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3. FINANCEMENT DE LA DÉCENTRALISATION


3.1 Les fonctions fiscales des gouvernements centraux et locaux sont généralement analysées sur la base des responsabilités et des rôles respectifs de ces instances quant à la redistribution du revenu, aux provisions pour dépenses, à l’affectation des impôts et aux transferts d’impôt. Certaines questions concernant l’ampleur de la centralisation et de la décentralisation sont cruciales lorsque l’on considère le problème du financement intergouvernemental. Quel niveau de gouvernement sera responsable de la fourniture de services spécifiques? Comment ces services seront-ils financés? Ces questions sont examinées dans le présent chapitre.

Financement intergouvernemental

3.2 Les considérations distributives et macroéconomiques militent généralement contre les extrêmes dont l’un attribue la totalité ou la plus grande partie des pouvoirs d’imposition aux collectivités locales et l’autre confère au contraire ces pouvoirs à l’État central. L’option la plus fréquemment observée dans les pays du monde entier est celle qui attribue des sources de recettes comme les impôts à chaque niveau de gouvernement, en association avec divers types de transferts intergouvernementaux pour combler d’éventuels écarts entre les dépenses et les recettes de provenance locale.

3.3 Il n’existe pas de solution universellement acceptée quant à la façon dont la décentralisation et les investissements des collectivités locales devraient être financés. D’après l’expérience d’un grand nombre de pays, il semble que le premier pas doive être celui d’assurer, dès le commencement du processus de décentralisation, la meilleure concordance possible entre les transferts de recettes et les dépenses relatives à la prestation de services. Cela signifie que la décentralisation devrait être une dévolution fiscalement neutre de responsabilités. Pour atteindre la neutralité fiscale, il conviendra de procéder à une estimation du coût total des services qui doivent être confiés aux collectivités locales. Ces estimations devraient servir de base pour un accord concernant la combinaison des services et des recettes qui seront finalement transférés.

3.4 La façon la plus directe de financer l’infrastructure et de soutenir la décentralisation consiste à transférer aux collectivités locales à la fois la responsabilité de fournir les services et la capacité de produire des recettes fiscales. Dans les pays en développement, les gouvernements centraux et locaux ont toutefois été nombreux à opposer une résistance à une telle approche. D’un côté, l’État central rechigne à abandonner le contrôle des principaux impôts nationaux car cela signifie perdre la tutelle du volet recettes du budget national. De l’autre, la plupart des collectivités locales ne sont pas particulièrement désireuses d’assumer les principales responsabilités d’une administration fiscale et ne veulent pas lever des impôts locaux tout simplement parce qu’elles n’ont pas la capacité de les administrer. Toutefois, beaucoup peut être fait pour renforcer les capacités au niveau local et permettre ainsi aux pouvoirs locaux d’assurer l’évaluation et le recouvrement des impôts locaux sous la supervision réglementaire de l’État central.

3.5 Une stratégie adoptée par de nombreux pays consiste à essayer de renforcer les collectivités locales en leur confiant davantage de responsabilités quant aux services qu’elles sont appelées à fournir. Cela peut sembler favoriser la constitution de pouvoirs locaux plus indépendants, mais en réalité les collectivités locales ne seront pas en mesure d’exercer leurs nouveaux pouvoirs sans un financement adéquat. L’attribution aux instances locales de pouvoirs de dépense supérieurs à leur capacité de financement à partir de leurs propres sources de revenu fiscal, détermine un déséquilibre entre les fonctions et les financements. Cette discordance, dite «déséquilibre vertical», rend les collectivités locales fortement tributaires des transferts de l’État central. Aussi est-il essentiel que ceux qui déterminent les responsabilités des collectivités locales, soient bien conscients des sources de recettes qui seront nécessaires pour les financer.

