CHAPITRE 4
SYSTEMES DE PRODUCTION DE LA FAUNE SAUVAGE: CONTRIBUTION POTENTIELLE
A LA SECURITE ALIMENTAIRE
Les disponibilités de viande de brousse et d'autres produits tirés
des animaux sauvages en Afrique proviennent de quatre sources principales:
le milieu naturel, les élevages extensifs de gibier, les élevages
intensifs de gibier et la domestication des animaux sauvages.
Production à partir du milieu naturel:
c'est le cas des animaux protégés dans des réserves
et de ceux vivant dans des zones non protégées. Suivant
la densité des populations et les conditions écologiques
et de gestion régnantes, les animaux des zones protégées
peuvent être éliminés à des fins de consommation,
alors que ceux peuplant les zones situées en dehors de ces aires
font en général partie des ressources communautaires. Dans
ce cas, il n'y a guère ou pas de contrôle sur leur exploitation,
ou le contrôle est organisé localement soit par l'autorité
gouvernementale soit par les institutions traditionnelles.
Elevages extensifs de gibier: il s'agit d'exploitations
où les animaux sauvages sont entretenus dans des zones bien définies
délimitées par des clôtures. C'est une forme d'élevage
similaire à celle du bétail où les animaux se nourrissent
de la végétation naturelle encore que l'habitat pourrait
être modelé pour améliorer la production. Tant que
les animaux séjournent sur l'exploitation ils appartiennent à
son propriétaire. Ces animaux peuvent être exploités
pour leur viande mais, dans la plupart des cas, l'objectif visé
est la valeur ajoutée que leur confèrent la chasse sportive
ou les trophées, la vente d'animaux vivants ou l'écotourisme.
Elevages intensifs de gibier: dans
ces exploitations on garde les animaux sauvages dans un état de
semidomestication et ils sont nourris et entretenus jusqu'à ce
qu'ils atteignent le poids voulu, puis exploités à des fins
de consommation. Les critères de sélection adoptés
pour ces espèces comprennent la facilité de leur capture,
leur adaptabilité au milieu domestique et leur capacité
de produire en un temps raisonnable de la viande commercialisable et/ou
d'autres produits recherchés. D'après Eltrigham (1984),
les espèces animales élevées de la sorte ne sont
plus réellement sauvages et représentent un stade intermédiaire
entre l'état sauvage et l'état domestique. Ces élevages
comprennent pour l'essentiel les autruches, les crocodiles et diverses
espèces de céphalopes.
Domestication d'animaux sauvages:
la domestication est par définition un processus dont l'objectif
est l'adaptation génétique des animaux sauvages pour faciliter
leur reproduction en captivité et qui prévoit de la part
du propriétaire un certain contrôle sur leur reproduction
(Eltringham, 1984; Hudson et al., 1989). Le processus résulte
en des différences identifiables entre les espèces domestiques
et leurs parents sauvages. Suivant cette définition, le fait d'apprivoiser
ou d'élever une espèce animale sauvage comme le bétail
conventionnel n'en fait pas un animal domestique encore que le processus
puisse à la longue aboutir à la domestication proprement
dite.
4.1. PRODUCTION DE FAUNE SAUVAGE
4.1.1. Production à partir du milieu naturel
Les parcs nationaux, les réserves de gibier et
les réserves forestières, les forêts non protégées
et les terres de savane, y compris les forêts secondaires et les
exploitations, assurent l'essentiel de la production de viande de brousse
sur le continent africain. Les forêts secondaires et les exploitations
abandonnées sont particulièrement riches en rongeurs et
céphalophes lesquels fournissent la plus grande partie de la viande
de brousse consommée en zone rurale.
Rares sont les statistiques sur les populations d'animaux
sauvages et sur la biomasse totale présente dans les forêts
et les savanes africaines et les données disponibles ne concernent
que quelques taxons dans un nombre limité d'endroits. La biomasse
des grands, moyens et petits herbivores dans certaines zones protégées
a été évaluée par East (1984) qui l'a également
associée aux précipitations et au niveau des nutriments
du sol (tableau 4.1). Pour les animaux sur pied les chiffres allaient
d'un maximum de 19 663 kg/km2 dans la région du lac Manyara à
un minimum de 54 kg/km2 dans le Namib pour les grands herbivores. En Afrique
australe et orientale, la biomasse d'herbivores était dominée
par les espèces de la savane aride. Ce groupe, qui comprend les
éléphants, les hippopotames, les buffles, les zèbres
et les gnous, représentait plus de 90% de la biomasse totale des
savanes arides/eutrophes. Ces espèces propres à la savane
aride, notamment les éléphants et les buffles, dominaient
aussi les savanes humides/dystrophes où au groupe étaient
imputables 80% de la biomasse herbivore totale. Dans la sous-région
de l'Afrique de l'Ouest, les espèces de la savane humide et aride
représentaient environ la moitié de la biomasse totale.
On n'a estimé la biomasse d'animaux sauvages que
pour quelques zones. Prins et Reitsma (1989), par exemple, signalent la
présence d'une biomasse de mammifères évaluée
à 1 050 kg/km2 dans une forêt de basses terres non protégée
du Sud-Ouest du Gabon; alors qu'Oates et al (1990) estime la biomasse
vivante des primates non humains à 2 300-3 600 kg/ km2 à
Kibale en Ouganda, à 1 230-1 530 kg/ km2 dans l'île de Tiwai,
Sierra Leone, et à seulement 409 kg /km2 dans la région
de Douala-Edéa au Cameroun. Thomas (1991), quant à lui,
évalue la biomasse de primates dans la forêt d'Iture au Zaïre
à 715 kg/km2 et celle du parc national de Tai en Côte d'Ivoire
à 1 010 kg/km2 (Bourlière, 1985). La biomasse de primates
signalée dans les diverses forêts est considérablement
plus élevée que pour des espèces comme l'éléphant
des forêts et les grands ongulés tels que le buffle, le bongo
et l'okapi dont la biomasse effective est estimée à environ
500 kg/km2 (Hladik et al., 1993).
Tableau 4.1 Biomasse des grands herbivores
vivant en Afrique dans des aires de conservation désignées
aux précipitations annuelles et aux de niveaux de nutriments du
sol variables (Source: East, 1984)
Zone
|
Précipitations annuelles
(mm)
|
Espèces de la savane aride
|
Espèces de la savane humide
|
Total
|
Niveau élevé de nutriments du sol
|
Queen Elizabeth
|
1010
|
10,581
|
717
|
11,298
|
Lac Manyara
|
915
|
19,597
|
66
|
19,663
|
Cratère de Ngorongoro
|
893
|
12,370
|
104
|
12,474
|
Virunga (plaine de Rwindi)
|
863
|
17,063
|
749
|
17,812
|
Serengeti
|
803
|
5,001
|
143
|
5,144
|
Naïrobi
|
700
|
2696
|
1103
|
3799
|
Samburu-Isiolo
|
375
|
1896
|
88
|
1984
|
Amboseli
|
350
|
1225
|
22
|
1247
|
Sibiloi
|
165
|
403
|
2
|
405
|
Niveau moyen de nutriments du sol
|
Chutes Murchison
|
1150
|
10,585
|
460
|
11,045
|
Umfolozi-Hluhluwe
|
855
|
6767
|
570
|
7337
|
Vallée de Luangwa
|
832
|
8506
|
49
|
8555
|
Selous (oriental)
|
760
|
5528
|
367
|
5895
|
Sengwa
|
597
|
3993
|
322
|
4315
|
Ruaha-Rungwa
|
580
|
3738
|
54
|
3792
|
Faible niveau de nutriments du sol:
Afrique australe et orientale
|
Nsumbu
|
1200
|
1330
|
236
|
1566
|
Mweru Wantipa
|
1066
|
1300
|
432
|
1732
|
Kafue
|
1000
|
1680
|
320
|
2000
|
Lavushi Manda
|
1000
|
320
|
80
|
400
|
Akagera
|
785
|
3079
|
154
|
3233
|
Tsavo oriental (australe
|
553
|
4058
|
120
|
4178
|
Wankie
|
550
|
1810
|
51
|
1861
|
Kruger
|
530
|
2066
|
57
|
2123
|
Okavango
|
457
|
1122
|
111
|
1233
|
Mkomazi
|
425
|
1203
|
48
|
1251
|
Etosha
|
375
|
428
|
7
|
435
|
Kalahari Gemsbok
|
200
|
113
|
13
|
126
|
Namib
|
80
|
54
|
0
|
54
|
Faible niveau de nutriments du sol:
Afrique de l'Ouest
|
Boubandjidah
|
1200
|
906
|
1436
|
2342
|
Lac Kainji
|
1200
|
645
|
639
|
1284
|
Comoë
|
1150
|
75
|
723
|
247
|
Arly
|
1000
|
463
|
1293
|
1756
|
Deux Bale
|
970
|
394
|
635
|
1029
|
Po
|
900
|
1205
|
601
|
1806
|
Parc national du W (secteur du Niger)
|
730
|
856
|
488
|
1344
|
En fonction de la biomasse des mammifères évaluée
à 1 050 kg/ km2 dans les forêts du Sud Est du Gabon, Feer
(1993) a calculé un rendement total maximal durable (à savoir
le pourcentage pouvant être prélevé par la chasse
de subsistance sans compromettre la base des ressources) de 70-200 kg/km2/an,
soit quelque 7 à 20 % de la biomasse totale estimée. A pan
les vertébrés, pendant certaines saisons les insectes contribuent
aussi de façon marquée à la production de protéines
animales dans quelques parties de l'Afrique. On a tenté d'estimer
la biomasse des insectes qui peuvent être récoltés
dans la forêt. Hladik et al., (1993) ont estimé à
38-70kg/ha/an le poids à l'état sec de ceux susceptibles
d'être collectés à Barro Colorado au Panama. Leurs
calculs se fondaient sur une consommation entièrement à
base de feuilles et sur l'hypothèse selon laquelle 10 kg de fourrage
sont nécessaires pour obtenir 1 kg de viande. Toutefois, on ignore
le pourcentage de cette production qui est adapté à la consommation
humaine car un grand nombre d'insectes se nourrissant de feuilles ne sont
pas comestibles; les espèces communément récoltées
et consommées en Afrique comprennent les termites, les chenilles
et les larves de diverses espèces de coléoptères.
Les estimations du couvert forestier et de l'étendue des systèmes
d'aires protégées en Afrique fournissent une idée
de l'importance de l'habitat dont disposent les animaux sauvages sur ce
continent. D'après les statistiques de la FAO, l'Afrique possède
le deuxième couvert forestier le plus important des tropiques et
son étendue totale est estimée à 528 millions d'ha,
soit 30% de la forêt pantropicale. (FAO, 1993). Selon McNeely et
al., (1994) en Afrique subsaharienne 240 millions d'ha de terres
sont désignés comme aires protégées (tableau
4.2). Ce chiffre qui représente environ 10% des terres émergées
du continent comprend non seulement les aires où la faune sauvage
est préservée mais aussi les réserves forestières
ayant des fonctions de protection de la nature.
Dans la plupart des pays africains il n'est pas permis de chasser dans
les aires protégées et, dans certains pays, la chasse de
tous les grands mammifères est interdite. Cependant, il est évident
qu'une importante proportion de la viande de brousse consommée
est produite sur des terres protégées et réservées,
et provient soit directement de la chasse de subsistance clandestine,
soit indirectement de ces terres qui jouent le rôle de réservoirs
servant à reconstituer les effectifs sur des terres adjacentes.
Dans toute l'Afrique des projets novateurs démontrent que, étayée
par des ressources adéquates, la production de faune sauvage est
une forme viable d'utilisation des sols. Ces principes permettent de modifier
les opinions et les méthodes qui avaient cours dans le passé
en matière de conservation de la faune sauvage lesquelles étaient
largement basées sur des stratégies rigoureuses où
toutes les formes de consommation étaient répréhensibles,
et où les individus pratiquant la chasse de subsistance étaient
considérés comme des braconniers et traités sévèrement
s'ils étaient pris en flagrant délit.
La plupart des gestionnaires de la faune sauvage admettent que la "conservation
en vase clos" n'a aucun avenir et reconnaissent l'importance de remplacer
cette approche par une stratégie qui vise à faire participer
les populations locales à une gestion de la faune qui tient compte
de leurs besoins. Sous l'effet de la chasse illégale et de l'avancée
des exploitations agricoles, les méthodes axées sur une
gestion qui prévoit l'exclusion de ces populations des aires protégées
sont en train de disparaître. On tend désormais à
privilégier les programmes qui assurent des avantages concrets
- alimentaires et économiques - aux populations locales qui vivent
auprès des animaux et doivent en supporter les inconvénients.
Dans les zones où la densité des populations animales est
élevée et où un certain niveau d'exploitation est
tolérable, on cherche maintenant à incorporer dans les plans
d'aménagement la chasse de subsistance pratiquée au niveau
local .
Il existe en Afrique plusieurs exemples de projets qui visent à
intégrer la conservation de la faune sauvage dans le développement
rural; ces projets cherchent d'une part à garantir la sécurité
alimentaire des collectivités rurales grâce aux vivres et
au revenu tirés de la faune sauvage et, de l'autre, à réduire
la pression sur les aires protégées et leur empiètement.
