Tel que discuté dans le Chapitre 2, l'émergence d'organisations d'auto-assistance dépend de certaines conditions existantes et des attentes des individus relatifs au succès des activités des coopératives.
En principe, un individu a plusieurs alternatives pour pourvoir à ses besoins. La personne (ou la famille) peut le faire de sa propre initiative et de façon autonome en continuant par exemple de pratiquer la culture d'auto-consommation. S'il n'en retire pas satisfaction, il peut essayer de chercher des ressources extérieures. Celles-ci pourraient être offertes par différents organismes: institutions gouvernementales, organisations non gouvernementales, entreprises commerciales ou d'autres options offertes par le marché. La 3ème alternative consiste soit à créer une organisation d'auto-assistance, soit à y adhérer.
Tous les petits exploitants agricoles utilisent différents intrants. Ils ont la possibilité soit de fabriquer l'intrant eux-mêmes (production interne = “fabrication”), soit de l'acquérir sur le marché (“achat”), soit de l'acquérir à partir d'autres sources externes (par exemple à travers un service de vulgarisation de l'Etat). Si une société ou un petit producteur décide de fabriquer un intrant, les transactions se feront de manière interne. S'il décide de l'acheter, il prendra contact avec une autre société ou une autre organisation. Dans les deux cas, il est important de comprendre le principe qui soustend les transactions, à savoir la décision de fabriquer ou d'acheter.
Certaines décisions sont évidentes (acheter un tracteur). Mais d'autres le sont moins (recourir à un service de réparation pour le tracteur ou le réparer soi-même).
Comme tout agent économique, l'agriculteur aspire acquérir ses intrants aussi bon marché que possible et vendre sa production au prix le plus élevé possible; aussi, choisira-t-il l'alternative qui lui procurera l'avantage le plus important.
Une alternative pouvant être prise en compte par le producteur ou la famille est celle de l'organisation d'auto-assistance. Lorsqu'un marché concurrentiel libre existe, celui-ci offre généralement des alternatives diversifiées d'achat dont il faut tenir compte. Toutefois dans certaines conditions, une organisation d'auto-assistance peut être vraiment efficace sur le marché.
Une analyse stratégique de la viabilité et de la potentialité de la coopérative doit, par conséquent, contenir une analyse de la décision de fabriquer ou d'acheter selon le point de vue des membres potentiels et selon la situation sur le marché. Elle doit particulièrement se poser la question de savoir pourquoi le produit est vendu plus cher sur le marché que par les organisations d'auto-assistance, ou pourquoi un produit ou un service ne peut-il être parfois disponible sur le marché?
En suivant la même logique, nous devons analyser les décisions de fabriquer ou d'acheter prises par l'organisation d'auto-assistance elle-même si l'hypothèse première est de toujours acheter les intrants ou de vendre les produits sur le marché. Dans des cas particuliers cela peut avoir un avantage économique pour l'OAA de procéder à une intégration verticale, c'est-à-dire décider de fabriquer ses propres intrants et de vendre ses propres productions au sein d'une unité (appartenant) contrôlée par la coopérative (par exemple, vendre du lait recueilli chez les membres non pas aux usines de production laitière ou aux détaillants mais procéder à la transformation du lait dans une unité laitière appartenant à la coopérative).
En général, pour les personnes ou les ménages pauvres, le passage d'une agriculture de subsistance même autossuffisante à une production axée sur les marchés et tributaire de ceux-ci est extrêmement risqué. Par conséquent, la décision doit être soigneusement étudiée. Les trois étapes du processus de prise de décision sont décrites ci-après (voir Schéma 4).
Dans la 1ère étape, l'individu doit choisir entre travailler de façon autonome ou compter sur des facteurs extérieurs. Les alternatives, “compter sur soi-même” ou “compter sur les autres”, peuvent être appelées test de rentabilité ou “test économique”.
L'achat des produits et services (intrants) n'aura seulement de sens pour un individu que dans la mesure où il peut en tirer plus d'avantages dans le cas d'une production autonome. Par conséquent, avant de prendre la mesure risquante et décisive de passer de l'autosuffisance à la dépendance sur les facteurs extérieurs, l'individu vérifiera si le marché ou l'organisation d'auto-assistance offre de nets avantages considérables et fiables. Afin de décider du choix des alternatives, un individu aura à comparer leurs coûts et avantages. Il décidera uniquement en faveur des facteurs extérieurs si cette alternative procure plus d'avantages qu'il ne peut lui-même produire.