3.6 Un autre problème qui est au coeur des financements intergouvernementaux dans bien des pays, est celui de l’existence d’un «équilibre horizontal». Cette situation se présente lorsque les collectivités locales ne sont pas égales en termes de population, d’extension géographique, de niveau d’urbanisation et de revenu par habitant. L’élaboration de programmes de décentralisation fiscale et de péréquation pour faire face à cette réalité complexe, constitue un défi majeur.

La nécessité d’une autonomie fiscale des collectivités locales

3.7 La décentralisation sera sans doute plus efficace si le gouvernement local est à même de produire localement une partie relativement importante de ses recettes fiscales. Si le transfert des responsabilités de l’État central n’est pas assorti de la capacité de financer l’exercice de ces responsabilités, la décentralisation mise en oeuvre risque d’être en grande partie fictive. Dans ce cas, les collectivités locales tendront à rester excessivement tributaires, pour leur financement, de la bonne volonté de l’État central. Étant donné que ce dernier fixe les règles et réserve normalement pour son propre usage les impôts les plus rémunérateurs, les collectivités locales n’ont en général pas accès aux recettes et aux sources de revenu fiscal qui les libèreraient véritablement de leur dépendance à l’égard des transferts. Les transferts intergouvernementaux sont essentiels pour les pouvoirs locaux, mais ils ne devraient pas être utilisés pour empêcher ces derniers d’atteindre un niveau d’indépendance adéquat. Sans une source suffisante de recettes fiscales sous le contrôle du gouvernement local, il n’est pas possible d’atteindre un niveau satisfaisant d’autonomie fiscale.

ENCADRÉ 3
AVANTAGES DES SOURCES LOCALES
DE RECETTES FISCALES

Les raisons pour lesquelles les recettes fiscales des pouvoirs locaux devraient provenir de sources locales sont les suivantes:

  • Les impôts locaux sont nécessaires pour qu’une collectivité locale puisse diversifier la quantité et la qualité de ses services en fonction des préférences locales.

  • Si une collectivité locale est tributaire des subventions, une utilisation inefficace des fonds de la part les responsables politiques locaux peut être à craindre.

  • Il tend à y avoir une meilleure reddition de comptes pour les fonds perçus localement que pour les transferts fiscaux en provenance de l’État central.

  • Les subventions de l’État central s’accompagnent souvent de conditions précises et de contraintes concernant leur utilisation.

3.8 Les collectivités locales devraient être en mesure de collecter des recettes fiscales pour financer les coûts des services proposés, auprès des bénéficiaires de ces services. La relation entre les bénéficiaires et les contribuables est pertinente du point de vue des finances publiques: les services publics devraient être définis par le groupe bénéficiaire qui devrait également en couvrir les coûts. C’est-à-dire que le modèle fiscal idéal est basé sur une «taxation proportionnelle aux avantages» quant à la fonction de répartition. Les recettes de provenance locale qui sont dépensées localement au profit des contribuables locaux, illustrent clairement le lien direct de l’impôt avec les avantages tirés par l’ensemble de la communauté. Cela signifie que les citoyens locaux devraient payer des impôts plus élevés s’ils souhaitent bénéficier de meilleurs services ou si le gouvernement local est inefficace. Cela donne de bonnes motivations aux citoyens locaux en période électorale. Un niveau de taxation élevé prive également les pouvoirs locaux de l’excuse du manque de fonds de la part de l’État central en cas de défaillance dans la délivrance de services locaux.

3.9 Dans la pratique, il existe des variations importantes dans la proportion des ressources produites localement, ou sur lesquelles le gouvernement local a un véritable pouvoir décisionnel. Cette proportion est difficile à établir car il faut pour cela évaluer l’importance et la nature des transferts gouvernementaux, ainsi que le degré d’autonomie réel des pouvoirs locaux dans l’établissement du niveau de ressources (fiscales et non fiscales) produites localement. Il est toutefois largement reconnu que l’autonomie des collectivités locales est encore faible dans les pays en développement par rapport aux pratiques enregistrées dans d’autres pays. L’avantage d’une augmentation des impôts locaux par rapport au renforcement des arrangements sur le partage des recettes fiscales est que le contrôle d’une «taxation locale» renforce la responsabilité à l’égard des citoyens. Cela se répercute d’une manière positive sur le comportement de la population et des collectivités locales.