Le projet de développement rural intégré de Luangwa
en Zambie et le projet CAMPFIRE (Communal Areas Management Programme for
Indigenous Resources) au Zimbabwe cherchent tous les deux à faire
bénéficier les ruraux des avantages tirés de la faune
sauvage.
Le programme CAMPFIRE encourage la production de la faune sur des terres
marginales non exploitables soumises à des régimes fonciers
traditionnels, et confie aux populations locales vivant sur ces terres
la tâche de la gérer et de l'utiliser durablement. Les résultats
obtenus par le programme CAMPFIRE montrent que la protection/production
de la faune sauvage est une forme viable d'utilisation des sols qui peut
générer des revenus importants et assurer des vivres aux
collectivités locales (encadré 8). Le programme souligne
en outre clairement que l'appui local à la conservation de la faune
dépend non seulement de l'aptitude des collectivités à
s'identifier avec les projets de conservation mais aussi de la capacité
de ces projets de leur fournir des avantages matériels, à
savoir de la viande et un revenu en espèces.
Tableau 4.2 Système d'aires protégées
en Afrique subsaharienne par rapport à la superficie totale et
à la densité démographique (Sources: McNeely
et al., 1994; *comprend les parcs marins)
Pays
|
Densité démographique (x 1000; 1994)
|
Superricie totale (km2)
|
Total des terres désignées comme
protégées
|
%
|
Angola
|
10,674
|
1,246,700
|
62,610
|
5.0
|
Bénin
|
|
112,620
|
27,241
|
24.2
|
Botswana
|
1,443
|
575,000
|
106,805
|
18.6
|
Burkina Faso
|
10,046
|
274,122
|
36,323
|
13.3
|
Burundi
|
6,209
|
27,835
|
942
|
3.4
|
Cameroun
|
12,871
|
475,500
|
39,110
|
8.2
|
Rép. centrafricaine
|
3,235
|
624,975
|
70,724
|
11.3
|
Tchad
|
6,183
|
1,284,000
|
119,245
|
9.3
|
Comores
|
630
|
1,860
|
0
|
0.0
|
Congo
|
2,516
|
342,000
|
11,774
|
3.4
|
Côte d'Ivoire
|
13,780
|
322,465
|
54,299
|
16.8
|
Djibouti
|
566
|
23,000
|
100
|
0.4
|
Guinée équatoriale
|
389
|
28,050
|
3167
|
11.3
|
Ethiopie
|
53,435
|
1,023,050
|
194,049
|
19.0
|
Gabon
|
1,283
|
267,665
|
17,400
|
6.5
|
Gambie
|
1,081
|
10,690
|
184
|
1.7
|
Ghana
|
16,944
|
238,305
|
36,300
|
15.2
|
Guinée
|
6,501
|
245,855
|
10,442
|
4.2
|
Guinée-Bissau
|
1,050
|
36,125
|
0
|
0.0
|
Kenya
|
27,343
|
582,645
|
61,957
|
10.6
|
Lesotho
|
1,996
|
30,345
|
69
|
0.2
|
Libéria
|
2,941
|
111,370
|
15,578
|
14.0
|
Madagascar
|
14,303
|
594,180
|
12,393
|
2.1
|
Malawi
|
10,843
|
94,080
|
17,624
|
18.7
|
Mali
|
4,588
|
1,240,140
|
57,468
|
4.6
|
Mauritanie
|
2,217
|
1,030,700
|
17,460
|
1.7
|
Maurice
|
1,104
|
1,865
|
40
|
2.1
|
Mozambique
|
15,527
|
784,755
|
17,431
|
2.2
|
Namibie
|
1,500
|
824,295
|
111,548
|
13.5
|
Niger
|
8,846
|
1,186,410
|
96,967
|
8.2
|
Nigéria
|
108,467
|
923,850
|
37,796
|
4.1
|
Réunion
|
644
|
2,510
|
59
|
2.4
|
Rwanda
|
7,750
|
26,330
|
4,771
|
18.1
|
St-Tomé-et-Principe
|
130
|
964
|
0
|
0.0
|
Sénégal
|
8,102
|
196,720
|
22,403
|
11.4
|
Seychelles
|
73
|
404
|
409*
|
101.3*
|
Sierra Leone
|
4,402
|
72,325
|
3,553
|
4.9
|
Somalie
|
9,077
|
630,000
|
5,244
|
0.8
|
Afrique du Sud
|
40,555
|
1,184,825
|
74,895
|
6.3
|
Soudan
|
27,361
|
2,505,815
|
112,490
|
4.9
|
Swaziland
|
832
|
17,365
|
601
|
3.5
|
Tanzanie
|
28,846
|
939,760
|
365,115
|
38.9
|
Togo
|
4,010
|
56,785
|
9,158
|
16.1
|
Ouganda
|
20,621
|
236,580
|
64,098
|
27.1
|
Zaïre
|
42,552
|
2,345,410
|
136,248
|
5.8
|
Zambie
|
9,196
|
752,615
|
295,802
|
39.3
|
Zimbabwe
|
11,002
|
390,310
|
59,566
|
15.3
|
Total
|
|
23,923,170
|
2,391,418
|
|
Encadré 8 LE PROGRAMME CAMPFIRE DU ZIMBABWE
"Pour ceux qui ont des yeux pour voir et des
oreilles pour entendre, le programme CAMPFIRE du Zimbabwe offre
maintes leçons" (Martin 1994). Ce programme avait été
mis en oeuvre initialement dans les districts de Nyaminyami et de
Guruve en 1989. Conformément à la loi du Zimbabwe,
la faune sauvage est res nullius, c'est-à-dire qu'elle
n'appartient à personne (Martin 1994). On trouve un nombre
considérable d'animaux sauvages non seulement dans les parcs
nationaux, et les forêts et réserves domaniales mais
aussi sur les terres privées et communautaires. En 1975,
en vertu de l'acte sur les parcs et la faune sauvage du Zimbabwe,
le contrôle de la faune sur le terres privées et le
droit d'en bénéficier revenaient aux propriétaires.
Cela ne voulait pas dire que la faune appartenait à un particulier
mais que celui-ci avait le droit de l'aménager et d'en tirer
des avantages aussi longtemps qu'elle demeurait sur son territoire.
Les populations locales vivant sur les terres communautaires, elles,
ne jouissaient pas de tels privilèges; c'est le gouvernement
qui aménageait leur faune sauvage. Après l'indépendance
la situation a changé, l'acte ayant été modifié
pour confier la gestion aux conseils de district et les autoriser
à profiter des avantages.
Il n'est pas étonnant que, pendant longtemps,
les zimbabwéens locaux aient manifesté de l'antagonisme
à l'égard des animaux sauvages. Le braconnage était
un problème permanent dans les parcs nationaux, les forêts
domaniales et les réserves car les paysans vivant aux alentours
des zones protégées tuaient les animaux pour accroître
leurs revenus ou pour nourrir leurs familles. CAMPFIRE est un programme
qui permet aux populations locales vivant sur des terres marginales
non exploitables soumises à un régime foncier traditionnel
de contrôler leurs ressources en faune sauvage et d'en tirer
des avantages: Le principe qui soutend le programme est que si les
collectivités rurales sont forcées de supporter les
inconvénients de la proximité de la faune sauvage
elles doivent avoir le droit d'en bénéficier. Il rend
responsables de la garde des animaux et de leurs gestion et utilisation
durables les collectivités locales elles-mêmes. Les
pouvoirs publics n'interviennent que pour établir les quotas
des animaux qui peuvent être prélevés sans compromettre
la pérennité de l'espèce. Grâce au programme
CAMPFIRE, l'attitude des locaux à l'endroit de la faune a
changé: ils veulent maintenant davantage d'animaux sur leurs
terres et la pression exercée par le braconnage sur les aires
protégées a diminué considérablement.
En 1993, douze districts avec une population de
400 000 habitants ont encaissé l'équivalent de 1 516
693 de dollars EU en redevances sur les trophées et tiré
en outre un montant de 97 732 dollars du tourisme, des opérations
d'élimination et de l'abattage d'animaux nuisibles. D'après
les estimations fournies par le Fonds mondial pour la nature, le
revenu familial dans les zones communautaires a augmenté
passant de 15 à 25% grâce au programme CAMPFIRE. C'est
ainsi qu'en 1993, les 31 000 habitants du district d'Hurungwe ont
tiré 119 342 dollars des activités du programme, chiffre
qui a atteint 145 519 dollars en 1995 (Butler, 1995).
Les recettes dégagées de la chasse
sportive, du tourisme, de la vente d'animaux, etc. vont directement
aux collectivités dont les membres décident de façon
autonome comment les dépenser. Certains villages les partagent
équitablement entre les chefs de famille; d'autres les investissent
dans des projets communautaires tels qu'écoles, cliniques,
moulins, etc., alors que d'autres encore utilisent une partie pour
entreprendre des projets et le reste comme revenu familial. En outre
les ménages obtiennent de la viande grâce aux opérations
d'élimination. Le succès du programme CAMPFIRE démontre
clairement que soutenu par des ressources adéquates la production
d'animaux sauvages est une forme viable d'utilisation des sols même
sur des terres marginales.
|
4.1.2 Elevage extensif de la faune sauvage .
De nombreuses études ont souligné la faisabilité
et la rentabilité de l'élevage extensif de gibier. La promotion
de cette activité en Afrique est justifiée par les conditions
qui règnent dans de nombreuses parties du continent où le
manque de précipitations et la présence de certains organismes
pathogènes interdisent la production d'animaux exotiques et domestiques.
Il est estimé les espèces animales indigènes sauvages
s'étant adaptées à l'écosystème africain
et tolérant mieux ses caractéristiques devraient bénéficier
d'une productivité plus élevée.
L'élevage extensif de gibier connaît aujourd'hui
un très grand essor en Afrique australe (Afrique du Sud, Namibie
et Zimbabwe, principalement), encore qu'une exploitation privée,
le Galana Ranch, ait été établie au Kenya dans les
années 1970 (King et Heath, 1975; Thresher, 1980). Cette exploitation
a privilégié initialement trois espèces: l'oryx Oryx
beisa callotis, le buffle et l'éland. Parmi les avantages
de l'éland par rapport au bétail Boran, on peut citer des
besoins beaucoup plus faibles en eau, la rapidité majeure de reproduction
et de croissance, une maturité précoce, la capacité
de gagner du poids sur des pâturages où les Borans tendent
à en perdre, et un rendement à l'abattage supérieur
de 14%. En plus de ces avantages biologiques et physiologiques il convient
de mentionner les avantages économiques; en effet, une analyse
coût/avantages de l'entretien sur l'exploitation d'un troupeau reproducteur
de 11 000 oryx et de 5 000 Borans a mis clairement en évidence
la supériorité des rendements financiers obtenus avec les
oryx (Thresher, 1980).
Luxmoore (1985) a estimé qu'il y avait en Afrique
du Sud de 7 000 à 10 000 agriculteurs qui dégageaient un
revenu de l'élevage extensif du gibier. Ce revenu consistait en
recettes obtenues de la vente d'animaux vivants, de la chasse sportive
ou aux trophées et des utilisations touristiques. La majorité
des terres en Afrique du Sud sont privées, clôturées
et ont été utilisées longtemps pour le pâturage
du bétail domestique où l'agriculture. En 1992, l'Afrique
du Sud possédait 3 500 élevages extensifs de gibier (Grossman
et al., 1992); le réseau de réserves et d'exploitations
de gibier privées s'était accru passant de moins de 2 millions
d'acres en 1979 à plus de 16 millions (Chadwick, 1996).
Dans d'autres pays d'Afrique australe comme le Zimbabwe, un nombre croissant
d'agriculteurs privés convertissent leurs terres en élevages
de faune sauvage, ou incorporent cette dernière au bétail
pour créer des élevages mixtes, et l'on aménage de
plus en plus souvent des terres communautaires pour y élever le
gibier. Campbell et Brigham (1993) classifient la production d'animaux
sauvages en deux catégories: le petit secteur et le grand secteur.
Les producteurs du grand secteur sont des particuliers, des grandes compagnies,
la commission des forêts du Zimbabwe et le département dé
l'aménagement des parcs et de la faune sauvage. Le petit secteur
comprend la production sur les terres communautaires. Il est estimé
que 22% du pays se consacrent à la production de gibier. Près
de 2,7 millions d'hectares de ce pourcentage (environ 20%) consistent
en exploitations intensives aménagées pour la production
commerciale de gibier (parfois dans des élevages mixtes avec le
bétail).
La réserve de production de gibier des Shai Hills au Ghana a
été l'un de premiers essais d'élevage extensif réalisés
dans la sous-région d'Afrique de l'Ouest. Le projet a été
lancé au début des années 1970 avec l'objectif de
reconstituer les effectifs fortement décimés de cette réserve
de 22 km2 par des ongulés choisis pour la production de viande.
Les animaux destinés à cette reconstitution provenaient
soit d'autres aires de conservation de la faune sauvage, notamment du
parc national de Mole, soit de l'Afrique de l'Est (Kenya). Bien que les
études de faisabilité entreprises pour le projet aient garanti
sa viablilité, il n'a jamais démarré.
