Quelle que soit son espèce, un poisson correctement réfrigéré restera frais plus longtemps qu'un autre poisson n'ayant fait l'objet d'aucune forme de préservation. Les techniques du froid, notamment le recours à la glace, prolongent donc effectivement la durée possible des sorties de pêche et permettent d'intensifier la capture, d'où une amélioration des retombées économiques pour le navire et son équipage. Les produits présentés à la vente dans un bon état de conservation se vendent généralement plus chers, que ce soit en gros ou au détail, ce qui permet de mieux rentabiliser les opérations de pêche.
Il s'ensuit que les bateaux de pêche, quels que soient leur taille ou leur type, gagneraient à utiliser de la glace pour préserver leurs prises. Dans la pratique, les choses ne sont toutefois pas si simples. Sur les petites embarcations, telles que les radeaux et les petites pirogues monoxyles, il n'y a pas assez de place pour entreposer la glace. Le problème se pose peu dans la mesure où ces petites embarcations ne pêchent en général que pendant quelques heures, et que le poisson est vendu ou consommé le jour même. Les pêcheurs sont conscients des problèmes liés à la détérioration des captures et les protègent souvent avec des sacs de toile mouillés ou des feuilles de cocotier qui abaissent la température et retardent l'altération du poisson.
Les bateaux de plus grande taille qui peuvent consacrer un ou plusieurs jours à la pêche ont tout intérêt à utiliser une forme ou un autre de préservation des captures à bord, par exemple de la glace ou de l'eau de mer refroidie à la glace (EMRG). C'est notamment le cas des bateaux de pêche artisanale, tels que les grandes pirogues, les bateaux hors bord et les bateaux de pêche de moins de 20 mètres à moteur intérieur.
Etant donné la demande croissante de poisson frais de qualité, la mondialisation des marchés et la prise de conscience des pêcheurs, l'utilisation de la glace à bord des bateaux de pêche se généralise. En conséquence, il faut s'assurer que la glace est utilisée efficacement. La production de glace consomme beaucoup d'énergie et il faut donc éviter les pertes. Le moyen le plus économique pour réduire les pertes à bord est d'utiliser un bon système de stockage, par exemple des caisses bien isolées, des conteneurs et des cales à poisson isothermes où la glace est entreposée et utilisée pour préserver les captures.
Sur les petites embarcations, on utilise souvent des caisses isothermes portables, fabriquées à partir de matériaux divers, pour transporter la glace jusqu'aux lieux de pêche. Les prises sont ensuite recouvertes de glace en quantité suffisante, jusqu'à épuisement de la glace ou de l'espace disponible pour stocker le poisson. Les bateaux de plus grande taille peuvent transporter davantage de glace, ce qui leur permet d'entreprendre de plus longues sorties, d'où une meilleure rentabilité des opérations de pêche pour le bateau et l'équipage.
Du fait des progrès de l'industrie du froid, et en particulier de l'apparition de machines à glace compactes et relativement légères que l'on peut installer à bord, on peut désormais équiper d'assez petits bateaux de machines à glace de divers types. Pour ces bateaux, c'est une source d'indépendance, la longueur de la sortie de pêche n'étant plus limitée par la quantité de glace chargée au port, ni par sa durée de conservation dans la cale à poisson.
Les avantages de la glace sont évidents pour de nombreuses opérations de pêche, de petite ou grande envergure, et pour la quasi-totalité des espèces. En effet, la glace améliore la qualité et la valeur des prises de presque toutes les espèces de poisson. Elle favorise donc l'exploitation durable de ces ressources renouvelables car les bateaux peuvent préserver leurs captures pendant plus longtemps et donc réduire les pertes en aval de la pêche.
Cette publication porte plus particulièrement sur la réfrigération des prises durant les opérations de pêche. Il existe cependant d'autres moyens de préserver le poisson et qui permettent de le conserver assez longtemps avant sa mise en vente. La congélation est l'une des méthodes étroitement liées à la réfrigération. De nombreux facteurs doivent être pris en compte pour choisir entre la réfrigération et la congélation des produits de la pêche destinés à divers marchés. Ces deux techniques permettent de stabiliser les produits et la décision sera fonction de ces nombreux facteurs.
Le Tableau 1.1 énumère certains des avantages et des inconvénients que présentent ces deux méthodes. Il peut aider à sélectionner l'option la mieux adaptée dans une situation donnée.
