entre le capital et la main-d'œuvre; or, l'existence d'un mécanisme bien institué de protection et d'assistance est un aspect souvent ignoré et indissociable du système de partage en question. Cet aspect tend par ailleurs à remettre plus ou moins en cause les hypothèses implicites de la société de marché moderne qui a eu tendance à institutionnaliser la recherche du gain et la course au profit en tant que motivations essentielles des interactions matérielles entre les êtres humains.

4.1 Règles de partage du poisson

Les règles de partage du poisson dans les pêches artisanales sont étroitement liées au point de vue adopté par la communauté de pêcheurs concernant la ressource halieutique, considérée en tant que propriété communautaire. Bien que seule une faible proportion de la communauté de pêcheurs soit engagée dans l'activité concrète de récolte de la ressource, la puissance de cette exigence socioculturelle requiert que les avantages obtenus soient répartis aussi largement que possible au sein de la communauté qui habite les villages de pêcheurs.

L'organisation des centres de débarquement sur le rivage à proximité des villages de pêcheurs, exprime bien cette préoccupation. Le premier chargement de poisson rapporté à terre après une sortie en mer est destiné aux personnes de la communauté qui n'ont pas la possibilité d'accompagner les pêcheurs. Parmi elles figurent par exemple, les veuves, les handicapés physiques et mentaux, ceux qui ont été mutilés de façon provisoire ou permanente à la suite d'accidents survenus lors de sorties en mer et enfin, les prestataires de services à la communauté (métiers tels que coiffeur). Cette organisation peut être considérée comme une mesure intégrée d'assistance communautaire (sécurité sociale) visant à garantir moyens d'existence et sécurité alimentaire de base.

Ensuite, la priorité suivante consiste à répondre aux besoins de consommation de poisson de l'équipage et des travailleurs à terre associés aux activités de pêche, qui participent aux tâches de lancement et d'échouage de l'embarcation. Les femmes mariées et les jeunes filles contribuent dans une large mesure à garantir la pérennité de cette pratique par leur présence aux points de débarquement sur le rivage afin d'accueillir leur mari et leur père et pour emporter le poisson qu'elles préparent ensuite. L'estimation de la quantité de poisson mise de côté de cette façon afin de répondre aux besoins de sécurité alimentaire de la communauté se situe entre cinq et sept pour cent des captures de chaque sortie de pêche (Kurien et Willmann, 1982). Le reste des captures est vendu seulement lorsque ces deux besoins prioritaires ont été satisfaits.

4.2 Règles de partage des revenus

Le poisson mis en vente est acheté par de petits distributeurs masculins et féminins. Ils acheminent le poisson jusqu'au marché, en y allant à pied et en transportant la marchandise sur leur tête, ou en se déplaçant à bicyclette ou en scooter. Lors des débarquements importants, des grossistes font leur apparition et utilisent des camions pour transporter le poisson jusqu'aux marchés. Dans les deux cas, le prix de vente est fixé par négociation ou aux enchères. Selon les conditions pratiquées le paiement est effectué intégralement ou partiellement. Dans les communautés hindoues et chrétiennes, les épouses des pêcheurs propriétaires du matériel jouent un rôle important dans ce processus en s'occupant de la trésorerie et en négociant le choix des balances avec les marchands. Leur rôle en tant que gestionnaire du budget domestique est essentiel.

La distribution des revenus tirés de la vente du poisson intervient après déduction de toutes les «dépenses communes» - c'est-à-dire les dépenses de fonctionnement pour le carburant, la nourriture, les commissions de vente à la criée, etc. Ce revenu à répartir est, dans un premier temps, divisé en gros comme suit: (i) une partie pour l'équipement (revenu du capital) et (ii) une partie pour l'équipage (revenu de la main-d'œuvre). La part affectée à l'équipage est ensuite divisée en fonction de son effectif, une part égale étant attribuée à chacun. Si tel ou tel membre de l'équipage - par exemple, le capitaine, ou l'opérateur du moteur hors-bord - est habilité à recevoir une part plus importante, alors l'équipage y contribue en mettant de côté une fraction des parts individuelles. Sinon, cette contribution est réalisée par les propriétaires du matériel, par prélèvement sur les parts qui leur reviennent. Il importe d'observer que ces règles de répartition s'inscrivent dans le cadre de règles communautaires concernant les moyens de subsistance, fondées sur des mœurs sociales et culturelles solidement établies qui ne changent pas aussi rapidement que les techniques.

Les règles de partage des revenus ont donc tendance à être rigides et axées sur une juste rémunération de la main-d'œuvre. Le système karanila (statut du personnel de terre) institué dans une importante pêcherie de l'État du Kérala, est un bon exemple des possibilités d'évolution des systèmes de partage des revenus dans un contexte de modification des techniques et des rapports de production, tout en maintenant les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire au centre des préoccupations communautaires.

4.3 Le système Karanila: sa contribution à la garantie des moyens d'existence et à la sécurité alimentaire

Le système karanila est pratiqué dans la pêcherie au filet maillant encerclant de l'État de Kérala, pêcherie située dans la zone côtière centrale du district d'Allapuzha. Il s'agit par ailleurs de la région dans laquelle le phénomène dit de chakara se manifeste pendant la mousson et se traduit par des récoltes records de sardinelles indiennes et de crevettes (voir Kurien et Vijayan, 1995). Ce système garantit que le nombre total de pêcheurs présents sur le rivage et qui se trouvent «au contact de l'embarcation» au début de la sortie de pêche, sont considérés comme faisant partie pour cette journée, de l'équipage de l'embarcation en question. Parmi les personnes présentes, l'effectif requis montera à bord et participera à la sortie de pêche. Cet effectif comprendra généralement les propriétaires, qui constituent les travailleurs permanents, et le groupe de travailleurs semi-permanents qui ne partagent par la propriété du matériel, mais acceptent de travailler au moins un an avec une unité de pêche. Les autres travailleurs-pêcheurs «temporaires» restent à terre. Ils sont libres de changer d'unité de pêche à leur convenance. Le statut «d'équipier à terre» ou de karanila est attribué à ce groupe de travailleurs d'appoint temporaires. Les noms des membres de l'équipage de service et de l'équipage auxiliaire qui ne travaille pas, sont tous les jours notés par le comptable. Dès qu'un nouveau pêcheur temporaire offre sa collaboration à l'unité de pêche, il doit se joindre à l'équipage de service pour prouver son aptitude à travailler en mer. Cette pratique exclut l'éventualité d'une exploitation du système karanila par des personnes peu désireuses ou incapables de travailler en mer.