L'exploitation de gibier de Nazinga au Burkina Faso (encadré
9) montre que même en Afrique de l'Ouest, où les populations
d'animaux sauvages sont relativement exiguës, l'élevage extensif
de gibier est réalisable et rentable. L'exploitation qui couvre
une étendue de 940 km2 est essentiellement une aire protégée
où la faune est produite et prélevée suivant un système
de quotas. On forme les chasseurs locaux à la capture et les collectivités
locales bénéficient de la viande ainsi que du revenu que
rapportent d'autre formes d'utilisation comme le tourisme et la chasse
sportive permise sur l'exploitation.
Un grand nombre d'études ont été entreprises pour
documenter les avantages comparatifs de la production d'animaux sauvages
en Afrique sous l'angle de leurs attributs biologiques, écologiques
et physiologiques, de l'utilisation efficace de la végétation
disponible, de la productivité et de la rentabilité économique
(voir King et Heath, 1975; Surujbally, 1975; Thresher, 1980; Eltringham,
1984; Luxmoore, 1985; Muir, 1989; Bojo, 1995). Il est estimé qu'ayant
évolué en Afrique sur une très longue période
de temps, les animaux sauvages doivent être mieux adaptés,
physiologiquement et écologiquement, à l'environnement naturel
que le bétail domestique venu d'ailleurs. Il est également
connu que les animaux sauvages ont une meilleure capacité de transformer
la matière végétale en protéines sans pour
autant nuire à l'environnement. En outre, en présence d'infestations
de la mouche tsétsé, par exemple, ils continuent à
valoriser la terre. Ci-dessous figure un bref résumé des
avantages des animaux sauvages par rapport au bétail (voir aussi
encadré 9) mais, pour un examen plus complet, il conviendra de
lire Reul, 1979.
Fig. 5 Superficie estimée (km2)
destinée à la conservation et à la production de
la faune sauvage au Zimbabwe en 1990 (Source: Campbell et Brigham,
1993)
Reproduction:Par rapport au bétail, la plupart
des ongulés sauvages jusqu'à la taille de l'éland
et du buffle se caractérisent par une capacité de reproduction
relativement élevée, une croissance rapide et une maturité
précoce. En Afrique l'espacement des mises-bas chez le bétail
domestique varie entre 591 et 759 jours et on signale une capacité
reproductive entre 35 et 60% dans les zones tropicales de l'Amérique.
En revanche, les femelles de la plupart des ongulés jusqu'à
la taille de l'oryx produisent normalement un jeune par an. Le buffle
a une efficacité reproductive de 75% malgré que sa période
de gestation (11,5 mois) dépasse de loin celle du bétail.
La première mise-bas a lieu à un an à peine pour
les petites antilopes et les gazelles et entre un et deux ans pour les
grandes antilopes. Chez l'éland et le buffle, la première
mise-bas se situe entre trois et quatre ans, âge qui correspond
à peu près à celui des animaux domestiques.
Encadré 9 L'EXPLOITATION DE GIBIER DE NAZINGA
L'exploitation de gibier de Nazinga au Burkina
Faso est un exemple unique en Afrique de l'Ouest d'une aire protégée
qui tente de concilier la conservation de la faune sauvage avec
les besoins de la population locale (Jachmanne Croes, 1991; Damiba
et Ables, 1993; BSP, 1993). Située dans le centre-sud du
Burkina Faso et proche de la frontière avec le Ghana, l'exploitation
de Nazinga est à l'heure actuelle la seule entreprise de
production de gibier en fonctionnement de la sous-région.
Etablie en 1979 par le gouvernement du Burkina Faso en collaboration
avec l'African Wildlife Husbandry Development Association, une organisation
canadienne à but non lucratif, l'exploitation s'étend
sur une superficie de 940 km2 dans une zone de savane à hautes
herbes, arbres et arbustes. Les principaux objectifs de sa création
étaient les suivants:
- assurer la protection de la faune sauvage menacée par
le braconnage et l'empiètement de l'agriculture;
- créer des emplois en faisant participer la population
locale à la gestion de l'exploitation;
- fournir des protéines d'origine animale aux collectivités
locales grâce au prélèvement des espèces
sauvages.
L'exploitation est entourée de 13 villages.
La principale occupation des habitants est l'agriculture de subsistance,
à savoir la culture du mil Pennisetum typhoides,
du sorgho Sorghum bicolor, du maïs Zea
mays, de l'igname Dioscorea spp, de l'arachide
Arachis hypogea et d'une grande variété de
légumineuses. Comme dans la plupart des villages ruraux africains,
l'infrastructure est rudimentaire: l'approvisionnement en eau se
limite à un ou deux puits; l'hôpital le plus proche
est à 55 km et les villageois ont recours au personnel médical
et aux installations fournies par l'exploitation.
Après les graves conflits qui ont éclaté
initialement entre les collectivités locales et les autorités
responsables de la faune, et grâce à un important investissement,
l'exploitation de gibier de Nazinga est désormais une aire
protégée où l'on prélève lesanimaux
sauvages et qui est à même de s'autofinancer grâce
au revenu tiré de la vente de viande et d'autres produits,
de la chasse sportive et du tourisme. La viande provient des principales
espèces présentes: le phacochère Phacochoerus
aethiopicus et d'autres ongulés comme l'antilope roanne
Hippotragus equinus, l'orébie Ourebia ourebi,
le bubale Alcelaphus buselaphus, le guib Tragelaphus
scriptus, le céphalophe de Grimm Silvicapria
grimmia, le buffle Syncerus caffer et le cobe
defassa Kobus defassa. Les chasseurs locaux ont appris à
éliminer le grand gibier suivant un système de quotas
rigoureux et tuent environ 5% de la population de chaque espèce.
Les villageois participent en qualité de guides et d'aides
à la chasse sportive. Une partie du revenu tiré de
cette dernière et du tourisme est versée aux villages.
Grâce aux activités de l'exploitation de Nazinga, les
collectivités locales ont pu bénéficier d'infrastructures,
de débouchés commerciaux et d'emplois temporaires.
Le succès de l'entreprise montre clairement qu'avec un investissement
adéquat et une protection efficace les animaux sauvages vivant
dans les aires protégées de l'Afrique de l'Ouest peuvent
se multiplier au point de tolérer le prélèvement.
Les villageois bénéficient d'un précieux apport
en protéines animales et, grâce aux activités
connexes, de revenus qui assurent leur autosuffisance.
|
Taux de croissance: l'expérience prouve que
les animaux sauvages atteignent une taille commercialisable ou qui permet
leur utilisation économique à un âge inférieur
à celui du bétail (tableau 4.3). D'après des études
entreprises en Afrique de l'Est, les gains de poids varient entre 0,06
kg par jour pour la gazelle de Thomson et 0,33 kg par jour pour l'éland
(de Vos, 1969) contre 0,14 kg par jour pour un bétail mal entretenu
vivant dans des conditions similaires sur les terrains de parcours de
la région (Talbot et al. 1962).
Tableau 4.3 Taux de croissance des bovins et ovins domestiques
par rapport aux ongulés sauvages en Afrique centrale et orientale.
(Source: Reul, 1979)
Espèces
|
Gain journalier moyen (g)
|
Temps (mois)
|
Poids vif moyen par adulte (kg)
|
Mâles
|
Femelles
|
Bovins domestiques
|
136
|
38
|
453
|
359
|
Ovins domestiques
|
54
|
10
|
60
|
45
|
Eland
|
331
|
72
|
725
|
450
|
Gnou
|
236
|
12
|
200
|
165
|
Bubale
|
227
|
12
|
150
|
120
|
Topi
|
199
|
12
|
130
|
115
|
Gazelle de Grant
|
118
|
10
|
60
|
45
|
Impala
|
118
|
10
|
60
|
45
|
Gazelle de Thomson
|
59
|
10
|
24
|
18
|
Adaptation physiologique: d'après un
certain nombre d'études, la faune sauvage peut, mieux que le bétail,
conserver l'eau et résister au stress thermique en zone aride et
semi-aride; en outre elle est plus résistante aux maladies endémiques
et sa productivité est plus élevée que celle du bétail
dans ces mêmes zones. L'expérience montre également
que la faune sauvage utilise mieux la végétation et se nourrit
de tout le matériel végétal disponible, de l'herbe
trouvée sur le terrain aux feuilles broutées sur les arbres,
et qu'elle n'endommage pas l'habitat aussi rapidement et de façon
aussi prononcée que les animaux domestiques. Les ongulés
sauvages comme l'oryx, l'impala, le gnou et l'éland sont dotés
de systèmes particuliers de conservation des liquides et, dans
les mêmes conditions, ont besoin de beaucoup moins d'eau que le
bétail. D'après Taylor et Lyman (1967) ce phénomène
est dû à une bonne capacité d'extraire l'oxygène,
d'où une perte inférieure en eau dans l'air expiré,
et à un système adaptatif de régulation thermique.
Certaines espèces dont la résorption rénale et fécale
de l'eau est excellente sont capables de survivre en absorbant la sève
des plantes et des arbustes sans boire pendant des périodes prolongées.
L'étude montre également que l'éland et l'oryx tolèrent
aisément un stress thermique de 45° C. Ce degré de tolérance
est attribué à leur aptitude à laisser monter la
température corporelle, évitant ainsi la perte d'eau qu'entraîne
la régulation thermique. On a signalé des variations de
température de plus de 10° C. Ces adaptations physiologiques
sont intensifiées par certaines caractéristiques du comportement
comme le repos à l'ombre et l'alimentation nocturne à base
de feuilles de succulents.
Grâce à ces capacités de conservation
de l'humidité, les animaux sauvages sont moins tributaires de l'eau
courante et peuvent exploiter les parcours semi-arides et arides mieux
que les troupeaux domestiques dont les besoins en eau sont beaucoup plus
élevés. Ces caractéristiques permettent aussi aux
ongulés sauvages de pâturer sur de vastes étendues,
évitant ainsi le piétinement, le surpâturage et la
dégradation des terres caractéristiques des points d'eau
où s'abreuvent les animaux domestiques. En périodes de sécheresse,
à cause de cette concentration, des centaines de milliers d'animaux
domestiques meurent non seulement de soif mais aussi de faim.
Résistance aux maladies: Le
problème des maladies des animaux sauvages et de leur capacité
de servir de réservoir aux agents pathogènes nuisibles aux
êtres humains et aux animaux domestiques reste une question controversée
qui milite contre leur utilisation pour la production commerciale de viande.
Cependant, aux dires des promoteurs de cette utilisation, la faune sauvage
serait immunisée contre un grand nombre de maladies du bétail.
Elle est, par exemple, plus tolérante à la trypanosomiase
à laquelle succombent facilement les animaux domestiques. La production
d'animaux sauvages serait donc plus appropriée dans les zones infestées
par la mouche tsé-tsé. Les détracteurs de cette production
(les gros éleveurs de bétail, naturellement) soutiennent
pour leur part que les animaux sauvages sont porteurs de maladies et préconisent
leur exclusion de toutes les zones où vivent les troupeaux. Malheureusement,
les informations sur le rapport entre maladies et faune sauvage sont rares,
peu fiables et souvent conflictuelles alors que les maladies du bétail
ont été étudiées en détail sur de longues
périodes de temps.
Importance écologique: Grâce
à leurs caractéristiques physiologiques, les animaux sauvages
s'adaptent mieux que le bétail aux conditions climatiques et à
l'habitat des parcours africains. En outre, chaque espèce a ses
propres habitudes alimentaires, préférant telle ou telle
plante vivrière ou partie de la plante. Elles peuvent donc mieux
profiter de la végétation disponible que les animaux domestiques
dont les habitudes alimentaires ont une fourchette plus étroite
et qui tendent soit à mal exploiter la végétation
disponible soit à en surpâturer certains éléments,
d'où une dégradation de l'habitat.
Productivité
D'après un grand nombre d'études, dans les élevages
extensifs bien aménagés on atteint des taux de prélèvement
très élevés. C'est ainsi que des enquêtes menées
sur les populations de gazelles de Thomson dans les exploitations de Kekopey
et de Suguroi au Kenya ont mis en évidence des taux de croissance
de 60% par an, et un prélèvement durable de 40% a été
conseillé sauf en période de sécheresse exceptionnelle
(Blankenship et al., 1990). Les taux annuels de croissance du gibier
sont dans l'ensemble bien supérieurs à ceux du bétail,
si bien que sur la base de la conversion du poids corporel les animaux
sauvages seraient des producteurs de viande beaucoup plus performants.
Compte tenu du fait que les petites antilopes consomment davantage d'aliments
par rapport à leur taille, il est estimé que, dans un élevage
commercial, l'efficacité de conversion de l'impala est de 10 à
20% supérieur à celle du bétail. La production de
poids vif par unité de surface de la gazelle de Thomson au Kenya
dépassait de 17% celle du bétail (Hopcraft et Arman, 1971).
Feer (1993) a analysé la reproduction; la croissance et la productivité
de plusieurs espèces sauvages déjà utilisées
ou utilisables potentiellement ou à titre expérimental dans
des élevages intensifs ou semi-intensifs, et a comparé ce
résultat avec les chiffres relatifs à certaines espèces
domestiques élevées en zone tropicale humide (tableau 4.4).
Il en a conclu qu'en ce qui concerne la production de viande, les rongeurs
comme l'aulacode et les petites antilopes étaient comparables au
porc domestique et bien supérieurs au bétail.
