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ANNEXE 14
LES POISSONS DES EAUX CONTINENTALES TUNISIENNES

par

M.M.J. Vincke

1. INTRODUCTION

Les espèces autochtones, du fait de leur petite taille et de leur croissance lente, ne présentent pas d'intérêt en aquaculture, à l'exception des mulets, des anguilles et des barbeaux. En vue de constituer un peuplement exploitable, diverses espèces étrangères ont été introduites en Tunisie, à partir de 1964. La liste de ces espèces se trouve au tableau 1.

Les différentes espèces intéressantes sont décrites, sommairement ci-après.

2. LES MULETS

Quatre espèces présentent un intérêt en aquaculture: Mugil cephalus, M. labrosus, M. ramada et M. auratus. Parmi ces quatre espèces, M. cephalus et M. labrosus ont les meilleures croissances, selon les résultats des élevages expérimentaux menés à la station d'El Akarit, près de Gabès.

Les principales données sur la biologie des mulets se trouvent à l'annexe Les résultats des élevages expérimentaux d'El Akarit se trouvent à l'annexe

L'approvisionnement en alevins de mulet n'est possible qu'en capturant les alevins et juvéniles le long des côtes, à l'embouchure des oueds, lors de leur remontée dans les eaux douces ou saumâtres. Des essais de reproduction artificielle de mulets sont en cours dans certains pays, mais n'ont pas encore abouti à la production en masse d'alevins utilisables pour l'aquaculture.

Tableau 1 Espèces de poissons introduits en Tunisie

Non scientifiqueNom françaisAnnée d'introductionPays d'origineRéférence
Scardinius erythrophthalmus
Rotengle1964 Pillai, 1976
Cyprinus carpioCarpe commune1965–1966Allemagne et FranceRhouma et El Ouaer, 1978
Micropterus salmoidesBlack bass1966MarocRhouma, 1975; Pillai, 1976
Esox luciusBrochet1966FrancePillay, 1976
Tilapia niloticaTilapia nilotica1966
Bangui (Rép. Centrafricaine)
Muller, comm. pers. 1982
T. mossambicaTilapia mossambica1966Allemagne 1Muller, comm. pers. 1982
Salmo gairdneriTruite arc-en-ciel1967FrancePillai, 1976
Tinca tincaTanche1964 § 1967MarocZaouali, 1979 et Nasfi, 1976
Lucioperca luciopercaSandre1968FranceZaouali, 1979
Ctenopharyngodon idella
Carpe herbivore1981HongrieMuller, comm. pers. 1982
Hypophthalmichthys molitrix
Carpe argentée1981HongrieMuller, comm. pers. 1982

1 ont été introduits d'Allemagne en tant que poissons d'aquarium.

2.1 La capture des alevins de mulet

Le frai de mulets gagne les côtes et pénètre dans les lagunes et estuaires quand il atteint une taille de 15 à 30 mm, taille correspondant à l'âge d'un mois à un mois et demi (Pillai, 1975). En plein jour et par temps calme, on peut voir, dans des eaux profondes seulement de 5 à 25 cm, des bancs serrés de quelques centaines et parfois de milliers de ces petits alevins qui nagent lentement à la recherche de leur nourriture planctonique.

Les jeunes mulets, d'une taille de 4 à 6 cm, forment des bancs d'une centaine d'individus et se tiennent dans des eaux peu profondes (généralement entre 5 et 25–30 cm de profondeur). C'est à la taille de 3 à 7 cm que se font les captures en vue d'empoissonner les étangs et les barrages.

Chaque année l'INSTOP et l'ONP capturent des alevins de mulet en vue d'empoissonner des étangs (Station d'El Akarit) et les retenues. La taille des alevins pêchés se situe entre 3 et 7 cm.

L'INSTOP utilise différents filets, en tissu moustiquaire à mailles de 1 à 3 mm, en fonction de la nature des fonds ou se tiennent les jeunes mulets (sable, fonds rocheux, embouchures d'oued, etc…). Les méthodes de capture sont les suivantes:

  1. pêche à l'épuisette rectangulaire. Le tissu moustiquaire est monté sur un cadre métallique muni d'un manche en bois. Le bas du cadre est muni d'un rouleau en bois ou d'un tube en plastique (P.V.C.). L'épuisette est poussée dans l'eau par une seule personne et roule sur le fond. Cet engin n'est utilisable que sur fonds sablonneux où le rouleau ne s'enfonce pas.

