Quatre domaines essentiels offrant des possibilités damélioration des aptitudes à la gestion financières seront examinés dans ce chapitre:
Lalphabétisme
Les aptitudes à lanalyse
Les aptitudes à la planification
Les aptitudes à tenir des comptes
Lalphabétisme est simplement un moyen denregistrer et de communiquer dans lespace et le temps. Les illettrés ne sont pas des ignorants - ils ont beaucoup daptitudes et connaissent beaucoup de choses. Nombre dentre eux survivent confortablement sans savoir lire et peuvent ne pas se rendre compte de la nécessité de changer. Néanmoins, le besoin de savoir lire et écrire a pris de plus en plus dimportance dans le monde moderne, et ce savoir est particulièrement utile en ce qui concerne la gestion financière.
Le fait décrire aide à mémoriser. La plupart des gens sont particulièrement conscients des possibilités offertes par la mémoire de retenir des chiffres et de se souvenir des événements quotidiens en utilisant les chiffres. Lorsque lon fait des calculs, on perd le fil des totaux partiels. Les mots et les chiffres ne sont que des symboles sur papier, et la lecture est le moyen de reconnaître ces symboles et de leur donner la signification reconnue. Autrement dit, laptitude à lire et à écrire des chiffres, des sommes dargent, des noms, des instructions et autres facilite lanalyse et léchange dinformations.
Les procédures employées par les institutions financières impliquent toujours lutilisation de méthodes de communication écrite. Il est pour le moins utile davoir un moyen didentification personnelle, de pouvoir donner son adresse et décrire son nom. Selon le service financier recherché, il peut y avoir un contrat à comprendre, un livret à gérer, des chèques à écrire et à signer, des relevés et des lettres à lire et des règles à suivre. Il est important de pouvoir lire les avis tels les heures douverture et le type de service offert à guichet donné. Lanalphabétisme est lune des grandes raisons de lembarras quéprouvent certaines personnes dans les institutions formelles, et il défavorise ces personnes lorsquelles ont à traiter avec le personnel de linstitution.
Dans la gestion des transactions et des affaires financières, il est utile de pouvoir fournir par écrit des renseignements sur les personnes qui nous doivent de largent, lire une facture, enregistrer les opérations quotidiennes ou noter et comparer les prix. Si lon veut analyser la rentabilité dune entreprise ou mesurer limpact dun changement dans ce que lon fait, il devient vital de pouvoir recueillir, enregistrer et compléter linformation disponible sur les dépenses et les ventes. Lalphabétisme est le premier pas dans lamélioration des aptitudes à la gestion financière, mais cest de la façon dont on apprend à lire et à écrire que dépendent la validité et lutilité de ces aptitudes.
Par exemple, le fait dapprendre à reconnaître et à écrire les chiffres est des plus utiles lorsquil sagit dunités monétaires, des poids ou de quantités de produits, de tarifs dautobus, de distances par la route, des dimensions de terrains, etc. De même, les mots que lon apprend à lire et à écrire peuvent être particulièrement pertinents pour certains types de documents, avis, instructions et ainsi de suite auxquels on a affaire. Aujourdhui, nombre de programmes dalphabétisation comportent aussi un élément de sensibilisation selon les idées de Paulo Freire qui a lié lalphabétisme au changement social. Freire est celui qui a inventé le mot «conscientisation» pour décrire ce processus déveil où lon encourage les gens à analyser leur situation, y compris dans sa dimension politique, et à se considérer comme capables de la changer. Cela est particulièrement précieux pour la gestion financière car, comme nous lavons vu au Chapitre premier, les décisions prises sont fortement influencées par les attitudes, les croyances et le rang social de leurs auteurs et peuvent avoir à être reconsidérées et remises en cause si lon veut adopter une approche axée davantage sur la notion de profit.
Il existe quelques bons exemples dalphabétisation qui montrent que celle-ci peut améliorer la gestion financière.