Rendement en viande: Il est connu que les
ruminants sauvages ont une capacité d'assimilation des aliments
supérieure à celle des ruminants domestiques. Le poids de
la carcasse préparée du gibier africain équivaudrait
à 50-63% du poids vif contre 44 à 50% chez le bétail
domestique (Talbor et al., 1962). Selon des études menées
au Galana Ranch au Kenya, le rendement à l'abattage était
de 57% chez l'oryx, de 55% chez l'éland et de 52% chez le bétail.
Sous l'angle de la production réelle de protéines, la valeur
du gibier était encore plus élevée que celle indiquée
par le rendement à l'abattage car les carcasses préparées
du bétail domestique contiennent parfois jusqu'à 40% de
matières grasses contre 2,5% chez les ongulés sauvages.
Dès lors, les animaux sauvages produisent dans l'ensemble davantage
de viande maigre que les animaux domestiques (tableau 4.5).
Tableau 4.4 Taux de natalité,
efficacité reproductive, productivité en matière
de viande par femelle/individu d'espèces tropicales domestiques
et sauvages élevées en captivité (extrait
de Feer, 1993)
|
Aulacode
|
Céphalophe bleu
|
Céphalophe à bande dorsale
noire
|
Porc
|
Zébu d'Afrique de I'Ouest
|
a
|
Poids de la femelle (kg)
|
4.0
|
5.4
|
22.0
|
80
|
250
|
b
|
Poids du nouveau-né (kg)
|
0.12
|
0.4
|
2.5
|
0.6
|
18
|
c
|
Nombre de portées par an
|
2.0
|
1.6
|
1.4
|
2
|
0.6
|
d
|
Nombre de jeunes par portée
|
4.6
|
1.0
|
1.0
|
5.7
|
1
|
e
|
Age à l'abattage (ans)
|
1.3
|
1.0
|
1.0
|
1
|
4.2
|
f
|
Poids à l'abattage (kg)
|
4.2
|
4.6
|
17.0
|
60
|
204
|
g
|
Rendement à I'abattage (%)
|
65
|
60
|
60
|
70
|
51
|
|
Gain de poids moyen journalier (kg)
|
8.5
|
11.3
|
44
|
163
|
136
|
Efficacité reproductive 1
|
0.28
|
0.12
|
0.16
|
0.09
|
0.04
|
Productivité en matière de viande 2
|
38.6
|
7.4
|
23.8
|
684
|
122
|
Productivité relative en matière de viande 3
|
9.6
|
1.4
|
1.1
|
8.5
|
0.5
|
GMJ/ Poids à l'abattage
|
2.4
|
2.0
|
2.6
|
2.7
|
0.7
|
Productivité en matière de viande par ind. (kg) 4
|
2.1
|
2.8
|
10.2
|
42
|
24.8
|
Rendement en viande (kg) 5
|
50
|
60
|
60
|
70
|
12
|
1 = bcd/a
|
2 = fcd
|
3 = fcd/a
|
4 = fg/e
|
5 = g/e
|
Tableau 4.5 Poids vif, poids de la carcasse (kg)
et teneur en matières grasses chez certains mammifères
adultes de l'Afrique de l'Est. (Source: Reul, 1979).
Espèce
|
Poids vif moyen
|
Poids de la carcasse
|
Poids de la carcasse en % du poids
vif
|
Matières grasses en % du poids
de la carcasse
|
Buffle
|
753
|
380
|
50.5
|
56
|
Eland
|
508
|
301
|
59.1
|
4.2
|
Zébu mâla
|
484
|
280
|
58.0
|
13.7
|
Oryx
|
176
|
101
|
57.0
|
2.9
|
Phacochère
|
88
|
48
|
54.7
|
1.8
|
Gazelle de Grant
|
60
|
36
|
60.5
|
2.8
|
Impala
|
57
|
33
|
58.1
|
1.9
|
Gérénuk
|
31
|
20
|
65.0
|
2.0
|
Gazelle de Thomson
|
25
|
15
|
58.6
|
2.0
|
Encadré 10 AVANTAGES ET INCONVENIENTS
COMPARATIFS DE LA PRODUCTION D'ANIMAUX SAUVAGES ET DOMESTIQUES
(Source: Muir, 1989)
ANIMAUX DOMESTIQUES
|
ANIMAUX SAUVAGES
|
Faible capacité de l'organisme de conserver l'eau
|
Sont dotés de mécanismes physiologiques
et de comportement qui favorisent la conservation de l'eau
|
S'alimentant de fourrages grossiers, les animaux préfèrent
les bons herbages et pâturages
|
Grâce à leurs différentes stratégies
alimentaires, nombre d'espèces sont adaptées à
des milieux à la végétation moins abondante
mais plus variée et de bonne qualité.
|
Les zones aux précipitations élevées (>
700 mm) leur conviennent davantage
|
S'adaptent bien à différents milieux y compris les
zones aides
|
Sont dotés d'une base étendue de
matériel génétique servant à la reproduction
|
Sont d'importants gardiens de la diversité génétique
|
Sont élevés spécifiquement pour la production
de viande ou de lait
|
Ne sont soumis à aucune forme d'amélioration génétique
|
Ont une étroite fourchette de sélection alimentaire
qui résulte en une exploitation insuffisante des parcours
|
Leurs habitudes alimentaires diversifiées permettent une
meilleure exploitation de la végétation existante
|
Réagissent bien à l'amélioration de leur alimentation
|
Leur réaction à l'amélioration de l'alimentation
est inconnue
mais apparaît faible sauf en cas d'extrême sécheresse.
|
La gestion est indispensable pour répartir la pression sur
le pâturage
|
Répartissent bien la pression sur le pâturage grâce
à la mobilité habituelle de leurs populations
|
Sont vulnérables à un grand nombre de maladies; peuvent
être vaccinés contre ces maladieset soignés
|
Les espèces indigènes sont robustes et résistent
à certaines maladies endémiques
|
Sont dotés de systèmes d'alimentation stables quelles
que soient les conditions de pâturage
|
Modifient leur stratégie d'alimentation en fonction des
saisons
|
Se reprennent lentement après la sécheresse
|
Se reprennent rapidement après la sécheresse
|
Leurs taux élevés de charge épuisent les pâturages,
d'où une réduction du capital écologique et
une baisse de rendement
|
Supportent une réduction de la biomasse pour permettre la
régénération du veld tout en maintenant/augmentant
les revenus
|
Une recherche bien établie et subventionnée est menée
sur le développement, la gestion et la lutte contre les maladies
|
Pratiquement aucun investissement valable n'est fait dans la recherche
sur leurs utilisation, production et commercialisation
|
Sont exploités essentiellement à des fins de consommation
|
Sont exploités à des fins de consommation et autres
|
Certaines collectivités leur attribuent des valeurs rituelles
ou de prestige
|
Leur valeur esthétique est reconnue internationalement;
ils représentent d'importants réservoirs de gènes;
ils revêtent une importance socio-culturelle en Afrique
|
Leur rendement économique se fonde entièrement sur
la biomasse
|
Leur rendement économique est moins tributaire de la biomasse
|
Sont une forme acceptée d'utilisation des sols
|
Leur élevage est rarement reconnu comme un système
productif d'utilisation des sols
|
Peuvent appartenir à des propriétaires individuels
qui en détiennent le contrôle
|
Leurs habitudes migratoires rendent difficiles les régimes
de propriété, le contrôle, et la répartition
des coûts/avantages
|
Représentent une source importante de force de traction,
d'engrais et d'épargne pour les collectivités rurales
|
Fournissent des sous-produits pour les industries artisanales rurales;
sont souvent des ravageurs des cultures et une source possible de
danger
|
Leur prélèvement est simple, économique et
peut être planifié par le producteur
|
Leur prélèvement est difficile, coûteux et
résulte en disponibilités imprévisibles
|
Leur teneur en matières grasses est élevée
ce qui diminue le ressuyage
|
Ont un rendement élevé à l'abattage
|
Sont un aliment largement accepté et privilégié
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Des préjugés culturels interdisent la consommation
de certaines espèces
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Leur production/consommation fait souvent l'objet de subventions
|
Aucune subvention directe ou indirecte n'est accordée à
leur production
|
Les techniques de production sont déjà bien développées
|
Les techniques de production et de commercialisation doivent encore
être perfectionnées
|
Les exportations vers la Communauté économique européenne
sont fortement subventionnées au titre de la Convention de
Lomé
|
Les exportations sont pénalisées par les contrôles
vétérinaires et les groupes écologistes
|
Considérations économiques:
Pour évaluer la rentabilité relative du bétail et
de la faune sauvage dans les zones arides du Zimbabwe, Jansen et al.
(1992) ont estimé en 1989/90 les rendements de l'investissement
et l'avantage comparatif de 89 exploitations pratiquant l'élevage
de bétail, l'élevage extensif de faune sauvage ou l'élevage
mixte bétail/faune. D'après leur analyse, les élevages
de faune sauvage produisaient un rendement économique supérieur
à ceux de bétail. Cependant, comme système d'utilisation
des sols, la technique adoptée - élevage d'animaux sauvages,
de bétail ou élevage mixte donnait des résultats
variables en fonction de la zone. Les exploitations élevant uniquement
du bétail obtenaient de leur investissement un rendement financier
moyen (privé) de 1,8% alors que les élevages mixtes réalisaient
un rendement de 2,6%. Le rendement moyen pondéré des entreprises
d'élevage de bétail s'élevait à 2,78$Z par
hectare. Quatre seulement des 77 entreprises de production de bovins réalisaient
plus de 10% et seules trois entreprises d'élevage de bétail
obtenaient plus de 25,00$Z/ha. On avait exclu des analyses le rendement
hypothétique du terrain détenu. Trente-neuf pour cent des
entreprises d'élevage de bétail accusaient un revenu net
ajusté négatif et, pour poursuivre leurs opérations,
elles réduisaient pour la plupart le cheptel ou recouraient à
des emprunts. Les entreprises se çonsacrant exclusivement à
la faune sauvage étaient les plus viables au plan financier avec
des rendements moyens de 10,5%. Plus de la moitié de ces entreprises
percevaient un revenu de plus de 10% et seules quatre accusaient un revenu
net ajusté négatif. Le rendement pondéré moyen
des entreprises de faune sauvage était de 5,8$Z à l'hectare.
Des études récentes menées sur l'industrie de la
faune sauvage au Zimbabwe (Martin, 1994) confirment la rentabilité
des entreprises d'élevage d'animaux sauvages et assurent que les
revenus financiers nets dépassent de loin ceux réalisables
avec le bétail (1,11$EU par hectare pour la faune sauvage contre
0,60$EU pour le bétail). Il semble en outre que le revenu tiré
de la faune sauvage (jusqu'à 5$EU par hectare pour la chasse sportive
et 25$EU par hectare pour l'écotourisme) a des possibilités
d'accroissement bien supérieures à celles du bétail.
Sur la base de modèles informatisés, Thresher
(1981) a comparé la valeur d'un lion à crinière sur
les parcours d'Amboseli à l'élevage extensif d'animaux domestiques
et est parvenu à la conclusion qu'en un an la contribution d'un
seul lion à l'économie nationale équivalait à
celle d'un troupeau de 30 000 zébus ou de 6 400 boeufs. Les revenus
potentiels beaucoup plus élevés que l'on tire des animaux
sauvages par rapport au bétail domestique s'expliquent par le fait
que la valeur commerciale des premiers transcende le simple prix de la
viande, de la peau et des autres produits. Elle peut être grandement
accrue grâce aux industries axées sur la faune, comme le
tourisme et la chasse sportive, tout en maintenant des taux de charge
et d'utilisation bien inférieurs.
4.1.3. Elevage intensif et domestication de la faune sauvage
L'idée de domestiquer les espèces animales
sauvages pour la production de viande et l'amélioration des disponbilités
protéiques n'est pas nouvelle en Afrique. Dès 1848 on avait
entrepris l'élevage de l'éland et du buffle en Afrique du
Sud (Surujbally, 1975). Cependant, malgré ces intentions précoces,
les seules espèces sauvages africaines qui aient été
domestiquées avec succès sont l'autruche et le chameau.
Un certain nombre d'autres espèces, notamment le crocodile, font
l'objet d'un élevage à grand échelle en conditions
de semi-domestication. La domestication des espèces sauvages a
connu un grand succès en Afrique de l'Ouest où la viande
de brousse est une composante vitale de l'alimentation. Les écologistes
et les partisans de cette technique ont soutenu le bien-fondé de
l'élevage d'espèces recherchées pour accroître
la production et les disponibilités de viande de chasse dans la
sous-région et pour réduire la pression sur les populations
sauvages. Les espèces préconisées comprennent l'aulacode
et le rat géant Cricetomys gambianus, un certain nombre
de céphalophes, la pintade Numida meleagris et l'escargot
géant Achatina sp. et Archachatina sp. Les premiers
travaux sur la domestication de l'aulacode ont été entrepris
par le département de la faune sauvage du Ghana dans les années
1970, alors que l'université d'Ibadan au Nigéria se concentrait
sur les rats géants. Des recherches sur les escargots ont été
menées pendant longtemps au Ghana et au Nigéria. C'est ainsi
qu'une étude sur les divers aspects biologiques et écologiques
des escargots et leur élevage en captivité est en cours
au département de zoologie de l'université du Ghana depuis
plus de 20 ans.