    Une fois qu'un banc d'alevins de mulet a été localisé dans des eaux peu profondes (10 à 50 cm), la technique de capture consiste à s'en approcher doucement, l'épuisette avançant dans l'eau sans faire trop de bruit ni de remous, jusqu'à une distance d'environ 50 cm. Ensuite s'élancer soudain à la poursuite des alevins en faisant passer l'épuisette, le plus vite possible, sous le banc d'alevins, en la sortant rapidement de l'eau (Pillai, 1975). Un pêcheur habile et bien entraîné peut capturer jusqu'à 400 à 500 individus par coup d'épuisette, selon la densité des bancs d'alevins.

    Trois pêcheurs travaillent parfois en équipe. Deux personnes sont armées d'une épuisette chacune et la troisième personne aide au transfert des alevins capturés dans des bassines en plastique remplies d'eau propre. Une telle équipe bien entraînée et travaillant dans de bonnes conditions, peut capturer entre 3 000 et 5 000 alevins par heure (Pillai, 1975).

  2. Pêche au filet de traine. L'engin est constitué d'une nappe de tissu moustiquaire de 2 à 3 m de long et de 1,5 m de large. La lisière du bas est lestée par une ralingue plombée qui traîne sur le fond. Le haut est monté sur une simple ralingue. Chaque angle est muni de 0,30 m de cordage. Le filet est tenu au moyen de deux cordons par deux opérateurs qui avancent de front en direction du banc d'alevins, le filet maintenu hors de l'eau. S'approchant doucement et arrivé à un ou deux mètres du bac, les opérateurs abaissent brusquement le filet, le trainant obliquement et rapidement vers le banc. Les deux opérateurs pataugent dans l'eau, tout en gardant un écart constant. Ceci induit les alevins en erreur, leur fait voir le danger dans les lignes d'avancement des pas des opérateurs, lignes qu'ils fuient pour nager dans une direction rectiligne. Ils se font rattraper et soulever hors de l'eau par le filet (Pillai, 1975).

    Cette méthode permet, pour la plupart du temps, la capture de la totalité du banc, vue la largeur du filet, mais les meilleurs résultats étaient obtenus quand les bancs étaient situés entre le, filet et la plage avant la capture finale. Les captures à l'aide de cette méthode durant l'hiver et le début du printemps dans le canal de Zarzouna à Sidi Salem (près du pont) à Bizerte, atteighent souvent plus de 20 000 frai par heure, y compris le temps perdu pour la récupération du poisson après la capture. Durant l'hiver et le printemps, le frai et les fingerlings cherchent refuge par milliers dans les eaux calmes de ce canal. Avec le réchauffement de l'eau par journées ensoleillées, ils se déplacent en bancs vers le port attenant mais retournent tard dans la journée ou par temps venteux à leur lieu de départ (Pillai, 1975).

  3. Capture d'alevins au piège. Cette troisième méthode est utilisée dans les zones peu profondes fréquentées par le frai de mulet, comme par exemple les abords de la station d'ostréiculture dans la lagune de Bizerte. Là, sont installés des pièges avec passes en grillage en plastique de petites mailles, et quand un nombre significatif de frai pénètre, on ferme la trappe et le frai et fingerlings peuvent être ramassés à l'aide d'épuisettes à mailles fines. Ce moyen de capture donne des résultats variables suivant le nombre de poissons arrivant chaque fois. Son efficacité dépend le aussi de la façon dont est placé le filet de fond. De sa mise en place dépend le résultat de la capture, c'est-à-dire, dans un tel cas, l'élimination des risques de fuite du poisson (Pillai, 1975).

  4. Capture au filet de levée ou carrelet. Cette quatrième méthode utilise des filets cadre carrés ou circulaires de levée à fines mailles, immergés à faible profondeur dans l'eau, et que l'on retire précipitamment quand un banc d'alevins nage au-dessus de celui-ci. Ces filets sont placés le long ou vers la pointe de jetées comme, par exemple, celles de la station d'ostréiculture de la lagune de Bizerte (Pillai, 1975).

    Le filet doit êtra amené avec précaution sous le banc de poissons ou bien on doit attendre l'arrivée d'un banc d'alevins passant au-dessus du filet avant de le hisser précipitamment hors de l'eau. Bien que cette technique ait donné quelquefois de bons résultats, jusqu'à 400 alevins par levée de filet, le temps et l'effort dépensés pour ce genre de capture ne sont pas aussi rémunérateurs que les autres méthodes citées plus haut.