Ce système de karanila est pratiqué dans la pêcherie au filet maillant encerclant qui exploite la ressource pélagique et figure parmi les principales pêches artisanales de l'État du Kérala. Il y a environ un siècle, ces unités de pêche au filet encerclant, dont chacune employait de 15 à 20 personnes - appartenaient à des seigneurs féodaux qui considéraient les travailleurs comme une main-d'œuvre qui leur était attachée. Au cours des années 1940, dans une révolte paysanne apparue dans la région et connue sous le nom de «lutte Punapra-Vyalar» et qui conduisit à un changement révolutionnaire, ces travailleurs de la pêche ainsi asservis ont joué un rôle majeur. Cette révolte a été déclenchée par le puissant mouvement communiste de la région qui avait organisé les travailleurs des usines de coco et les métayers des zones agricoles (Kaimal, 1994; Jeffery, 1981; Geroge, 1975). Certains des dirigeants actifs étaient issus des villages de pêcheurs et sont intervenus pour faciliter l'instauration d'une modification des rapports de production à l'intérieur de la pêcherie. Les travailleurs de la pêche ont ensuite formé des groupes et sont devenus les exploitants propriétaires collectifs-exploitants des unités de pêche. Les effectifs de chaque groupe allaient de quatre à cinq et les relations de parenté constituaient le principe le plus courant de formation des groupes. Le passage d'un système féodal à un système communautaire de propriété a conféré une responsabilité morale à la nouvelle classe de propriétaires travailleurs, en vertu de laquelle il leur incombait de mettre en place des mécanismes de répartition des revenus. La pêcherie a été considérée implicitement comme un bien commun dont les richesses étaient par conséquent destinées à tous. Aussi bien le principe consistant à fournir à tous le poisson destiné à la consommation, que le système karanila, sont profondément enraciné dans ce contexte socio-économique et culturel.

Tout comme la propriété collective des unités de pêche ainsi mise en place a en définitive été conservée, la coutume incontestée du système karanila lui est restée associée. Le rôle des pêcheurs karanila à l'intérieur de la pêcherie a une importance particulière dans deux situations spécifiques. Lorsque le groupe de propriétaires est réduit, pêcheurs permanents et semi-permanents ne sont pas suffisamment nombreux pour exploiter une unité de pêche. Aussi les pêcheurs karanila ont-ils un rôle décisif pour le bon fonctionnement de l'unité en pareille circonstance. Dans le cas des pêches pélagiques de sardinelle indienne et de maquereau, c'est-à-dire l'essentiel des pêches au filet encerclant, il devient nécessaire et effectivement rentable pendant la période dite de chakara de faire plusieurs sorties par jour. Il faut alors disposer d'un nombre de travailleurs supérieur à l'effectif strictement nécessaire pour constituer l'équipage d'une seule et unique sortie en mer. Le fait de disposer d'un important groupe de pêcheurs karanila garantit une bonne rotation des tâches, de telle sorte que chaque équipe de service pour une sortie en mer bénéficie d'un repos suffisant et d'une période de récupération adéquate en vue de la sortie suivante. On ne saurait surestimer l'importance d'effectifs suffisants pour effectuer vite et bien les réparations de filets, comme pour le lancement et l'échouage de l'embarcation de pêche. Dans une pêcherie pélagique, l'efficacité de l'exploitation est tributaire dans une large mesure de la qualité du matériel de pêche et de la diligence de ceux chargés de l'entretenir à terre. Le fait que les pêcheurs karanila ne soient «attachés» à aucune unité particulière implique, lorsque la saison de pêche est mauvaise, qu'ils sont libres de partir et de chercher ailleurs de meilleures possibilités de revenus. Autrement dit, pendant la période de captures naturellement réduites, il n'y aura pas de pression sociale injustifiée visant à intensifier l'effort de pêche. Le système karanila a donc permis de multiplier les possibilités de travail et, chose plus importante, de répartir des revenus au sein de la communauté. Il a assuré un niveau adéquat d'équité dans la redistribution, du moment que la communauté contrôle effectivement le nombre d'unités de pêche du village et sous réserve de la richesse et de la stabilité de la pêcherie.

Avant les années 1980, la pêche au filet maillant encerclant était une activité exclusivement à forte intensité de main-d'œuvre. On a commencé ensuite progressivement à équiper les embarcations de moteurs hors-bord, ce qui a permis d'accroître substantiellement la taille du filet et celle du bateau. Le phénomène nouveau du soutien des pouvoirs publics aux pêches artisanales a été à l'origine de cette solution. Ce soutien s'est manifesté sous la forme de subventions et de facilités de crédit. Il en a résulté une envolée du nombre des nouvelles unités de pêche en service. En 1991, on estimait qu'environ la moitié des 120 000 pêcheurs en activité au Kérala étaient employés à bord de ces unités de pêche motorisées à filet maillant dérivant et appelées maintenant sennes tournantes.

Malheureusement, ce changement s'est traduit par une augmentation incontrôlée du nombre de filets tournantsdue avant tout aux largesses de l'État. Ainsi, les groupes de propriétaires formés pour profiter de ces mesures d'incitation venaient souvent de l'extérieur de la communauté de pêcheurs actifs. Or, cette tendance a surtout entraîné une dégradation notable du contrôle jadis exercé par la communauté sur la nature et le niveau des investissements consacrés à la pêcherie. De fait, la progression spectaculaire des investissements s'est traduite par une chute des captures. Par la suite, un grand nombre de bateaux quittèrent la pêcherie de la région et beaucoup de pêcheurs se retrouvèrent sans travail. Certains ont commencé alors à utiliser des embarcations non motorisées et d'autres se sont regroupés pour constituer des équipes plus petites de pêche au filet tournant. Pendant cette période de transition, le système karanila fut soumis à l'épreuve la plus rude qu'il ait jamais connue. Les unités de pêches restées en place étaient confrontées à la situation créée par un effectif de pêcheurs karanila supérieur à l'effectif de pêcheurs en mer. Même lorsque les captures étaient satisfaisantes, le revenu moyen de chaque homme d'équipage était réduit du fait des prélèvements effectués selon la coutume au profit des équipiers à terre.

Le système karanila était un dispositif spécifique récent (vieux d'à peine 50 ans) pour garantir une offre de main-d'œuvre adéquate en fonction des besoins fluctuants de la pêche. Il constituait en outre un système de répartition des revenus; de fait, il a assuré la prise en considération de l'état nutritionnel d'un grand nombre de personnes. L'incidence conjointe d'une part, des cycles d'expansion et de récession dans cette pêcherie soumise actuellement à une surcapitalisation plus intense, et d'autre part de l'effondrement des institutions communautaires contrôlant l'accès à la ressource, compromet gravement le maintien du système karanila.

5. TECHNIQUES ET SAVOIRS TRADITIONNELS

La connaissance détaillée des nuances du milieu aquatique et du comportement des organismes vivants marins est la quintessence du savoir écologique traditionnel des artisans pêcheurs du Kérala. Les techniques adoptées pour capturer le poisson concrétisent ce savoir, lequel est transmis pour l'essentiel par le biais des apprentissages pratiques et des traditions orales véhiculées par les chants, les récits et les proverbes (voir Kurien, 1998).

