"Revenu
annuel vingt livres, dépenses annuelles dix-neuf livres, dix-neuf
shillings, six pence, le bonheur. Revenu annuel vingt livres, dépenses
annuelles vingt livres, zéro shilling, six pence, la misère" |
Le premier impératif pour tout être humain est de continuer à vivre, et chacun dépense de lénergie à trouver un moyen de satisfaire les exigences de la vie, dans quelque situation quil se trouve. Sans aucun droit à la terre, et dépourvus dautres ressources, les gens nont pas dautre choix que doffrir simplement leur travail en échange des biens de consommation dont ils ont besoin. Dans les sociétés industrialisées, cest ainsi que la plupart des gens vivent. Sils veulent consommer plus, ou dautres biens, il leur faut améliorer la valeur de leur travail dans lespoir que quelquun leur en offrira davantage. Dautres personnes, de par leur naissance, ont accès à certaines ressources telles que la terre, et peuvent choisir entre cultiver certains produits pour leur consommation ou pour les échanger contre dautres biens. La diversité et les types de biens et de services que les gens utilisent et veulent a augmenté de façon spectaculaire au fil des siècles. De ce fait, la diversité des moyens par lesquels les gens assurent leur survie est immense et souvent très complexe. Rares sont ceux qui vivent dans lisolement, de sorte que des relations complexes sétablissent entre les gens, et se reflètent dans les diverses façons selon lequelles les biens ou le travail peuvent se partager.
Quelle est la place de largent dans ces relations? Largent est un moyen de faciliter ces échanges. Sans argent, les gens doivent recourir au troc pour convertir les biens dont ils disposent et les services de main doeuvre quils peuvent offrir pour acquérir les biens de consommation de leur choix. Cela peut être un processus long, complexe et inefficace. Lintroduction de largent simplifie léchange de biens. Il ny a plus à limiter léchange à un moment ou à un endroit donné. On peut échanger ses biens aujourdhui pour de largent et acheter les biens de quelquun dautre plus tard et à un autre endroit.
Le fait de différer la consommation de biens est connu sous le nom dépargne. Ce processus est essentiel si les biens recherchés ne sont pas toujours disponibles, et il faut également pouvoir répondre à des demandes futures inattendues ou imprévues de biens et de services. Il est également dans la nature humaine de garder des moyens en réserve. Si quelquun na pas déconomies, il ne peut acquérir de biens dun montant supérieur à ses revenus, à moins que quelquun dautre ne consente à lautoriser à utiliser une partie de ses propres économies. Autrement dit, des marchés peuvent être conclus entre deux personnes, où lune est le prêteur et lautre lemprunteur. Les économies peuvent se présenter sous la forme de biens ou dargent. Le fait dépargner en accumulant de largent est pratique car largent est facile à mettre de côté, et il est plus facile à convertir des économies en biens, le moment venu. Il est aussi plus facile à prêter.
Essayons de présenter une image de léconomie dune famille rurale. Cette famille peut être composée dune ou deux personnes ou plus, dont chacune se livre à un ou plusieurs types dactivité. Certaines personnes peuvent faire le même travail, jour après jour, tandis que dautres peuvent sadonner chaque jour à différents types dactivité. Beaucoup de ces activités nimpliquent pas lutilisation ou la création de revenu. Dautres consomment ou rapportent de largent. La façon dont les ressources des ménages sont gérées diffère dun groupe social à un autre, et même au sein dun même groupe; elle est fonction des coutumes, du rang social et de nombreux autres facteurs culturels. Il peut arriver que toutes les sources de revenus soient combinées, que ces revenus proviennent de lagriculture, du commerce ou dautres activités professionnelles, ou encore de dons ou de transferts ou de toute autre source, et quils soient utilisés comme sils provenaient dune même source. Inversement, divers membres de la famille peuvent avoir la haute main sur diverses parties de ces ressources et de ces flux de revenus.
LEncadré 1 décrit une famille rurale à Gujarat, en Inde. Cette description est suivie dun croquis décrivant léconomie dune famille en Zambie.