  5. Capture d'alevins de mulet à la senne de plage. L'ONP capture des alevins de mulet le long des plages et à l'embouchure de certains oueds, en utilisant une senne de plage avec poche d'une longueur de 25 m (ailes de 10 m chacune et poche de 5 m de diamètre) et une chute de 2 m. Les ailes ont des mailles de 10 mm (de noeud à noeud) et la dimension des mailles de la poche est de 9 mm. Le prix d'une telle senne est d'environ 100 dinars, montage compris. La durée d'utilisation est de 3 ans et les frais de réparation durant 3 ans s'élèvent à environ 100 dinars. La senne est manoeuvrée par 6–7 hommes dont le salaire varie entre 90 et 110 dinars/mois par ouvrier.

    Le nombre d'alevins de mulets capturés à chaque coup de senne ou trait est très variable et varie entre 5 000 et 10 000 alevins/trait. Dans de bonnes conditions (temps favorable, absence de vent, concentration des alevins, etc.), il est possible de donner 5 à 6 coups de senne par jour, tenant compte du temps qu'il faut pour vider la senne, démailler les petits alevins et préparer la senne pour le trait suivant. Dans des conditions favorables, avec une senne de plage, une équipe de l'ONP peut capturer entre 30 000 et 50 000 alevins de mulet par jour.

    L'expérience démontre que les mortalités lors des opérations de capture peuvent être très élevées quand on attrape de nombreux alevins (plusieurs milliers d'individus) d'un seul coup. C'est le cas notamment quand on utilise de grandes sennes de plage. Mieux vaut employer une petite senne de 3 à 5 m de long et ne capturer que quelques centaines d'alevins à chaque coup de filet, plutôt que de capturer des milliers de petits qu'il est difficile de manipuler aisément et rapidement.

Les alevins de mulets sont assez fragiles (plus fragiles, par exemple que des alevins de carpe ou de tilapia) et il faut éviter, autant que possible, de les manipuler. En les manipulant à la main, on risque de leur faire perdre leur mucus et des écailles ce qui ouvre ensuite la voie à des maladies bactériennes et des infections provoquant des mortalités, même plusieurs jours après leur capture. La meilleure manière de manipuler les jeunes mulets est d'utiliser des petites épuisettes en tissu moustiquaire.

Au moment de leur capture, les jeunes mulets sont déposés dans des seaux de transport contenant la même eau que celle dans laquelle ils ont été capturés. On les transvase ensuite dans un récipient plus grand lequel ils vont être transportés. Un moyen très pratique de les stocker en attendant leur transport est de les placer dans une poche carrée en moustiquaire, du genre hapa. Cette sorte de “boîte” en filet est suspendue dans l'eau, attachée à des piquets.

2.2 Lieux de capture des jeunes mulets

Les jeunes mulets sont répartis un peu partout le long des côtes tunisiennes. En fonction de certains critères (accès facile, distances réduites par rapport aux installations de l'INSTOP des stations d'élevage ou des barrages à empoissonner) les endroits connus où se font les captures sont les suivants (du Nord au Sud):

2.3 Acclimatation à l'eau douce des alevins de mulet et leur transport

Le mulet peut être élevé aussi bien en eau saumâtre qu'en eau douce et il supporte sans problème un passage de l'eau de mer à des eaux dont la salinité se situe entre 15 et 20 . Pour faire passer les mulets à des salinités inférieures et à l'eau douce, il est indispensable de les acclimater graduellement à leur nouveau milieu.

Après leur capture en eaux plus ou moins salées et avant leur déversement en eaux douces, il est indispensable d'acclimater les jeunes alevins à leur nouveau milieu, notamment en ce qui concerne la salinité et la température de l'eau.

Au fur et à mesure des captures, les alevins sont stockés dans des récipients (bassines, seaux, alevinières, fûts, etc.) remplis de la même eau que celle du milieu de la capture. Il faut donc abaisser graduellement la salinité de l'eau des récipients où se trouvent les alevins pour atteindre la salinité des eaux à empoissonner qui sont généralement des eaux douces ou légèrement saumâtres. Cette acclimatation est très importante et doit être suivie de près pour éviter toute chute brusque de la salinité qui peut provoquer des mortalités massives des jeunes mulets. Bien que les mulets soient des poissons très euryhalins, une chute brusque de la salinité leur est néfaste. Mugil cephalus passe pour l'espèce la plus résistante à ce changement et M. auratus l'espèce la moins résistante (Rhouma et El Ouaer, 1978).