Sources de recettes fiscales possibles pour les collectivités locales

3.10 La composition des recettes varie considérablement d’un pays à l’autre, mais les principaux types de revenu fiscal des collectivités locales sont généralement les suivants:

3.11 Les redevances de services constituent une source de recettes importante, surtout si les collectivités locales sont considérées principalement comme des fournisseurs de service. Ce point de vue est en partie en concordance avec le concept de la décentralisation de certaines responsabilités au niveau local sur la base de critères d’efficacité concernant l’affectation des ressources. De tels services pourraient donc être financés par le biais d’un système de redevances.

3.12 Les subventions de l’État central sont un facteur clé. Bien qu’en diminution, les subventions continuent néanmoins de représenter une source importante de recettes pour les collectivités locales. Dans certains pays, les budgets locaux sont constitués à hauteur de 50 pour cent ou plus, de transferts en provenance de l’État central. Les subventions resteront importantes du fait de l’étendue des nouvelles responsabilités des pouvoirs locaux et du niveau généralement insuffisant des sources locales de recettes. Normalement, les subventions ne devraient représenter qu’une partie des recettes locales car les gouvernements locaux sont en général davantage responsables des revenus qu’ils perçoivent directement et parce que les contribuables parviennent mieux à établir un lien entre les services publics reçus et les taxes à payer s’ils émanent tous deux d’une même autorité.

3.13 Le partage automatique des recettes fiscales nationales (ou régionales) avec les collectivités locales est considéré comme une solution pour financer la décentralisation dans de nombreux pays. Cette approche permet aux autorités centrales de maintenir le contrôle des taux d’imposition et de l’administration de l’impôt, tout en assurant parallèlement aux instances locales la réception d’un volume plus important de recettes fiscales. Toutefois, le partage automatique des recettes ne fournit pas toujours une base stable pour le financement de la décentralisation et des projets d’infrastructure locaux. Lorsque l’État central conserve le pouvoir d’ajuster chaque année la part des impôts levés au niveau central, les collectivités locales restent dans une profonde incertitude quant à leurs recettes fiscales, de sorte qu’il leur est alors difficile de procéder à une budgétisation et à une planification anticipées des immobilisations.

3.14 Les taux d’imposition du revenu ont augmenté au cours des deux siècles derniers, notamment en temps de guerre, jusqu’à atteindre des niveaux records dans les années 80. Depuis, les taux d’imposition des particuliers, surtout dans les tranches supérieures de revenu, ont diminué. Les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montrent que, dans les pays membres, la part de l’impôt sur le revenu des particuliers en pourcentage des recettes fiscales est passée de 30 pour cent en 1975 à 27 pour cent en 1998. Les pressions démocratiques et économiques empêcheront probablement toute modification importante de la situation actuelle.

3.15 Les impôts sur les sociétés étaient autrefois considérés comme une cible aisée de prélèvement fiscal. Peu de voix risquaient en effet d’être perdues en augmentant l’impôt sur les sociétés. Les choses ont changé aujourd’hui en raison de l’intense concurrence internationale qui s’exerce pour attirer les entreprises vers des sites nationaux ou régionaux. Le niveau de l’impôt sur le revenu des sociétés joue un rôle important dans les décisions prises par les multinationales quant à la localisation de leurs activités. Un obstacle substantiel empêche donc les gouvernements centraux d’augmenter les taux d’imposition des sociétés aux niveaux précédents.

3.16 Les cotisations sociales ont eu tendance à augmenter face à l’accroissement des prestations sociales et elles représentant aujourd’hui en moyenne 25 pour cent de la part des recettes fiscales dans les pays de l’OCDE.