Ces deux exemples donnent une idée de la vie des familles rurales ayant accès à la terre, cest-à-dire de dizaines de milliers de personnes à travers le monde. Les membres de ces familles sont donc pour la plupart des personnes qui travaillent dans une entreprise privée - spécialisée dans la petite production de biens et services essentiels, et dont le revenu est souvent complété par un salaire. Le marché est local. En fait, ils se font mutuellement concurrence pour la vente de produits alimentaires ou de vêtements, les soins de santé, le logement et certains produits accessoires tels que lalcool. Autrement dit, ils opèrent sur des marchés à faible valeur monétaire et saturés. La plupart de leurs activités sont financées sur lépargne familiale et au moyens de prêts informels. Largent circule rapidement dans les familles, et celles-ci tendent à faire leurs achats par petites quantités, au fur et à mesure de leurs besoins.
Encadré 1 |
Zarinaben Nurmhmd Momin est une jeune fille de 18 ans qui vit dans le village de Kulo. Elle appartient à un vaste complexe familial qui compte 15 autres membres: son père et sa mère, son frère et sa belle-soeur, ses trois soeurs, son neveu, son oncle et sa femme et ses cinq cousins. La famille tire le gros de ses revenus de lagriculture et de lélevage. Elle possède 5 hectares de terres irriguées et 2 hectares de terres non irriguées. Leur bétail est composé de deux boeufs, six vaches et quatre génisses. Cela veut dire quils peuvent labourer leur terre et quils disposent de fumier pour la fertiliser. Ils produisent deux récoltes - du riz de mousson et du blé dhiver sur les terres irriguées, et seulement du blé sur les terres de culture aride. Un champ est consacré au fourrage vert pour le bétail. Le travail est effectué en commun et lexploitation est considérée comme le bien de la famill, sauf deux vaches qui appartiennent respectivement à chacun des deux couples de jeunes mariés. Ceux-ci se chargent de la vente du lait de leur vache, mais ne conservent pas pour eux le revenu qui en provient. Le produit de toutes les sortes de travaux est mis dans la caisse commune du ménage. Zarinaben et ses soeurs tirent un revenu de leurs travaux de broderie, et la famille gagne un revenu supplémentaire en louant ses bêtes ou son matériel, ainsi que de la vente de fumier. Largent est géré par le chef de famille. Lorsque Zarinaben ou un autre membre de la famille a besoin de quelque chose, ils en font la demande. Si cette demande est raisonnable, et si les fonds sont disponibles, elle leur est accordée. Autrement dit, la gestion des finances de la famille, bien que relevant théoriquement du père, est perçue comme une responsabilité partagée. Il appartient à chacun de sassurer que largent nest pas gaspillé. |
Le diagramme de la Figure 2 résume léventail des activités et les flux de biens et dargent pouvant caractériser une famille rurale. Chaque jour, il faut faire des choix sur la façon dutiliser le temps, les ressources et largent. Cela est également illustré par le Tableau 1, qui indique lensemble des sources de revenu monétaire recensées parmi les familles dagriculteurs de deux régions de Zambie.
Figure 1: Léconomie dun ménage en Zambie
Comment la gestion financière est-elle assurée au sein de ces ménages? Bien entendu, chaque cas est différent, mais on peut vraisemblablement dégager certains traits communs. Le premier est que les calculs sont faits par quelquun et les décisions sont fondées sur les conclusions de cette personne, éventuellement après discussion avec dautres membres de la famille. Il sagit de classer les besoins par ordre de priorité et de concilier certaines demandes concurrentes. Pour beaucoup, la principale préoccupation est de répondre aux besoins quotidiens dont dépend la survie du ménage. Cela comprend la consommation alimentaire de base, mais aussi certains intrants essentiels au maintien des activités productives. Toutes les familles sont conscientes des besoins à long terme, par exemple, de la nécessité de pourvoir aux mariages, de subvenir aux besoins des personnes âgées et de payer les frais denterrement, de songer aux héritiers, autant de nécessités qui rendent lépargne très importante.