Il a été observé durant les essais de laboratoire à grande échelle d'acclimatation de mulet à l'eau douce, que les mulets sont sensibles à la température. Plus la température est élevée, plus la chute de salinité est mieux acceptée. Aux basses tempétures, l'acclimatation s'accompagne d'un certain pourcentage de mortalité. Alors qu'ils pourraient être acclimatés à vivre dans une eau douce en l'espace de 3–4 jours à des températures de 20–25°C, ils prennent plus de temps à s'acclimater à des températures de 7–15°C. Il a été aussi observé qu'ils pourraient s'acclimater plus rapidement quand la taille des individus est plus grande. Ceux qui prennent le plus de temps à s'acclimater sont les alevins de 2–3 cm de longueur. En général, leur transfert de l'eau de mer à une eau titrant 15 ou 20 p.p.m. pourrait être effectué en quelques heures suivant la température, mais une acclimatation ultime doit être effectuée à un rythme plus soutenu jusqu'à atteinte du zéro de salinité. Il a été noté qu'une acclimatation rapide d'une immense quantité de frai de mulet à des salinités basses durant l'hiver pourrait être effectuée plus rapidement dans des bassins chauffés convenablement que dans des bassins extérieurs (Pillai, 1975).

L'acclimatation est une opération relativement simple. Comme les alevins sont généralement capturés en eaux saumâtres ou salées, il suffit d'ajouter de l'eau douce, lentement et à intervales réguliers, en contrôlant toutes les heures la salinité. On arrête l'opération quand on a atteint la même salinité que celle des eaux à empoissonner. Il est recommandé de laisser séjourner quelques jours les alevins en eau douce avant le développement, ce qui permet d'éliminer les alevins morts et les alevins blessés.

Si l'acclimatation est lente (entre 4 et 5 jours) et progressive, les mortalités sont de l'ordre de 5 à 8%, à des températures de l'eau comprises entre 15 et 17°C.

Les alevins de mulet se transportent comme les alevins des autres espèces: en bidons, alevinières ou en sacs en polyéthylène, avec ou sans ajouter de l'oxygène.

Pour éviter des mortalités en cours de transport, il faut éviter des fortes concentrations d'alevins dans les récipients de transport et il ne faut pas mettre plus de 2000 à 2500 alevins de 3 à 4 cm dans 250 litres d'eau, surtout pour des durées de transport dépassant 4–5 heures.

L'ONP transporte les alevins de mulet dans un camion citerne, divisé en quatre compartiments de chacun 250 litres, et muni d'aérateurs (pompes à air).

Nous ne disposons que de très peu de renseignements sur les mortalités qui surviennent au cours du transport des jeunes mulets. L'ONP, pour des transports en camion citerne et sur de longues distances, signale des pertes atteignant 30 %.

3. LA CARPE COMMUNE

La carpe commune variété “miroir” (Cyprinus carpio var. specularis) a été importée d'Allemagne (une vingtaine en 1965) et de France (6 000 alevins en 1966 et en 1967) (Rhouma, 1975).

Les premiers essais d'élevage de carpes miroir ont été entrepris en 1965, par l'INSTOP, à la station piscicole d'Aïn Sallem (Béja).

La station de carpiculture d'Aïn Sallem est composée d'un étang d'un environ 5 000 m2 et d'un hangar ou étaient aménagés 8 petits bassins en maçonnerie pour l'alevinage et l'élevage des carpillons.

La mission a visité Aïn Sallem le 19 avril 1982. Les installations ont été abandonnées depuis plusieurs années.

Le hangar abritant les bacs est entièrement désaffecté et il n'en reste que les murs. Les 8 bassins de ponte et d'alevinage (4 × 6 × 1 m de profondeur) sont encore en bon état ainsi que les canalisations à ciel ouvert.

L'étang et les bacs sont alimentés par une source d'eau douce dont le débit, très variable suivant les saisons, pose de grands problèmes: en effet, l'excès d'eau en hiver et au printemps entraîne des difficultés énormes quant à la vidange de l'étang, et la capture des géniteurs au moment opportun, alors que le manque d'eau en été entrave toute possibilité d'agrandissement de la station (Rhouma, 1979).

Une station de pompage a été installée en bordure de l'étang et une partie du débit de la source sert à l'approvisionnement en eau des villages se trouvant autour de la station. Selon Muller (comm. pers., 1982), la température de l'eau à la sortie de la source ne descendrait pas en dessous de 18°C.

C'est en juillet-août que les pénuries d'eau sont les plus importantes et c'est précisément la période de grossissement des larves et alevins de carpe.

Pour remédier à la pénurie d'eau, l'INSTOP a installé une petite citerne (3 × 3 × 2 m de profondeur) qui récupère l'eau à la sortie des bassins de ponte et d'alevinage. Cette eau est pompée ensuite (pompe de 5 CV) et renvoyée en tête du canal qui alimente les bacs.

La station actuelle n'a pas d'étangs d'alevinage ni de grossissement et le manque d'eau empêche tout agrandissement des installations.