5.1 Techniques

La diversité est la caractéristique propre des embarcations et des engins de pêche artisanale. Fait notable, les investissements consacrés au matériel ont été nettement supérieurs à ceux consacrés aux embarcations. La diversité s'explique avant tout par deux séries de facteurs interdépendants. Premièrement, les facteurs naturels bien définis au départ et pratiquement impossibles à modifier, liés aux écosystèmes marins tropicaux; à savoir en particulier, le caractère fortement saisonnier des pêches, la forte dispersion et la grande interactivité des espèces de poisson, ainsi que l'hétérogénéité des caractéristiques océanographiques physiques; en second lieu, il convient de citer les influences socioculturelles des pays étrangers qui ont été au contact du Kérala par le biais des échanges commerciaux, comme par les conquêtes coloniales souvent associées au commerce. Les modèles de bateaux et d'équipements traditionnels témoignent de ces influences évidentes. Ainsi, les pirogues de la région septentrionale du Kérala où les pêcheurs musulmans sont les plus nombreux, présentent de nettes influences arabes. Les sennes de bord utilisées par les pêcheurs chrétiens du district de Thiruvananthapuram au sud sont d'origine portugaise. Les carrelets utilisés dans les estuaires et les eaux dormantes de la région centrale ont été introduits par les chinois et portent le nom de cheena vala (filets chinois). Il en a résulté le développement et l'utilisation d'équipements et de techniques de pêche caractérisés par leur sophistication technologique, mais comportant une limitation intrinsèque de leur productivité. Les 600 km de littoral se distinguaient par l'utilisation d'au moins 14 types de bateaux de pêche et non moins de 23 types d'engins de pêche (SIFFS, 1992). Les engins de pêche artisanale sont marqués avant tout par la diversité de leur construction, leur caractère de dispositif passif, leur utilisation saisonnière et enfin, la limitation de leur capacité. Ainsi, la productivité d'un pêcheur tout au long de l'année exigeait l'utilisation de plusieurs types d'engins, chacun adapté à l'espèce particulière recherchée au cours d'une saison donnée. Par voie de conséquence, la capacité de capture des engins de pêche dont ils disposaient était normalement supérieure à la récolte annuelle réalisée; cette surcapacité était un aspect indissociable de cette pêche artisanale durable.

Encore jusqu'en 1980, les pêcheurs artisanaux au Kérala exploitaient les ressources des eaux côtières en faisant appel à non moins de 22 grandes combinaisons d'embarcations et d'engins de pêche (Kurien et Willmann, 1982). A cette époque, ils avaient à leur actif plus de 70 pour cent des prises réalisées dans l'État de Kérala, soit environ 400 000 tonnes, le restant étant le fait des chalutiers mécanisés et de la flottille de bateaux senneurs. L'adaptation de moteurs hors-bord aux embarcations artisanales à partir de 1980 s'est traduite par l'apparition de nouveaux modèles d'embarcations, par la limitation de la diversité des engins et par l'utilisation progressive dans les pêches artisanales d'engins moins passifs adaptés en permanence, tels que les sennes tournantes. Deux décennies de cette expérience ont provoqué ce nouveau phénomène de surcapitalisation d'un secteur important des pêches artisanales; il en a résulté en outre un excès d'intensité énergétique des opérations de pêche leur conférant un caractère non durable du point de vue économique, tant pour les nombreux pêcheurs artisanaux que pour les nouveaux venus dans le secteur des pêches. La durabilité écologique de ces activités a également été mise en cause. Les répercussions correspondantes en termes de détérioration des qualifications des pêcheurs restent à évaluer de façon systématique, bien que cette conclusion fasse l'unanimité parmi eux. Par ailleurs, un retour notable à certaines des solutions antérieures en matière d'engins et d'embarcations de pêche artisanale a été l'une des principales conséquences. Cette réaction démontre parfaitement que les solides bases technico-écologiques et socioculturelles du savoir et des techniques artisanales sont parfaitement adaptées à une conception de la pêche en tant que source durable de moyens d'existence et de nourriture.

5.2 Connaissances

Une opération de pêche n'est pas déterminée a priori par un raisonnement inductif. En effet, toute opération particulière en cours consiste à intégrer simultanément un grand nombre de processus mentaux spécifiques, mettant en jeu des expériences antérieures, en liaison avec les observations immédiates fournies par tous les sens. On peut citer notamment: la sensation de proximité du fond de la mer, acquise par le contact du fil à plomb, l'odeur de la mer, l'observation des oiseaux, la couleur de la mer et les vagues à sa surface et le son produit par le mouvement du banc de poisson pour n'en citer que quelques-unes. La synthèse de ces différents éléments amorce la réaction en termes d'utilisation des équipements de pêche - descendre des hameçons, jeter des filets ou poser des pièges. Résultat: le poisson est pris quelques instants après (Kurien, 1987).

Les pêcheurs artisanaux sont rarement en mesure d'expliciter une quelconque «théorie» de leur activité. On peut supposer qu'une telle «théorie» s'appuie sur des observations et se vérifie par de nouvelles observations: ils y ajoutent ou en retranchent des éléments en proposant des explications nouvelles ou en abandonnant des explications antérieures. Ce processus résiste à toute tentative de verbalisation sous la forme d'axiomes généraux sur la pratique de la pêche. Il s'agit davantage d'un continuum culturel de pratiques coutumières mémorisées et transmises de génération en génération, à la faveur d'un apprentissage sur le tas: ce sont des connaissances pratiques transformées en pratiques culturelles; elles reflètent par ailleurs leur «vision du monde» d'un «océan nourricier» assimilé à un système vivifiant davantage qu'à un terrain de chasse, contenant des ressources vivantes «illimitées» et n'étant exposé qu'à une possibilité plutôt lointaine de dégradation imputable à chaque pêcheur considéré individuellement.

L'initiative des pêcheurs artisanaux de Thiruvananthapuram visant à construire des récifs artificiels (kritimar paar) (voir Kurien, 1995) illustre parfaitement le caractère holistique de leur système de connaissances. La connaissance des interactions récif-mer-poisson, transmise par l'ancienne génération était restée active grâce à leur propre pratique de la pêche dans les récifs naturels de la région. Leur façon de voir les choses, fondée sur l'intérêt qu'ils portent à la totalité du système de ressources et non simplement au poisson qu'il contient, présente une dimension holistique.

D'après les pêcheurs, les récifs contribuent largement au rajeunissement de l'écosystème. Ce lien repose sur la conception selon laquelle les structures océaniques sous-marines pourvoient aux besoins fondamentaux (adisqthana avasyangal) des poissons: leur besoin de nourriture, leur volonté de se protéger des prédateurs, leur besoin d'ombre et de repos, ainsi que leur instinct de reproduction. L'importance du choix des matériaux d'un récif artificiel pouvant fournir la nourriture nécessaire aux poissons est donc apparue clairement. Les matériaux utilisés doivent faciliter une accumulation rapide de la végétation benthique garantissant ensuite un apport abondant en nourriture. Le récif artificiel doit en outre être érigé sur des fonds marins naturellement productifs. Par ailleurs, afin de répondre aux besoins de protection, de repos et d'ombre, la structure et l'emplacement du récif artificiel sont des facteurs déterminants. Ainsi, seul un récif artificiel suffisamment élevé fournira de l'ombre. Les structures pleines n'offrent guère de protection ni de lieux de repos, étant dépourvues de cachettes à l'abri des prédateurs. L'utilisation par les poissons des récifs artificiels en tant que lieux de reproduction exige au préalable la présence de nourriture et une possibilité de protection. Par ailleurs, le récif au fond de la mer doit être orienté d'ouest en est, de façon à ce que les pêcheurs puissent capturer les poissons qui utilisent le récif artificiel à des fins aussi variées: vu l'orientation nord-sud habituelle du littoral dans la région, il s'agit du meilleur choix pour garantir au nombre maximum de pêcheurs la possibilité d'opérer sur un récif artificiel à un moment donné, sans emmêler leurs lignes. Ils ont en outre appris que les récifs artificiels doivent être situés dans la «passe de poissons» dont la présence a été identifiée à une profondeur de 25 à 50 m dans les eaux côtières. Pour décrire comment cette connaissance globale du comportement des poissons permet de mieux les attirer dans les récifs artificiels, un pêcheur a fait observé: «Nous suivons les enseignements du poisson et ensuite ... nous lui donnons une leçon!»