Figure 2: Léconomie dune famille rurale
Chaque individu est membre non seulement de sa famille, mais aussi dune communauté plus large qui confère une dimension supplémentaire au processus de décision. Les structures familiales peuvent définir en tout ou en partie laccès à la terre et aux autres ressources. Les liens familiaux impliquent des responsabilités familiales, et le pouvoir de quelquun dans la société est souvent fonction de sa position au sein du groupe familial.
Gillette et Uphoff (1972) soulignent limportance de lorganisation sociale et des relations patron-client dans les communautés rurales:
Tableau 1 Sources de revenu monétaire des familles dagriculteurs en Zambie CULTIVATEURS DE MUMBWA ET KATETE; NOVEMBRE 1967 - OCTOBRE 1969 |
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Revenu par source |
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Ventes de |
Travail |
Salaires |
Location |
Ventes |
Transfert |
Ventes |
Cadeaux |
Divers |
Ramassage |
Revenu |
Nombre de cultivateurs tirant un revenu de cette source |
226 |
110 |
157 |
47 |
182 |
48 |
155 |
147 |
79 |
61 |
239 |
Kwacha1 par cultivateur par an (n = 239) |
102,0 |
50,0 |
37,2 |
18,7 |
14,4 |
9,6 |
9,6 |
3,2 |
2,4 |
1,2 |
248,5 |
Pourcentage du revenu total |
41,0 |
20,1 |
15,0 |
7,5 |
5,8 |
3,9 |
3,9 |
1,3 |
1,0 |
0,5 |
100,0 |
Référence: R.A.J. Roberts (1972), "The Role of Money in the Development of Farming in the Mumbwa and Katete areas of Zambia".
1 1 Kwacha (K) = £Stg 0,58 (Oct 1969).
«Les types de rapports qui existent normalement au niveau du village se caractérisent par des liens multiples. Autrement dit, un homme qui sengage dans une transaction avec un autre peut aussi être lié à ce dernier par des liens de parenté, par lappartenance à un groupe politique, par des responsabilités dordre rituel ou par lappartenance à une certaine forme dassociation volontaire. Linteraction complexe de liens multiples de ce genre, et non pas seulement un calcul de profit individuel, façonne donc la transaction économique. Une personne qui occupe une place politique dominante ou un rang plus élevé au sein du groupe familial ou qui est un chef rituel, peut souvent obtenir des conditions plus favorables dans une transaction économique quune autre personne qui nappartient pas à un groupe familial influent ou qui occupe un rang moins élevé dans ses autres rapports. En même temps, il faut reconnaître que le premier a certaines obligations envers le second, quil sagisse de protection, demploi, de parrainage ou daide en cas durgence.»
Gillette et Uphoff soulignent que les responsabilités des patrons comprennent souvent la fourniture de crédit à la production ou à la consommation. Ainsi, lorsque linsécurité est courante, lattachement à un personnage plus puissant ou à la famille peut offrir une certaine marge de sécurité. Ils font également état de limportance des attitudes et des valeurs dans la prise de décisions. Chaque groupe social a différentes valeurs concernant le travail et la répartition des tâches, lemploi du temps et lépargne, lendettement et linvestissement, la propriété et le revenu monétaire. Les gens diffèrent en ce qui concerne les priorités quils accordent à divers types de dépenses. Certains biens de consommation peuvent être jugés plus importants que linvestissement, et peuvent engendrer un surcroît de revenu. Comme le font remarquer Gillette et Uphoff, le fait de vivre selon certaines normes communautaires pour des raisons de prestige peut présenter des avantages économiques car quelquun qui se conforme aux obligations dun groupe social plus élevé peut réussir à tirer certains avantages de ses rapports avec ce groupe et des relations économiques quil entretient avec dautres. Autrement dit, certaines dépenses «de prestige» peuvent avoir des retombées économiques favorables pour lindividu en question. En revanche, des gains économiques substantiels peuvent susciter de la jalousie de la part des autres et entraîner des sanctions économiques ou social contre lindividu à la recherche de progrès.