Figures for Book-keeping est un ouvrage didactique publié par la FAO en 1993. Le matériel contenu dans cet ouvrage a été conçu à lorigine dans le cadre du projet «Développement intégré de la pêche artisanale» de la FAO, puis perfectionné par le Service des femmes et du développement du Bureau régional de la FAO à Accra, avec laide du Service de léducation non formelle du Ghana. Cet ouvrage a pour principal but denseigner les chiffres arabes, le calcul et lutilisation de largent aux femmes et aux hommes qui travaillent dans lagriculture, la pêche ou la foresterie ou gèrent une petite entreprise. La Figure 3 présente une illustration du contenu de cet ouvrage.
Figure 3: Exemple dillustration de louvrage Figures for Book-keeping
La méthode REFLECT conçue par ACTIONAID est fondée sur la théorie de Paulo Freire et fait amplement usage des techniques dévaluation rurale participative (Participatory Rural Appraisal - PRA). Cette méthode nest décrite dans aucun manuel. Chaque groupe de personnes ou cercle dalphabétisation "élabore ses propres matériels didactiques en établissant des cartes, des matrices, des calendriers et des diagrammes qui représentent la réalité locale, systématisent la connaissance des participants et encouragent lanalyse détaillée des problèmes locaux." (REFLECT Mother Manual, 1996).
Figure 4: Arbre illustrant les revenus et les dépenses tiré du REFLECT Mother Manual
Lintroduction de ce manuel ajoute: "Ces graphiques peuvent comprendre des descriptions illustrées des familles, de lutilisation ou du régime doccupation des sols; des calendriers de travaux ventilés par sexe, des maladies et des revenus; des matrices pour analyser les différentes cultures, des sources de crédit/de leur utilisation ou de la participation aux activités des organisations locales. Un graphique est établi au départ sur le terrain (à laide des matériels disponibles sur place) et vise à promouvoir la participation active de chacun. Il est ensuite reproduit sur une grande feuille de papier/sur un tableau à laide de simples croquis. Des termes sont ensuite inscrits sur ce graphique, tout dabord à laide détiquettes, puis sous forme de commentaires. Ces graphiques sont utilisés pour stimuler le débat, pour inciter les participants à écrire et à compter, et à prendre des mesures pour faire face aux problèmes locaux."
Figure 5: Carte des possibilités et des services extraite du REFLECT Mother Manual
La Figure 4 est un exemple de graphique tiré du REFLECT Mother Manual qui est utilisé pour engager le débat sur les revenus et les dépenses.
Pour pousser ce thème encore plus loin, on peut encourager les membres du cercle dalphabétisation à établir un calendrier illustrant les variations des revenus et des dépenses mois par mois ou semaine par semaine. Cela permet de calculer les volumes réels de revenus et de dépenses dun ou de plusieurs mois et de déterminer les profils dexcédent ou de déficit. On peut également encourager la réflexion sur certaines dépenses données, par exemple, pour les achats dengrais ou de bière ou pour léducation. Ainsi, un tel exercice dusage de lalphabétisme peut engendrer lacquisition dun niveau considérable daptitudes à la gestion financière.
La Figure 5 représente une carte qui peut servir de base à lexamen de la localisation des services dans une zone donnée, notamment des prestataires de services financiers, ou à lévaluation de diverses possibilités de marché ou demploi. Les exercices de calcul peuvent porter sur la mesure des distances, la comparaison des prix sur différents marchés, lévaluation des frais de transport et ainsi de suite.
Lélément de "conscientisation" inclus dans les programmes dalphabétisation représente un pas vers le développement des aptitudes à lanalyse. Pour améliorer sa condition, il faut dabord pouvoir faire le point de sa situation actuelle et savoir clairement où lon veut aller. Il faut ensuite
Pour améliorer sa condition, il faut faire le point de sa situation actuelle et avoir une idée précise de ce que lon voudrait atteindre. Il faut ensuite déterminer comment y parvenir et sassurer de lappui de sa famille et de ses amis dans la poursuite de cet objectif. On a besoin de faits et dinformations sur sa situation actuelle. On peut ensuite avoir besoin de déterminer quelles sont les causes dun problème éventuel et si une activité actuelle nest pas source de perte dargent. Il peut savérer nécessaire dexaminer de près sa base de ressources ou danalyser dautres possibilités de marché, et dévaluer ses éléments de force et de faiblesse, ainsi que les possibilités de faire quelque chose de nouveau.
