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7. SYSTÈMES LOCAUX DE GESTION CONTRIBUANT À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE


7.1 Caractéristiques de fonctionnement

La flottille de pêche à petite échelle de la côte occidentale opère généralement suivant un mode d'action traditionnel qui ne met pas en cause la situation à long terme des stocks de poissons locaux. La plupart des flottes de pêche présentes dans cette zone opèrent 5 ou 6 jours par semaine, réparent généralement le matériel le samedi et interrompent le travail le dimanche. Certains marins plus jeunes et certains équipages de la côte orientale travaillent pendant les week-ends au moment «des étales de marée» lorsque les prises sont généralement plus importantes.[111] Les petits bateaux de pêche aux crustacés sont souvent utilisés par des pêcheurs saisonniers qui peuvent avoir d'autres activités productrices de revenus. Ces petits bateaux opèrent moins souvent en hiver lorsque les conditions météorologiques sont difficiles. Certains petits bateaux sont à usage double ou multiple et permettent d'adapter la technique de pêche à la saison.

Peu de bateaux des Hébrides et de la côte occidentale opèrent en haute mer. L'un des rares grands navires de pêche pélagique a été perdu en mer en 1998. Les bateaux écossais qui pêchent au large des îles de St Kilda, de Rockall et des Flannans sont originaires de la côte orientale et débarquaient leurs captures à Lochinver ou Kinlochbervie. Quelques puissants navires de la côte orientale pêchent au large en eau profonde, en tirant leur chalut de fond à des profondeurs pouvant atteindre les 600 brasses (plus de 1 000 m) de façon à capturer des espèces d'eau profonde (grenadiers, lingue bleue, sabre noir, hoplostète orange et merlan bleu).

Les navires locaux ne débarquent pas nécessairement leurs captures dans leur port d'origine. En effet, les navires des Hébrides peuvent le faire à Stornoway ou de l'autre côté du Minch à Kyle of Lochalsh, à Mallaig ou à Lochinver, selon l'importance des captures et l'état des marchés. Les navires crevettiers travaillent généralement sur contrat avec des négociants qui garantissent l'achat de la totalité de leurs captures à des prix spécifiés ou aux prix en vigueur sur le marché.

7.2 Associations et organisations locales

Les associations de pêcheurs existent sous différentes formes. Le type d'association le plus répandu a pour objet de représenter ses membres sur le plan professionnel et politique. Les principales associations présentes dans la région étudiée sont les suivantes:

L'Association des pêcheurs des Iles occidentales (Western Isles Fishermen's Association), l'Association des pêcheurs des Highlands et des îles (Highlands and Islands Fishermen's Association); L'Association des pêcheurs de Mallaig et du nord-ouest (Mallaig&North-West Fishermen's Association); et l'Association des pêcheurs de la Clyde (Clyde fishermen's Association). Des associations plus petites pouvant faire partie des organisations plus importantes énumérées ci-dessus comprennent celles qui représentent les pêcheurs de Ullapool-Assynt; Skye et Lochalsh; Ardnamurchan; Loch Linnhe; Ross of Mull & Iona et Mull. Les associations peuvent également faire partie de fédérations plus importantes assurant leur représentation sur le plan politique. Parmi les fédérations de ce type figurent la Fédération des pêcheurs des Highlands et des Iles, la Fédération des pêcheurs d'Écosse et l'Association des pêcheurs (Fishermen's Association Ltd).