Quel ensemble compliqué de facteurs à prendre en compte lorsque lon envisage une décision financière! En quoi cette situation diffère-t-elle de celles de personnes opérant dans un contexte plus rompu aux transactions commerciales? La différence peut être une plus grande tendance, pour ces personnes, à songer aux possibilités de revenu et de profit. Lenseignement tiré dune entière dépendance à légard des marchés est que lon est obligé de calculer les coûts et les revenus de toute transaction pour assurer sa survie. Pour connaître un succès commercial continu, la plupart des chefs dentreprise adoptent une stratégie de croissance, et ils tendent naturellement à se spécialiser dans un type dactivité quils jugent plus rentable. Largent intervient dans la plupart de leurs transactions, et il est dautant plus important de le garder en lieu sûr et de la gérer efficacement.
Les études des ménages révèlent une différence entre hommes et femmes en ce qui concerne la stratégie dentreprise. Les femmes tendent à accorder plus dimportance à la survie et la sécurité dans leurs stratégies, ce qui est attribué en grande partie au fait que leur principal souci est de nourrir la famille, quelles nont quun accès limité aux ressources et quelles nont aucun contrôle sur les revenus. Elles doivent en outre faire face à la menace dabandon ou de divorce, qui renforce encore leur souci de sécurité. Leurs stratégies en matière dinitiative privée se caractérise donc par la diversification en petites activités non spécialisées, menées par un ou deux membres de la famille avec un minimum déquipement. Elles doivent travailler dans le cadre des marchés généralement peu actifs caractéristiques des zones rurales, ce qui limite la quantité dun produit donné quune personne peut vendre. Autrement dit, la stratégie qui convient le mieux à beaucoup de femmes consiste à diversifier leur production afin doccuper des créneaux du marché qui peuvent présenter. Les hommes, en revanche, sont plus enclins à adopter des stratégies commerciales, axées sur la croissance. Ils ont généralement un accès plus large aux ressources et une plus grande liberté à les utiliser, et ils sont également plus libres de se déplacer et dacheter ou de vendre sur de plus grands marchés, et ils sont protégés dans les risques quils prennent par les stratégies de sécurité des autres membres de la famille.
Le Tableau 2 résume les informations recueillies lors dentrevues avec des femmes de régions rurales de Tanzanie sur leurs activités génératrices de revenus (Tovo, 1991).
Tableau 2 Activités rémunératrices des femmes des régions rurales en Tanzanie |
|
Activité rémunératrice1 |
Femmes interrogées |
Production et vente de bière |
56% |
Préparation et vente daliments |
41% |
Agriculture et vente de lexcédent de produits agricoles |
40% |
Préparation et vente de poisson |
15% |
Poterie |
10% |
Tissage et teinture |
7% |
Élevage |
5% |
Coiffure |
3% |
1 Autres catégories dactivités rémunératrices menées par moins de 2 % des femmes interrogées: bâtiment et menuiserie, couture, restauration, mouture et portage.
Quatre-vingt douze pour cent des femmes interrogées avaient au moins une activité lucrative, et près des deux-tiers dentre elles en avaient deux. Les cas de femmes qui déclaraient en avoir trois ou plus nétaient pas rares, mais le temps consacré à la troisième ou la quatrième miradi (activité lucrative) était généralement limité. Tovo précise: «Comme certaines miradi sont fonction de produits saisonniers (par exemple, la vente de mil en excédent) et dautres, de produits aléatoires (tels que le sucre), les femmes ont tendance à diversifier leurs activités de manière à sassurer constamment une source de revenu.»
