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Amélioration du fumage du poisson à Brazzaville: expérimentation d'un prototype de four amélioré

par

Gabriel Ngoma
Projet FAO TFD-98/PRC/002
Brazzaville, Congo

Résumé

Les tentatives d'introduction du four chorkor ghanéen au Congo n'ont pas été concluantes. Le Gouvernement de la République du Congo a sollicité et obtenu en 1998, de la part de l'Organization des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), une assistance pour l'amélioration du fumage artisanal du poisson, en faveur d'une communauté de femmes de la région de Brazzaville. Dans le cadre de cette assistance, dénommée Projet FAO TFD-98/PRC/002 «Amélioration du fumage du poisson à Brazzaville», un prototype de four amélioré a été mis au point et expérimenté, en vue notamment d'alléger le travail de fumage du poisson et de contribuer à la protection de l'environnement, en réduisant la dégradation de la forêt par l'activité de fumage artisanal du poisson.

1. INTRODUCTION

Comme dans la quasi-totalité des pays de la sous-région du Golfe de Guinée, au Congo le fumage est une technique artisanale largement utilisée pour la conservation du poisson. Pourtant, cette technique pose de multiples problèmes, dont les plus pressants demeurent, de l'avis des acteurs, ceux liés au combustible, le bois de chauffe, et aux conditions de travail. Ces problèmes résultent de la conception des fours couramment utilisés. Ces fours sont constitués d'un tablier de branchages, reposant sur quatre ou six pieds fourchus fichés dans le sol (four type «motalaka») ou de vieux fûts, délimitant un foyer de feu de bois, généralement ouvert au vent. Le premier problème se présente en terme de prix de plus en plus excessif sur le combustible, dans les villes, en dépit du caractère forestier du pays, et en terme de travail fastidieux et pénible de ramassage de quantités importantes de ce combustible, dans les zones rurales, pour alimenter des fumoirs traditionnels peu économiques.

Concernant les conditions de travail, l'exploitation des fumoirs actuels est mal aisée et l'opérateur s'expose à des graves risques de santé, en raison du contact fréquent de celui-ci avec la chaleur et la fumée. Dans l'objectif d'apporter des solutions aux principaux problèmes rencontrés par les transformateurs artisanaux de poisson et de contribuer à la protection de l'environnement, notamment par la réduction de l'impact négatif du fumage sur la forêt, le Projet FAO TFD-98/PRC/002, prenant en compte les facteurs de l'échec des tentatives antérieures de vulgarisation du modèle ghanéen de four Chorkor, a construit et expérimenté un prototype de four adapté aux conditions locales.

Ce rapport décrit ledit prototype avant de rendre compte des résultats de l'expérimentation menée sur cet équipement amélioré.

2. LE PROTOTYPE DE FOUR AMÉLIORÉ OU FOUR DE TYPE FCP-TFD 98/PRC/002 (Four de type portable)

Conçu pour pallier les inconvénients des fours actuels, le prototype proposé n'est autre qu'une variante de four Chorkor à un seul compartiment. Il diffère du modèle ghanéen, développé par la FAO, en Afrique de l'Ouest, en ce qu'il est construit en pièces métalliques (quatre pièces de tôle d'acier 15/10) démontables et portables, satisfaisant ainsi aux conditions climatiques dans certains sites. En effet, dans la partie septentrionale du pays, comme dans la région de Brazzaville, le poisson est fumé dans des campements de pêcheurs, disséminés dans le bassin du fleuve Congo, qui s'installent en saison de basses eaux et disparaissent en saison des hautes eaux, en raison des inondations.

Fig. 1: Les quatre composants du four


Fig. 2: Assemblage du four à l'aide de boulons


Fig. 3: Four en fonctionnement

L'assemblage des quatre composantes du four qui dure cinq minutes, se fait au moyen de boulons tandis que le démontage dure quatre minutes. Les composantes du four une fois rassemblée, un foyer de feu de bois est installé dans l'enceinte du four, grâce à un portillon aménagé sur le côté. Le poisson est mis à plat sur les claies (sorte de plateaux faits de cadres en bois à fond grillagé). Le four pèse 50 kg tandis qu'une claie de fumage pèse 8,4 kg.

Les détails sur les caractéristiques du four type Chorkor portable «FCP»

· Dimension du four en cm

100 x 100 x 65

· Portillon

35 x 35 x 35

· Poids, kg

50

· Consommation en bois

1,5 kg/kg de poisson

· Dimensions de la claie de fumage

104 x 86 x 8

· Poids de la claie, kg

8,4

· Nombre de claies possible par fournée

6 et plus, en fonction de la maîtrise des opérateurs

· capacité de fumage en poisson frais

100 kg et plus

· durée de fumage

5 à 48 heures, variable suivant la taille et l'espèce de poisson

3. PRÉPARATION ET PROCESSUS DE FUMAGE DU POISSON

Fig. 4: Préparation avant fumage

L'essai a porté sur cinq espèces de poisson, dont une espèce de mer Sardinella aurita et quatre d'eau douce, Distichodus, Tilapia nilotica, Parachanna obscura et Clarias submarginatus. Réceptionnée à l'état congelé, Sardinella n'a fait l'objet que d'une décongélation, par immersion dans de l'eau, comme préparation avant fumage. Distichodus et Tilapia n., réceptionnés sous glace, ont été préalablement écaillés, éviscérés et lavés, conformément à la pratique courante. Leur taille n'a pas rendu nécessaire le tranchage. Fournis à l'état vivant, Parachanna obscura et Clarias submarginatus ont été abattus avant fumage.