6. ARRANGEMENTS INSTITUTIONNELS

Un certain nombre d'arrangements institutionnels relatifs aux pêches marines du Kérala définissent les règles d'accès et de conservation en vigueur au sein de la communauté. Certains de ces arrangements, comme le kadakodi, c'est-à-dire le «tribunal de la mer» ont une longue histoire. D'autres, par exemple, les innovations institutionnelles destinées à gérer les récifs artificiels, sont plus récents. Ces différents dispositifs sont fondamentalement de nature communautaire et par conséquent s'intègrent au contexte écologique, social et culturel spécifique dans lequel ils sont apparus. Ils se sont mis en place à la faveur des tentatives menées par les communautés pour définir la nature de leurs rapports avec la mer et les ressources vivantes qu'elle contient. Le fondement social essentiel de ces institutions est d'assurer la sécurité des moyens d'existence par des mécanismes garants de la justice et de l'équité, dans l'exercice d'une activité professionnelle exposée à des risques élevés, et à une forte incertitude quant à ses revenus.

6.1 Tribunal de la mer

Dans les communautés de pêcheurs hindoues dispersées dans les districts à majorité musulmane de Kozhikode, Kannur et Kasargode, il existe une très vieille institution communautaire traditionnelle appelée kadakkodi, ou «tribunal de la mer», étroitement liée aux temples construits sur le rivage. La région est réputée par sa pêcherie de sardinelles indiennes et de maquereaux, située dans les eaux proches, présentant un caractère fortement saisonnier et connue pour ses récoltes records. Les multiples unités de pêche artisanale font appel à un grand nombre de personnes qui effectuent de rapides opérations de pêche. Ainsi, la confusion et les conflits ont des aspects inhérents à la nature même de cette pêcherie. Constitué d'anciens et d'un certain nombre de «fonctionnaires» chargés d'appliquer les décisions prises, le «tribunal» se réunit sur la plage à découvert. Tous les pêcheurs du village se rassemblent pour participer aux délibérations concernant les problèmes d'accès et de conservation et de règlement des conflits. Les anciens prennent les décisions et celles-ci sont considérées comme définitives. Le suivi de l'application des décisions incombe à la communauté tout entière. Les anciens décident de sanctions à l'encontre des contrevenants, pouvant aller d'un simple avertissement à une mise au ban de la société. La résolution des conflits est également assurée de façon très économique et amicale (grâce à des procédures ouvertes et systématiques, des décisions rapides, et des mesures d'application effectives).

Depuis le début des années 1980 l'institution kadakkodi a été exposée à de fortes pressions, principalement sous l'effet des différents facteurs suivants: évolution technique rapide des pratiques de pêche des communautés de pêche traditionnelles, mise en place de nouvelles formes d'organisation telles que les coopératives, encouragées par le gouvernement, nouvelles divisions politiques instaurées parmi les communautés de pêcheurs et participation accrue aux opérations de pêche de jeunes gens scolarisés en bonne et due forme. L'autorité des anciens a été remise en cause au fur et à mesure de l'apparition progressive de différentes formes d'encadrement (par exemple, à l'intérieur de la coopérative, dans les partis politiques, etc.), aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de la communauté. La structure de base du tribunal kadakkodi reste néanmoins en place. Les échanges de vues avec les communautés de pêche de la région font apparaître qu'elles s'intéresseraient de façon latente à une remise en activité de l'institution, mais sous une nouvelle forme. Le Gouvernement du Kérala en est venu à faire une large place à la gestion des ressources et à la gouvernance au niveau du panchayat (village) avec une participation totale des pêcheurs actifs (Gouvernement du Kérala, 1999). Dans ce contexte, les communautés possédant des antécédents de fonctionnement d'institutions traditionnelles disposent d'un réel avantage pour jouer pleinement leur rôle dans tout nouveau contrat de bonne gestion des ressources conclu entre l'État et la communauté.

6.2 Institutions attachées au rajeunissement de la ressource

La plupart des institutions traditionnelles des communautés de pêcheurs artisanaux se sont occupées de questions de répartition, de réglementation et de conservation, dont on estime aujourd'hui qu'elles relèvent du domaine d'action propre à la gestion des pêches. Dans un contexte d'épuisement des ressources et de détérioration de l'écosystème, le rôle d'une participation communautaire active en matière de revitalisation de la ressource mérite d'être pris en considération. L'entretien d'une ressource doit être reconnu en tant qu'élément important de la gestion des pêches. Plus récemment (tel qu'indiqué ci-dessus à la section 2), les pêcheurs chrétiens du district de Thiruvananthapuram de l'État de Kérala se sont engagés dans une entreprise visant à rajeunir les ressources des eaux côtières en créant des récifs artificiels. Familiers de la technique de la pêche à la ligne et à l'hameçon, ces pêcheurs détiennent les connaissances théoriques et pratiques de loin les plus étendues, aussi bien des espèces de poissons que des milieux marins. Toutefois, contrairement aux pêcheurs hindous, les traditions communautaires sans doute pratiquées par les pêcheurs chrétiens avant leur conversion (au XVIe siècle de notre ère), ont pour la plupart cédé la place aux traditions religieuses de l'église, dans le cadre desquelles les questions liées aux pêches ont un rôle restreint. Aussi a-t-on constaté un vide en matière d'institutions traditionnelles de pêche à l'échelle du village. Lorsque ces pêcheurs ont manifesté un regain d'intérêt pour la construction de récifs artificiels au début des années 1980, il n'existait aucun dispositif institutionnel pour mener à bien cette tâche. Dans un premier temps, des particuliers ont rempli ce vide institutionnel. Ils ont pris en main le projet et organisé la construction de récifs artificiels dans la zone côtière en investissant leurs propres fonds. Une fois les récifs construits, ils ont autorisé l'accès à un nombre restreint de personnes dont ils escomptaient obtenir une rente d'accès. Au bout de peu de temps, les difficultés rencontrées par les particuliers en question pour contrôler l'accès aux récifs les conduisirent à abandonner leur projet. Cet échec a néanmoins servi de point de départ à une initiative collective plus organisée de construction de récifs. Des organismes extérieurs, telles que coopératives et organisations bénévoles, ont apporté une aide financière à cet effet. L'accès des récifs a été limité aux membres qui avaient financé l'achat des matériaux de construction des récifs. La réglementation de l'accès à ces derniers était considérée comme incombant exclusivement aux actionnaires.