Le type de décisions de gestion financière est fonction des stratégies de survie. Cela a été mis en lumière lors des travaux de recherche effectués par un anthropologue de World Education au Kenya sur les facteurs influant sur le déroulement des activités économiques de divers groupes de femmes. Kane, Walsh and Nelson (1991) soulignent: «Les femmes mènent les activités de leur groupe de la même manière quelles mèneraient celles dune entreprise familiale, utilisant des modes de calcul économique qui diffèrent de ceux quexige une entreprise pour réaliser un bénéfice et fournir des revenus réguliers à ses membres. Les ressources sont investies dans lentreprise familiale ou en sont prélevées chaque fois que le besoin sen fait sentir; les exigences de la consommation et diverses obligations sociales prennent le pas sur les considérations intangibles de rentabilité et de réinvestissement qui devraient régir lentreprise.» LOrganisation World Education a tenu compte de cette réalité lorsquelle a élaboré des méthodes de formation, en collaboration avec lONG kényenne Tototo Home Industries, afin daider des groupements féminins à améliorer le taux de réussite de leurs entreprises. Elle a reconnu quil lui fallait tirer parti des éléments existants de lexpérience des femmes qui sont essentiels à une bonne gestion dentreprise et écarter les pratiques nuisibles.
Les principaux aspects à traiter dans le cadre de la formation étaient:
Limportance du profit comme objectif de lactivité économique
Certains moyens simples de calculer les bénéfices et de réduire les dépenses
Certains moyens de contrôler la trésorerie et de se prémunir contre les retraits de fonds non autorisés
Certains rudiments de comptabilité
Certains moyens daméliorer les décisions commerciales et dévaluer les possibilités dactivité économique.
Cet exemple du Kenya montre de façon indiscutable que si les populations des régions rurales ont une expérience considérable de la gestion dentreprise, ils ne possèdent pas certaines aptitudes nécessaires à la gestion dune activité commerciale viable. Lun des principaux problèmes a trait à la difficulté de maîtriser les flux de trésorerie. Les membres du groupe ont tendance à retirer des fonds de lentreprise chaque fois quils ont besoin dargent, sans se soucier des effets de leurs retraits sur lentreprise elle-même. Comme le soulignent Kane, Walsh and Nelson: "La pratique des groupes à cet égard est à limage de ce que font les membres de leurs familles. Les produits de lentreprise sont généralement consommés, mis en commun, distribués entre les membres de la famille ou transférés en toute liberté dune entreprise à une autre. La contribution globale dactivités saisonnières ou intermittentes à la subsistance de la famille et au respect de ses obligations sociales est plus importante que les résultats spécifiques ou la rentabilité symbolique dune activité quelconque. Laccumulation peut se produire et se produit effectivement dans ce contexte, mais pas dune façon qui soit propre à lentreprise."
Dès lors, comme on la indiqué précédemment, largent joue un rôle important dans la vie des populations, et la gestion de flux variables pose un problème de premier plan à la plupart dentre elles. Il est nécessaire dépargner. Souvent, il faut emprunter. Pour que des transactions directes puissent avoir lieu entre un emprunteur et un prêteur, il faut quil y ait rencontre entre deux personnes dont les préférences coïncident et que se crée un terrain dentente pour la négociation dun accord ou dun contrat. À moins quune telle recontre ne se produise par accident ou avec des parents ou amis immédiats, il doit y avoir recherche, accompagnée de coûts de transaction, pour trouver et rencontrer une autre personne désireuse de conclure un accord de prêt ou demprunt et négocier un tel accord avec elle. Autrement dit, il y a un créneau sur le marché pour laction dintermédiaires ou de courtiers pour la conclusion de contrats financiers. Ces agents peuvent fournir et traiter linformation et évaluer les chances que lemprunteur fasse ce que lon attend de lui à une date ultérieure donnée. Cest ce que lon appelle le processus dintermédiation financière. En quelque sorte, cest la conclusion de contrats entre individus qui voient un avantage à échanger des ressources. Ces intermédiaires peuvent aller encore plus loin et établir pour des prêteurs des contrats qui diffèrent de ceux quils établissent pour des emprunteurs. Ce faisant, ils doivent concilier les préférences et les préoccupations des clients, et surmonter les coûts et les risques que cela comporte.