Schéma No 4: Décision stratégique
La seconde étape du processus de prise de décision concernant le passage d'une production autosuffisante à une production liée aux facteurs extérieurs consiste à choisir l'alternative la plus pertinente et la plus prometteuse.
A ce stade (et à tout autre étape) du processus, les organisations d'auto-assistance sont traitées de la même manière que toute autre institution boursière ou économique. Par conséquent, les offres générales des avantages faites par une organisation d'auto-assistance ne sont pas suffisantes pour qu'un individu puisse favoriser l'organisation d'auto-assistance au dépens des autres alternatives. Pour être intéressante/attrayante une organisation doit offrir plus d'avantages que toute autre alternative. Les coûts et avantages de chaque option seront calculés. La coopérative, par conséquent, affrontera un “test de marche”: Peut-elle offrir des prestations de service à moindre coût, de meilleure qualité et à des conditions plus favorables que celles qu'offrent un entrepreneur privé ou toute autre institution offrant les mêmes services?
Que doit-on prendre en compte dans le calcul du coût d'une coopérative d'auto-assistance?
La coopérative d'auto-assistance et la formation d'une organisation d'auto-assistance exigent au moins des individus ou des ménages impliqués, une contribution de leurs ressources personnelles et devront conjointement participer à la décision portant sur l'utilisation qui en sera faite.
Cela signifie que l'individu perd le contrôle de l'utilisation des ressources mises en commun.
En plus de cette perte d'autonomie du membre, la coopérative d'auto-assistance entraîne toujours des frais de coordination des activités. Ces coûts de transaction résultent du besoin de coordonner différents intérêts: Comment et pour quel objectif les ressources seront-elles utilisées?
Quelles sont les avantages des organisations d'auto-assistance dans cette prévision?
L'utilisation commune des ressources au sein d'une organisation d'auto-assistance:
peut donner accès à des ressources supplémentaires qui ne sont pas individuellement à la portée des membres. (Accès aux prêts auprès des banques commerciales qui ne sont possibles que par l'engagement du groupe sous le couvert d'une organisation d'auto-assistance),
peut résulter d'un meilleur rapport coût-avantage ou d'un rendement plus important que celui qu'offrent le marché ou d'autres institutions. (Achat avantageux d'intrants au prix de gros pour tous les membres du groupe),
peut permettre l'offre de services nouveaux et originaux.
Le Schéma 5 montre quelques facteurs principaux déterminant les avantages potentiels des organisations d'auto-assistance
Schéma No 5 : Facteurs déterminant les avantages (potentiels) d'organisations d'auto-assistance
Une organisation d'auto-assistance viable et durable n'émergera (et ne survivra) que dans la mesure où les avantages prévus sont plus importants que ceux qu'offrent les autres institutions.
Une organisation d'auto-assistance sera plus avantageuse que ses concurrents lorsque le même service peut être offert à moindre coût ou que de nouveaux services sont offerts, ou que l'accès à des ressources ou services extérieurs peuvent s'ouvrir. La réduction des prix peut entraîner:
la réalisation des économies d'échelle,
la réduction des coûts de transactions (renseignements, mise en oeuvre, contrôle et échange de biens et services),
la réduction de l'incertitude (concernant les prix et la disponibilité des intrants),
le souci d'éviter les marchés liés.1
Cependant, même si l'organisation d'auto-assistance réussissait à accéder au marché et même si le test économique est positif, ceci n'est pas une garantie que l'organisation d'auto-assistance réussirait à renforcer effectivement les intérêts du membre potentiel. Un test de marché positif est une condition nécessaire mais pas convaincante pour prouver que l'adhésion est avantageuse. Les membres d'une organisation d'auto-assistance doivent être associés aux avantages que procure l'organisation, et cela signifie qu'ils doivent croire et plus tard constater que l'organisation d'auto-assistance est gérée dans leurs intérêts et à leurs avantages. (“Test de Participation”, voir Chapitre 4.)
Une organisation d'auto-assistance doit faire face à deux tests pour attirer les activités des membres en leur procurant des avantages nets. En premier lieu, elle doit avoir un avantage potentiel comparé aux autres institutions concurrentes (Test de Marché). Deuxièmement, elle doit pouvoir mettre cet avantage au service de ses membres (Test de Participation). Ces deux tests constituent le test-OAA, c'est-à-dire, le test qui décide si oui ou non l'on doit créer une organisation d'auto-assistance ou y adhérer.