S'il est incontestable que la domestication et l'élevage
d'espèces animales sauvages consommées créent des
sources complémentaires ou nouvelles de protéines animales,
leur réalisation à grande échelle exige des connaissances
techniques et des méthodes bon marché de production. Il
est évident que l'élevage industriel d'espèces sauvages
ne pourra se faire que si les coûts et les efforts de production
sont inférieurs à ceux de la viande de chasse, et si les
rendements sont comparables à ceux dégagés de l'élevage
traditionnel du bétail (poulets, chèvres, moutons et bovins,
par exemple).
Elevage de crocodiles
La chasse non réglementée du crocodile, non seulement pour
la peau mais aussi pour la viande, a provoqué la décimation
des populations des trois espèces vivant sur le continent africain.
C'est la cause principale des contrôles sur leur commerce imposés
au titre de la Convention sur le commerce international des espèces
de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES). Des
exploitations d'élevage de crocodiles ont été créées
pour satisfaire la demande de produits dérivés de ce reptile.
Au cours des deux dernières décennies, la FAO a fourni une
assistance directe à la gestion d'élevages de crocodiles
dans de nombreux pays en développement. En Afrique, les élevages
de crocodiles ont été établis en premier lieu au
Zimbabwe mais se sont désormais étendus à de nombreuses
parties du continent, notamment en Afrique australe et orientale.
Les oeufs de crocodile récoltés dans la
nature sont apportés à l'exploitation pour leur incubation
et éclosion, et les petits crocodiles sont élevés
en captivité. Au Zimbabwe, on impose aux éleveurs de remettre
en liberté un pourcentage de la couvée. Cette procédure
a entraîné des accroissements notables des populations sauvages.
Les recettes tirées de cette industrie ont aussi augmenté
considérablement passant de 300 000 $EU en 1980 à 2,6 m
en 1989 (Muir, 1994). En 1991, plus de 58 000 oeufs ont été
récoltés dans la nature, notamment à proximité
du lac Kariba, et la vente de peaux a rapporté 2 millions de dollars
(Makombe, 1993). Dès lors l'élevage de crocodiles assure
non seulement un revenu aux familles, accroissant de telle sorte leur
pouvoir d'achat et leur sécurité alimentaire, mais aussi
des avantages directs sous l'angle de la conservation.
Elevage d'autruches
Les autruches sont élevées dans de nombreuses zones d'Afrique
australe, en premier lieu pour leur peau qui entre dans la fabrication
d'articles de luxe en cuir, et en deuxième lieu pour la qualité
élevée de leur viande rouge à faible teneur en matière
grasses et cholestérol. Au Zimbabwe, les oiseaux font l'objet d'un
élevage intensif et rapportent d'importantes recettes en devises
(tableau 3.2). Les oiseaux sont tués à 14 mois lorsque leur
peau a atteint la taille voulue de 120 dm2 et après la première
récolte de plumes (Conroy et Gaigher, 1982). Dans quelques régions
(au Zimbabwe, par exemple), on remet en liberté dans les zones
dont ils sont originaires les oiseaux dont le sang est à 100% sauvage.
Aulacodiculture
L'aulacode est un rongeur endémique en Afrique qui appartient au
sous-ordre des hystricomorphes. On le trouve dans les herbages de la savane,
les clairières forestières, les terres cultivées
et les forêts secondaires où il est très répandu.
Comme ressource alimentaire il fait dans de nombreuses zones l'objet d'une
chasse très active. L'aulacodes est herbivore et son aliment préféré
est l'herbe de la savane (Asibey, 1974b). En captivité il se nourrit
aussi de canne à sucre, de tiges de maïs et d'épluchures
de manioc. C'est un rongeur gaspilleur dont les incisives tranchantes
cisaillent l'herbe de façon à consommer les entre-noeuds
plus nourrissants et appétissants, disséminant des brins
sur les terres où il s'alimente. Ce comportement caractéristique
est exploité par les chasseurs qui vont en quête des lieux
où sont visibles les résidus de l'alimentation nocturne
des aulacodes pour y trouver plus facilement leurs proies. L'animal ne
creuse pas de tanière bien qu'il se réfugie souvent dans
celles creusées par d'autres. On peut donc clôturer par des
murs en pisé les terrains où se pratique l'élevage
en captivité. La période de gestation de l'aulacode est
longue et dure environ cinq mois; sa portée est de taille relativement
réduite et consiste en quatre jeunes quand l'animal est en liberté
mais peut atteindre 12 en captivité. Les jeunes naissent avec les
yeux ouverts et un pelage parfaitement constitué et sont en mesure
de suivre leur mère dès la naissance. Les femelles peuvent
être fécondées une deuxième fois après
la mise-bas si bien que deux portées sont possibles en un an. Le
poids moyen de l'aulacode sauvage est de 4 ou 5 kg et les mâles
peuvent atteindre 10 kg. On peut enfermer les aulacodes dans des cages
ou des boîtes mais il vaut mieux leur assigner un terrain ouvert
entouré de murs de pisé ou autre matériel de clôture
et réunir les mâles et les femelles. Une grande cage peut
contenir un mâle et cinq femelles. Les femelles enceintes devront
être isolées à la fin de la grossesse car les mâles
très souvent ont tendance à dévorer les nouveaux-nés.
En Afrique de l'Ouest, la viande d'aulacode est très
appréciée et représente la majorité de la
viande de brousse vendue sur les marchés. Dans la plupart des pays
de la sous-région, elle atteint des prix encore plus élevés
que ceux du boeuf. A cause de sa popularité, cet animal a fait
l'objet au début des années 1970 de plusieurs études
visant à évaluer les possibilités de le domestiquer
et de créer des élevages commerciaux pour la production
de viande destinée à la consommation humaine.
Les études menées au Ghana par Ewer dans
les années 1970 ont montré que l'aulacode pouvait être
élevé en captivité (Asibey, comm.pers.). Ses recherches
ont été suivies d'études sur divers aspects de l'animal
au Ghana (Asibey, 1974b; Ntiamoa-Baidu, 1980) et au Nigéria (Ajayi,
1971). Outre les études de terrain sur l'alimentation et l'écologie
reproductive, Asibey a aussi travaillé auprès des éleveurs.
A ceux qui voulaient s'adonner à l'élevage on a remis pour
commencer un aulacode mâle et une femelle (prélevés
normalement dans la nature) ainsi qu'une cage. La performance de ces animaux
était surveillée par des vulgarisateurs formés. On
partait de l'idée que les résultats de la recherche pouvaient
être appliqués directement par les éleveurs et que
des ménages ruraux et urbains pouvaient élever des aulacodes
dans leur arrière-cour. Les études ont confirmé qu'il
était possible de le faire et ont démontré que la
portée de l'aulacode en captivité pouvait s'accroître
avec une bonne alimentation. Cependant, l'intérêt porté
initialement au projet et les efforts déployés n'ont pas
abouti à un élevage commercial et seules quelques personnes
ont continué à élever des alaucodes dans leur arrière-cour.
La perte d'enthousiasme était attribuable principalement à
l'importance du capital d'investissement initial nécesaire, à
la difficulté de trouver des animaux reproducteurs, aux problèmes
de l'alimentation en saison sèche et aux nombreuses questions irrésolues
et mal comprises asociées aux maladies des aulacodes en captivité.
Un grand programme de recherche a été
lancé récemment au Bénin dans le cadre du projet
bénino-allemand d'aulacodiculture (PBAA). Le projet vise à
créer des effectifs d'aulacodes améliorés génétiquement
et adaptés à la vie en captivité, et à promouvoir
l'élevage de cet animal dans des milieux ruraux et suburbains (Baptist
et Mensah, 1986; Mensah, 1991). La recherche a mis l'accent sur l'éthologie,
l'alimentation, la pathologie et la reproduction de cet animal ainsi que
sur les possibilités techniques de réaliser de petits élevages.
Les rapports de faisabilité sur les entreprises
d'aulacodiculture montrent que la rentabilité à long terme
est comparable à celle de la volaille et plus élevée
que pour l'élevage extensif de bovins (Tutu et al., 1996).
Toutefois, le haut coût des investissements initiaux (cages, animaux
reproducteurs), la lente constitution des revenus et le manque de compétence
technique ont découragé aussi bien l'élevage d'arrière-cour
par les ménages ruraux que la création de grandes entreprises
commerciales. Le marché de la viande fraîche et fumée
d'aulacode est illimité. C'est pourquoi il faudrait investir dans
la mise au point de systèmes de production moins onéreux
et dans l'instauration de services de vulgarisation qui assurent le transfert
des technologies appropriées aux petits éleveurs.
Domestication du rat géant
Le rat géant est un rongeur nocturne qui creuse des tanières
et représente une ressource alimentaire dans de nombreuses zones
rurales en Afrique. Un programme de domestication a été
lancé par le département de la gestion des ressources forestières
de l'Université d'Ibadan au début des années 1970
(Ajayi, 1971; 1975; Ajayi et al., 1978) dans le but de maximiser
la production de viande de cette espèce. Des études ont
montré que le rat géant s'adapte très vite à
la captivité; les animaux sauvages s'acclimataient deux mois après
leur capture et commençaient à se reproduire; au bout de
la quatrième génération toute trace du comportement
belliqueux propre aux rats sauvages avait disparu. Les animaux captifs
se sont rapidement habitués à leur cage et ont adopté
sans difficulté les nouveaux régimes alimentaires. Malgré
la facilité mise en évidence par les études d'élever
en captivité des rats géants, aucun élevage industriel
de cet animal n'a vu le jour. On attribue cette réticence à
des superstitions généralisées et à l'aversion
culturelle vis-à-vis du rat qui font que sa viande est inacceptable
pour de nombreux groupes tribaux de l'Afrique de l'Ouest.
Héliciculture
Les essais de domestication d'animaux sauvages ne sont pas limités
aux espèces vertébrées; les invertébrés,
y compris les escargots et les chenilles, en ont aussi fait l'objet. A
l'époque romaine on a pratiqué l'héliciculture pendant
des décennies (Elmslie, 1982). En Afrique de l'Ouest, dès
le début des années 1970, de nombreux chercheurs ont démontré
qu'il était possible d'élever l'escargot géant (Ajayi,
1971; Plummer, 1975; Ajayi et al., 1978; Hodasi, 1979). Dans de
nombreuses zones de la sous-région, l'héliciculture se réalisait
dans de petits enclos et, à l'heure actuelle, une importante campagne
a été lancée au Ghana pour la promouvoir aussi bien
au niveau de l'arrière-cour pour accroître le revenu familial
et les disponibilités en protéines que comme activité
commerciale à grande échelle.
En Afrique, les escargots géants comestibles
appartiennent à deux genres: Achatina Lamarch et Archachatina
Albers. Des espèces de ces deux genres se rencontrent communément
au Sud du Sahara; Achatina achatina est l'espèce la plus
répandue en Afrique de l'Ouest alors que l'on rencontre Archachatina
marginata plus souvent au Sud du Nigéria et dans le bassin
du Congo (Hodasi, 1984). L'espèce d'Afrique de l'Ouest préfère
les habitats de la forêt ombrophile primaire mais on la trouve aussi
dans les formations secondaires humides et la végétation
de sous-étage des plantations de cacaoyers et d'hévéas.
Les populations d'escargots sont le plus nombreuses pendant la saison
des pluies, époque où les ruraux les ramassent en grandes
quantités. On les vend frais ou fumés-séchés
et ils coûtent très peu pendant la saison où ils sont
abondants. Les attitudes des gens vis-à-vis de la consommation
d'escargots varient au sein de la sous-région manifestant trois
grandes tendances. Dans les régions forestières du Sud,
un grand nombre de personnes en sont friandes et sont disposées
à les payer très cher. Dans le Nord, ils sont tabous et
beaucoup de tribus refusent de les toucher et encore moins de les manger.
Entre ces deux tendances extrêmes se situent ceux qui préféreraient
d'autres types de protéines animales mais se résignent à
les manger, notamment pendant la saison des pluies où ils peuvent
être ramassés librement dans la nature ou être achetés
à faible prix au marché. C'est la première catégorie
de personnes que pourrait intéresser l'élevage de l'escargot
géant.
Dans leur milieu naturel les escargots se développent
et se reproduisent activement pendant la saison des pluies et estivent
pendant la saison sèche. En captivité ils peuvent se développer
et se reproduire pendant toute l'année si on les approvisionne
régulièrement en eau, aliments et chaux (Ajayi et al.,
1978). Dans la nature, ils sont essentiellement végétariens,
broutent les feuilles tendres et se nourrissent de légumes et des
fruits tombés au sol. On a alimenté des escargots captifs
avec de la laitue sauvage Lactuca taraxacifolia et une grande
variété. d'autres feuilles et de fruits mûrs y compris
les papayes. Ajayi et al. (1978) ont dénombré 28
espèces de dicotylédons et six espèces de monocotylédons
consommés par A. marginata et ils signalent que la période
d'incubation (mesurée à partir de la ponte jusqu'à
l'éclosion des oeufs) dure en moyenne 38 jours (c'est-à-dire
de 30 à 45 jours). Au moment de l'éclosion le poids moyen
se situait à environ 2,14 g avec une croissance hebdomadaire de
0,85 g alors que les escargots adultes pouvaient peser 230 g. Les jeunes
escargots atteignent la maturité sexuelle à environ 7 ou
8 mois.
