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L’enseignement forestier professionnel et le développement de la foresterie en Amérique centrale

F. Rojas Rodríguez

Freddy Rojas Rodríguez est professeur à l’école de génie forestier de l’Institut de technologie du Costa Rica, à Cartago, et membre du Comité consultatif de l’enseignement forestier de la FAO.

Il existe un lien entre le développement de l’enseignement forestier et le degré de développement du secteur dans les pays d’Amérique centrale, mais si les possibilités d’enseignement ont augmenté, les opportunités d’emplois sont restées stationnaires dans le secteur forestier.

Les possibilités de formation universitaire en foresterie se multiplient en Amérique centrale, mais la demande de cadres forestiers stagne – d’où la nécessité d’ajuster l’enseignement, en particulier les programmes d’études

F. Rojas

Les écoles forestières se sont multipliées en Amérique centrale depuis 30 ans et un certain nombre de nouvelles universités publiques et privées projettent de renforcer les programmes de formation des ressources humaines dans le secteur forestier. La prolifération des écoles ne résulte cependant pas d’une stratégie bien définie; au contraire, elle s’est accompagnée d’un effondrement des possibilités d’emploi pour les forestiers.

Le présent article examine brièvement la situation actuelle de la formation professionnelle dans les écoles forestières d’Amérique centrale et s’interroge sur l’interaction possible entre l’état des ressources forestières et la formation de cadres forestiers. Tout en affirmant l’intérêt stratégique des investissements économiques dans la foresterie et dans l’enseignement forestier, l’article formule plusieurs recommandations pour renforcer la formation professionnelle dans la sous-région.

AMÉRIQUE CENTRALE: LE CONTEXTE SOUS-RÉGIONAL ACTUEL

L’Amérique centrale est encore une sous-région pauvre, où il est difficile de trouver des stratégies qui permettent de fournir de manière durable de la nourriture, un logement, du travail, une instruction, de l’eau potable et des soins de santé à une population qui compte près de 30 millions d’habitants. A l’exception du Belize, les pays de la sous-région (en particulier El Salvador et le Guatemala) ont une densité de population relativement élevée – 89 habitants au km2 en moyenne – dépassée uniquement par l’Asie (FAO, 2001).

La surpopulation, la pauvreté et l’analphabétisme sont les trois principales raisons de la pression exercée sur les ressources économiques et environnementales. Lorsqu’il y a de nombreuses bouches à nourrir, peu d’argent et un faible niveau d’instruction, les possibilités de développement sont maigres; le principal souci est de trouver de quoi nourrir la famille. L’agriculture sur brûlis, l’agriculture de subsistance et la surexploitation des ressources forestières ne reculeront pas si les besoins de base ne sont pas satisfaits. Ainsi, le couvert forestier des pays de la sous-région diminue rapidement, car les forêts sont défrichées au profit de l’agriculture permanente et itinérante et du pâturage, ou dégradées à cause de la surexploitation du bois et des produits non ligneux des forêts.

La gestion des forêts n’a été une activité économiquement rentable dans aucun des pays de la sous-région. Des intérêts économiques externes ont tendu à se polariser sur un seul produit commercialement prisé des forêts: le bois. Pourtant, le secteur forestier d’Amérique centrale commence à attirer les investisseurs, tant locaux qu’étrangers. La sous-région possède un certain nombre d’atouts: situation stratégique à proximité des marchés, accès à deux océans, signes croissants de stabilité politique, infrastructures de base et disponibilité de ressources naturelles et humaines à relativement bas prix.

Le Guatemala, le Honduras, le Nicaragua, le Belize et le Panama sont des pays attractifs sur ce plan, car ils possèdent des forêts naturelles en quantité et en concentration suffisantes pour justifier un investissement dans leur gestion. En revanche, en El Salvador et au Costa Rica, la densité de population, le morcellement des exploitations agricoles et des forêts, les pressions exercées pour satisfaire les besoins agroalimentaires et le peu d’attention accordée à l’utilisation des forêts dans les politiques nationales rendent la gestion des forêts plus complexe. Le Costa Rica a cependant réussi à stimuler le développement forestier grâce à de bonnes politiques de conservation lancées dans les années 70. Des stratégies et des mécanismes novateurs pour financer la protection et la gestion des ressources forestières ont déjà permis de récupérer une bonne partie du couvert forestier du pays. Le Costa Rica a aussi un système institutionnel solide avec un effectif de cadres forestiers suffisant pour développer de manière durable le secteur, et ce pays est désormais une référence pour de nombreux autres Etats.