3.1 Reproduction de la carpe commune

Dans les conditions d'Aïn Sallem, la carpe commence à frayer à la fin du mois d'avril et au début du mois de mai quand la température de l'eau est d'environ 20°C durant le jour et plus de 15°C la nuit (Rhouma, 1975).

A Aïn Sallem, la profondeur où se fait naturellement la ponte est comprise entre 50 et 70 cm et même plus. Les pontes naturelles dans le seul étang de la station n'ont jamais donné de nombreux alevins du fait d'une forte prédation exercée par les barbeaux, les serpents et les grenouilles (Rhouma, 1975).

Pour remédier à cette situation, l'INSTOP a opté pour la reproduction naturelle, mais contrôlée, dans des bassins aménagés à cet effet. La méthode utilisée est dérivée de celle des “kakabans”. Les fibres des “kakabans” sont remplacées par des bouquets d'herbes. On immerge un “kakaban” de 2 × 1 m dans le bassin de ponte et on y place 1 femelle et 2 mâles. La mise en charge des bassins de ponte se fait généralement un mois avant la période normale de reproduction. Les “kakabans” sont inspectés régulièrement jusqu'à ce que l'on constate la ponte (oeufs adhérants aux herbes des “kakabans”).

Après la fécondation, les géniteurs sont retirés des bassins afin qu'ils ne dévorent pas les oeufs et ensuite les larves. Quelques jours après l'éclosion on retire également les “kakabans”.

A des températures voisines de 20°C, l'éclosion débute le cinquième jour et les larves ont environ 5 mm.

Durant les premières semaines les larves reçoivent, 2 fois par jour, une nourriture à base de jaune d'oeufs. A 8 semaines les alevins atteignent une taille moyenne de 6,5 cm et à partir de ce moment ils reçoivent une nourriture artificielle composée de déchets de légumes, pommes de terre, pain, sang et farine de poisson (Rhouma, 1975).

3.2 Elevage et croissance de la carpe commune en Tunisie

On ne dispose que de très peu de renseignements au sujet des résultats d'élevage en étangs de la carpe commune, à l'exception de quelques données fragmentaires des élevages expérimentaux conduits à El Akarit et à Aïn Sallem.

Il semble que les croissances n'ont jamais été très élevées, sans doute du fait d'une alimentation artificielle irrégulière.

Selon Rhouma (1975) des carpes nées à Aïn Sallem n'ont atteint qu'un poids moyen de 123 g à la fin de la première année, ce qui correspond à une croissance moyenne journalière d'environ 0,33 g/jour.

A El Akarit, en polyculture avec des mulets et en association avec des canards, on a obtenu, en 15 mois et demi, des carpes d'un poids moyen allant de 1,500 à 2 kg. Les poissons ont été nourri irrégulièrement et au départ, les carpillons avaient entre 10 et 65 g.

La croissance moyenne journalière de ces carpes a été de l'ordre de 3–4 g/jour (Pillai, 1975). Des essais d'acclimatation progressive d'alevins de carpe commune à des eaux saumâtres ont été réalisés par l'INSTOP. Les résultats de ces essais démontrent que la carpe commune supporte sans dommage des salinités allant jusqu'à 10 (Rhouma, 1975).

La carpe commune, variété miroir, ne serait pas fort prisée sur le marché de Tunis, notamment parce que ce poisson n'a que très peu ou pas du tout d'écailles et que son goût ne plaît pas à tout le monde. La commercialisation de la carpe miroir pose donc des problèmes sur le marché de Tunis et d'après Zaouali (1979), le prix de vente n'a jamais excédé 100 millimes (D.T. 0,100) le kilo. Cependant, il ressort des enquêtes menées sur place que des carpes communes ont été vendues les dernières années à des prix allant de 0,250 à 0,300 D.T. le kilo.

4. LES BARBEAUX

Les barbeaux (Barbus barbus, B. callensis, Phoxinellus sp.) sont des voraces autochtones qui se trouvent dans de nombreux plans d'eau tunisiens, du nord et du centre, mais qui ne sont pas fort appréciés des consommateurs.

Les barbeaux se reproduisent très facilement et forment la partie la plus importante des captures dans les retenues de barrage pêchées par l'ONP. Le barbeau frais se consomme autour de la lagune de Bizerte et du lac Ichkeul (Kalfalla et Krichen, comm. pers., 1982). Les riverains de certaines retenues de barrage en consomment également, mais en faible quantité.