Des organisations de producteurs ont été constituées vu la nécessité de gérer les contingents de pêche par des groupes de professionnels. Les membres des organisations de producteurs sont des propriétaires de bateaux plutôt que des pêcheurs à proprement parler. En Écosse, la plus importante est l'organisation SFO (Scottish Fishermen Organisation) des pêcheurs d'Écosse qui possède plusieurs navires de pêche dans la région étudiée. Une organisation locale, l'organisation des producteurs de poissons d'Écosse occidentale (West Scotland Fish producer's Organisation),a été créée en 1994. Certains navires de pêche d'Orkney appartiennent à l'organisation de producteurs d'Aberdeen. Toutefois, la grande majorité des navires des Hébrides et de la côte occidentale appartiennent au groupe dit «non sectoriel» et au groupe des bateaux de moins de 10 m qui, pour les problèmes de contingents, relèvent directement du Département de l'agriculture et des pêches du Ministère des Affaires écossaises. A chaque bateau est attribué un contingent annuel de poissons sur la base de ses statistiques ou de ses relevés de captures; il incombe au propriétaire de signaler ses captures et ses débarquements à son organisation de producteurs, ainsi qu'au bureau local des pêches. Les organisations locales de producteurs sont chargées de punir leurs propres membres, en cas d'inobservation des contingents fixés, tandis que les fonctionnaires du service de la protection des pêches peuvent déférer les contrevenants devant les tribunaux.[112]

Les coopératives de pêcheurs sont essentiellement des entreprises de commercialisation du poisson qui exercent d'ordinaire des fonctions normalement assurées par les bureaux commerciaux dans les ports écossais. La coopérative la plus connue dans la région est située à Stornoway, mais il en existe plusieurs autres petites, en particulier dans les sous-secteurs du homard et du crabe.

Les associations de pêcheurs de la région se sont réunies pour constituer le groupement de gestion des pêches intitulé “West of Four Degrees Fishery Management Group” chargé d'élaborer des propositions pour une gestion efficace et profitable des pêches côtières dans la bande des six milles. Le méridien situé à 4° de longitude Est se trouve à l'ouest des îles Orkney et au niveau de Strathy Point sur la côte de l'Écosse, le point le plus à l'est de la zone étudiée. Ainsi, le champ d'action du groupe recouvre effectivement la zone VIa du CIEM et la totalité des zones de pêche considérées dans la présente étude de cas. Le groupe a proposé un certain nombre d'innovations en matière de gestion des pêches, permettant de préserver les stocks et l'activité de la petite flotte locale. La mise en place de structures participatives locales de gestion figure parmi les propositions.[113] En effet, une protection efficace des pêcheries côtières pourrait conserver la ressource halieutique locale et garantir aux petits pêcheurs de la région la durabilité de leur emploi.

7.3 Comportements sociaux et conservation des emplois

Les Highlanders ou plus généralement les Celtes entretiennent des liens étroits avec leurs communautés et les gens qui les composent. Ces liens se manifestent dans leur volonté de faire passer l'emploi avant le profit: du fait de cette absence de cupidité, parfois interprétée à tort comme une absence d'ambition, les communautés de la côte occidentale des îles sont davantage animées par des préoccupations sociales par comparaison à beaucoup d'autres collectivités de la terre ferme ou de la partie centrale du pays. Au sujet des communautés des Highlands, James Shaw Grant a écrit qu'elles possédaient «un sens social souvent en proportion inverse de leur richesse matérielle».[114]

Dans l'industrie de la pêche, il importe que les patrons de pêche locaux emploient des équipages locaux, et dans la mesure du possible organisent leurs opérations pour faciliter aussi bien la vie de famille que les gains tirés de leur activité. Pour reprendre les termes d'une publication récente des Western Isles «... les pêcheurs des Western Isles n'ont jamais adhéré à une culture d'entreprise. Les bateaux de pêche sont toujours une propriété familiale: ils sont utilisés par des particuliers qui habitent au bord de la mer, sur un littoral où sont installées çà et là des communautés maritimes.»[115]

La propriété des bateaux de pêche locaux est diluée au sein des communautés, de telle sorte que les membres de l'équipage peuvent très bien être des parents du capitaine ou compter parmi les principaux actionnaires. Cette situation confère une certaine stabilité au secteur, à l'inverse des entreprises financées de l'extérieur, qui sont plus facilement amenées à fermer leurs portes, ou à s'installer ailleurs lorsque les profits diminuent.[116] Patrons et équipages reçoivent chaque semaine des parts égales de la moitié du produit net des opérations de pêche selon un arrangement consacré par l'usage.