Le reboisement peut être une option d’investissement intéressante dans les pays ayant une grande superficie de terres, une expérience en sylviculture, une législation adaptée et qui sont relativement avancés sur le plan socioéconomique. Les biens et les services procurés par les forêts tropicales peuvent fournir de multiples opportunités de développement, telles que la bioprospection, l’écotourisme et la fixation de CO2; pourtant l’arboriculture est un investissement économique à long terme, financièrement peu réaliste pour des exploitants qui survivent tant bien que mal avec des stratégies de subsistance à court terme.

ÉVOLUTION DE L’ENSEIGNEMENT FORESTIER SUPÉRIEUR DANS LA SOUS-RÉGION

En Amérique centrale, l’enseignement technique forestier a commencé au Guatemala avec la fondation, en 1960, de la Escuela Forestal Centroamericana. Initialement soutenue par le Gouvernement, l’école a formé 125 cadres forestiers, avant sa fermeture définitive.

L’école d’études supérieures de l’Institut interaméricain de coopération pour l’agriculture (IICA) du Costa Rica, aujourd’hui appelé Centre agronomique tropical de recherche et d’enseignement supérieur (CATIE) a fonctionné sans interruption depuis 1942. Cependant, mise à part cette institution, l’enseignement de la foresterie, au niveau universitaire, a débuté dans la sous-région avec la fondation de plusieurs écoles, de la fin des années 60 à la fin des années 70. Le Nicaragua a commencé à assurer lui-même la formation de son personnel technique dans les années 80. La plupart des centres d’enseignement forestier de la sous-région ont au maximum 20 ans d’expérience. Trois écoles ont été créées récemment et n’ont pas encore délivré de diplômes de licence (voir tableau).

En Amérique centrale, les données historiques semblent témoigner d’un lien positif et direct entre l’existence d’écoles forestières et le développement du secteur forestier. Le Costa Rica, le Guatemala, le Honduras et le Nicaragua, qui sont considérés comme les pays les plus avancés de la sous-région dans le domaine de la foresterie, ont au moins une école forestière. El Salvador, le Panama et le Belize sont moins avancés dans ce domaine, et les possibilités d’études universitaires en foresterie y sont rares. Le Panama n’a que récemment créé une école forestière avec un cours de formation professionnelle en génie forestier. El Salvador et le Belize n’ont pas d’école forestière. Le Belize est peu peuplé et possède d’abondantes ressources forestières de sorte que la déforestation n’est pas un problème prioritaire. En El Salvador, où la majorité des forêts ont été défrichées et où la pression démographique est forte, il faudrait une approche différente, plus centrée sur la restauration de l’écosystème, que l’approche traditionnellement adoptée dans la sous-région.

Les forestiers contemporains doivent envisager l’écosystème forestier (naturel ou planté)
dans son ensemble – or le bois n’en est qu’une composante

F. Rojas

EFFECTIF DE PROFESSIONNELS QUALIFIÉS DANS LE SECTEUR FORESTIER EN AMÉRIQUE CENTRALE

Environ 2 785 cadres et techniciens forestiers ont été formés dans la sous-région (voir tableau), se répartissant pour moitié entre techniciens et cadres. Parmi ces derniers, 13 pour cent ont des diplômes équivalents ou supérieurs à la maîtrise. La plupart ont reçu une formation en gestion forestière et en sylviculture de plantation. Ce qui compte, c’est moins le nombre de professionnels que le fait qu’ils aient été formés dans le contexte socioéconomique et environnemental dans lequel il seront effectivement appelés à travailler.

A ce groupe de forestiers s’ajoutent un certain nombre de cadres qui ont été formés en dehors de la sous-région, ce qui porte l’effectif total à environ 3 000 (sans compter les cadres de disciplines connexes, comme l’agronomie et la biologie), soit un forestier pour 10 000 habitants ou pour 17 000 ha (ratio très élevé). Cependant les cadres sont répartis de manière inégale à travers la sous-région.

Pourtant, malgré l’ampleur des problèmes auxquels est exposée la foresterie en Amérique centrale – dans les domaines de la gestion forestière, du reboisement, de la remise en état des terres dégradées et de la restauration des écosystèmes, de la vulgarisation et de la recherche forestières – le marché de l’emploi pour les cadres forestiers commence déjà à donner des signes de saturation au Costa Rica, au Guatemala et au Nicaragua.

Cela ne signifie pas que ces pays n’ont pas besoin de forestiers qualifiés, mais tout simplement, que les exploitants des forêts et des terres boisées n’ont pas les moyens de payer les services de personnel d’encadrement. En outre, quelques pays (comme le Costa Rica), ont trop de cadres munis de diplômes supérieurs qui coûtent cher et qui répugnent à travailler en zone rurale, et pas assez de techniciens formés comme il convient pour travailler dans la forêt. Dans d’autres pays (comme le Honduras) les proportions sont plus équilibrées. Cependant, dans la plupart des cas, le problème fondamental est que le cadre forestier travaille dans de mauvaises conditions et pour un salaire de misère.