L'héliciculture connaît un essor rapide
en Afrique de l'Ouest et, avec un appui financier et technique adéquat,
cette industrie offrirait une importante source de protéines animales
aux ménages ruraux et urbains. Peu coûteux, les escargots
ont aussi l'avantage d'être faciles à transporter et à
emmagasiner vivants pour des périodes prolongées. En outre,
la petite taille de l'animal permet aux producteurs familiaux de ne ramasser
que la quantité nécessaire pour un repas.
4.2. PRELEVEMENT D'ANIMAUX SAUVAGES
4.2.1 Prélèvement et élimination du gibier
Eltringam (1994) définit le prélèvement
de gibier comme la collecte du rendement durable d'une population entièrement
sauvage. Cette définition laisse entendre qu'il s'agit d'un prélèvement
régulier. Il aurait pour objectif soit de contrôler une population
d'animaux sauvages soit de les capturer pour en tirer de la viande ou
d'autres produits pour l'autoconsommation et/ou la création de
revenus. L'élimination, en revanche, est une activité qui
peut être entreprise une fois pour toutes et dont l'objectif principal
est la réduction des effectifs de certaines espèces. La
viande obtenue devient dans ce cas un objectif secondaire.
L'élimination d'animaux dans les aires de conservation
reste une question controversée. Bien que les écologistes
scientifiques et les responsables d'aires protégées soutiennent
qu'il s'agit d'un outil de gestion servant à contrôler les
populations d'herbivores, les écologistes extrémistes la
considèrent comme moralement répréhensible. On a
pratiqué l'élimination comme outil de gestion dans certaines
aires protégées d'Afrique australe et orientale (voir Hanks
et al., 1981, Walker et al., 1987) et ce, pour deux raisons:
-
pour prévenir ou réduire la dégradation
de l'habitat provoquée par des densités élevées
d'animaux herbivores;
-
comme stratégie de protection des espèces;
dans les cas de concurrence entre une espèce abondante localement
et une espèce rare, il est consenti d'éliminer un pourcentage
dé la population surabondante pour réduire la compétition.
Deux raisons importantes militent en faveur de l'élimination
des espèces localement surabondantes en Afrique, à savoir
la possibilité de satisfaire ainsi les besoins en protéines
animales et la nécessité de remédier à l'injustice
sociale qui consiste à permettre à un grand nombre d'espèces
communes de vagabonder hors des aires protégées au détriment
de l'habitat et des cultures des collectivités qui vivent aux alentours.
Les opérations de prélèvement et
d'élimination de gibier ne se limitent pas aux initiatives gouvernementales
relatives aux aires protégées mais peuvent représenter
une pratique régulière sur les élevages extensifs
et les terres privées. On l'observe notamment dans des pays comme
l'Afrique du Sud où le gibier a séjourné sur des
terres privées pendant de nombreuses années à des
fins tant de conservation que de chasse sportive. Blankenship et al.
(1990) passent en revue les systèmes de prélèvement
pratiqués jadis dans les sous-régions d'Afrique orientale,
centrale et australe. Bien qu'en Afrique orientale les initiatives de
prélèvement de gibier aient été lancées
et parrainées par les pouvoirs publics, en Afrique australe elles
ont été le fait principalement de compagnies privées.
Pendant les années 1960, la plus importante opération
d'élimination du grand gibier en Afrique tropicale a été
organisée au niveau national en Ouganda. L'objectif était
de réduire rapidement les effectifs animaux dans les parcs nationaux
de Queen Elizabeth et des Chutes Murchison (Bindernagel, 1968). Environ
12 000 hippopotames et 2 000 éléphants ont été
abattus. Les hippopotames étaient dépecés et leur
viande vendue sur place à l'état frais directement aux commerçants
qui la vendaient ensuite au détail hors des parcs, alors que la
viande d'éléphant était fumée et vendue aux
villes et villages voisins. Plusieurs facteurs expliquent le succès
de l'opération ougandaise: le grand nombre de personnes (51,4 par
ha2) vivant aux alentours des parcs et pouvant se permettre d'acheter
la viande, ce qui évitait les transports sur de longues distances;
l'absence de bétail domestique et, partant, la pénurie de
viande dans la zone; l'existence d'un bon réseau routier rural,
et le fait qu'aucune norme d'hygiène n'était imposée
sur le commerce de la viande.
Dans les années 1960, le département du
gibier de la Zambie a également entrepris le prélèvement
expérimental d'éléphants et de buffles dans la vallée
de Luangwa. La viande était fumée suivant les méthodes
traditionnelles et vendue bon marché aux populations locales estimées
carentes en protéines. En réalité, l'hypothèse
était sans fondement car les ruraux étaient eux-mêmes
d'excellents chasseurs et l'offre de viande n'a suscité qu'un faible
intérêt (Marks 1976). En 1972, lorsque le prélèvement
a pris fin, 1 464 éléphants, 1 353 hippopotames et 237 buffles
environ avaient été tués. D'après Blankenship
et al. (1990) le projet s'est soldé par une perte économique.
Au Kenya, le prélèvement de gibier réglementé
par l'Etat a démarré en 1960 dans le cadre du plan de gestion
de la faune de Galana. Son objectif était de mettre au point un
programme intensif et commercialement viable de prélèvement
de gibier et, en même temps, d'offrir des emplois aux populations
vivant à proximité des aires protégées. Les
activités du programme se centraient sur la vente de viande d'éléphant
et d'ivoire. Comme dans le cas de la Zambie, il s'est agi d'un échec
économique et le gouvernement a fini par confier le programme à
une entreprise privée. Pendant les années 1970, d'autres
essais de prélèvement de gibier ont été entrepris
au Kenya pour mettre au point des techniques performantes et pour étudier
le potentiel commercial de la viande de chasse dans l'exploitation de
Kekopey et le domaine de Suguroi. Les procédures devaient respecter
les normes sévères établies par le département
de médecine vétérinaire. Au total 1 320 gazelles
de Thomson et 1 083 impalas ont été prélevées
à Kekopey et à Suguroi. Les peaux et les 35 tonnes de carcasses
préparées provenant des 2 358 antilopes abattues ont rapporté
65 292,00 shK (9 144,54 dollars EU) et le projet a été considéré
comme un succès (tableau 4.6). En 1989, une seule compagnie opérait
au Kenya sur trois exploitations, produisant environ 45 tonnes de viande
par an. Le service de la faune sauvage a estimé que la demande
de viande de gibier aurait atteint 500 tonnes par an à la fin de
1995 (Byrne et al., 1994).
Tableau 4.6 Coûts et revenus relatifs
à l'essai de prélèvement à Kekopey et Suguroi.
(Source:Blankenship et. al., 1990)
COUTS
|
ShK
|
1
|
Personnel
|
|
Direction
|
27,500.00
|
Employés
|
44,096.65
|
Chasseurs supplémentaires
|
3,898.0
|
Total partiel |
75,494.65
|
2
|
Location de véhicules
|
30,264.60
|
3
|
Location de matériel de prélèvement et de tentes
|
10,360.00
|
4
|
Location d'avions
|
5,900.00
|
5
|
Matériaux fongibles (sel, paille, etc.)
|
5,608.00
|
6
|
Combustibles
|
4,899.90
|
7
|
Administration
|
3,113.40
|
8
|
Location d'entrepôts frigorifiques (opération de Kekopey seulement)
|
2,773.10
|
9
|
Commercialisation et publicité
|
2,766.65
|
10
|
Rémunération du personnel du département du gibier
|
2,375.00
|
11
|
Munitions
|
1,745.00
|
TOTAL
|
145,300.35
|
REVENU BRUT
|
1
|
Carcasses
|
120,672.53
|
2
|
Peaux
|
87,165.00
|
3
|
Cornes
|
2,755.00
|
TOTAL
|
210,592.53
|
REVENU NET
|
65,292.18
|
Le programme de Kamwenje est un exemple plus récent
d'élimination dont l'objectif principal est de fournir de la viande
de brousse bon marché aux collectivités locales. Il a été
lancé en 1989 près de la zone d'aménagement de la
faune du Haut Lupande à Nsefu en Zambie. Les grands mammifères
tués au titre de ce programme comprenaient des buffles, des potamochères,
des hippopotames, des impalas, des phacochères, des gnous et des
zèbres. D'après une enquête menée auprès
des populations locales et relative à la faune sauvage de la zone,
81,5% des personnes interrogées étaient au courant du programme
mais seuls 18,5% ont eu effectivement l'occasion d'acheter la viande vendue
dans le cadre de ses activités (Balakrishman et Ndholovu, 1992).
Environ la moitié de ce groupe échantillon n'avait pu l'acheter
faute d'argent et 88% des quelques personnes qui en avaient acheté
trouvaient qu'elle coûtait trop cher.
4.2.2 Chasse et prélèvement de subsistance
Dans les sociétés africaines la chasse
et le prélèvement d'animaux sauvages ont été
autrefois et seront à l'avenir un aspect important de la vie rurale.
Jadis, la chasse représentait la principale source de protéines
animales et les chasseurs professionnels jouissaient d'un grand prestige
dans la société. Même de nos jours, certains groupes
comme les Boshimans en Afrique australe dépendent presque exclusivement
de la chasse et du prélèvement d'animaux sauvages pour satisfaire
leurs besoins en protéines animales et se procurer de l'argent.
De nombreux autres groupes accroissent aussi de manière notable
leurs moyens de subsistance grâce à la chasse (Richter et
Butynski, 1973; Asibey, 1974; Ajayi, 1979; Infield, 1988; Tutu et al.,
1994). Dans beaucoup de pays africains, le chasse est non seulement un
moyen de se procurer des vivres mais aussi un événement
social où les jeunes gens mettent à l'épreuve leur
virilité.
La chasse au fusil et à l'arc est une activité
essentiellement masculine, mais les femmes et les enfants ont aussi un
rôle important à jouer dans le prélèvement
de ressources en faune sauvage pour alimenter la famille. Au Sud-Est du
Gabon, les femmes et les enfants posent des pièges pour capturer
de petits mammifères et des oiseaux dans les plantations (Lahm,
1993). Les femmes des tribus Luvale et Shaba au Zaïre prélèvent
aussi des rongeurs à l'aide de pièges et en Afrique de l'Ouest,
la récolte d'escargots est essentiellement le fait des femmes et
des enfants.
Dans le passé la chasse et l'exploitation d'animaux
sauvages étaient réglementées par des lois coutumières
et tout bon chasseur était tenu de respecter le code de conduite
traditionnel en vigueur dans la communauté où il opérait.
Avec la colonisation et l'application des mesures modernes de conservation,
de nombreux gouvernements africains ont imposé des restrictions
sur la chasse. Elles incluent l'interdiction de chasser dans les parcs
nationaux et d'autres aires de conservation de la faune sauvage, l'établissement
de périodes de fermeture de la chasse, l'introduction de permis,
et l'imposition de restrictions sur certaines espèces et catégories
d'âge. Dans nombre de pays, la loi oblige les chasseurs à
se munir d'un permis de chasse où est normalement indiqué
le nombre d'individus de chaque espèce qu'il a le droit d'abattre
dans un laps de temps déterminé. Dans certains pays, les
commerçants de viande de brousse sont aussi tenus d'avoir un permis
pour exercer leur activité. Dans les pays d'Afrique australe et
orientale, ces restrictions sont très sévères et
visent à protéger les animaux sauvages à l'intérieur
et à l'extérieur des parcs afin de promouvoir le tourisme,
la chasse sportive et les autres activités lucratives connexes.
En Afrique de l'Ouest, l'application des règlements de chasse est
moins rigoureuse et vise à sauvegarder les animaux en vue de reconstituer
les effectifs car les populations de la plupart des espèces ont
déjà été décimées par la chasse.
Dans presque tous les pays, les règlements concernent le grand
gibier, ce qui explique la prédominance des rongeurs et d'autres
petits mammifères parmi les espèces exploitées comme
viande de brousse.
Les contrôles gouvernementaux ne s'appliquent
pas normalement à la récolte d'invertébrés
tels que les insectes et les escargots mais dans de nombreuses collectivités
africaines elle est soumise à des lois et des normes coutunières.
C'est ainsi que dans les zones forestières du Sud du Ghana, notamment
dans l'Ashanti, il existe une loi verbale établissant la période
de fermeture de la chasse, qui était scrupuleusement observée
dans le passé et réglementait avec efficacité l'exploitation
de l'escargot géant Achatina achatina. La période
de fermeture pour la récolte d'escargots des forêts était
strictement respectée dans la plupart des villages Ashanti; au
début de cette période, lorsque les escargots pondaient
leurs oeufs, le crieur public informait les villageois de l'interdiction
de les récolter. Cette mesure visait à permettre l'éclosion
des oeufs et la croissance des petits escargots. La règle était
rigoureusement observée jusqu'au moment de l'ouverture qui était
aussi annoncée par le crieur public.
Malgré les contrôles, à la chasse
de subsistance sont imputables plus de 90% de la viande de brousse disponible
sur le continent africain. En 1990 en Côte d'Ivoire, sa consommation
était estimée à 83 000 tonnes soit 117 m de dollars
EU dont seuls 23 m provenaient de la chasse commerciale (Freer 1993).
Plusieurs descriptions de chasseurs et de méthodes de chasse nous
sont parvenues; elles portent sur le nombre des personnes intervenant,
le moment de la journée choisi et le matériel utilisé.