Outre la flottille de pêche effectivement locale, il y a les bateaux de la côte orientale, qui opèrent en permanence à partir des ports de Oban, Mallaig, Lochinver et Kinlochbervie. Les propriétaires et l'équipage de ces bateaux sont en quasi-totalité des pêcheurs de Moray Firth, tandis que certains viennent de la région des Highlands et des îles et des régions situées plus à l'est. Propriétaires et équipages des bateaux immatriculés localement sont des pêcheurs nés et élevés sur la côté occidentale et dans les îles. Leurs petites embarcations ne sont guère comparables avec celles de la côte orientale par leur taille et leur niveau technique. La flottille locale réalise en gros 40 pour cent des tonnages débarqués de poisson et de crustacés de la côte ouest et à peine plus de 50 pour cent de la valeur des débarquements.

La volonté évoquée ci-dessus de préserver les emplois locaux a été illustrée par un célèbre patron de pêche de Mallaig qui a fait naufrage avec tout son équipage au large du Danemark, au début de 1998. Le secrétaire de son association a révélé que ce patron avait prévu de vendre son bateau cette année-là et de partir à la retraite. Or, plutôt que de garder pour lui le produit de cette vente, il avait prévu de financer l'acquisition de deux bateaux plus petits pour garantir l'emploi de son équipage et de ses fils. Ces dispositions devaient en outre préserver l'accès de la communauté à la ressource halieutique et maintenir le niveau des débarquements locaux, protégeant ainsi l'économie locale, et la sécurité alimentaire fondée sur le poisson. «Voilá» a déclaré le secrétaire de l'association, «de quel type d'homme il s'agissait»: il illustre l'attitude générale des pêcheurs des Hébrides et de la côte occidentale vis-à-vis de leurs compagnons et de leurs communautés.[117]

7.4 Solutions locales pour résoudre les conflits liés aux engins de pêche

A tout moment d'une semaine de pêche moyenne, plus de 300 chaluts sont traînés à travers les fonds côtiers au voisinage des Hébrides où, en outre, plus d'un demi-million de casiers sont posés. Compte tenu de la multiplication d'engins statiques et mobiles placés dans une bande côtière limitée, on peut s'étonner de la rareté des conflits. Au voisinage de l'île de Lewis et surtout dans pêcheries côtières au large du littoral occidental, il existe des accords observés par les pêcheurs utilisateurs d'engins statiques et d'engins mobiles, impliquant le respect des zones attribuées à chacun. Les navires venus de l'extérieur sont également tenus de respecter les accords ou d'indemniser les propriétaires d'engins endommagés selon les tarifs fixés par les associations.[118]

Il convient de signaler que ces accords pratiques sont conclus par les pêcheurs eux-mêmes par le biais de leurs associations respectives. Les pouvoirs publics ne sont pas impliqués directement, bien que les administrateurs des pêches locaux puissent faciliter l'organisation des réunions et y assister à titre de conseillers ou d'«intermédiaires neutres». Les associations de pêcheurs de la côte orientale y participent aussi, puisque leurs navires opèrent de temps à autre à proximité des zones côtières occidentales.

Les conflits relatifs aux engins de pêche, ainsi que les risques de confrontations futures, persistent certes, mais peuvent être réglés entre les associations, à condition que celles-ci y soient pleinement habilitées dans leurs propres eaux côtières; le problème est d'autant plus délicat lorsque les navires originaires d'autres régions et d'autres pays y sont autorisés à pêcher et lorsque les règles sont établies par des bureaucraties ou des comités de Bruxelles ou de Londres éloignés de plusieurs centaines de kilomètres.