3.17 Les taxes à la consommation en tant que source de recettes fiscales sont restées constantes en moyenne par rapport aux autres impôts dans les pays de l’OCDE, mais l’accent est mis aujourd’hui sur les taxes sur la valeur ajoutée. Il existe des contraintes d’ordre économique, concurrentiel et démocratique dont les gouvernements doivent tenir compte lorsqu’ils envisagent d’élever le taux des taxes à la consommation.

3.18 Les impôts fonciers font apparaître des variations importantes dans la contribution des taxes sur la propriété aux recettes fiscales totales. Si les impôts sur la fortune et certaines autres taxes sont compris dans la définition, les impôts fonciers représentent alors plus de 10 pour cent du total au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada et au Japon. Dans les siècles précédents, les taxes sur la propriété constituaient la principale source de recettes fiscales au niveau national et local. L’importance relative des taxes foncières a toutefois marqué un fléchissement sur le long terme et ces impôts représentent aujourd’hui environ cinq pour cent du revenu fiscal dans les pays de l’OCDE. Quoi qu’il en soit, l’importance de l’impôt foncier n’est pas en rapport avec l’assiette fiscale nationale, mais plutôt avec celle des gouvernements locaux.

Impôts locaux

3.19 Les possibilités de choix d’un bon impôt pour les collectivités locales sont limitées par rapport à celles qui s’offrent aux gouvernements centraux ou même régionaux. Cela est dû au fait que les niveaux supérieurs de gouvernement sont plus vastes, qu’ils couvrent des juridictions comprenant des populations plus nombreuses et qu’ils ont une meilleure capacité d’administration de l’impôt. Un certain nombre de conditions doivent être réunies pour qu’une taxe puisse constituer une «taxation locale» adéquate:

3.20 D’après la classification de l’OCDE, l’ampleur de l’autonomie fiscale d’une collectivité locale devrait être mesurée sur la base de deux critères: la liberté de déterminer l’assiette fiscale et celle d’établir le taux d’imposition (l’assiette fiscale est la valeur collective des biens fonciers imposables, tandis que le taux d’imposition est le pourcentage de la valeur d’un bien foncier qui est versé sous forme de taxe). La classification ci-après des recettes fiscales propres et partagées a été élaborée par l’OCDE, en fonction du degré d’autonomie fiscale locale:

Étant donné qu’en général les impôts locaux représentent la principale source de recettes propres pour les collectivités locales, la capacité d’influer sur l’assiette fiscale, sur le taux d’imposition et sur les recettes produites est une condition très importante. Une telle capacité permet aux pouvoirs locaux d’adapter la prestation de services à leurs conditions financières.

3.21 Une bonne pratique consiste à éviter tout conflit d’intérêts. Les procédures d’établissement de l’assiette fiscale et du taux d’imposition devraient être menées séparément et d’une façon indépendante. L’établissement de l’assiette fiscale est confié à des experts en évaluation qui pourront être appelés à en rendre compte par le biais d’une procédure d’appel. Établir le taux d’imposition est d’ordinaire la prérogative des responsables politiques élus. Une telle répartition des responsabilités devrait intervenir même si les deux procédures d’établissement de l’assiette fiscale et du taux d’imposition sont conduites au même niveau de gouvernement. Le conflit d’intérêts peut également être évité en faisant en sorte que les procédures relèvent de différents niveaux de gouvernement. Par exemple, lorsque les sources locales de recettes sont limitées, les collectivités locales pourraient être tentées d’élargir l’assiette fiscale pour accroître leur revenu, ou bien des personnalités locales influentes pourraient faire pression pour pouvoir bénéficier d’un allègement fiscal. Dans ces cas, les évaluateurs de l’État central pourraient fournir une évaluation plus objective de l’assiette fiscale.