Après préparation, les poissons ont été placés sur les claies de fumage, chaque claie ne renfermant que des poissons de même espèce. Soit un ensemble de cinq claies empilées sur le four comprenant 8,7 kg de Sardinella; 3,9 kg de Distichodus; 3,2 kg de Tilapia; 4,2 kg de Parachanna et 5,3 kg de Clarias. Un creux circulaire, d'une profondeur de 15 cm, dit creux de feu, a été aménagé à proximité du portillon du four. Comme dans tout système de fumage de type Chorkor, ce creux qui accueille le foyer de feu, permet d'assurer une meilleure distance entre le feu et la première claie à poisson et une meilleure répartition de la chaleur au sein du système.

Le processus de fumage, incluant l'égouttage - pré séchage, la cuisson, le fumage -séchage et le refroidissement, a été mené avec l'aide d'un praticien, jeune pêcheur artisan cumulant plusieurs années d'expérience de terrain. Les claies chargées de poisson ont été superposées sur le four. L'uniformité du régime de fumage était assurée par la rotation des claies. Le contrôle des différentes opérations de fumage était basé sur des méthodes sensorielles faisant appel au savoir- faire des transformateurs artisanaux de poisson acquis par la pratique quotidienne.

Fig. 5: Poissons mis à égoutter sur le four


Fig. 6: Opérateurs testant le degré de fumage

4. RÉSULTATS ET DISCUSSIONS

Le but de l'expérience était de vérifier l'efficience et l'efficacité de ce nouvel outil, en rapport avec les objectifs du projet. Trois données d'intérêt économique ont été levées pendant cette expérimentation: la durée du cycle de fumage, la variation du poids du poisson entre la matière première et le produit final et la consommation en combustible.

Les Tableaux n°1 et 2 donnent respectivement les résultats de l'essai du four amélioré, et le résumé de l'étude comparative des performances du four amélioré et celles d'un four traditionnel, le four de type «motalaka» très répandu dans le bassin du fleuve Congo (voir description en introduction). Dans le cadre de cet essai, où les poissons étaient fumés entiers et les paramètres du mélange air-fumée (température, humidité...) ne pouvaient être contrôlés, il est apparu que l'espèce, par rapport à la taille du poisson, est le facteur le plus déterminant de la durée de fumage. En effet, s'il a fallu 11h 19 minutes pour fumer Parachanna obscura jusqu'à un degré garantissant au produit une stabilité suffisante (perte de poids environ 70 pour cent) en revanche, Sardinella et Tilapia, de même taille que Parachanna, n'ont nécessité qu'un temps pratiquement deux fois moins long (5h 19mn). Par ailleurs, il a été observé, que pour le même temps de fumage, le rendement en produit fini est fonction de l'espèce. Ainsi, après 11h 19 mn de fumage, les rendements pour Distichodus et Parachanna s'établissaient, respectivement, à 28,2 et 49,5 pour cent, tandis que ceux de Sardinella et Tilapia étaient, respectivement, à 40 et 28,2 pour cent, à l'issue de 5h 19 mn de fumage.

Tableau n° 1: Résultats de l'essai du FCP (Four type chorkor portable)

Espèce et taille
moyenne du poisson

Durée du cycle de fumage

Variation du poids du poisson

Consommation de combustible

Préparation du
poisson

Fumage

Durée totale

Poids avant préparation

Poids après préparation

Pertes ou déchets

Poids après fumage = produit final

Pertes totales

Quantité totale

Ratio

1er jour

2è jour

Sardinella aurita «masoundji» taille moyenne 334 g

Décongélation: 1h 19 mn

5h 19

-

6 h 38

8,7 kg

8,7 kg

néant

3,4 kg 40 %

5,3 kg 60 %

37,6 kg

kg bois/kg poisson

«Distichodus» «mboto», taille moyenne 978 g

Ecaillage, éviscération, lavage: 4mn/4 homme

11h 19 mn

3 h 43

15h06

3,9 kg

3,2 kg

0,7 Kg 17,9 %

1,1 kg 28,2 %

2,8 kg 71,8 %

Tilapia nilotica «maboundou», taille moyenne 213 g

Ecaillage, éviscération, lavage: 15mn/2 hommes

5 h 19

-

5 h 34

3,2 kg

2,8 kg

0,4 kg 12,5 %

0,9 kg 28,2 %

2,3 kg 71,8 %

Parachanna obscura «mungusu», taille moyenne 212 g

Lavage: 2mn/1 homme

11h 19 mn

3 h 04

15h04

4,2 kg

4,2 kg

néant

1,7 kg 49,5 %

1,7 kg 49,5 %

Clarias submarinatus «Ngolo», taille moyenne 91 g

Lavage: 2mn/1 homme

5h 19

-

5h 21

5,3 kg

5,3 kg

néant

1,4 kg 26,4 %

1,4 kg 26,4 %

Tableau n° 2: Etude comparative des performances du FCP et du four traditionnel «motalaka»