La gestion des pêcheries côtières locales des eaux est une question complexe: elle implique de nombreuses espèces, différents types d'engins, ainsi que les droits traditionnels d'exploitation de leurs pêches détenus par les communautés côtières. Aucune instance éloignée ne saurait résoudre ces questions de façon pertinente ou équitable. La situation de la flottille de caseyeurs de Loch Torridon par exemple, est un cas typique témoignant du réel besoin de gestion locale participative de cette pêcherie.[119] Les désaccords entre utilisateurs d'une part, d'engins statiques installés dans la zone de Loch Torridon et d'autre part, d'engins mobiles (chaluts à langoustine) opérant à partir de Mallaig, ne sont pas encore pleinement résolus. Aussi, la mise en place d'une maîtrise accrue de la gestion locale pourrait-elle faciliter la résolution du problème par le biais d'accords à long terme. Loch Torridon se trouve sur la terre ferme vis-à-vis de l'extrémité nord de l'île de Skye.

La pêche à la langoustine (Nephrops norvegicus) s'est développée dans la période d'après guerre. Avant le milieu des années 1950 et faute de marché les langoustines étaient soit rejetées à la mer, soit conservées pour la consommation personnelle des pêcheurs. Le marché s'est développé régulièrement au cours des 40 dernières années, notamment en Espagne, en France et en Italie et représente aujourd'hui dans la région étudiée, la plus forte part du revenu global de la pêche pour une espèce déterminée.

Le chalutage des langoustines était initialement une activité réservée aux bateaux senneurs plus anciens et de plus petite taille, mais dans les années 1970 des bateaux spécialisés ont été construits. Les navires trop petits ou de puissance trop faible pour tirer un chalut se sont engagés dans la pêche au casier à titre de complément de la pêche au homard; or, cette activité s'est développée rapidement en une pêche à part entière. Les casiers présentaient en effet un net avantage par rapport aux chaluts dans la mesure où ils permettaient d'attraper uniquement les langoustines de grande taille dont la commercialisation à l'état frais et entier était d'un excellent rapport. Les casiers pouvaient être posés sur des fonds au relief accidenté impraticables pour des chaluts classiques.

Les chalutiers crevettiers capturent davantage de Nephrops de plus petite taille qui sont équeutées et congelées pour être vendues sous le nom de scampi ou de langoustines. Les chaluts réalisent également quelques captures accessoires de poisson, notamment de petits juvéniles en raison de la faible dimension de maille utilisée. Les crevettes capturées au chalut sont vendues à l'état frais, soit entières, soit équeutées. Celles qui sont capturées dans des casiers sont presque toutes vendues entières et vivantes. Bien que le prix moyen des crevettes prises au chalut soit plus bas, l'équeutage et la congélation donnent lieu à une activité locale de transformation, tandis que les crevettes capturées dans des casiers, exportées à l'état frais et entières,[120] donnent lieu seulement à des opérations limitées de conditionnement.

7.5 Législation connexe

La gestion des pêches en Écosse, en tant que élément du «domaine maritime commun» de l'Union européenne, est soumise au principe de l'égalité d'accès. Jusqu'à la fin de l'année 2001, certaines dérogations ou exemptions temporaires ont été introduites afin de tenir compte de situations locales. En ce qui concerne la zone étudiée, les dérogations comportent la définition d'une limite de 6 et 12 milles et du périmètre de Shetland/Orkney (voir carte) à l'intérieur desquels certaines restrictions s'appliquent.[121] Le Ministère écossais de l'agriculture et des pêches a établi en outre des mesures de réglementation de la pêche côtière qui appliquent des périodes de fermeture ou des restrictions concernant les navires et les engins utilisés dans certains lochs et dans certaines baies. Ces mesures de réglementation de la pêche côtière entrent dans le domaine d'application de la loi écossaise Inshore Fishing Act de 1984 [122]. Cette loi concerne tous les types de pêche, mais une importante législation antérieure, la Loi sur les pêches maritimes (crustacés et coquillages) de 1967 (Shellfish Act) constitue le principal texte juridique sur la pêche aux crustacés et coquillages (à l'exception des crevettes Nephrops).