Les techniques visant l'abaissement de la température sont très largement utilisées dans le monde entier pour préserver le poisson et les produits de la pêche destinés aux marchés locaux et à l'exportation. Cette publication porte spécifiquement sur l'utilisation et les propriétés de la glace utilisée à bord des bateaux de pêche artisanale pour la conservation des captures.
Aux fins de cette publication, le terme «réfrigération» est défini comme suit:
La réfrigération est le processus permettant de refroidir le poisson ou les produits de la pêche pour les amener à une température proche de celle de la glace en fusion.
La réfrigération a pour but de prolonger la durée de vie du poisson en ralentissant l'action des enzymes et des bactéries ainsi que les processus physico-chimiques qui altèrent sa qualité. Le poisson frais est une denrée hautement périssable qui se dégrade très rapidement à température normale. En abaissant la température à laquelle le poisson est conservé, on réduit le taux d'altération. La réfrigération fait chuter la température à celle de la glace en fusion, soit 0 °C ou 32 °F.
TABLEAU 1.1
Avantages et inconvénients respectifs
de la réfrigération et de la congélation
Réfrigération |
Congélation |
Stockage de courte durée (au maximum un mois pour certaines espèces, quelques jours seulement pour d'autres) |
Stockage de longue durée (un an ou plus pour certaines espèces) |
Température de stockage: 0 °C |
Température de stockage très basse, par exemple -30 °C |
Coût relativement faible |
Coût assez élevé |
Le produit conserve l'apparence du poisson frais |
Si la congélation est mal faite, la qualité peut sérieusement s'en ressentir |
Technologie relativement simple |
Technologie relativement complexe |
Technologie peu spécialisée |
Exige de grandes compétences |
Equipements portables |
Installations généralement fixes |
La méthode de réfrigération la plus commune repose sur l'utilisation de la glace. On a aussi recours à l'eau froide, aux coulis de glace (d'eau douce et d'eau salée) et à l'eau de mer réfrigérée (EMR). Pour que la réfrigération soit pleinement efficace, il est essentiel de maintenir la température de réfrigération durant toutes les phases de manutention du poisson.
Bien que le glaçage permette de préserver le poisson pendant un certain temps, la durée de conservation reste relativement brève par rapport aux résultats obtenus, par exemple, par la congélation, la mise en conserve, le salage ou le séchage. Un bon glaçage permet de garder le poisson frais et présentable jusqu'à sa mise en vente.
L'utilisation de la glace pour préserver le poisson et les produits de la pêche à bord des navires de pêche s'est avérée efficace pour les raisons suivantes:
On peut acheter de la glace dans de nombreux ports ou localités de pêche.
Les achats peuvent être effectués en fonction des besoins (on trouve souvent des blocs de glace de tailles différentes ainsi que de la glace broyée plus ou moins finement, vendue au poids).
La glace a un très fort pouvoir réfrigérant.
Elle permet de maintenir des températures très précises.
Elle conserve l'humidité du poisson et le débarrasse des bactéries en fondant.
Elle peut être transportée d'un endroit à un autre et ses propriétés réfrigérantes peuvent être amenées là où on en a besoin.
Enfin, elle peut être fabriquée à terre et utilisée en mer.
Il demeure que le conditionnement du poisson sous glace à bord des petits bateaux de pêche - que ce soit en caisses, sur des étagères ou dans des parcs - requiert une main-d'uvre importante, et d'autres méthodes ont été mises au point pour réduire le temps et la main-d'uvre nécessaires. Les plus fréquentes sont l'eau de mer refroidie à la glace (EMRG) et l'eau de mer réfrigérée (EMR). L'EMR qui nécessite peu de personnel et constitue une bonne méthode de réfrigération exige cependant de disposer à bord d'équipements de réfrigération, de pompage et de filtrage. C'est également un système relativement coûteux. La méthode EMRG consiste à embarquer suffisamment de glace pour la sortie de pêche, et à la mélanger à de l'eau de mer pour obtenir un coulis de glace dans lequel on dépose le poisson.
Ces deux méthodes offrent une réfrigération rapide, limitent les meurtrissures du poisson et permettent une manutention plus rapide avec moins de main-d'uvre. Elles exigent cependant de disposer d'installations spécialisées à bord, et ne conviennent généralement que lorsque des quantités importantes de poisson doivent être manipulées en peu de temps, comme c'est le cas des petits poissons pélagiques ramenés capturés par les senneurs.