Dans "Consultancy for Small Businesses" (Harper, 1977), lauteur décrit la situation dun certain nombre de petites entreprises dont les propriétaires estimaient avoir besoin dun prêt. "Ce dont ces propriétaires avaient besoin par-dessus tout, cétait de conseils en gestion, afin de pouvoir analyser la situation et évaluer leurs propres idées. Cela leur permettait ainsi de redéfinir leurs besoins et de résoudre leurs problèmes de façon plus économique." Harper explique que si chaque situation est différente des autres, dans chaque cas, le premier besoin est un besoin de recherche et danalyse.
Figure 6: Extrait dun calendrier saisonnier des revenus et des dépenses
Pour pouvoir effectuer une analyse convenable, il faut disposer dinformations sur la situation actuelle. Très peu de familles rurales telles que celles décrites au Chapitre premier disposent dinformations écrites sur leurs activités et ce, en raison en partie de problèmes danalphabétisme et en partie parce quil nest pas dusage de tenir décritures. Cela peut être motivé par la crainte du fisc ou dingérences dans les affaires familiales si lon sait déjà "trop" de la situation financière des familles. Cependant, il y a des moyens dinciter les gens à lanalyse en utilisant des techniques visuelles et des méthodes participatives qui leur donnent lassurance quils restent maîtres du processus.
Figure 7: Diagrammes illustrant lévolution de la trésorerie nette
Par exemple, on peut utiliser un calendrier saisonnier pour examiner lévolution des revenus et des dépenses dans le temps sans avoir à recourir à lusage de chiffres et de mots. On peut utiliser des symboles pour certains éléments de revenus et de dépenses, et des haricots pour représenter des sommes dargent. La Figure 6 illustre un exemple dun tel calendrier mais en remplaçant certains symboles par des mots pour faciliter la compréhension.
Pour faciliter lanalyse de la disponibilité ou de linsuffisance de fonds, on peut créer un diagramme indiquant les mois ou les semaines dexcédent et les mois ou les semaines de déficit monétaire. Deux exemples sont ainsi présentés à la Figure 7.
Le diagramme de léconomie dune famille représenté à la Figure 1 pourrait être utilisé pour encourager un particulier ou un groupe familial à examiner léventail dactivités rémunératrices auxquelles il sadonne afin de déterminer lesquelles, selon lui, sont les plus importantes ou lesquelles offrent les meilleures possibilités damélioration. Cet exercice pourrait être suivi dun simple calcul de la marge brute ou des bénéfices de lentreprise. La Figure 8 montre un exemple de la façon de calculer les bénéfices dune petite entreprise commerciale. Elle est extraite de la publication de la FAO intitulée "Simple Book-keeping and Business Management Skills" (Meijerink, 1997). Des symboles sont utilisés à la place de mots.
Béatrice achète et vend des oranges. Après avoir acheté ces oranges, elle paie quelquun pour laider à les porter, puis à les transporter jusquau marché. Elle paie également quelquun pour laider à les vendre. Voici ce que lui coûte une visite au marché:
Figure 8: Comment calculer un bénéfice
Si elle vend toutes ses oranges, son revenu est de:
Et son bénéfice est de:
Cet exemple est extrêmement simple. Toutefois, lapplication de ce principe dévaluation des coûts et des revenus à des entreprises plus complexes nest pas très difficile. Peu importe que les chiffres ne soient pas totalement exacts - des estimations grossières permettent également deffectuer une analyse - et il nest pas nécessaire demployer le langage spécialisé de la comptabilité.