Les dérogations ou exemptions sont provisoires, bien que nombre de politiciens et de commissaires de la Communauté Européenne se soient efforcés d'apaiser les protestations en affirmant qu'elles pourraient être prolongées; or, à l'heure actuelle (1999), aucun fondement juridique ne permet de formuler des promesses de ce type. Par ailleurs, les dérogations sont limitées quant à leur effet et à leur domaine d'application. A l'intérieur du périmètre Shetlands/Orkney, seul un nombre limité de navires de plus de 26 m de long sont autorisés à pêcher les espèces démersales (à l'exception du tacaud norvégien et du merlan bleu). 128 licences ont été attribuées à ce type de navires; 62 au Royaume-Uni, 52 à la France, 12 à l'Allemagne et deux à la Belgique. Les bateaux de moins de 26 m susceptibles d'opérer dans le périmètre ne font l'objet d'aucune restriction.[123]

Les bandes délimitées par les limites des six et douze milles s'étendent à l'ouest des Hébrides et autorisent également l'accès aux flottilles des autres pays. Les navires français sont autorisés à bénéficier d'un accès illimité pour toutes les espèces à l'exception des crustacés au large de Butt of Lewis, à l'intérieur des zones situées autour de Lewis, de St Kilda, des îles Flannan et de Barra. Les navires irlandais peuvent également bénéficier d'un accès illimité pour la pêche aux démersaux et aux crevettes au voisinage de Mull of Galloway et de Barra. Les navires allemands peuvent bénéficier d'un accès limité pour la pêche au hareng et au maquereau dans la bande maritime au voisinage de St Kilda, de Butt of Lewis, de North Rona et de Sulisker.[124] Les dérogations ne sont que provisoires et n'assurent qu'une protection limitée aux pêches locales à l'intérieur des limites des six et des douze milles: Instituées de façon plus permanente elles permettraient de mieux protéger les activités de pêche des populations locales et leur sécurité alimentaire.

La Loi sur la pêche côtière mentionnée plus haut interdit l'usage des engins mobiles de pêche pendant certaines périodes de fermeture dans le loch Hourn et le loch Torridon, et pendant le week-end dans le Firth of Clyde. Cette législation prévoit en outre une limitation de la taille des navires à 70 pieds pour les espèces démersales et les crustacés. Ces interdictions sont en vigueur avant tout dans le but de protéger les pêches locales de crevettes ou de Nephrops norvegicus. Les pêcheurs du Firth of Clyde souhaiteraient que l'interdiction du week-end reste en vigueur dans la mesure où elle limite l'effort de pêche.[125] Les pêcheurs d'Argyll & Islands, ainsi que l'association Clyde Fishermen Association, envisagent un certain nombre de mesures locales supplémentaires pour exercer leur contrôle sur des pêches particulières, notamment les pêches de pétoncles, dont l'importance semble essentielle pour une partie de leur flotte et qui pourraient sans doute mieux garantir leur prospérité future.[126] Toutefois, la découverte d'une contamination éventuellement toxique de certains pétoncles a entraîné l'interdiction de cette pêche sur la côte occidentale à partir du milieu de l'année 1999.

7.6 La Politique commune de la pêche et ses conséquences

La Politique commune de la pêche de l'Union européenne (PCP) a été définie en octobre 1970 par les six pays membres initiaux de la CEE. Deux de ses dispositions visent à conserver et à gérer les ressources halieutiques, mais permettent en outre aux États de l'Union européenne dont les propres stocks de poissons ont été épuisés, de bénéficier d'un accès à titre perpétuel aux eaux de trois États demandeurs: la Grande Bretagne, l'Irlande et le Danemark. La Norvège n'a pas adhéré à la Communauté Européenne en partie du fait que ces communautés côtières de pêcheurs ont voté massivement contre le projet.[127]

Les aspects de la Politique commune de la pêche qui ont pénalisé le plus sérieusement les nouveaux membres ainsi que la région considérée des Hébrides ont été les suivants:

le principe d'égalité d'accès pour les flottilles nationales de tous les membres;
la méthode de la gestion par contingents dans les pêches démersales;
la rationalisation et la gestion des navires de pêches; et
le commerce des licences et contingents institués par la PCP.