On trouvera à la Figure 1.1. une comparaison des profils de température types d'un poisson entier de taille moyenne réfrigéré dans de la glace pilée, de l'EMR et du coulis de glace. Selon ces données, la réfrigération la plus rapide et la plus efficace est obtenue avec le coulis de glace, suivi de l'EMR. La glace fournit le taux de réfrigération le plus lent en raison du moindre contact entre la glace et le poisson (une couche d'air se forme autour du poisson lorsque la glace fond). Pour obtenir le maximum de contact entre la glace et le poisson, il faut sélectionner des particules de glace de taille adéquate et de bonnes pratiques d'entreposage. Le taux de réfrigération est fonction des facteurs suivants:
la taille des particules de glace.
FIGURE 1.1 |
Les principaux facteurs qui influencent le taux d'altération du poisson sont:
les facteurs intrinsèques.
Il est bien connu que les températures élevées accélèrent la dégradation du poisson qui est au contraire ralentie à basse température. En conséquence, si le poisson frais est conservé à faible température, la déperdition de qualité est lente. Plus vite on atteint une basse température lors de la réfrigération du poisson, plus on inhibe efficacement le phénomène d'altération. En règle générale, la vitesse à laquelle un poisson se dégrade quand il est conservé sous glace (0 °C) est utilisée comme base de comparaison pour déterminer la durée de conservation à différentes températures de stockage. Le rapport entre la durée de conservation du poisson à 0 °C et à une température t °C est appelé taux relatif d'altération à la température t °C; il est défini comme suit:
Taux relatif d'altération à la température t °C = |
Durée de la conservation à 0 °C |
|
Durée de la conservation à t °C |
On trouvera de plus amples informations sur les taux d'altération du poisson dans le Document technique FAO sur les pêches n° 348, Altérations de la qualité et durée de conservation du poisson réfrigéré (FAO, 1995a).
Du fait de sa finesse, la chair du poisson s'abîme facilement; de ce fait, toute meurtrissure ou manipulation brutale favorise la contamination bactérienne et la production d'enzymes, ce qui accélère le taux d'altération. En outre, si l'on ne manipule pas le poisson avec soin, on risque de crever les intestins et d'en répandre le contenu dans la chair du poisson.
Les facteurs intrinsèques ayant une incidence sur le taux d'altération du poisson réfrigéré font l'objet du Tableau 1.2.
La réfrigération du poisson peut ralentir, mais pas interrompre le processus d'altération. C'est donc une course contre la montre, et le poisson doit être mis sous glace le plus rapidement possible.
La principale question pour les pêcheurs, les négociants et les consommateurs tient à la durée de conservation du poisson dans la glace. Comme on l'a déjà indiqué, plusieurs facteurs interviennent. Le processus d'altération est toutefois semblable pour toutes les espèces, et l'on peut distinguer quatre phases d'altération qui sont définies au Tableau 1.3.
Il existe de très nombreux travaux de recherche sur la durée de conservation du poisson entreposé sous glace. De manière générale, on peut en conclure que certaines espèces tropicales peuvent se conserver plus longtemps que les poissons de mers froides ou tempérées. Cela tient à la différence des taux de croissance bactérienne, les poissons tropicaux conservés dans la glace étant caractérisés par une phase de croissance plus lente, de l'ordre d'une à deux semaines (période d'adaptation à la réfrigération). Il est toutefois difficile de comparer la durée de conservation des poissons tropicaux et celle des espèces de mers tempérées en raison de l'utilisation de méthodologies et de critères différents pour la durée de conservation. Les Tableaux 1.4 et 1.5 présentent la durée de conservation de plusieurs espèces de poissons conservés dans la glace et dans l'eau de mer réfrigérée.
TABLEAU 1.2
Facteurs intrinsèques ayant une
incidence sur le taux d'altération du poisson
réfrigéré
Facteurs intrinsèques |
Taux relatif d'altération du poisson conservé dans la glace |
|
|
Taux faible |
Taux rapide |
Forme |
Poisson plat |
Poisson entier |
Taille |
Gros poisson |
Petit poisson |
Teneur en matières grasses |
Espèce maigre |
Poisson gras |
Caractéristiques de la peau |
Peau épaisse |
Peau fine |
Source: FAO, 1995a.