Cette formule de «construction collective - accès collectif» s'est maintenue et les activités de pêche dans ces récifs se sont avérées viables. Des difficultés apparurent néanmoins avec la divulgation d'informations concernant des initiatives menées à bien suivant des formes autres et plus communautaires dans des villages côtiers voisins du sud. Dans ces villages, les pêcheurs ont adopté l'approche dite «utsava shylee» (approche festive). Des fêtes de village sont financées par les fonds (en espèces et en nature) collectées auprès de tous les ménages du village, suivant le principe «tout ce que chacun est heureux de pouvoir donner». Un groupe de base (le comité du festival) prend effectivement l'initiative et entreprend le travail concret d'organisation de la fête. Le seul profit qu'ils en retirent est la reconnaissance sociale. Les bénévoles sont les bienvenus, aussi nombreux soient-ils. L'ampleur de la fête est fonction de l'importance des fonds recueillis et du savoir-faire des organisateurs. Néanmoins, les festivités sont ouvertes à tous les membres de la communauté, indépendamment de la nature et de l'importance de leur contribution.

Les échanges de vues entre les villages ont fait ressortir que l'extension de l'approche utsava shylee à la construction de récifs artificiels et à la définition de leurs conditions d'accès, était beaucoup plus dans l'esprit des croyances culturelles quant à la mission de conservation des ressources naturelles de la mer. Ces croyances étaient profondément enracinées dans le psychisme de la communauté. Or, l'approche «construction collective - accès collectif» favorisait une exclusivité d'une certaine étroitesse - attitude inconvenante, aussi bien lors d'une fête de village qu'en mer. Un processus d'examen autocritique a conduit à passer progressivement d'une situation dans laquelle les communautés villageoises prenaient des décisions isolément, à la mise en place d'un cadre d'évaluation des avantages et des inconvénients de décisions apparemment adéquates, par rapport aux mérites d'expériences plus gratifiantes et plus appropriées d'un point de vue socioculturel réalisées par d'autres. Les communautés constituèrent alors des sahodara samajam (confréries) dont l'appartenance était conférée à un membre de chacun des ménages de pêcheurs de village. Il s'agissait là d'une façon de formaliser la participation de l'ensemble de la communauté à l'initiative considérée. La confrérie sahodara samajan élisait un «comité chargé des travaux» auquel incombaient le choix des règles et des restrictions d'accès et le règlement des conflits éventuels. Chaque ménage apportait une contribution financière. Ces fonds étaient complétés par un don de l'église. L'assistance technique éventuellement nécessaire était demandée auprès des organisations bénévoles dotées des compétences requises.

Cette évolution concertée dans le sens d'une identification et d'une participation concrète accrues de la communauté à la construction de récifs artificiels et à la fixation des modalités d'accès correspondantes, dénote un processus régulier d'accumulation de capital social institutionnel. Il en a résulté un soutien de plus en plus marqué en faveur d'un choix institutionnel propre à mieux répartir dans la communauté aussi bien les coûts que les avantages. Si les circonstances appropriées sont réunies, les personnes étroitement associées à des ressources naturelles qui constituent leur moyen d'existence, peuvent se sentir habilitées à aller au-delà des actions collectives au niveau macroéconomique pour la conservation des ressources, pour engager des initiatives individuelles visant à les améliorer et à les rajeunir.

Les captures réalisées dans les récifs artificiels ne sauraient contribuer dans une proportion notable à la production de poisson du Kérala; elles jouent néanmoins un rôle important dans la mesure où elles maintiennent vivants certains des principaux mécanismes socioculturels informels d'intérêt public dont les communautés de pêcheurs artisanales sont dotées. Les changements survenus dans les techniques, le niveau accru des investissements et des coûts de fonctionnement des activités de pêche ont provoqué l'obsolescence technique et financière des pêcheurs actifs les plus âgés. Dans ce cadre, les récifs artificiels ont une fonction de filet de sécurité et de véritables «régimes de retraite» en offrant un lieu de pêche proche du rivage. La productivité plus faible est compensée par les prix plus élevés du poisson frais. Les récifs présentent par ailleurs simultanément un intérêt en tant que lieu adapté à la formation des jeunes membres de la communauté: ils peuvent y apprendre l'art de la pêche et les secrets de la mer auprès des anciens, garantissant ainsi la continuité culturelle du système de connaissances de ces communautés.

7. LE POISSON ET LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

Grâce à une longue histoire de contacts culturels avec l'extérieur, la population du Kérala a été familiarisée avec toutes sortes d'aliments qui aujourd'hui sont considérés comme faisant partie intégrante de la nourriture traditionnelle. Or, de temps immémorial le contexte écologique aquatique propre au Kérala a fait de ses habitants de grands consommateurs de poisson. Tel qu'indiqué plus haut, le Kérala est le seul État de l'Inde ou même les communautés hindoues sont de grands consommateurs de poissons de mer. La nourriture de base constituée de riz ou de tapioca (manioc) avec des sardinelles indiennes et accompagnées de toddy (jus fermenté de noix de coco fraîches), est mentionnée en tant qu'offrande particulièrement prisée des dieux dans certains temples hindous.

Il est admis partout dans le monde que les habitudes alimentaires comptent parmi les aspects de la culture les plus difficilement modifiables. Néanmoins, les modifications à long terme de la disponibilité d'un aliment préféré peuvent modifier les goûts. Lorsque la transformation d'une économie ne parvient pas à composer avec ce fait, il risque d'en résulter des situations problématiques difficiles à résoudre.