L'égalité d'accès signifie que les États souverains de l'Union européenne ne contrôlent plus directement leurs propres domaines maritimes de pêche. Dans le cas des Hébrides cela a signifié le partage de leurs eaux côtières avec les flottilles de tous les États membres de Union européenne.[128] En 1986 l'accession de l'Espagne et du Portugal à l'Union européenne a eu pour effet d'augmenter la capacité de pêche de 75 pour cent et d'accroître le tonnage de la flotte de 65 pour cent.[129]

L'application de contingents monospécifiques aux pêches démersales ciblant plusieurs espèces s'est traduite par une aggravation des rejets en mer par chaque navire[130] de centaines de milliers de tonnes de poisson capturé en excédent par rapport aux contingents monospécifiques.

De l'avis général, la flotte de pêche de l'Union européenne s'avère globalement trop importante et trop puissante par rapport à l'ensemble des zones de pêche des États membres. La situation s'est aggravée lors de l'adhésion à l'Espagne de l'Union européenne, puisque la flotte espagnole équivalait à 75 pour cent de la flotte de pêche de tous les autres membres. Or, ses propres pêcheries avaient été intensément exploitées et ne permettaient pas la présence d'un aussi grand nombre de bateaux. L'Union européenne s'efforce de réduire la surcapacité en termes de navires. A cet effet, elle considère l'ensemble de la flotte de pêche européenne comme une seule et même flotte et impose des mesures de désarmement; ces dispositions sont appliquées aux Hébrides, en dépit de la faible importance de la flotte de pêche et du sous-développement relatif de sa capacité, par comparaison à d'autres régions de pêche de l'Union européenne.[131] Cette approche indifférenciée, outre l'utilisation de relevés sur trois années, pénalisent les pêches à petite échelle et peu développées et «figent l'effort de pêche au niveau atteint lors de l'adhésion à la Politique commune de la pêche».[132] Plus de 50 bateaux ont été désarmés dans la région étudiée entre 1993 et 1996. Suite à une décision de désarmement, un patron de pêche doit rendre sa licence et son bateau doit être détruit. Certains bateaux avaient encore plus de dix ans de vie utile et auraient pu présenter un intérêt considérable pour des pêcheurs pauvres d'Afrique et d'Asie; en dépit de plusieurs propositions visant à utiliser les unités en surnombre de la flotte dans les régions qui en ont besoin à l'étranger, le Gouvernement britannique a insisté pour les détruire systématiquement.

Le commerce des licences et des relevés de captures qui déterminent les contingents, a eu pour effet de majorer le prix de ces «bouts de papier» qui n'existaient pas il y a quelques années mais sans lesquels aucun pêcheur ne peut travailler à présent, à tel point qu'ils coûtent davantage que le bateau proprement dit et le matériel de pêche. D'après un rapport PESCA récent concernant les flottilles de pêche d'Argyll & Islands «l'escalade des prix risque en définitive de décimer la flotte de pêche».[133] De plus, un récent document consultatif de l'administration écossaise suggérait d'autoriser la vente et le transfert des licences de petites embarcations (moins de 10 m) aux énormes chalutiers et senneurs qui doivent légaliser leur puissance accrue.[134] Une telle mesure risque de détruire les pêches régionales à petite échelle dont les licences n'ont pu jusqu'à présent être utilisées et d'accroître la puissance admissible des grands navires.