TABLEAU 1.3
Les quatre phases de l'altération du
poisson
Phase I |
Juste après sa capture, le poisson est très frais et a
un goût fin, doux et évocateur des algues. La détérioration
est minime et se limite à une faible perte de goût et de
l'odeur caractéristique |
Phase II |
Le poisson perd nettement son odeur et son goût naturel. La chair est neutre et ne sent pas mauvais, la texture reste agréable |
Phase III |
Le poisson commence à montrer des signes d'altération. |
Phase IV |
Le poisson est avarié, putride et impropre à la consommation. |
TABLEAU 1.4
Durée de conservation de certaines
espèces de poissons d'eau douce et d'eau de mer conservées dans la
glace
Espèces |
Durée de conservation (nombre de jours dans la glace) |
Observations |
|
Eaux tempérées |
Eaux tropicales |
||
Espèces marines |
2-24 |
6-35 |
La durée de conservation des poissons tropicaux est généralement plus longue. |
Cabillaud |
9-15 |
|
Poisson à chair blanche et maigre |
Merlan |
7-9 |
|
Poisson à chair blanche et maigre |
Merlu |
7-15 |
|
Poisson à chair blanche et maigre |
Dorade |
|
10-31 |
Maigre/faible teneur en graisse |
Maigre |
|
8-22 |
Maigre |
Vivaneau |
|
10-28 |
Maigre |
Mérou |
|
6-28 |
Maigre |
Loup |
|
16-19 |
Maigre |
Pageau |
|
8-21 |
Maigre |
Jobfish |
|
16-35 |
Maigre |
Forgeven |
|
21-26 |
Maigre/faible teneur en graisse |
Chauve-souris de mer |
|
21-24 |
Maigre |
Sole, carrelet |
7-21 |
21 |
Poisson plat |
Limande |
7-18 |
|
Poisson plat |
Flétan |
21-24 |
|
Poisson plat |
Maquereau1 |
4-19 |
14-18 |
Poisson pélagique; faible/forte teneur en graisse |
Alose d'été |
2-6 |
|
Poisson pélagique; forte teneur en graisse |
Hareng d'hiver |
7-12 |
|
Poisson pélagique; faible teneur en graisse |
Sardine |
3-8 |
9-16 |
Poisson pélagique; faible teneur en graisse |
Espèces d'eau douce |
9-17 |
6-40 |
La durée de conservation des poissons tropicaux est généralement plus longue. |
Silure |
12-13 |
15-27 |
Maigre |
Truite |
9-11 |
16-24 |
Faible teneur en graisse |
Perche |
8-17 |
13-32 |
Maigre/faible teneur en graisse |
Tilapia |
|
10-27 |
Maigre |
Mulet |
|
12-26 |
Maigre |
Carpe |
|
16-21 |
Maigre/faible teneur en graisse |
Dipneuste |
|
11-25 |
Maigre/faible teneur en graisse |
Alose |
|
25 |
Moyennement gras |
Tambour |
|
30 |
Moyennement gras |
Pacu |
|
40 |
Gras |
Mâchoiron (type de silure) |
|
25 |
Moyennement gras |
Chincuna |
|
40 |
Gras |
1 La teneur en graisses et la durée de conservation sont soumis à des variations saisonnières.
Source: FAO, 1995a.
TABLEAU 1.5
Comparaison de la durée de
conservation de diverses espèces de poissons conservés dans la
glace,
dans l'eau de mer réfrigérée et dans l'eau
de mer réfrigérée avec ajout de
CO2
Espèces |
Durée de conservation (nombre de jours dans le milieu réfrigérant) |
Température de stockage dans l'EMR (°C) |
||
Glace (0 °C) |
EMR |
EMR + CO2 |
||
Cabillaud du Pacifique |
6-9 |
- |
9-12 |
-1,1 |
Crevette rose |
- |
4-5 |
6 |
-1,1 |
Hareng |
- |
8-8,5 |
10 |
-1,0 |
Morue du Pacifique |
6-8 |
4-6 |
6-8 |
-1,0 |
pollock |
|
|
|
|
Loup |
- |
7-10 |
>17 |
-0,6 |
Saumon Kéta |
- |
7-11 |
>18 |
-0,6 |
Merlu argenté |
4-5 |
4-5 |
>5 |
0 to 1 |
Capelan |
6 |
2 |
2 |
+0,2 to -1,5 |
Source: FAO, 1995a.