Lévaluation du bénéfice réalisé pourrait déboucher sur un examen des moyens de laccroître, par exemple, en réduisant les coûts ou en vendant à un prix plus élevé. La Figure 9 montre comment utiliser une matrice pour aider les familles rurales à comparer leurs décisions commerciales pour différents types de produits. Dans un premier temps, on a demandé aux participants de classer les marchés par ordre de préférence. Leurs avis sont représentés par les haricots figurant à gauche dans chaque case. Ensuite, on leur a demandé de classer les marchés en fonction de leur rentabilité, représentée par les semences figurant à droite dans chaque case. Ce diagramme montre la matrice non encore achevée. Dans la pratique, en cas de problème danalphabétisme, on utilise des symboles à la place de mots.
Voici quelques exemples du type de questions pouvant découler de cet exercice:
Quelles sont les raisons de la préférence de certains marchés
Le marché ayant la préférence est-il aussi celui qui est le plus rentable?
Sinon, quelles sont les contraintes qui limitent laccès au marché le plus rentable?
Est-il possible de recourir à une commercialisation collective pour obtenir les meilleurs prix ou réduire les coûts de transport?
Les marchés ayant la préférence présentent-ils des différences saisonnières?
Ces différences offrent-elles des possibilités daméliorer la rentabilité?
Figure 9: Évaluation des décisions commerciales à laide dune matrice
On peut se livrer à un exercice similaire pour les achats de facteurs de production.
On peut utiliser des calendriers saisonniers pour comparer les prix tout au long de lannée. La représentation visuelle peut faciliter le débat sur les possibilités de marché. Les problèmes peuvent sanalyser à laide dun diagramme des facteurs causatifs. La Figure 10 est extraite de louvrage intitulé Participatory Farm Management Methods for Needs Assessment: A Manual (Manuel décrivant les méthodes de gestion agricole participative pour lévaluation des besoins) (Dorward, Galpin and Shepherd, 1997).
Figure 10: Diagramme des facteurs causatifs pour lanalyse du problème des faibles revenus procurés par la culture du coton
Dans cet exemple, extrait dune analyse plus complète du problème que pose la faible rentabilité de la production cotonnière, on a introduit une méthode dévaluation qui permet dindiquer limportance relative de chaque cause. Ainsi, les agriculteurs estiment que la faible rentabilité est due davantage au faible rendement quà la mauvaise qualité et que le faible rendement est causé davantage par les ennemis des cultures que par linsuffisance démergence. Ces conclusions devraient alors déboucher sur un examen spécifique des problèmes que posent les ennemis des cultures, et ainsi de suite.
Lautre question quil est extrêmement utile danalyser est celle de la façon dont le capital est utilisé. Dans Consultancy for Small Businesses, Harper souligne:
"Nous avons constaté que lun des problèmes les plus courants qui se posent aux responsables des petites entreprises tient au fait quils pensent quils ont besoin de plus dargent alors quen réalité, ils utilisent mal largent dont ils disposent. Le premier but de tout diagnostic doit donc être de déterminer comment ils utilisent leur capital."
DOÙ VIENT LARGENT |
QUAI-JE INVESTI |
||
Emprunts |
|
Biens à conserver |
|
Crédit fournisseurs |
55 000 |
Outils |
110 000 |
|
|
Arbres fruitiers |
150 000 |
Prêt dune banque villageoise |
400 000 |
Silo à grains |
180 000 |
Total |
455 000 |
Total |
440 000 |
|
|
Biens à vendre ou à utiliser |
|
|
|
Maïs engrangé |
280 000 |
|
|
Manioc dans le champ |
100 000 |
Mon propre argent |
630 000 |
Chèvre |
90 000 |
|
|
Total |
470 000 |
|
|
Liquidité |
|
|
|
Créances |
10 000 |
|
|
Épargne |
100 000 |
|
|
Argent liquide détenu |
65 000 |
|
|
Total |
175 000 |
MONTANT TOTAL |
1 085 000 |
ACTIF TOTAL |
1 085 000 |
Figure 11: Bilan
Cela exige la préparation dun bilan, qui énumère les postes de lactif et du passif de lentreprise ou du ménage. Les termes actif et passif sont des termes de comptabilité qui peuvent sembler difficiles à comprendre, mais on peut utiliser un langage plus compréhensible pour expliquer leur signification. La brochure et le film intitulés The Balance Sheet Barrier (Jay, 1977) offrent dexcellents exemples de moyens de simplifier les choses, comme en témoigne lextrait ci-dessous.