Les dernières années, des barbeaux ont été vendus plusieurs fois au marché central de Tunis à 0,200 D.T. (200 millimes) le kilo. C'est un poisson bon marché et, même si tout le monde ne l'apprécie pas, le pouvoir d'achat joue et on trouve des acheteurs. A titre d'information, les récents prix de vente en gros, au marché de Tunis, ont été les suivants (Ruckes, 1982):

DatesPrix au kilo (Dinars tunisiens)
28.2.19810,500 à 0,600
01.4.19810,320 à 0,500
20.6.19810,370
01.7.19810,120
01.9.19810,800
 20.10.19810,300

Il y a donc un certain débouché pour les barbeaux même si ce n'est pas un poisson de luxe, ni une espèce noble.

En Algérie, où le poisson d'eau douce est pratiquement inconnu du consommateur, le barbeau du lac Oubeira fait l'objet d'une commercialisation dans la région de Constantine où il est vendu, au détail, aux alentours de 10 D.A./kg (soit environ 2,24 US$ le kg ou 1,400 DT le kilo) (France-Aquaculture, 1981).

D'après Daoud (1978), cité par Zaouali (1979), il existe, en Irak, une exploitation du barbeau dans les retenues de barrage. Pour une superficie de 22 000 km2, le rendement annuel moyen des pêches est de 13,63 kg à l'hectare. Ces faits font penser que la consommation du barbeau en Tunisie pourrait devenir plus importante, particulièrement sur le pourtour des retenues de barrage, si les captures étaient commercialisées sur place, alors qu'actuellement toute la production des retenues est mise en vente à Tunis.

Le barbeau, espèce carnivore, joue en Tunisie le rôle qui est celui du brochet dans les plans d'eau européens. Là où il s'est installé, il est donc inutile d'introduire d'autres prédateurs, tels que le brochet. Il faut, dans la mesure du possible, associer le barbeau existant dans les retenues de barrage, à d'autres espèces telles que la carpe commune, les mulets et les tilapia, afin de créer un peuplement équilibré permettant une exploitation rationnelle et rentable des plans d'eau.

En vue d'améliorer les débouchés et la commercialisation du barbeau, l'ONP a entamé une série d'essais de mise en boîte de barbeaux. Ces conserves feront l'objet de tests d'acceptabilité et l'ONP établira la rentabilité économique de l'opération.

5. LE SANDRE

Le sandre (Lucioperca lucioperca) a été introduit en Tunisie en 1968 par l'Office des Pêches sous forme de 30 000 oeufs, immergés dans des boîtes incubatrices flottantes dans le barrage de Nebhana. D'après Zaouali (1979), sept ans plus tard, des pêches permirent d'établir que l'acclimatation et la reproduction de cette espèce avaient pu se faire dans de très bonnes conditions et on y a capturé des sandres de 62 cm. Le même auteur signale qu'à cette époque les carpes avaient, semble-t-il, disparu.

Il est à noter que le sandre n'apparaît dans aucune des statistiques de production de l'ONP, ni dans la retenue de barrage Nebhana, ni dans aucun autre plan d'eau. Il n'est cependant pas impossible que les équipes de pêche de l'ONP en aient capturés et les aient classés comme “divers” ou même comme “merlan” (voir tableau 3, annexe 13).

Le sandre est un vorace exclusif, sauf dans le tout jeune âge où il se nourrit de plancton et de menue faune aquatique (Huet, 1970). C'est typiquement un poisson d'eau chaude et d'eau calme. Il préfère les eaux à fond sableux ou sablo-vaseux aux fonds vaseux-argileux. Il est mois sensible aux eaux troubles que le brochet et il est assez exigeant quant à l'oxygénation de l'eau.

Le sandre se reproduit quand la température des eaux atteint 12 à 16°C, ce qui correspond aux températures des mois de février-mars dans le nord de la Tunisie. Le sandre supporte des salinités allant jusqu'à 7 (Zaouali, 1979).

La chair du sandre est excellente et son aspect ressemble à celui du loup, ce qui permettrait sans doute de le commercialiser en Tunisie, sans problèmes.

Le sandre pourrait sans doute être une espèce intéressante en Tunisie, mais seulement si des essais démontrent la rentabilité comme vorace d'accomopagnement.

6. LE BLACK-BASS

Le black-bass (Micropterus salmoides) a été introduit en Tunisie en 1966 en provenance du Maroc (Rhouma, 1975). Dix exemplaires ont été déversés la même année dans l'étang de Besbessia, d'une superficie de 1,5 ha et d'une profondeur moyenne de 4,5 m. La salinité de l'eau de cet étang est de 1,5 g/l (Nasfi, 1976 et Zaouali, 1979).

D'après Zaouali (1979), il n'y a pas eu de recapture dans l'étang de Besbessia, mais en aval de nombreux pêcheurs opérant dans la Mejerdah ont signalé la présence de black-bass. Le même auteur signale que la présence de cette espèce dans la Mejerdah pourrait, d'ailleurs, être plus ancienne car d'après Huet (1970), cité par Zaouali (1979), il y a eu des introductions de cette espèce en Afrique du Nord dès la fin du 19ème siècle.