Les gouvernements ont d’autres priorités et avec la compression des dépenses publiques, l’Etat, qui était le premier employeur de cadres forestiers, est aujourd’hui en bas de l’échelle sur le marché des emplois forestiers. Cela s’explique aussi sans doute par le fait que les programmes enseignés dans les écoles forestières ne correspondent plus aux besoins de la nouvelle génération d’étudiants. Parallèlement, les forestiers traditionnels, c’est-à-dire ceux qui ne se sont pas adaptés à l’évolution du monde contemporain, prennent des décisions comme bon leur semble, pratiquement sans consulter de techniciens.

Malheureusement, la présence de cadres et de techniciens forestiers ne suffit pas pour résoudre les problèmes du secteur dans la sous-région. Les professionnels doivent pouvoir s’appuyer sur des politiques forestières claires et stables, des financements adéquats et des employeurs tournés vers l’avenir et ouverts à l’investissement.

Offre de cadres et de techniciens forestiers ayant reçu une formation professionnelle en Amérique centrale

Pays

Professionnels formés

Année de fondation

Effectif de professionnels signalé

Belize

Pas d’école forestière

 

9    

Guatemala

Escuela Nacional Central de Agricultura (ENCA): 167 forestiers

1987

544    

 

Centro Universitario del Petén (CUDEP): 27 techniciens forestiers

1987

 

 

Centro Universitario del Nor-Occidente (CUNOROC): 112 techniciens forestiers, 38 ingénieurs des forêt

1977

 

 

Facultad de Agronomía de la Universidad de San Carlos (FAUSAC): 200 ingénieurs des forêts

1982

 

Honduras

Escuela Nacional de Ciencias Forestales (ESNACIFOR): 800 forestiers, experts et ingénieurs des forêts

1969

931    

 

Centro Universitario Regional de Litoral Atlántico (CURLA): 256 ingénieurs des forêts

1967

 
 

Universidad del Valle: pas encore de diplômés

1999

 

Nicaragua

Universidad Nacional Agraria (UNAA): 195 agronomes/forestiers

1980

325    

 

Instituto Técnico Forestal (INTECFOR): 130 techniciens forestiers

1985

 
 

Universidad de las Regiones Autónomas de la Costa Caribe Nicaragüense (URACCAN):

   
 

pas encore de diplômés en foresterie

1995

 

El Salvador

Pas d’école forestière

 

15    

Costa Rica

Instituto Tecnológico de Costa Rica (ITCR): 276 ingénieurs des forêts (licence.),

   
 

75 ingénieurs du bois (licence), 11 ingénieurs des forêts (maîtrise) 1 diplôme de maîtrise agréé

1976

811    

 

Universidad Nacional (UNA): 277 ingénieurs des forêts (licence.), 44 ingénieurs des forêts (maîtrise.)

1976

 
 

Fundación Escuela de Reforestación de Costa Rica (FERCO): 150 techniciens forestiers

1995

 
 

Instituto Nacional de Aprendizaje (INA): 30 travailleurs forestiers

1990

 

Panama

Université du Panama, Faculté d’agronomie: pas encore de diplômés

2000

150    

Totala

   

2 785    

aSans compter les 350 titulaires d’une maîtrise et experts internationaux signalés par le CATIE pour la sous-région.

QUALITÉ DE L’ENSEIGNEMENT FORESTIER

La relation entre l’enseignement forestier et le développement du secteur a déjà été soulignée. Il est indispensable d’investir et d’innover pour cimenter ce lien et s’assurer que l’enseignement forestier prépare les étudiants à traiter les problèmes présents et à venir du secteur en Amérique centrale. La plupart des centres de formation des ressources humaines n’ont pas les installations et l’équipement nécessaires et manquent aussi d’enseignants suffisamment qualifiés pour enseigner comme il convient la foresterie (Reyes, 1991; Musálem et Cozzi, 1993; Rojas et Galloway, 1999; Rojas, 2000). Les instructeurs tendent à ne pas être suffisamment spécialisés; un professeur peut enseigner jusqu’à cinq matières sensiblement différentes de la foresterie.

La tendance à la compression des dépenses publiques ne fait qu’aggraver la situation; les professeurs universitaires sont mal payés et dans certains centres de formation, les maigres ressources sont réservées au recyclage du personnel universitaire et des chercheurs. La majorité des centres de formation ne font pratiquement pas de recherches ou de travaux de vulgarisation, d’où le risque que les professeurs ne soient capables que d’informer les étudiants alors que leur rôle est de les former.

Pour garantir l’excellence de la formation forestière professionnelle en Amérique centrale, un certain nombre de changements sont recommandés (voir encadré).