Au Kérala, nous avons un exemple intéressant et instructif d'influence des préférences et des tabous locaux en matière de consommation de poisson sur toute l'orientation du développement des pêches. Cela tient à l'historique des exportations de crevettes du Kérala évoqué ci-dessus. L'abondance des ressources de crevettes présentes dans les eaux côtières du Kérala est un fait bien connu depuis des siècles. Ces espèces benthiques venaient à la surface pendant les mois de mousson et proliféraient pendant la saison chakara; elles étaient alors des proies faciles à capturer, essentiellement au moyen de filets maillants passifs et de filets encerclants. Les crevettes bouillies et séchées figuraient parmi les principales exportations du Kérala vers les pays d'Asie de l'Est et vers la Chine dans lesquels les crevettes étaient un ingrédient important de la cuisine. Ce commerce a été considérablement facilité par l'existence au Kérala de puissants tabous interdisant la consommation de crevettes, celles-ci étant tenues pour responsables de troubles gastriques. Par conséquent, à l'exception d'une consommation locale très réduite, et jusqu'à la période relativement récente des années 1950, les crevettes étaient destinées, soit à l'exportation, soit à servir d'engrais pour les plantations de cocotiers qui étaient alors la principale culture de rapport. Les prix étaient nettement inférieurs même à ceux des petits pélagiques. Dans ces conditions, la demande accrue de crevettes émanant au début des années 1960 du marché des États-Unis et du marché japonais, jointe à l'apparition des chaluts de fond et des techniques de congélation provoquèrent d'autant plus facilement le plus phénoménal et le plus lucratif boom des exportations des pêches du Kérala. Il en résulta une modification complète de la mise en valeur des pêches dans cet État. A la faveur des profits considérables recueillis, les obstacles sociaux à l'exercice de cette activité (par exemple les préjugés de caste) disparurent rapidement. Les eaux côtières offrirent un accès ouvert aux investisseurs capables de se procurer les nouveaux moyens techniques de récolte et de transformation. Un petit groupe d'investisseurs et d'entrepreneurs s'enrichirent considérablement pendant cette période de ruée vers l'or rose. En un peu plus d'une décennie, la détérioration de l'écosystème provoquée par les chalutages excessifs non réglementés des crevettiers entraînèrent une brusque chute des captures de poisson. Les communautés de pêcheurs artisanaux marginalisées au terme de ce processus se regroupèrent pour protester de façon organisée contre l'autorisation par l'État de la croissance incontrôlée des exportations et de l'intrusion des intérêts capitalistes dans la pêcherie (Kurien, 1992). Les consommateurs de poisson du Kérala ont subi une baisse notable des disponibilités de poisson et une hausse brutale des prix correspondants. Puisqu'il s'agissait en l'occurrence de la source de protéines animales la plus économique, cette évolution a eu de graves répercussions pour la sécurité alimentaire.

8. RÔLE DES FEMMES

On ne saurait surestimer la contribution des femmes dans les sociétés en développement à la préservation des valeurs éthiques, sociales et culturelles. C'est aux femmes qu'incombe la responsabilité de pourvoir régulièrement aux besoins alimentaires. Tandis que les hommes travaillent généralement à l'extérieur pour gagner la vie du ménage, les femmes sont censées tenir la maison, même si les circonstances et les opportunités justifient le fait qu'elles travaillent à l'extérieur pour gagner leur vie. Nous attirerons l'attention ci-après sur les points communs et les différences du rôle des femmes des ménages de pêcheurs et celles des ménages de consommateurs de poisson au Kérala. Les unes et les autres contribuent de façon décisive tant aux moyens d'existence, qu'à la sécurité alimentaire.

8.1 Les femmes dans les communautés de pêcheurs

Les femmes jouent un rôle indispensable en préservant les bases sociales et culturelles des communautés de pêcheurs au Kérala; ce rôle se présente sous différentes formes socio-économiques et culturelles dans une société comportant plusieurs castes et plusieurs religions. Il existe un tabou puissant communément répandu quant à la participation des femmes aux activités concrètes de pêche. Leur participation étant jugée «polluante», les femmes des ménages de pêcheurs ne vont donc jamais en mer. Elles s'en rapprocheront le plus, le cas échéant, pour ramasser des coquillages et des coques dans les rochers du bord de mer. Les femmes des communautés musulmanes de pêcheurs de Mappila au nord de la région, sont pour l'essentiel confinées dans leurs rôles de mères et de personnes chargées de pourvoir aux besoins de base de la famille à l'intérieur des quatre murs du foyer. Très progressivement, à la faveur du développement de l'éducation et d'une socialisation accrue, elles participent dans une mesure limitée à certaines des activités post-récolte des villages (Mathur, 1977). Les pêcheurs hindous Araya, ainsi que les pêcheurs chrétiens Mukkuva autorisent leurs femmes à participer aux activités économiques liées à la transformation, à l'achat et à la vente du poisson sur des marchés éloignés (Ram, 1991).

Hormis ces différences, les femmes sont bien connues pour leur rôle de ménagères dans toutes les communautés de pêcheurs. Ainsi, dans les trois communautés religieuses, une image courante est celle des femmes qui se tiennent sur le rivage, attendant anxieusement le retour de leurs maris partis en mer. En tant que ménagères, les femmes garantissent la gestion judicieuse, pour le bien du ménage, aussi bien de la consommation de poisson que des gains tirés de la vente des quantités excédentaires. Les hommes, dont l'activité professionnelle en mer les éloigne de la vie sociale normale ont des contacts limités avec le monde extérieur. Derrière tous les pêcheurs dont les activités sont prospères se tient une femme qui tient le ménage sur ses épaules. Nombre des communautés de pêcheurs en mer du Kérala pratiquent la matrilinéarité. Il en résulte un renforcement du rôle stabilisateur des femmes au sein du ménage et de l'économie. Puisqu'un pêcheur passe moins de «temps de qualité» chez lui par comparaison aux agriculteurs et aux autres catégories professionnelles travaillant à terre, le rôle des femmes, tant pour la socialisation des enfants que pour régler les problèmes de «coopération conflictuelle» liés à la répartition de la nourriture à l'intérieur du ménage, revêt une importance particulièrement accrue (Dreze et Sen, 1989). Au Kérala, dans les ménages tels que ceux des communautés de pêcheurs, dont le niveau de nutrition est proche du minimum vital, ces rôles se sont avérés très importants pour la sécurité alimentaire de la famille. Les données disponibles font néanmoins apparaître une contradiction déplorable selon laquelle les communautés de pêcheurs exercent une discrimination à l'encontre des fillettes aussi bien en termes de socialisation adéquate que de sécurité alimentaire (Kurien, 1994).

Dans les communautés de pêcheurs hindoues et chrétiennes, les femmes établissent souvent les premiers contacts avec le monde extérieur en acheminant le poisson sur les marchés. Les femmes de ces communautés qui sont en rapport avec les marchés fournissent à leur famille un important élément de socialisation et ont une connaissance nettement meilleure des mécanismes sociaux. Nombre d'entre elles sont par ailleurs à la recherche d'emplois salariés dans le secteur commercial de la transformation. Dans les communautés musulmanes certaines s'engagent dans des activités de transformation à terre, mais participent rarement aux récoltes en mer ou aux déplacements sur les marchés. La modernisation des pêches s'est souvent accompagnée d'un degré accru de concentration des activités dans les grands ports, suite à l'introduction de bateaux de pêche mécanisés de plus fort tonnage. Le désengagement progressif vis-à-vis des activités décentralisées de pêche menées à partir des villages a privé par ailleurs les femmes de nombre de leurs tâches économiques et sociales au sein de l'économie de la pêche; il a également désorganisé les circuits de commercialisation plus courts, moins coûteux et à plus forte intensité de main-d'œuvre qui reliaient les petites agglomérations de communautés côtières de pêcheurs du Kérala aux consommateurs ruraux très dispersés de l'arrière-pays immédiat. Cela a eu un impact préjudiciable sur la quantité de poisson consommée par la grande majorité de ces consommateurs comparativement plus pauvres.

Les femmes des communautés de pêcheurs participent en outre aux activités à terre de transformation domestique et de fabrication de filets. Les premières sont essentielles puisqu'elles sont souvent tributaires de quantités de poisson prélevées sur la part destinée à la consommation domestique ou des quantités éventuellement invendues suite à leur présentation au marché. Les activités de ce type réduisent au minimum le gaspillage et fournissent parfois des gains mis de côté par les femmes pour pouvoir acheter de la nourriture en période de disponibilité réduite.