Des black-bass ont également été déversés dans le barrage Mellègue (Nasfi, 1976) et dans le barrage de Ben Métir (Rhouma, 1975). Selon Muller (comm. pers., 1982) les black-bass seraient assez nombreux dans la retenue du barrage de Ben Métir.

Le black-bass à grande bouche est un Centrarchidae typique des eaux douces chaudes. C'est un grand vorace qui supporte des eaux pouvant atteindre 32°C, mais sa croissance s'arrête pratiquement au-dessous de 10°C (Huet, 1970). Les eaux doivent être riches en oxygène et ne doivent pas être polluées.

Le black-bass est un poisson d'eau calme, convenant pour les lacs et étangs de plaine, ainsi que pour les eaux faiblement courantes, à fond vaseux et riches en végétation (Huet, 1970).

Le black-bass est une espèce appréciée des consommateurs et un excellent poisson pour la pêche sportive. Il se reproduit assez facilement en étangs et pourrait être utilisé pour contrôler la pullulation des barbeaux dans certaines retenues.

7. LE ROTENGLE

Dix alevins de rotengle (Scardinius erythrophthalmus) ont été immergés en 1964 dans un bassin du Parc Belvédère à Tunis et 10 autres alevins ont été déversés en 1965 dans l'étang El Habibia, près de Tunis (Nasfi, 1976).

Le rotengle, cyprinidé, très voisin du gardon (Gardonus rutilus), a un régime alimentaire végétarien et vit en zones tempérées. Il se reproduit aux environs de 15°C.

Les rotengles introduits en Tunisie ont eu une croissance très lente, ne se sont pas reproduits et n'ont jamais été recapturés. Cette espèce ne présente pas d'intérêt.

8. LA TRUITE ARC-EN-CIEL

La truite arc-en-ciel (Salmo gairdneri) a été introduite de France en 1967 (Pillai, 1976) et déversée dans les retenues de barrage de Nebhana (22 alevins), Siliana (15 alevins), Makthar (300 truitelles) et Aïn Draham (1 050 alevins). On a également déversé 100 truitelles à Aïn Sallem (Nasfi, 1976). Les pêches ultérieures, faites dans ces régions n'ont pas permis de les retrouver, ce qui fait penser qu'elles n'ont pu s'acclimater (Zaouali, 1979).

9. LE BROCHET

Le brochet (Esox lucius) a été introduit en 1966 et la même année 2 000 alevins ont été déversés dans l'étang de Besbessia (Zaouali, 1979). Cette espèce n'a jamais été retrouvée et on peut conclure que le brochet ne s'est pas acclimaté en Tunisie, sans doute parce que ses exigences biologiques (taux d'oxygène dissous assez élevé, eaux calmes, peu profondes et enherbées, température de reproduction située entre 8 et 10°C, etc.) n'étaient pas satisfaisantes dans l'étang de Besbessia.

10. LA TANCHE

La tanche (Tinca tinca) a été introduite en 1964 et en 1967. En 1964 on en a déversé 10 dans le bassin du Parc Belvédère à Tunis; en 1965, on en a placé 5 dans l'étang d'Aïn Sallem et on en a encore ajouté 13 en 1966. En 1967, les déversements suivants ont été effectués: 500 alevins de tanches dans l'étang d'El Habibia, 850 alevins dans l'étang d'Hammam Zriba à Zaghouan et 550 alevins dans le barrage de Nebhana (Nasfi, 1976). La tanche, à notre connaissance, ne s'est pas acclimatée en Tunisie et on ne trouve trace de cette espèce dans aucune des captures de l'ONP. Notons que, d'après Zaouali (1979), la chair de ce poisson ne correspond pas au goût du consommateur tunisien. La tanche ne présente que peu d'intérêt comme poisson d'élevage en Tunisie.

11. LES TILAPIA

Tilapia nilotica et T. mossambica ont été introduits en Tunisie en 1966 et déversés dans les bassins d'oasis du Sud: (dix alevins de T. nilotica dans l'oasis de Kebili; 19 alevins de T. mossambica à Tozeur; 12 alevins à El Hamma de Tozeur et 16 alevins de cette même espèce à Nefta) (Nasfi, 1976). Ces tilapia se sont bien acclimatés et se sont abondamment reproduits (Pillai, 1975), à l'exception de T. mossambica à Nefta (Zaouali, 1979).

Les principales caractéristiques biologiques de ces deux tilapia sont données au tableau 2.