Les opportunités de recherche sont importantes pour former les étudiants, et non pas seulement leur donner des informations

F. Rojas

CONCLUSIONS

Tout comme l’offre de cadres et de techniciens forestiers, la formation universitaire proposée en Amérique centrale avance par à coups. La stagnation de la demande de cadres forestiers est préoccupante et indique que des études de marché doivent être faites sans attendre pour ajuster les services de formation et d’éducation, notamment modifier les programmes d’études.

Le lien entre le développement forestier et la présence de professionnels qualifiés dans le secteur souligne la nécessité d’offrir des opportunités professionnelles aux forestiers qualifiés si l’on veut améliorer l’environnement et les moyens d’existence des populations en Amérique centrale.

Des signes du marché (changements dans les dimensions du bois, comme matière première, reconnaissance des fonctions environnementales des forêts, développement de systèmes d’information et de systèmes d’information géographique, et modifications des relations commerciales, notamment avec les accords de libre-échange), montrent clairement qu’il est impératif de planifier et de réformer l’enseignement forestier professionnel dans la sous-région.

La sylviculture est et restera un pilier des programmes d’études forestières, mais de nouveaux domaines stratégiques doivent être rapidement incorporés dans les programmes de formation professionnelle. La sous-région a encore besoin de cadres forestiers ayant une bonne maîtrise de la sylviculture, mais il lui faut aussi des cadres déterminés ayant une bonne connaissance des problèmes sociaux, économiques et environnementaux pour contribuer à améliorer la qualité de la vie de leurs concitoyens. La société de l’Amérique centrale a besoin de cadres modernes et entreprenants, ayant de l’initiative et une approche très pragmatique de la résolution des problèmes.

Une alliance des institutions d’enseignement forestier d’Amérique centrale qui conduirait à un échange rationnel, continu et durable d’expériences universitaires est une nécessité impérieuse qui ne peut plus être différée.

Il est crucial d’investir dans l’éducation forestière pour garantir un accès aux technologies et aux informations les plus récentes, afin de produire le type de professionnels dont a aujourd’hui besoin l’Amérique centrale. Les cadres forestiers en service doivent avoir des opportunités de se recycler de façon à pouvoir rester au niveau des normes actuelles en matière d’excellence professionnelle.

Recommandations pour parvenir à l’excellence dans la formation professionnelle en foresterie en Amérique centrale

Amélioration des cours et des programmes d’études
Examen périodique du contenu des cours
Examen approfondi des méthodes d’enseignement et d’apprentissage
Harmonisation des programmes d’études par rapport au contexte actuel
Mise en place d’un système de cours de formation et de recyclage pour les enseignants, comprenant des échanges
Introduction, renforcement et utilisation appropriée de stratégies d’enseignement virtuel
Possibilité de suivre régulièrement des cours sur des matières à option

Normalisation des programmes
Mise au point d’un processus d’évaluation et d’accréditation efficace
Normalisation des programmes d’enseignement des différents centres de formation
Conception de manuels à distribuer dans toute la région (comme a commencé à le faire CATIE dans le cadre de son projet Tranforma, qui visait à élever le niveau d’instruction forestière au niveau universitaire dans la sous-région, en partie grâce à la distribution de guides à l’usage des enseignants)
Etablissement d’un système de titres et de diplômes clair et cohérent au niveau sous-régional

Améliorer les liens avec le monde professionnel
Renforcement de la formation pratique des futurs cadres forestiers
Etablissement d’un système permanent d’échanges d’informations entre les diplômés et les employeurs potentiels
Etablissement de liens entre les écoles forestières, les institutions publiques et privées et les organisations non gouvernementales (ONG)
Mise au point de stratégies pour réduire le chômage de forestiers qualifiés, en particulier parmi les femmes, qui tendent actuellement à être écartées
Enseignement de la déontologie pour défendre la profession contre la corruption et d’autres écueils qui menacent sa dignité

Des stratégies doivent être mises en place pour créer de nouveaux emplois pour les femmes,
dans le secteur forestier

F. Rojas

Bibliographie

FAO. 2001. Situation des forêts du monde 2001. Rome.

Musálem, M. et Cozzi, V. 1993. Los centros de formación de recursos humanos forestales en Centro América. Revista Forestal Centroamericana, 2: 19-23.

Reyes C., R. 1991. Fortalecimiento a la formación de recursos humanos forestales para la Región Centroamericana. Dans Action Plan for Central American Forestry. Tegucigalpa, Honduras, Agence canadienne de développement international.

Rojas, F. 2000. El recurso forestal profesional centroamericano. Présenté au 4e Congrès forestier pour l’Amérique centrale, Montelimar, Nicaragua, novembre 2000.

Rojas, F. et Galloway, G. 1999. La formación forestal universitaria en Centroamérica. CATIE: Revista Forestal Centroamericana , 28: 37-41.

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