8.2 Les femmes des ménages de consommateurs

Les femmes des ménages de consommateurs non pêcheurs jouent un rôle différent. Indépendamment du statut économique du ménage, la cuisson de la nourriture consommée par la famille incombe essentiellement aux femmes du Kérala. Leurs connaissances traditionnelles des aliments et des régimes alimentaires sont transmises de génération en génération et de mère en fille. La croyance des ménagères selon laquelle les crevettes sont responsables d'indigestions et de troubles gastriques, tandis que les sardinelles et les anchois doivent impérativement figurer dans le régime alimentaire des enfants, illustrent ce type de savoir (voir autres exemples indiqués à l'Annexe 1). Les femmes décident des combinaisons de protéines dans la nourriture et de la façon dont les aliments doivent être cuits et présentés aux différents membres de la famille. Ce sont les mères qui décident ce que les enfants doivent manger. Or, le régime alimentaire réservé aux enfants détermine la demande future. Tel qu'indiqué plus haut (voir section 4) des modifications sont intervenues en termes de disponibilité, de prix et de qualité du poisson sur le marché local, du fait de la surexploitation de l'écosystème des eaux côtières du Kérala. Ces changements ont contribué dans une large mesure à modifier les préférences alimentaires des consommateurs ruraux pauvres ou aisés et entraîné une modification notable des préférences des consommateurs des classes moyennes et supérieures en matière de protéines. Dans la première catégorie de consommateurs on a constaté une diminution brutale de la consommation de tapioca (manioc), toujours associée à un cari de poisson; la hausse des prix du poisson a été désignée comme premier facteur de ce changement. Les consommateurs les plus riches semblent aussi avoir modifié leurs préférences en matière de protéines, comme en a témoigné clairement l'évolution des caractéristiques d'ingestion de protéines animales; chez les consommateurs aisés du Kérala, les mères ont donné davantage de lait, d'œufs et de poulet, grâce à la disponibilité accrue et à la qualité garantie de ces produits. Ainsi, la nette préférence pour le poisson manifestée par les adultes d'hier et d'aujourd'hui est appelée à s'effacer.

9. RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS

Si la garantie des moyens d'existence et de la sécurité alimentaire doit figurer parmi les principaux objectifs des initiatives concrètes de mise en valeur et d'aménagement des pêches dans les pays en développement, alors les aspects sociaux et culturels de la consommation de poisson et des pêches doivent impérativement être considérés comme nettement plus importants qu'ils ne le sont actuellement dans la plupart des administrations des pêches. Heureusement, les normes culturelles et les mœurs sociales changent moins vite que les techniques: puisqu'elles sont profondément enracinées dans la société, il est possible de les revitaliser, à condition d'engager un effort approprié et si la volonté collective requise existe effectivement. Cela implique essentiellement une conception du développement davantage orientée sur la population. Une telle conception s'emploie à déterminer la rationalité intrinsèque des mesures prises, telle qu'elle est perçue et comprise par les participants et s'appuie sur un mode d'interprétation de type émique (Harris, 1980). D'après ma propre expérience, le fait de s'attacher initialement à ce que les gens connaissent déjà bien et exécutent facilement, en suivant la fibre «culturelle» pour ainsi dire, semble presque toujours la meilleure alternative pour les pêches à petite échelle; les changements introduits ultérieurement, avec leur participation sont toujours adaptés de façon plus conviviale et plus résolument.

Dans la plupart des régions en développement du monde, les «décennies développement» ont eu avant tout pour objectif de privilégier le progrès économique obtenu grâce aux changements majeurs introduits dans les techniques utilisées et dans l'organisation de la production. Le renforcement des investissements visant à accroître la production tirée des ressources naturelles était au cœur de ce modèle, tandis que les populations, ainsi que le capital social et culturel accumulé depuis des siècles, étaient confinés à un rôle périphérique. A cet égard le développement des pêches dans l'État du Kérala en Inde, n'a pas fait exception à ce principe. Le contexte social et culturel était considéré comme un frein à la transformation ainsi prévue d'une société traditionnelle en une société moderne. Néanmoins, les multiples échecs de ce modèle de développement technico-économique ont rapidement révélé l'absence de bien-fondé de cette approche.

Au Kérala, la pêche reste, même au sens propre, avant tout basée sur la participation: les activités de récolte, de transformation et de commercialisation confèrent au travail humain une importance supérieure à celle du poisson. Cet aspect devrait être considéré actuellement comme un atout et non comme une faiblesse; la sécurité dont bénéficie chacun est en effet d'autant plus grande qu'une pêche est plus participative. Cette doctrine est essentielle dans tous les pays dotés d'une population abondante et de ressources halieutiques.

L'intégration des aspects sociaux et culturels aussi bien au discours, qu'à la pratique de la gestion des ressources halieutiques exige des efforts résolus et systématiques. Cette attitude doit s'attacher avant tout à préserver la diversité et à encourager l'autosuffisance, autrement dit, deux valeurs fondamentales qui vont à l'encontre de la tendance actuelle à l'homogénéisation via la mondialisation. La lutte contre cette dérive exigera le soutien des initiatives micro-économiques au niveau de la famille, de la communauté et de la nation. Or, ces initiatives peuvent être menées uniquement lorsque les moyens de subsistance et la sécurité alimentaire des gens sont garantis. Dans cette monographie, nous avons brièvement évoqués certaines des manifestations extérieures des aspects socioculturels profondément enracinés. Ci-dessous figure un résumé des conclusions qui se dégagent de notre analyse, ainsi qu'un certain nombre de principes d'actions connexes.

9.1 Conclusions et principes d'action

Règles de partage

Les règles de partage de la récolte de poisson et des revenus de la pêche sont à présent particulièrement à l'épreuve. Une commercialisation excessive tend à dépouiller cette activité de certains des filets de protection sociale qu'elle possède intrinsèquement. Lorsque les principes de partage conduisent à distribuer le poisson pour les besoins alimentaires des producteurs, de la famille, de leurs parents, ainsi que des voisins qui participent aux pêches, au moins à titre auxiliaire, il faut y voir l'élément essentiel des coûts indirects fixes d'une pêcherie (McGoodwin, 1990). En ce qui concerne le partage des revenus, nous avons vu comment le système karanila, qui était une conséquence directe de rapports féodaux exigeants, doit à présent faire face à l'assaut des rapports capitalistes. Le fait que les facteurs d'homogénéité et d'interdépendance des communautés entretenus par le système karanila restent profondément ancrés dans le tissu social des villages de pêcheurs d'Allapuzha est un élément prometteur. Un aspect important de toute tentative de revitalisation des principes fondamentaux des systèmes précédemment en place consistera à réaffirmer le droit de propriété de la communauté sur les pêches côtières, qui doit devenir le droit inaliénable des seuls pêcheurs en activité (Kurien, 1999). Une fois cette reconnaissance acquise, il devrait être théoriquement possible de doter à nouveau la pêcherie des principes de partage et d'assistance communautaire. A cet effet, il faudra non seulement la volonté collective des communautés, mais aussi un soutien approprié de l'État, convaincu de l'utilité de l'aménagement des pêches pour la préservation des moyens d'existence et de la sécurité alimentaire et donc pleinement conscient de la justification socioculturelle du droit de propriété exercé par la communauté sur la pêcherie côtière.