3.22 Il existe une vaste documentation concernant les critères à suivre pour avoir de bons impôts locaux et il est possible d’évaluer chacune des taxes possibles sur la base de ces critères, pour en mesurer l’efficacité. Bien qu’un tel exercice puisse être utile, il a cependant des limites dans une certaine mesure car l’impôt local parfait n’existe pas. Certains impôts locaux sont toutefois considérés à l’échelon international comme étant particulièrement satisfaisants. Les taxes locales les plus communes sont les impôts fonciers, les impôts sur le revenu et les taxes sur les ventes. Peu de pays ont levé d’autres impôts locaux générateurs de recettes fiscales importantes.

3.23 L’impôt foncier est une taxe locale efficace car de par la nature même de la propriété foncière, il est relativement simple pour les collectivités locales d’identifier les contribuables et de recouvrer les impôts. Les taxes sur la propriété sont généralement moins intéressantes pour l’État central parce que les recettes qu’elles génèrent sont d’ordinaire bien inférieures à celles de l’impôt sur le revenu, sur les ventes ou sur les sociétés. D’autre part, l’impôt foncier n’est en général pas considéré comme un instrument pour les politiques sociales et économiques de plus grande envergure qui tendent à être du ressort de l’État central.

Taxe sur la propriété rurale

3.24 L’impôt foncier constitue peut être une bonne source locale de recettes fiscales, relativement prévisible, stable et sans effet de distorsion quant à son impact sur les décisions économiques. Bien entendu, un impôt sur la propriété ne devrait pas être considéré isolément mais en relation avec d’autres taxes locales et nationales. Le régime fiscal d’un pays est asservi aux objectifs sociaux et économiques nationaux. Les analyses détaillées requises pour la conception ou l’administration de tout impôt des particuliers ne doivent pas empêcher une perspective élargie, reposant sur la connaissance de l’histoire et sur l’expérience internationale.

3.25 L’impôt foncier est une taxe annuelle sur les biens immobiliers. Il s’agit généralement, mais pas toujours, d’une taxe locale. Cet impôt est le plus souvent fondé sur le concept de valeur marchande. La base d’imposition peut être la terre seule, la terre et les bâtiments, ou bien diverses combinaisons de ces facteurs. Aux fins du présent guide, l’impôt foncier est circonscrit aux taxes annuelles et ne comprend ni les impôts annuels sur la fortune, ni les taxes ponctuelles sur les transferts et sur les gains en capital réalisés.

3.26 La taxe sur la propriété rurale est généralement appliquée aux propriétés commerciales, industrielles et résidentielles situées en milieu rural, ainsiqu’aux terres et aux bâtiments agricoles. Le recours à l’impôt sur la propriété rurale n’est pas exceptionnel. Dans le monde entier, de nombreux pays lèvent des impôts sur les terres agricoles et autres propriétés rurales. Cet impôt n’est pas nouveau non plus. Il existe depuis au moins trois mille ans. Ses avantages et ses inconvénients sont bien connus et peut-être mieux compris que ceux des autres taxes.

3.27 De nombreux pays en développement tendent à se concentrer, du moins initialement, sur la taxation des propriétés urbaines, car il s’agit généralement de biens de plus grande valeur. Et lorsque les terres agricoles et forestières sont imposables, les taux d’imposition sont d’ordinaire relativement faibles par rapport à ceux des terres en milieu urbain. Toutefois, la prise en compte de la propriété rurale à des fins d’imposition dans les pays en développement devrait être considérée comme une importante orientation stratégique pour un élargissement maximal de l’assiette fiscale. Une base d’imposition ainsi élargie offre l’une des rares sources de recettes fiscales stables dont peuvent disposer les collectivités locales rurales.

3.28 L’impôt foncier présente des avantages clairs, notamment les suivants:

3.29 Les inconvénients de l’impôt foncier sont moins évidents que ses avantages. Cet impôt n’est pas parfait et il est souvent impopulaire; toutefois, il ne faut pas oublier qu’il n’existe pas de taxe parfaite et que les impôts ne sont jamais populaires.