"Il vous faut savoir deux choses essentielles à propos de votre argent: Doù vient-il? Et où est-il allé?
Quand vous démarrez une activité commerciale, vous ne pouvez vous procurer de largent quà deux sources:
1. En puisant dans vos propres ressources.
2. En empruntant.
Quand vous démarrez une activité commerciale, vous ne pouvez dépenser votre argent que pour deux types de dépenses:
1. Pour lachat de biens que vous entendez garder (immobilisations).
2. Pour lachat de biens que vous comptez vendre (fonds de roulement ou actif réalisable)."
(The Balance Sheet Barrier)
La brochure et le film développent ces points en utilisant des diagrammes et des croquis. Ces techniques peuvent être utilisées nimporte où, et les mots peuvent être remplacés par des symboles.
Un bilan peut sétablir très simplement au moyen de questions et par lobservation, et il donne une image utile prise sur le vif de lentreprise. Il révèle le résultat des diverses décisions prises jusque là et indique le volume de ressources disponible pour lavenir et le degré de dépendance à légard de lemprunt.
Les familles qui tirent leur revenu de lagriculture ou de petites entreprises ne peuvent améliorer leur mode de vie quen réalisant davantage de profit. Cest pourquoi il importe avant tout dexaminer leurs activités et de rechercher les moyens daccroître leurs revenus ou de diminuer leurs dépenses. La difficulté de réunir des données ne manquera probablement pas de faire ressortir le besoin de tenir des comptes, ce qui sera traité dans la prochaine section de ce chapitre. Toutefois, sil est apparu des idées nouvelles ou de nouvelles solutions aux problèmes qui se posent, il importe de les examiner de près afin de sassurer quelles débouchent sur les résultats attendus. Cela implique une planification de la mise en oeuvre de toute activité nouvelle ou modifiée et le calcul de ses répercussions financières à laide dun budget.
Dans un tel exercice de planification, la première chose à faire est de préciser les buts et objectifs. On a vu au chapitre premier que les gens subissent de nombreuses influences dans leur vie et font partie dun réseau social complexe. Il importe donc quils soient conscients de cet état de choses et quils décident à quel point il sont prêts à modifier leur mode de vie afin daccroître leur revenu.
LEncadré 3 présente une étude de cas extraite de Consultancy for Small Businesses (op cit). Il illustre utilement la nécessité de voir plus clairement le rapport entre les obligations sociales et commerciales et de reconnaître que le changement et une nouvelle vision de lavenir peuvent être bénéfiques
Encadré 3 |
Un menuisier fabriquait un mobilier simple quil vendait de son atelier aux habitants de sa localité. Il se plaignait de ne pouvoir se mettre sur les rangs pour la fabrication de pupitres et de bancs décoliers car il navait pas assez dargent pour acheter la quantité de bois nécessaire à une telle opération. Après un examen de la comptabilité de ce menuisier, il est apparu quil réalisait un profit mensuel raisonnable, qui était plus que suffisant pour couvrir ses besoins modestes. En discutant avec un conseiller, il finit par admettre quil distribuait largent qui lui restait à divers membres de sa famille qui ne cessaient de le harceler de leurs demandes daide. Le menuisier était persuadé quil serait dans lintérêt à long terme de sa famille comme de lui-même de développer son affaire et que sil refusait de répondre à ces demandes daide intempestives, il aurait vite fait de pouvoir fabriquer davantage de meubles et de gagner plus dargent, dans lintérêt de tous. Il ouvrit un compte bancaire sur lequel il commença à effectuer régulièrement des dépôts. En lespace de quelques mois, il put soumissionner et emporter des contrats scolaires, et son entreprise connut une rapide expansion. Il pensait quil avait besoin de plus de capital, mais que sa famille semparerait probablement de tout largent en excédent quil pourrait gagner. Il avait réellement besoin daide pour prendre du recul et se placer dans une perspective à long terme. Cela lui permit de se rendre compte que lintérêt à long terme de sa famille passait par lacceptation de sacrifices à court terme et par une saine gestion financière. |
Lorsquune idée de changement implique un accroissement ou une diversification de la production, il importe ensuite dévaluer de la demande du marché. Aucun budget judicieux ne peut être établi sans une idée précise de la quantité dun produit ou dun service qui peut se vendre, et à quel prix. Laptitude à létude du marché est indispensable aux petits producteurs, même sil ne sagit que dobserver le marché local ou de demander lavis dautres personnes.