Daprès K.P. Padmanabhan (1988), au fil des siècles, cest lapparition de nouveaux instruments financiers qui a facilité le développement du commerce et des échanges. "En effet, la croissance économique doit beaucoup à largent, aux dépôts, aux prêts et à lintermédiation financière." Et il souligne limportance des marchés financiers ruraux pour le développement rural: "Le marché financier rural dun pays est constitué de tous ceux qui participent au processus dintermédiation financière rurale. Il comprend les institutions formelles, telles que banques commerciales, banques de développement, coopératives, etc. et les institutions du secteur non structuré, telles que les prêteurs et toutes les familles rurales qui apportent un excédent de fonds à prêter ou qui empruntent. La notion de marché financier rural englobe toutes les formes de relations entre acheteurs et vendeurs davoirs financiers qui sont actifs dans les économies rurales. ... Ces relations se manifestent sous la forme demprunts, de prêts et de transferts de propriété davoirs financiers tels que créances et titres de propriété. ... Lintermédiation financière comprend la mise en commun, le transfert et le fractionnement des ces avoirs dans le temps, dans lespace et entre personnes. ... Son utilité augmente rapidement à mesure que la famille rurales commencent à se spécialiser dans leur production, à diversifier leur consommation et à effectuer de gros investissements."
Les services financiers qui permettent aux gens de garder, demprunter ou de transférer des fonds plus efficacement sont tout aussi essentiels pour ceux qui ont très peu de ressources que pour les riches.
"Lorsque des services financiers sont offerts, les pauvres les utilisent sils le peuvent. Lorsque ces services nexisent pas, ils organisent leurs propres services. Souvent, ils sont dans une situation où ils peuvent faire les deux. Ils sont prêts à payer chèrement ces services, ce qui montre clairement combient ils les apprécient. Les pauvres qui ne disposent pas dune caisse dépargne acceptent parfois deffectuer de petits dépôts assortis dun taux dintérêt négatif à seule fin de confier leur argent à des particuliers qui leur offrent de prendre leur argent en dépôt. Ils consentent également à payer des taux dintérêt élevés à de petits prêteurs qui leur permettent demprunter par la suite le montant futur de leur épargne familiale à titre de prêt dun montant forfaitaire." (Rutherford, 1996)
Rutherford fait valoir que les services financiers qui permettent aux gens damasser des sommes considérables sont particulièrement importants pour les pauvres. Il ajoute que ces services entrent dans deux grandes catégories:
1. Ceux qui permettent daccumuler des sommes importantes en renonçant à certains revenus:
Tel est le cas de lépargne et de lassurance, qui permettent damasser une somme forfaitaire ou dacheter laccès à venir à une telle somme en renonçant à un revenu dans limmédiat.
Tel est également le cas des prêts, qui offrent une somme forfaitaire aujourdhui en échange dun manque à gagner à lavenir.
2. Ceux qui permettent de convertir et de reconvertir des avoirs en sommes forfaitaires et vice versa.
Les principaux exemples de ce type sont les hypothèques et gages.
Il existe de nombreux exemples de services financiers conçus et gérés par les gens eux-mêmes. Les plus courants de tous sont les petits prêts entre familles voisines ou apparentées, où au remboursement peut être substituée lobligation de rendre ultérieurement la pareille. Parfois, cette forme de prêts réciproques est étendue à plusieurs membres de la communauté ou à tous. Les tontines (Rotating savings and credit associations ou ROSCA) sont un mécanisme très courant permettant de collecter la petite épargne de plusieurs per- sonnes, puis de la convertir en une somme forfaitaire prêtée à une seule personne à la fois.
Ces mécanismes informels sont utilisés principalement pour surmonter les problèmes de liquidité à court ou moyen terme de la famille. Quiconque est accepté par la communauté ou le groupe social peut participer. Pour devenir membre dune tontine ou dun club dépargnants, il suffit daccepter les règles de lassociation et de sy conformer, et de simposer lauto-discipline dapporter les contributions hebdomadaires, mensuelles ou saisonnières requises. Il ny a pas lieu dévaluer la rentabilité ou sa capacité de remboursement ni de présenter de dossier pour participer.