Four

Durée du fumage

Perte de poids

Rendement produit final

Consommation de bois: ratio kg bois/kg poisson frais

Four amélioré FCP

5h - 12h

60 - 70 %

26 - 49 %

1,5

Four traditionnel type «motalaka»

72

75

25 %

3

Ces corrélations qui sont bien connues des scientifiques, trouvent leur explication au niveau de la structure physico-chimique du poisson, propre à chaque espèce, notamment, au niveau de la capacité de rétention de l'eau, une des propriétés colloïdales des tissus musculaires du poisson.

L'essai a établi une consommation globale de bois de 37,6 kg, pour fumer un total de 24,2 kg de poisson, toutes espèces confondues; soit un ratio de 1,5 kg de bois par kg de poisson. Ainsi, il a été mis à l'évidence que le four amélioré permet de réaliser des économies de bois de l'ordre de 50 pour cent par rapport au four traditionnel (ratio = 3 kg bois/kg poisson). La consommation de bois par espèce de poisson, n'aurait aucun intérêt en raison de ce que les quantités de poisson disponibles par espèce, lors de cette étude, étaient largement en deçà de la capacité d'une claie et, encore moins, de l'ensemble des claies possibles par fournée. L'utilization rationnelle de la capacité du four, grâce a l'emploi et un chargement optimal en poisson du nombre possible de claies par fournée, auraient permis de réaliser davantage des économies de bois, c'est à dire d'améliorer le ratio kg de bois/kg de poisson.

Cela s'explique clairement à travers l'interdépendance suivante:

Une valeur élevée de la quantité de poisson à fumer (Qp) entraîne une diminution du ratio kg bois/kg poisson ® avec une quantité de bois invariable (Qb).

Dans le cadre de la présente expérimentation, si l'ensemble de claies utilisées (5 au total) avait été chargé de manière rationnelle, l'on aurait eu alors à fumer une quantité optimale de poisson (Qp>24,2 kg) avec la même quantité de bois (Qb=37,6 kg) et, de ce fait, la quantité de bois par kilogramme de poisson ® aurait été davantage minimisée. C'est à dire que le bois aurait été utilisé de façon plus rentable.

Une meilleure orientation du portillon du four, par rapport au vent dominant, aurait permis également une utilization rentable du combustible. En effet, en cette période de saison sèche, pendant laquelle s'est déroulé l'expérimentation (mois de juillet), caractérisée par des journées très ventées, la combustion de bois s'est avérée trop rapide. Enfin, l'utilization d'un bois plus dur, brûlant lentement, aurait contribué à minimiser la consommation totale de celui-ci.

5. CONCLUSION

Le four amélioré a fait ses preuves devant le four traditionnel de type «motalaka».

En permettant la réalisation des économies substantielles en combustible (50 pour cent par rapport au four traditionnel), l'allégement du travail et la réduction des risques de santé pour l'opérateur, le four amélioré a suscité l'enthousiasme des personnes invitées à participer à l'expérimentation (agents vulgarisateurs, cadres de l'administration national des pêches, pêcheurs artisans...).

Reste, cependant, à vulgariser auprès des groupes cibles ce prototype d'un coût approximatif de 300 000 FCFA [1US$=600 FCFA] et d'une durée de vie de 5 ans et plus, avec une exploitation fréquente (hormis le grillage des claies de fumage qui nécessite un renouvellement périodique). Ce four a été dénommé FCP-TFD 98/PRC/002, c'est à dire four de type Chorkor portable du projet Téléfood n°98/PRC/002 ou, tout court, FCP.

6. RECOMMANDATIONS

Il est recommandé:

- la poursuite des essais du four amélioré, en vue de fixer des paramètres techniquement fiables;

- un travail de recherche appliquée pour identifier et définir les conditions idéales de fumage et les paramètres techniques des différentes espèces de poisson au Congo. Ce qui débouchera sur la mise en place d'un code d'usage pratique à suivre et à appliquer par les exploitants et d'un ensemble de données techniques indispensables pour l'administration des pêches dans la planification de la filière.

- la compilation, par ce travail de recherche, des informations qui permettront d'introduire dans le fumage artisanal du poisson, des programmes d'assurance de la qualité basés sur l'analyse des risques-maîtrise des points critiques ou système HACCP.

- une étude comparative du four amélioré et un certain nombre de fours traditionnels couramment utilisés au Congo, incluant des aspects techniques et socio-économiques


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