On a constaté récemment que la flottille des énormes bateaux senneurs de haute mer et des chalutiers semi-pélagiques était dotée de licences insuffisantes, compte tenu de leur puissance réelle (les licences doivent mentionner la puissance des bateaux, exprimée en unités de capture par navire (VCU)). Aussi, les riches propriétaires de ces navires achètent-ils à présent des licences de petits navires (jusqu'à 11 mètres de long) de façon à les «ajouter» à leur propre licence et légaliser ainsi la puissance de leur moteur. Lorsqu'une licence ou un contingent est vendu par une flottille ou une communauté, il est pratiquement perdu pour toujours. L'industrie et les communautés de pêche côtière des Hébrides et de la côte occidentale sont par conséquent en train d'être dépouillées, au profit des flottes hauturières qui gagnent en importance et en puissance: une telle évolution est injuste et illogique, tant du point de vue social et économique qu'au plan de la gestion des pêches, et met directement en cause la prospérité et la sécurité future des populations locales de pêcheurs.[135]

Les ventes de licences et de relevés de captures risquent d'entraîner de brusques accroissements des contingents lorsqu'une entreprise étrangère les achète sans réimmatriculer le navire. Sur le papier le contingent appartient au pays ou à la région, mais en réalité un État étranger l'a pris à son actif.[136] Une récente tentative du Gouvernement britannique visant à empêcher les propriétaires espagnols de procéder à un accroissement de contingent, a été jugée illégale en vertu de la législation de l'Union européenne.

En raison des pratiques exposées ci-dessus, la flottille de pêche d'ores et déjà modeste est appelée à se réduire et risque de disparaître purement et simplement de certaines localités. L'effondrement du secteur de la pêche risque de précipiter certaines communautés vers un déclin définitif, puisqu'il devient de plus en plus difficile aux pouvoirs publics d'y maintenir les services essentiels. Aussi les répercussions de la politique de la pêche de l'Union européenne seront-elles en contradiction directe avec ses objectifs déclarés aux termes desquels «La Communauté a été créée pour garantir la paix et promouvoir la prospérité en Europe. Parmi les politiques adoptées à ces fins figure l'encouragement au développement économique des régions qui souffrent d'un manque d'emplois et de débouchés. Parmi les compétences établies à l'origine de la communauté figuraient le secteur de la pêche ... de manière à assurer la sécurité de l'approvisionnement alimentaire communautaire. La pêche et l'aquaculture ont un rôle important à jouer dans cette entreprise visant à assurer la cohésion économique et sociale. Cette politique doit couvrir les dimensions biologique, économique et sociale de la pêche».[137]

Comme l'a fait observer une étude universitaire récente «...en vertu des dispositions actuelles de la Politique commune de la pêche, et vu la situation de la région des Highlands dans ce contexte,... on assiste à un processus ininterrompu de démantèlement des mécanismes permettant aux personnes de la région d'accéder à ce secteur d'activité. Simultanément, les observateurs notent le regain d'activité (des flottilles de pêche étrangères)...et se demandent comment les avantages en matière de développement et les retombées économiques peuvent aller manifestement à des entités étrangères... alors que les flottilles de pêche locales voient leurs possibilités aussi réduites.»[138]

Pour reprendre les termes d'un autre commentateur de la Politique commune de la pêche: «nombre de régions sont entièrement tributaires de la pêche. La destruction de ces communautés et de l'activité locale ira de pair avec l'effondrement des services et des infrastructures, entraînant nombre d'emplois annexes. La pêche attire également le tourisme: la suppression de cette activité fait du même coup disparaître le charme de petits villages côtiers laissés désormais à l'abandon».[139]

L'incapacité de l'Union européenne à remédier à la situation difficile des communautés de pêche périphériques est également soulignée dans l'ouvrage d'Alain Le Sann intitulé «A Livehood from Fishing», dans lequel on peut lire: «si l'Europe bleue a réussi à créer un marché unique, la gestion des stocks de poissons a été un échec. Très rares ont été les tentatives d'harmonisation des différences nationales et régionales en matière de situation sociale et de conditions de travail».[140]

Cette idée est reprise dans un récent rapport du Parlement européen qui admet l'échec des mesures de conservation de la PCP et la nécessité d'adopter des arrangements régionaux de gestion qui protègeront les pêches côtières et les communautés qui en sont étroitement tributaires. Le principe de subsidiarité de l'Union européenne vise à éviter un contrôle centralisé inutile et à laisser les prises de décision et responsabilités aussi près que possible des régions et des situations concrètes. Le rapport du Parlement européen de l'Union européenne a recommandé d'appliquer le principe de subsidiarité au niveau des régions maritimes naturelles et d'établir un lien économique entre la pêche et les régions qui vivent des ressources halieutiques.[141]