3.30 Certains des avantages recèlent des inconvénients cachés. La transparence de l’impôt peut révéler d’éventuelles discordances que l’opinion publique pourrait percevoir d’une manière amplifiée. Ces discordances se situeront aussi bien au niveau des cotisations établies (incohérences inévitables dans un rôle d’évaluation foncière pouvant porter sur des milliers, voire des centaines de milliers de biens immobiliers) qu’à celui de la capacité contributive. D’autres taxes, comme l’impôt sur le revenu, sont beaucoup moins convergentes dans la pratique, mais le public ne connaît que la façon dont l’impôt devrait fonctionner et non comment il est appliqué en réalité. La confidentialité masque les résultats réels. Avec l’impôt foncier, le public voit toutes les imperfections du régime fiscal. De la même façon, la difficulté d’échapper à l’impôt sur la propriété peut le rendre impopulaire. Cela est le cas notamment dans les sociétés où les riches et les puissants ont coutume de manipuler le système d’imposition à leur propre avantage. Ces personnes tendent à se faire entendre et à être particulièrement influentes sur le plan politique, et elles peuvent donc contester ou entraver le fonctionnement équitable de l’impôt à ce niveau.

3.31 Il y a également un inconvénient plus subtil et moins bien compris. Dans certaines circonstances, l’impôt foncier peut constituer une «représentation sans taxation» pour un vaste segment de la population. Au suffrage universel, tous les électeurs ne seront pas soumis à l’impôt sur la propriété. Si les noncontribuables sont bien plus nombreux que ceux qui sont imposables, le lien entre la démocratie et la taxation au niveau local pourra s’en ressentir. Ces effets négatifs seront amplifiés si l’impôt foncier constitue le seul revenu fiscal local sur lequel les pouvoirs locaux exercent un contrôle. Dans ce cas, une augmentation même modeste des recettes fiscales totales peut exiger une hausse importante des impôts fonciers du fait du nombre restreint des contribuables.

3.32 Il existe également le problème de donner un caractère «dynamique» à la taxe sur la propriété. Il s’agit de favoriser la progression des recettes fiscales et, dans le cas de l’impôt foncier, cet accroissement relève de deux mécanismes. Le premier est celui de la réévaluation périodique des biens immobiliers; en périodes de hausse des valeurs du marché, une telle réévaluation donne lieu à un accroissement de l’assiette fiscale. Le second consiste à relever le taux d’imposition afin d’obtenir les recettes voulues. Ces deux mécanismes ont un caractère éminemment politique. Théoriquement, l’un et l’autre pourraient être facteur de dynamisme. Il est techniquement possible d’augmenter le taux d’imposition sur la base d’un rôle foncier périmé. Toutefois, l’expérience de nombreux pays montre que l’opinion publique ne comprend et n’accepte pas un rôle d’évaluation foncière non mis à jour. On enregistre toujours une résistance aux réévaluations et moins le rôle foncier est à jour et plus cette résistance est forte. Dans bien des pays, le principal facteur de la baisse de rendement des taxes foncières est l’absence de réévaluations périodiques.

3.33 Les difficultés de mise en oeuvre ne devraient pas être sous-estimées. Bien qu’il soit possible de les surmonter, les problèmes techniques peuvent entraver l’avancement du processus, surtout aux premiers stades de la mise en oeuvre. Ces facteurs techniques sont notamment les suivants:

3.34 S’ils représentent pour les collectivités locales une source majeure de recettes fiscales, les impôts fonciers peuvent également soutenir d’autres fonctions gouvernementales. Les rôles d’évaluation établis pour les pouvoirs locaux peuvent être utilisés par d’autres instances, notamment par celles que l’on pourrait appeler des organes à «fonction unique» comme les offices des eaux. Les redevances d’eau sont parfois calculées sur la base de la valeur fiscale des biens immobiliers telle qu’elle ressort du relevé cadastral. De telles procédures sont particulièrement efficaces en termes de coût et peuvent avoir une corrélation raisonnable avec l’utilisation de l’eau dans de nombreux cas (bien qu’il arrive que des propriétés commerciales et industrielles aient une faible consommation d’eau malgré une valeur fiscale relativement élevée). Les offices du drainage peuvent également être financés par des redevances liées au rôle d’évaluation, ce qui présente des avantages par rapport à des redevances calculées uniquement sur la base de la surface des biens immobiliers.