Techniques et connaissances

Les pêcheurs du Kérala sont confrontés aujourd'hui à un «univers» profondément transformé: dans ce contexte, les techniques et le savoir traditionnels ont leurs avantages et leurs inconvénients. Une collaboration plus étroite entre les pêcheurs artisanaux et les personnes formées aux méthodes scientifiques modernes est néanmoins possible; ainsi, les rapports entre biologistes marins, océanographes et spécialistes techniques des bateaux et du matériaux de pêche, laissent présager des perspectives stimulantes de mise en oeuvre d'un processus de développement «co-évolutif» (Norgaard, 1984). L'utilisation de moteurs et les nouveaux matériaux des filets constituent les principaux changements techniques, tandis que même l'emploi d'une boussole reste rare. Par ailleurs, des investigations plus poussées s'avèrent indispensables en ce qui concerne la compréhension du mode d'acquisition par les pêcheurs de leur connaissance holistique de la mer et des ressources vivantes qu'elle contient. Le mariage des sciences et des techniques traditionnelles et modernes peut contribuer à maintenir une exploitation décentralisée et à petite échelle de la ressource, tout en préservant une grande diversité technique. Il s'agit là d'un besoin essentiel à l'heure actuelle: il sera alors plus facile de faire porter l'effort sur l'optimisation des moyens à mettre en œuvre dans les pêches côtières des pays tropicaux en développement pour atteindre en priorité les objectifs de durabilité des moyens de subsistance et des disponibilités alimentaire au niveau local, et ce avant toute autre chose.

Institutions

Les institutions fournissent l'armature nécessaire à la survie des normes et des pratiques socioculturelles. Elles survivent aux générations et aux transformations techniques. En dépit de certains reculs provisoires, les innovations institutionnelles endogènes de ces communautés de pêcheurs - les anciennes comme les nouvelles - méritent d'être soigneusement examinées. Tel est particulièrement le cas dans l'État de Kérala, compte tenu du nouveau contexte des mécanismes de collaboration entre l'État et la communauté pour la gestion des pêches côtières. Le mécanisme de planification et de gestion au niveau du panchayat (village) offre un nouveau point de départ pour la réapparition de ces formes communautaires de revitalisation des ressources, de réglementation des modalités d'accès et de résolution des conflits qui en découlent (Gouvernement du Kérala, 1997). Les institutions matérialisent un capital social. La sensibilisation à cette réalité facilite la mise en oeuvre d'une stratégie visant à obtenir des améliorations progressives.

Le poisson et la sécurité alimentaire

Le poisson est une des principales composantes nutritives du régime alimentaire de la population du Kérala, indépendamment du niveau de revenu, de la religion et des antécédents sociaux. Il représente par ailleurs une symbolisation endogène majeure de la culture alimentaire du Kérala et contribue incontestablement à la sécurité alimentaire des différents segments culturels et économiques de la population des consommateurs du Kérala. Il ressort de l'examen de l'histoire des pêches dans cet État que les politiques modernes d'aménagement des pêches n'ont pas explicitement tenu compte de ce fait lorsqu'elles ont entrepris d'encourager une croissance sectorielle tirée par les exportations. Il ne faut pas nier pour autant l'importance du commerce international du point de vue de la sécurité des moyens de subsistance des communautés de pêcheurs; ces politiques risquent toutefois de comporter des gains relativement éphémères, ne serait-ce que pour les communautés de pêcheurs, si le choix des techniques mises en oeuvre et la spécification des droits d'accès aux pêches sont dictés par les injonctions du «libéralisme». Il est nécessaire de réfléchir aux possibilités de prise en compte de préoccupations sociétales plus ambitieuses dans les politiques de développement sectorielles. Dans le cas du Kérala où les communautés de pêcheurs sont au bas de l'échelle économique, alors que le poisson est une composante importante du panier alimentaire de toutes les catégories économiques de la société, il est essentiel de jeter un regard neuf sur les moyens et les méthodes d'optimisation des avantages. Il y aurait lieu de s'intéresser à des formes novatrices de contrôle social sur le secteur de l'exportation du poisson afin d'infléchir son expansion anarchique.

Rôle des femmes

Les décisions des femmes ont une incidence déterminante sur la nature comme sur l'orientation future des moyens d'existence et de la sécurité alimentaire. Dans les communautés de pêcheurs cet impact reposera dans une large mesure sur le renforcement des pêches villageoises décentralisées et à petite échelle, qui ont conservé un certain dynamisme: ces activités impriment une nouvelle impulsion en faveur du renouveau de la contribution des femmes à la valorisation des produits de la pêche, tant au niveau de la transformation que de la commercialisation. Cela constituera alors le point de départ pour rétablir le lien entre d'une part la récolte, la transformation et la commercialisation du poisson par les masses, et d'autre part la consommation de poisson pour les masses. Aussi faut-il souligner l'importance du lien entre pêches décentralisées à petite échelle et sécurité alimentaire des consommateurs de poisson les plus pauvres. Dans les ménages de consommateurs, les femmes doivent être sensibilisées à la valeur du poisson en tant qu'aliment parfaitement sain et non le considérer simplement comme une source de protéines parmi d'autres. Il convient par ailleurs d'étudier la validité scientifique des préférences et des tabous à l'égard du poisson.

Nouveau rôle des administrateurs et des gestionnaires des pêches

J'aimerai ajouter sous la forme d'une remarque finale que les aspects sociaux et culturels de l'économie du poisson sont rarement évidents pour l'observateur occasionnel. Au demeurant, ces aspects ont même échappé aux spécialistes et parmi ceux qui les ont effectivement constatés, nombre d'entre eux n'ont pas été en mesure d'apprécier leur importance réelle. Le regain d'intérêt pour la nécessité de tenir compte des questions socioculturelles dans notre recherche d'un développement global et durable justifie les travaux d'étude visant délibérément à révéler, à comprendre et à faire fond sur ces mêmes aspects. Les éléments relatifs aux moyens de subsistance et à la sécurité alimentaire doivent constituer les fondations de l'édifice. Pour que cette tâche ait un impact durable, l'élaboration et l'édification d'un nouveau cadre doivent impérativement revêtir un caractère participatif et impliquer toutes les parties en présence. Un nouveau rôle incombant aux administrateurs et aux gestionnaires des pêches consisterait à mener les actions d'accompagnement correspondantes.

ANNEXE I

Sagesse des ménagères: préférences et tabous culturels relatifs au poisson dans l'Etat du Kérala*

* Nous remercions vivement Mariamma Thomas, Geetha Devi et Lizzy Thomas pour leur participation à l'élaboration de cette annexe.

Tabous

Préférences

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