Le recours à des services financiers informels offerts par des particuliers cherchant à tirer un profit de leurs activités ne nécessite pas la présentation de plans ou dune description de sa situation financière. Il est toutefois courant que quelquun qui est accepté comme client dun prestataire de ce type de service financier soit connu de celui-ci, surtout sil sagit dun prêt. LEncadré 2, qui est emprunté à Rutherford (1996), décrit certains prêteurs semi-professionnels types au Viet Nam.
Pour recourir à ce type de service financier, les gens nont pas à changer dactivité ou de mode de vie. Il leur suffit dêtre connus et davoir une réputation de solvabilité qui rassure le prêteur. Pour pouvoir faire usage de ces services de prêt sur gage, il suffit davoir un bien ou un article qui puisse servir de garantie au prêt. Les prêteurs sur gages ne demandent même pas à avoir une bonne connaissance du client.
Encadré 2 |
M. et Mme Li ont une échoppe et une activité de prêt (gérée par Mme Li) dans un village dune région montagneuse du Nord du Viet Nam. Daprès Mme Li, six personnes prêtent de largent dans le village pour en tirer un bénéfice. Ce sont pour la plupart des fonctionnaires retraités qui reçoivent une pension ou de petits commerçants comme eux-mêmes. Ils prennent tous 6 % dintérêt mensuel et ne prêtent que dans leur propre village ou dans les villages voisins dont ils ont une connaissance approfondie de la situation. Ils limitent leurs prêts à un maximum de 3 millions de dong (environ $300), même aux ménages perçus comme fiables et prospères, afin de diluer leurs risques. Ces plafonds de prêt sont pratiqués par tous les prêteurs locaux |
Les services financiers informels sont essentiels à la vie de beaucoup de pauvres de beaucoup de pays. Y a-t-il une raison quelconque quils préfèrent recourir à des services financiers formels? Plusieurs facteurs ont leur importance, notamment:
La sécurité de lépargne
La possibilité de transférer des fonds et dutiliser des chèques comme mode de paiement
La possibilité demprunter de grosses sommes dargent
Laccès à une plus grande variété de produits financiers
Lexistence de dossiers clients, notamment avec états financiers et carnets dépargne.
Lors dune interview, Mme Li (voir Encadré 2) a déclaré quun paysan vietnamien qui voudrait aménager et peupler un étang de pisciculture dun coût denviron 10 ou 12 millions de dong en recourant à lemprunt devrait emprunter à trois ou quatre sources pour obtenir suffisamment de fonds. Parmi ces sources devrait probablement figurer une institution publique formelle telle que la banque de crédit agricole en même temps quà un ou plusieurs prêteurs. La question clé est de savoir si cet emprunteur pourrait ou non obtenir un prêt de la banque de développement agricole.
Les prestataires de services financiers du secteur formel sont réglementés et agréés. La plupart dentre eux sont des entreprises qui cherchent à limiter le plus possible les risques et à maximiser les bénéfices. Leur principal souci est de limiter les coûts et de développer leurs opérations de prêt. Cela est plus facile en milieu urbain, et nombre de banques hésitent à sengager dans les régions rurales. Il est clair quil existe un marché pour les services financiers dans les zones rurales et à lintention des familles les plus pauvres. Quest-ce qui pourrait inciter les prestataires du secteur formel à se lancer?
Certaines choses ne peuvent changer: tel est le cas de la distance et de la vulnérabilité de lagriculture au climat et aux caprices de la nature. En revanche, dautres peuvent se prêter à une action: la prise de conscience des possibilités offertes, laptitude des populations à analyser les diverses options, leur sensibilité à la notion de rentabilité, leur aptitude à la planification, à prendre les décisions en matière de dépenses, à expliquer et à justifier leurs plans et à remplir des formulaires et tenir des comptes, et ainsi de suite. Dans le prochain chapitre, nous examinerons certaines mesures à prendre pour aider les populations à améliorer leurs aptitudes à la gestion financière et pour leur permettre de sassurer un meilleur accès à un plus large éventail de services financiers.
[1] Extrait de "Poverty
Alleviation for Rural Women", G. Griffith 1994 Avebury. |