3.35 Les avantages de l’impôt sur la propriété foncière rurale seront presque toujours locaux, plutôt que nationaux. Il apparaîtra clairement que, dans la quasi-totalité des pays, l’extension de l’impôt foncier aux zones rurales aura un impact limité sur le total des recettes fiscales nationales. L’assiette fiscale rurale est généralement bien plus réduite que celle de l’économie urbaine. La capitale et deux ou trois grandes villes produisent bien souvent une grande partie du PIB d’un pays. L’importance relative du PIB régional constitue une bonne indication de l’ampleur de l’assiette fiscale. Ainsi, par exemple, si un impôt foncier renforcé étendu à l’ensemble du pays a la capacité potentielle de produire 10 pour cent des recettes fiscales totales, la contribution des zones rurales à cet impôt en revanche ne dépassera probablement pas 20 pour cent. Dans de telles circonstances, l’assiette fiscale rurale ne représente que deux pour cent du total national et peut être proportionnellement plus onéreuse à administrer.

3.36 Dans la plupart des cas, les chiffres indicatifs ci-dessus surestiment le rendement potentiel des zones rurales. Toutefois, cela ne diminue pas l’importance d’un impôt foncier rural. Cet impôt constitue un élément fondamental de la décentralisation. Ce n’est pas tant sa contribution à l’assiette fiscale nationale qui importe, mais plutôt son importance au regard des recettes dont dispose le gouvernement local, surtout de celles produites localement. Voilà pourquoi l’impôt foncier est un instrument décisif pour l’amélioration des conditions de vie en milieu rural.

ENCADRÉ 4
L’EXAMEN DES IMPÔTS FONCIERS

Les facteurs suivants peuvent inciter les pouvoirs publics à envisager soit l’introduction d’une taxe foncière là où un tel impôt fait défaut, soit un examen de l’appareil administratif en vue d’en renforcer l’efficacité.

Les perspectives d’accroissement du rendement: si de nombreux impôts atteignent désormais les limites maximales imposées par les facteurs économiques, la concurrence internationale ou l’acceptation du public, en revanche une amélioration du rendement des taxes foncières est possible dans la plupart des pays. Les exemples d’impôts fonciers produisant un rendement supérieur à 12 pour cent des recettes fiscales totales sont rares et telle peut être la limite d’acceptation du public. Dans la plupart des pays, les taxes sur la propriété se situent bien en dessous de ce plafond théorique.

L’ampleur relativement limitée de l’assiette fiscale rurale: l’assiette fiscale rurale sera toujours réduite par rapport à la base d’imposition urbaine. Dans les zones rurales, l’impôt foncier revêt une importance essentiellement locale. Ses avantages pour l’économie nationale sont indirects.

L’importance de la taxe au-delà de son ampleur relative: L’importance d’un impôt foncier appliqué aux zones rurales est supérieure en termes politiques à celle que l’on pourrait attendre au vu de son rendement strict. En tant que fondement de l’autonomie locale et moyen de financement pour certaines instances à fonction unique, l’introduction d’un impôt foncier est souvent pleinement justifiée.

La viabilité administrative de l’impôt foncier: L’application étendue de l’impôt foncier et l’expérience acquise dans ce domaine montrent qu’avec une volonté politique suffisante, il n’existe pas d’obstacles techniques ou administratifs insurmontables à l’introduction d’une taxe sur la propriété.

La volonté politique: Tous les impôts exigent une détermination politique et l’acceptation du public. Du fait de la transparence de l’impôt foncier, toute introduction subreptice s’avère impossible. La volonté politique est donc essentielle. En cas d’incertitudes politiques substantielles, envisager l’introduction d’un impôt foncier ne serait qu’une perte de temps et d’argent.


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