On distingue la chasse individuelle et celle de groupe, la. chasse au
fusil et à l'arc, le piégeage, la chasse nocturne et la
chasse diurne. Les chasseurs peuvent être des professionnels travaillant
à temps plein ou des chasseurs occasionnels dont l'occupation principale
est l'agriculture, l'artisanat ou la fonction publique.
Autrefois on se servait de fusils à pierre que
fabriquaient les forgerons locaux. Aujourd'hui, on utilise normalement
des fusils de calibre 12 et des carabines fabriquées sur place
ou importées. Les professionnels possèdent pour la plupart
leur propre fusil et les jeunes chasseurs ou ceux qui opèrent à
temps partiel en ont parfois un aussi. Beaucoup de ces derniers louent
ou empruntent le fusil d'un chasseur plus âgé en échange
d'une partie du gibier prélevé. Parmi les 130 personnes
formant la population d'un village dans le Nord-Est du Gabon, le rapport
entre population et fusils possédés était de 1:6,5
individus (Lahm, 1993). Au Nigéria on emploie traditionnellement
des fusils chargés par le canon fabriqués sur place, des
pièges et des collets, et on recourt aux chiens et au feu pour
lever le gibier (Afolayan, 1980; Martin, 1983). Les armes utilisées
par les Boschimans d'Afrique australe consistent en flèches à
pointe de métal léger ou d'os et au carquois fabriqué
avec de racines d'Aloe dichotoma, en une petite lance et en une
massue. Les chasseurs se servent d'un arc court mais robuste pour lancer
les flèches à distance rapprochée. Les Boschimans
enduisent leurs flèches de poisons tirés des racines, de
l'écorce et des baies de certains arbres ainsi que du venin de
serpents, d'araignées et de scorpions (Maliehe, 1993). Les chasseurs
des districts de Kiteto et de Mbulu dans la région d'Arusha en
Tanzanie enduisent eux aussi leurs flèches de poison. Ce dernier
est extrait de diverses espèces végétales qui servent
aussi à empoisonner les poissons (Chihongo, 1992).
Les chasseurs peuvent opérer seuls, souvent avec
l'assistance d'un aide, ou en groupe. La chasse individuelle peut avoir
lieu le jour ou la nuit, dans la forêt ou dans des formations secondaires
autour des exploitations. Un chasseur professionnel quitte normalement
sa maison le matin pour une expédition d'un jour et revient le
soir. De nombreux agriculteurs-chasseurs partagent leur journée
entre le travail des champs et la chasse ou le piégeage. On utilise
souvent des chiens pour lever les animaux sauvages.
Bien qu'elle soit interdite dans de nombreux pays, la
chasse nocturne est très répandue et privilégiée
par les chasseurs professionnels car le taux de réussite est beaucoup
plus élevé. A la tombée de la nuit le chasseur quitte
sa maison pour la forêt où il chasse normalement jusqu'au
lever du jour. La chasse nocturne est pour l'essentiel une activité
solitaire bien que certains chasseurs se fassent accompagner par un aide
ou un porteur qui transporte le gibier. La plupart des chasseurs nocturnes
limitent leurs activités à des zones connues. Il arrive
qu'un chasseur solitaire ou un groupe de deux ou trois personnes campent
dans la forêt et y restent pour des périodes allant de quelques
jours à deux semaines. Ils construisent un campement qui leur sert
de base et la chasse s'effectue tant de jour que de nuit. Le gibier est
fumé et entassé jusqu'à la fin de l'expédition.
Parfois les marchandes de viande de brousse se rendent aux campements
pour y faire leurs achats mais normalement c'est le chasseur et ses aides
qui transportent la viande jusqu'au village les jours de marché.
Les outils du chasseur consistent en un fusil, une cartouchière
(souvent en cuir) contenant une réserve de poudre et des cartouches,
un coutelas ou un gros couteau et, dans le cas de la chasse nocturne,
une lampe puissante portée sur le front. Elle est faite de cuivre,
est munie d'un réflecteur et fonctionne au carbure. En s'égouttant
sur le carbure l'eau produit de l'acétylène qui brûle
en donnant une forte lumière. C'est grâce au reflet de cette
lumière dans les yeux des animaux que le chasseur peut les identifier.
En outre elle éblouit les bêtes ce qui permet au chasseur
de s'approcher de sa proie et de la tuer à brève distance.
Les principales formes de chasse pratiquées en Afrique sont au
nombre de trois:
- la chasse de groupe saisonnière au fusil;
- la chasse en battue pour lever les animaux qui sont ensuite tués
à la massue ou au coutelas;
- l'emploi de feu pour enfumer les animaux.
Traditionnellement, la chasse de groupe saisonnière
se pratiquait à certains moments de l'année ou coïncidait
avec des célébrations organisées pour fêter
un événement culturel particulier, et la plupart des hommes
sains de la collectivité y prenaient part. Chez les Ashantis des
zones forestières du Ghana, la chasse de groupe saisonnière
est un événement très bien organisé. Au cours
d'une réunion tenue plusieurs jours avant l'expédition on
choisit le terrain de chasse, on groupe les participants en catégories
et on assigne les tâches. De 60 à 100 personnes peuvent prendre
part à l'expédition qui comprend des chasseurs professionnels,
des aides et un grand nombre de chiens.
La chasse en battue ne compte pas plus de quatre ou
cinq personnes. Les chasseurs encerclent une parcelle de végétation
où les animaux ont l'habitude de s'abriter et convergent vers le
centre en battant et coupant les buissons. La présence d'excréments
ou de résidus d'aliments permet de reconnaître la parcelle
adaptée. La méthode est utilisée notamment pour chasser
les rongeurs, en particulier l'aulacode en Afrique de l'Ouest. Les animaux
sortant de la végétation sont chassés et attrapés
par les chiens ou tués par les chasseurs à l'aide de massues
et de coutelas.
L'emploi du feu dans la chasse en groupe est plus répandue
dans les herbages de la savane. Chaque chasseur choisit une position stratégique
autour d'une parcelle d'herbage que l'on sait être peuplée
d'animaux sauvages. On met le feu à la zone et les animaux qui
tentent d'échapper aux flammes sont tués à l'aide
de massues et de coutelas. Dans les zones forestières, on utilise
le feu pour enfumer des rongeurs comme le rat géant Cricetomys
gambianus dans leurs terriers. Les chasseurs identifient ces derniers,
entassent des branches de palmier et des feuilles sèches à
l'entrée et y mettent le feu. La fumée pénétrant
dans le terrier force le rat à en sortir. Les chasseurs sont prêts
à l'attaque à peine il se montre. Souvent l'animal meurt
dans le terrier suffoqué par la fumée auquel cas on creuse
pour en retirer le corps.
La plupart des chasseurs utilisent aussi bien des fusils
que dès pièges. Les agriculteurs qui ne possèdent
pas de fusils, ainsi que les femmes et les enfants, se limitent à
poser des pièges. Deux systèmes sont pratiqués en
Afrique:
-
les pièges posés en forêt dans
des zones que l'on sait être peuplées d'animaux sauvages,
le long des pistes qu'ils empruntent et dans les lieux où ils
s'alimentent. Le seul objectif de ces pièges est de capturer
les mammifères. Les pièges à oiseaux sont normalement
placés sur les branches supérieures des arbres où
les oiseaux ont l'habitude de se poser ou de se nourrir. Autrefois
les chasseurs installaient aussi dans la forêt des pièges
isolés consistant en fosses, tranchées et trébuchets.
Ces pièges qui présentaient un grave danger pour la
population sont désormais interdits;
-
les pièges posés dans les exploitations
ou à leur proximité: on construit souvent une haie autour
de l'exploitation et on pose des pièges à des distances
déterminées le long de cette haie. Ce système
vise en premier lieu à protéger les cultures en réduisant
les dommages causés aux plantes par les animaux sauvages, notamment
les rongeurs. Mais il permet aussi aux agriculteurs de se procurer
de la viande.
Les collets servent à saisir l'animal au cou,
à mi-corps et à la patte suivant la partie du corps visée
par le noeud coulant. On utilise pour cela une combinaison de matériaux
naturels et artificiels. Pour fabriquer un piège ou un noeud coulant
on se sert normalement de fil de fer alors que les fibres naturelles et
les tiges sont employées pour fabriquer des dispositifs à
détente ou à ressort ou pour ancrer le piège. Pour
appâter les animaux on place normalement des substances alimentaires
comme le manioc, le plantain mûr, la banane et les noix de palmier
à l'entrée du piège. Les pièges posés
autour des exploitations sont inspectés quotidiennement ou chaque
fois que l'agriculteur ou sa famille se rendent à l'exploitation.
Ceux posés dans la forêt sont normalement inspectés
tous les deux jours. Dans la plupart des communautés africaines,
toucher ou déplacer les animaux dans les pièges d'autrui
est considéré comme un délit.
Le succès de ces différentes méthodes
est variable de même que la composition des espèces et du
sexe des animaux prélevés. Lahm (1993) signale que dans
un village du Nord-Est du Gabon c'était le piégeage et la
chasse nocturne qui remportaient les taux les plus élevés
de succès et que les petites proies nocturnes comme les porc-épics
se prenaient plus facilement à l'aide de collets. Un certain nombre
d'espèces de céphalophe sont hypnotisées par les
lampes des chasseurs ce qui favorise leur capture pendant la chasse de
nuit. Il est très difficile de prendre au piège les espèces
arboricoles comme les singes et, selon l'étude sur le village du
Gabon, toutes ces espèces avaient été tuées
au fusil (tableau 4.7).
Tableau 4.7 Résultats de deux
méthodes de capture pratiquées dans des villages au Nord-Est
du Gabon (en pourcentage) (Source: Lahm, 1993)
Espèce
|
Nbre d'animau capturés
|
Animaux tués (%)
|
Animaux pris au piège (%)
|
Porc-épic
|
28
|
21
|
71
|
Singes
|
45
|
100
|
0
|
Céphalope bleu
|
95
|
77
|
21
|
Céphalophe roux
|
31
|
29
|
68
|
Chevrotin
|
12
|
92
|
8
|
Le temps consacré à la chasse varie suivant
les lieux et dépend, de toute évidence, de la place qu'elle.
occupe dans l'activité du chasseur et des taux de réussite.
Le nombre d'expéditions de chasse signalées dans l'étude
sur le Gabon était de 2,5 jours par semaine. Infield (1988) donne
une moyenne de 16 journées de chasse/mois/chasseur moyen dans les
villages aux alentours du parc national de Korup. On chassait dans ces
villages toute l'année avec une baisse d'intensité entre
décembre et mars pendant la campagne agricole. En revanche, la
pose des pièges était plus fréquente pendant la saison
des pluies et chaque chasseur installait 130 pièges en moyenne.
L'étude de Kumasi (Tutu et al., 1993) montrait
que la chasse avait lieu 2,08 fois par semaine environ et chaque expédition
durait 4,42 heures (de 1 à 11 heures). Le nombre moyen d'animaux
tués à chaque expédition variait entre un et quatre.
A Akim Ayirebi, dans une autre zone du Ghana, les chasseurs professionnels
consacraient de 22 à 30 heures par semaine en moyenne à
la chasse nocturne (tableau 4.8).
Les chasseurs professionnels profitent de leur aptitude
à traquer les animaux, de leur expérience, de leur capacité
de comprendre le comportement de leur proie et de leur profonde connaissance
de la forêt au sein de laquelle ils opèrent. Ils peuvent
aussi adopter certaines stratégies axées sur la magie qui,
selon les croyances, devraient soit accroître le succès de
la chasse soit assurer au chasseur une protection. Quatre de ces stratégies
sont bien connues et appliquées mais on n'en a pas évalué
l'efficacité.
Tableau 4.8 Enquête hebdomadaire
saisonnière sur le nombre d'heures consacrées à la
chasse nocturne par cinq chasseurs professionnels à Ayirebi, Ghana,
en 1982/83. (Source: Dei, 1989)
Chasseur
|
Age (ans)
|
Nbre d'heures par semaine pour chaque période
|
Moyenne annuelle - heures/semaine
|
Moyenne annuelle - heures/semaine
|
Après récolte
|
Période de soudure
|
Récolte
|
(jan. - mars)
|
(avr. - août/sept.)
|
(oct. - déc.)
|
A
|
41
|
26
|
30
|
18
|
24.7
|
3.5
|
B
|
49
|
25
|
40
|
25
|
30.0
|
4.3
|
C
|
62
|
21
|
29
|
17
|
22.3
|
3.2
|
D
|
43
|
18
|
31
|
25
|
24.6
|
3.5
|
E
|
67
|
27
|
25
|
18
|
23.3
|
3.3
|
|
Moyenne |
25
|
3.6
|
Emploi d'amulettes: un chasseur porte parfois
une bague à son doigt ou à son orteil, un bracelet, un collier
ou un talisman autour de son cou ou une ceinture autour de sa taille.
Ces objets magiques sont censés améliorer le succès
de la chasse en attirant vers lui les animaux.
Pouvoir de se transformer: il s'agit d'une
autre forme de magie qui devrait conférer au chasseur le pouvoir
de se changer en animal (en céphalophe ou en guib, par exemple).
Cette transformation accroîtrait les chances pour le chasseur d'attirer
des bêtes de la même espèce, améliorant par
là grandement le succès de la chasse.