Tableau 2

EspècesTempératures de l'eau
(°C)
Salinité
Température minimum de ponte (°C)Intervalles entre pontes
MinimumMaximum
T. nilotica11     4225–38216–8 semaines
T. mossambica7–1039–4235–40203–6 semaines

Compte-tenu de ces données, ces deux tilapia, et particulièrement T. nilotica, conviennent bien pour des élevages dans le sud tunisien.

Etant donné leur forme et leur aspect extérieur, la commercialisation du tilapia ne devrait pas poser de problèmes et il pourrait vraisemblablement se vendre à approximativement 0,500 D.T. le kilo.

12. L'ANGUILLE

Anguilla anguilla se retrouve dans pratiquement tous les plans d'eau, mais la consommation en Tunisie est fort réduite. Toute la production est pratiquement exportée.

Etant donné sa valeur commerciale, on pourrait envisager des déversements dans certains plans d'eau, de civelles capturées lors de leur remontée en eau douce. Il faudrait pour cela connaître les lieux où il est possible de capturer des civelles en grand nombre et les époques de remontée.

Selon Pillai (1975), un déversement de civelles a été effectué, en janvier 1975, dans la lagune de Kelbia. Les civelles, capturées dans la lagune de Tunis, avaient été transportées jusqu'au Kelbia, en camion-vivier. Les résultats de ce stockage n'ont pas été publiés.

Les déversements de civelles ne devraient se faire qu'après avoir effectué une étude écologique du milieu et une étude du peuplement existant.

On a également envisagé l'élevage d'anguilles en étangs, soit en eau douce, soit en eau saumâtre (Pillai, 1975). Cela nécessite des bassins construits de façon à empêcher la fuite des civelles.

L'anguilliculture, semi-intensive ou intensive n'est pas considérée en Tunisie comme un élevage prioritaire. Toutefois, si on envisageait un tel élevage, il faudrait d'abord le faire à une échelle pilote afin d'obtenir les données nécessaires à une évaluation économique de l'élevage.

13. LES CARPES CHINOISES

Des alevins de carpe herbivore (Ctenopharyngodon idella) et de carpe argentée (Hypophthalmichthys molitrix), en provenance de Hongrie, ont été introduites en Tunisie en 1981 à l'initiative de la Direction EGTH (Etudes Grands Travaux Hydrauliques) et en collaboration avec la Coopération Technique Tuniso-Allemande, l'INSTOP et la Direction des Forêts.

L'objectif de l'introduction de ces carpes chinoises est d'étudier les possibilités d'utilisation des poissons phytophages dans les retenues des barrages pour éliminer les plantes aquatiques et le phytoplancton produits par les processus d'eutrophisation. Ce moyen de lutte contre les algues permettrait en même temps d'améliorer le potentiel de pisciculture du pays.

Les études entreprises par EGTH et INSTOP concernent:

  1. Recherche de la résistance à la salinité des deux espèces à partir d'eaux naturelles présentant divers degrés de salinité (EGTH)

  2. Recherche de la résistance aux matières en suspension (EGTH)

  3. Recherche des habitudes alimentaires des deux espèces (INSTOP)

  4. Inventaire des plantes et du plancton comme nourriture potentielle (INSTOP)

  5. Recherche de la chaîne de nutrition éventuelle carpes chinoises - Barbus (EGTH/INSTOP)

  6. Essais de reproduction à Aïn Salem (INSTOP)

  7. Mise au point d'une liste de références bibliographiques (INSTOP/EGTH).

Ces études sont encore en cours, mais les promoteurs de ces introductions estiment que des déversements d'alevins de carpes chinoises pourraient se faire dans les retenues de Sidi Salem, Abdelmonem, Beni Atta, Gdir el Goullah et à la station de pisciculture d'El Akarit.

Les possibilités d'introduction, dans ces plans d'eau, de la carpe herbivore et de la carpe argentée dépendront essentiellement des résultats concernant leur adaptation à différentes salinités. Selon certains auteurs (Chervinski, 1977 et Kalimbi, 1980), la carpe herbivore supporte des salinités atteignant 16 , mais seulement durant de courtes périodes.

Comme ces carpes chinoises ne se reproduisent pas naturellement, il sera indispensable de pratiquer la reproduction induite par hypophysation. Il faudra donc prévoir la construction d'une station d'alevinage comprenant une écloserie, des étangs de premier grossissement, des étangs de second grossissement et des étangs de stockage pour les reproducteurs des deux espèces. De telles installations n'existent pas encore en Tunisie, mais pourraient être aménagées en aval d'un des barrages existants ou actuellement en construction et où il y aurait de l'eau douce en permanence.


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