[111] Stirling Aquatic resources, Study of Current and Future Producer organisation Structures and Functions Servicing the Highlands and Islands Fishing Fleets, HIE, 1993
[112] Ibidem
[113] West of four Fisheries Management Group, News and Views, Highlands Council economic development Service, Mars 1996
[114] James Shaw Grant, Highland Villages, Robert Hale, Londres, 1977
[115] Western Isles Council, The Economy and Culture of Fisheries in the Western Isles, 1997
[116] Integrated Managment Ltd. The future Management of fish Stocks in the Sea Surrounding the Highlands and Islands, Rapport HIE, 1991
[117] Hugh Allen, Mallaig&NW Fishermen’Association, communication personnelle, 1999
[118] Duncan MacInnes, Western Isles Fishermen’s Association, communication personnelle 1999
[119] G. Fulton, Fishery Audit and Assessment for the Loch Torridon Area, Minch project, 1998
[120] John MacDonald, Highlands and Islands Fishermen’s Association, lettre&rapport, 1999
[121] Integrated managment Ltd, The Future Managment of the Fish Stocks in the Seas Surrounding the Highlands and Islands, rapport HIE, 1991
[122] Ministère de l’agriculture et des pêches (Écosse), Review of Controls on Innshore Fishing, 1998
[123] Ibidem
[124] Ibidem
[125] Patrick L.M. Stewart, Clyde Fishermen’s Association, lettre personnelle, 30 mars 1999
[126] Argyll and the Islands Enterprise, programme PESCA, In Great Waters, Fisheries Report on Kintyre, Islay, Jura & Gigha, par Murdo MacLean, février 1999
[127] Fishermen’s Association Ltd., Memorandum to the Council of Ministers of the European Union, Novembre 1998
[128] John Asworth, The Common Fishery Policy, The June Press, Londres, 1997.
[129] Commission européenne, informations du site web, Les pêches 12/05/99
[130] Michael Wigan, The Last of the Hunters Gatherers, Swan Hill Pres 1998
Alain Le Sann, Mismanagement in the North, Dans A Livelihood from Fishing, Intermediate Technology Publications, 1998.
[131] Direction générale des pêches de l’Union européenne, the multi-annual guidance programmes, dans La Politique commune de la pêche, Bulletin d’information Union européenne, 1996-1998
[132] Stirling Aquatic resources, Study of Current and Future Producer Organisation Structures and Functions Serving the Highlands and Islands Fleet, 1993
[133] Argyll&Islands PESCA Programme, In Great Waters, par Murdo MacLean, 1999
[134] Département de l’Agriculture et des pêches du Ministère des Affaires écossaises, Management of the Under 10 metre Fleet, document en vue d’une consultation du ministère des Affaires écossaises, 31 mars 1999
[135] A. McIntosh&D. Thomson, Monetarism is Killing Communities, dans Fishing News, 6 novembre 1998
[136] Stirling Aquatic resources, Study of current and Future Producer Organisation Structures and functions Serving the Highlands and Islands Fleet, HIE 1993
[137] Direction générale des pêches de l’Union européenne, Pourquoi gérer la pêche? Dans La Politique commune de la pêche, Union européenne, Bulletin d’information, 1996-1999
[138] Ibidem
[139] John Ashworth, The Common fishery policy, The June Press, Londres, 1997
[140] Alain La Sann, Blue Europe (Common Fisheries Policy) dans A Livehood from Fishing, Intermediate technology publications, 1998
[141] Parlement Européen, La régionalisation de la Politique commune de la pêche (CFP). Impact on Structural Policy and Multi-Annual Guidance Programmes (MAGPs) in relation to Agenda 2000, FISH-101aEN, 1999

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