Pouvoir de se rendre invisible: ces pouvoirs
"magiques" rendent le chasseur invisible à l'animal, lui permettant
de s'en approcher sans être observé et de tirer à
brève distance. Le pouvoir magique est déclenché
par un mouvement de la queue de l'animal ou par une préparation
magique que le chasseur emporte avec lui et qu'il pose sur sa tête
au moment opportun.
Pouvoir de disparaître: cette forme
de magie vise à protéger le chasseur. Elle comporte normalement
un ensemble de rites comprenant des périodes d'isolement, des bains
et une série d'infusions d'herbes associées à un
régime alimentaire prescrit. Après l'initiation, le chasseur
reçoit quelquefois une ceinture magique qu'il porte sur lui. Ce
rite est répandu notamment parmi les vieux chasseurs de grand gibier
et devrait conférer le pouvoir de disparaître face au danger.
Ainsi s'il est attaqué par un éléphant, le chasseur
peut faire appel à ce pouvoir et s'éclipser. La magie entre
en jeu au moment où le chasseur cède à la panique
ou lorsqu'il émet un son.
Durablité de la chasse de subsistance
Les techniques de chasse et l'exploitation par les chasseurs de la viande
de brousse à des fins de subsistance ont fait l'objet de nombreuses
études mais rares sont celles qui ont évalué leur
intensité et leur durabilité. On continue à chasser
de façon croissante et les activités vont de la chasse de
subsistance à la grande chasse pratiquée par des professionnels,
seuls ou en groupe, qui consituent des réseaux et concluent des
accords pour le transport du gibier jusqu'aux centres urbains et pour
sa commercialisation. Malgré la diminution de la plupart des populations
animales due à la surexploitation et à la destruction des
habitats naturels, la quantité de viande de brousse écoulée
sur les marchés citadins reste inchangée. D'après
Feer (1993), la disponibilité croissante de viande de brousse sur
ces marchés ne résulte pas d'un équilibre atteint
entre la chasse et les taux de production naturelle mais de l'expansion
constante des terrains de chasse qui envahissent souvent les aires protégées.
Quand les animaux disparaissent localement, les chasseurs n'hésitent
pas à s'aventurer plus loin et consacrent plus de temps aux expéditions
de chasse pour obtenir le gibier désiré.
La surexploitation n'est rentable qu'à brève
échéance. Quand elle dépasse la capacité de
production des populations sauvages elle aboutit à la longue à
leur raréfaction et à un amenuisement de leur nombre qui
rendra la chasse improductive. Au plan écologique et économique,
il serait plus approprié de réglementer les activités
et de fixer des niveaux durables tout en aménageant la faune et
son habitat pour assurer le maximum de productivité. Pour ce faire
il faudrait mettre au point une méthode simple d'évaluation
de la durabilité de la chasse de subsistance en Afrique. Cela est
d'autant plus nécessaire que la notion de conservation fait aujourd'hui
l'objet d'une évolution et abandonne la protection intégrale
pour se tourner vers la prise en compte des besoins des collectivités
locales et la reconnaissance accrue du rôle de la chasse de subsistance
dans cette protection.
Des indices et des modèles ont été
mis au point pour une première évaluation de la durabilité
de la chasse dans les forêts tropicales, mais ils se fondent pour
l'essentiel sur des exemples pris en Amérique latine (Robinson
et Redford, 1991; 1994; Bodmer et al., 1993). Robinson
et Redford (1994) ont analysé cinq de ces indices basés
sur des comparaisons de la densité de population, de la baisse
de densité, du rendement de la chasse, de l'évolution des
rendements et de la structure de l'âge. Les indices permettent de
déterminer à tout moment si la production est supérieure
ou inférieure à la demande de prélèvement.
C'est ainsi que dans une étude sur la chasse dans les forêts
des basses terres de l'Amazonie, Bomer et al. (1993) ont
observé que les primates et le tapir terrestre Tapirus terrestris
étaient surexploités par les ruraux vivant dans la
région de Tahuayo de la Reserva Communal Tamshiyacu-Tahuayo au
Nord-Est du Pérou, mais qu'en revanche les artiodactyles et les
grands rongeurs ne l'étaient pas. Les auteurs ont donc conseillé
d'interrompre la chasse des espèces surexploitées et de
fixer des niveaux pour les artiodactyles et les rongeurs afin d'en assurer
l'utilisation durable et de protéger les espèces surexploitées.
La fixation et l'application d'un niveau durable de
chasse en Afrique favorisera considérablement à longue échéance
non seulement la conservation de la faune sauvage mais aussi la chasse
de subsistance au profit de tous ceux pour qui elle est le principal moyen
d'existence. Les facteurs servant à déterminer les niveaux
d'exploitation durables sont:
- l'intensité et la variation des modèles de chasse;
- l'état des populations des espèces de gibier;
- le renouvellement de la population d'une espèce donnée;
- la réaction des populations d'animaux sauvages à la
chasse.
Malheureusement on ne dispose pas de telles informations
pour de nombreuses forêts de l'Afrique ce qui rend très difficile
l'évaluation de la viabilité de la chasse de subsistance.
4.2.3. Traitement et commercialisation de la viande
de brousse
Les normes de traitement et de commercialisation de
la viande de brousse varient d'une zone à une autre. Dans certains
cas elles sont tellement rigoureuses qu'il est pratiquement impossible
de les observer sans investir d'énormes capitaux en abattoirs et
entrepôts frigorifiques. Dans d'autres cas, il n'existe ni règles
ni normes et la qualité de la viande de brousse vendue sur le marché
varie largement. C'est cette dernière situation qui domine en Afrique
de l'Ouest où pratiquement aucune norme n'est en vigueur pour le
traitement et la commercialisation de la viande de chasse.
Dans la plupart des pays d'Afrique de l'Ouest quand
bien même il existerait des normes d'hygiène pour la viande
des animaux domestiques elles s'appliquent rarement au traitement et à
la commercialisation de la viande de brousse et, dans certains cas, sont
totalement ignorées. Après avoir tué les animaux
et pour les apporter au marché, les chasseurs leur font parcourir
dans des sacs de longues distances sans se soucier des conditions d'emmagasinage.
Souvent les carcasses voyagent sous un soleil brûlant sur les portebagages
des autocars publics et sont ensuite vendues comme viande "fraîche".
Il est fréquent que des animaux tués au cours d'expéditions
nocturnes attendent le lever du jour avant d'être transportées
au marché où elles arrivent plusieurs heures plus tard.
Les animaux pris au collet y restent souvent jusqu'à trois jours
si les chasseurs n'inspectent pas leurs pièges régulièrement.
Parfois les carcasses sont proches de la décomposition lorsqu'elles
seront ramassées et vendues corne viande "fraîche" ou fumée.
Il ne semble pas non plus y avoir de normes pour la viande de brousse
fumée et on vend couramment de la viande mal fumée sur les
marchés. Il n'est pas certain si cette situation découle
de la rareté du gibier dans la sous-région et de l'intensité
de la demande ou si la viande de brousse est tellement recherchée
qu'on l'achète dans n'importe quel état. On n'a pas non
plus étudié les effets d'un entreposage prolongé
dans des conditions insalubres sur la qualité de la viande ni les
dangers pour la santé que pose sa consommation.
En Afrique orientale et australe, les normes établies
et appliquées pour le traitement et la commercialisation de la
viande de brousse sont tellement sévères que, dans certaines
zones, la production de viande de gibier est gravement compromise par
la pénurie ou l'absence d'entrepôts frigorifiques. Au Kenya,
dès 1971/72, les départements vétérinaire
et du gibier ont établi pour l'exploitation de Kekopey les dispositions
suivantes qui devaient être scrupuleusement respectées pour
le traitement de la viande de chasse (Blankenship et al., 1990).
- Toutes les carcasses devaient être saignées avant l'arrêt
du coeur par le sectionnement des carotides.
- Dans le cas d'un animal tué au fusil n'étaient admises
que les blessures à la tête et dans la partie supérieure
du cou. Les blessures corporelles entraînaient l'exclusion immédiate
de l'animal par défaut de saignement et, partant, risque de contamination.
- L'éviscération devait se faire dans les 60 minutes
suivant la mort de l'animal. (Une durée inférieure n'était
admise que pour les animaux de taille supérieure à la
gazelle ou l'impala).
- La température de la carcasse devait être inférieure
à 13°C (55°F) quatre heures après l'abattage et
à 3°C (8°F) 16 heures plus tard. La chute de température
devait être constante sans hausses temporaires.
- Les carcasses devaient être traitées dans des milieux
exempts de poussière et de mouches.
- Le personnel manipulant les carcasses écorchées devait
être lavé, vêtu de vêtements propres et exempt
de maladies ou de plaies ouvertes.
- Un stérilisateur à instruments et des lavabos devaient
être mis en permanence à la disposition du personnel s'occupant
des carcasses.
- Un minimum de 33 litres d'eau javellisée devait être
disponible pour chaque carcasse traitée.
- Les carcasses et les viscères devaient être examinées
par un inspecteur attitré du département vétérinaire
immédiatement après l'éviscération.
- Les animaux immatures non sevrés n'étaient pas admis
et ne devaient donc pas faire l'objet d'une inspection.
- Les carcassess inspectées devaient être transportées
dans des véhicules protégés contre la poussière.
Environ 7% des carcasses prélevées dans
l'exploitation de Kekopey et le domaine de Suguroi ont été
écartées car elles étaient atteintes de maladies
ou présentaient des blessures corporelles. (tableau 4.9)
Tableau 4.9 Causes de l'exclusion de
carcasses de gibier prélevées à Kekopey et à
Suguroi (Adapté de Blankenship et. al, 1990).
Cause
|
Impala
|
Gazelle
|
Nbre.
|
% du total
|
Nbre.
|
% du total
|
Saignement insuffisant
|
-
|
-
|
2
|
0.2
|
Cysticercose
|
15
|
1.7
|
-
|
-
|
Présence de sarcocystes
|
2
|
0.2
|
-
|
-
|
Blessures et septicémie
|
4
|
0.5
|
3
|
0.3
|
Contamination pendant la manipulation
|
1
|
0.1
|
1
|
0.1
|
Blessures/contusions corporelles
|
7
|
0.8
|
38
|
3.2
|
Animaux immatures non sevrés
|
1
|
1.0
|
-
|
-
|
TOTAL*
|
30
|
3.4
|
44
|
3.8
|
* Nombre total d'animaux éliminés: 889 impalas, 1 172
gazelles.
Lorsqu'on encourage la production industrielle de viande
de brousse, en dehors des règlements imposés par chaque
pays il faut aussi tenir compte des restrictions vétérinaires
internationales sur les exportations de viande vers les marchés
d'Europe et des Etats-Unis. La production de viande de qualité
exige le respect d'un grand nombre de normes (Blakenship et al.,
1990). On peut citer les suivantes:
- Garder au repos les animaux pour éviter d'accroître
l'acidité de la viande et de provoquer la dystrophie musculaire
(Young 1975), deux facteurs qui abaissent la qualité de la viande.
- Soumettre à inspection les animaux pour déceler dans
leur comportement ou leur posture les signes de maladies éventuelles
difficiles à détecter après la mort.
- Réaliser l'abattage dans un milieu hygiénique propre
à minimiser les risques d'infection bactérienne, conformément
à des principes humanitaires et en endommageant le moins possible
la carcasse.
- Commencer le traitement par le sectionnement des principaux vaisseaux
sanguins, normalement les carotides, avant l'arrêt du coeur, ce
qui permet l'évacuation de la majorité du sang de la carcasse
et réduit le volume des écoulements qui accélèrent
la diffusion des bactéries. Ces opérations permettent
de maintenir la qualité de la carcasse.
- Retirer si possible de la carcasse le tractus alimentaire, qui est
une importante source interne d'infection, quelques minutes après
l'abattage.
- Assurer une réfrigération rapide pour inhiber la décomposition
bactérienne et enzymatique des tissus.
- Soumettre à inspection la carcasse et les viscères
pour déterminer la présence éventuelle de germes
pathogènes nuisibles à l'homme.
- Commencer le traitement de la viande immédiatement après
l'abattage. La congélation, la réfrigération, la
cuisson, la mise en boîte, le salage et toute autre forme de traitement
doivent se faire dans un milieu hygiénique afin de fournir un
produit durable et salubre. Les peaux doivent également être
traitées immédiatement pour garantir le haut niveau de
qualité du produit.
S'il est difficile en Afrique d'observer toutes ces normes
dans le cas des animaux domestiques il serait pratiquement impossible
de le faire pour les animaux sauvages sans des investissements coûteux.
Certains partisans de l'utilisation de la faune sauvage pour la production
de viande estiment excessive la rigueur de ces normes modernes de production
. Ils font observer que les agriculteurs, les chasseurs et les sportifs
dans le monde entier tuent des millions d'animaux sauvages et domestiques
lesquels sont consommés ou vendus à des fins alimentaires,
sans qu'on tienne compte des normes d'hygiène officielles ou des
maladies. Quoi qu'il en soit, c'est en fonction de ces exigences que sera
jugée la production de la viande de brousse, et d'importants investissements
en matériel et en efforts de recherche s'imposeront pour les satisfaire
et/ou prouver le bien-fondé des techniques de traitement en usage.
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