Une fois que le potentiel a été déterminé, la planification implique la mobilisation et lénumération de toutes les ressources nécessaires à lactivité nouvelle ou modifiée. On peut ensuite procéder à une estimation du bénéfice, généralement dans le cadre dun budget partiel. Comme pour tous les exemples donnés jusquici, ce type de budget peut être établi simplement et sans jargon. Cela dit, les mots exacts, lorsquils sont connus, facilitent la communication. Ainsi, certains termes tels que coûts fixes ou coûts variables et investissement de capital sont utiles, une fois quils sont compris. La Figure 12 présente une simple estimation des bénéfices pour la production de tomates. Il faut bien entendu choisir une période appropriée pour ce type de budget.
Revenu |
|
|
|
||
|
50kg de tomates vendus à $EU 2 le kg. |
|
$EU |
100 |
|
Revenu total |
|
$EU |
100 |
||
Coûts variables |
|
|
|
||
|
Semences |
$EU |
10 |
|
|
|
Engrais |
$EU |
25 |
|
|
|
Produits chimiques |
$EU |
15 |
|
|
|
Sacs |
$EU |
10 |
|
|
Coûts fixes |
|
|
|
||
|
Patente |
$EU |
5 |
|
|
|
Transport |
$EU |
11 |
|
|
|
Fraction du coût des outils (amortissement) |
$EU |
4 |
|
|
Coûts totaux |
|
$EU |
80 |
||
Bénéfice |
|
$EU |
20 |
Figure 12: Budget partiel
+ |
- |
REVENU SUPPLÉMENTAIRE Possibilité de vendre ou de consommer des produits nouveaux ou supplémentaires si lon fait ce changement. |
MANQUE À GAGNER Produits dont on ne disposera plus ou que lon ne pourra plus vendre si lon fait ce changement. |
ÉCONOMIE SUR LES COÛTS Choses que l'on cessera d'acheter comme résultat du changement. On n'épargnera qu'une partie du coût de l'équipement qui durera au delà du budget. |
COÛTS SUPPLÉMENTAIRES Choses que lon devra acheter du fait de lactivité nouvelle ou modifiée. Ninclure quune partie du coût total des biens déquipement qui dureront au delà de la période budgétaire. |
On peut encourager davantage de débat en utilisant la méthode détablissement dun budget partiel illustrée ci-dessous, qui comporte un examen de leffet produit sur dautres activités. Cela peut être très important dans le cas dune famille rurale dont les activités multiples réclament le temps et lattention des membres de la famille.
Un budget établissant un bénéfice indique à quel point un changement peut être utile si les quantités vendues et les prix supposés se concrétisent. Il peut être sage de recalculer le budget en partant dhypothèses de prix et de quantités différentes, afin de voir si un bénéfice est encore possible. Si les tomates de la Fig. 12 ne se vendent quà $1 le kg, ou si lentreprise nen vend que la moitié, la perte pourrait être de $30.
La dernière opération de planification financière a trait à létablissement dun budget de trésorerie. Ce budget permet dindiquer à quel moment les ventes apporteront un revenu et à quel moment il faudra acheter des facteurs de production. Lorsquun nouvelle activité est lancée, beaucoup de gens établissent une trésorerie qui ne comprend que les dépenses et les recettes de cette activité. Cette trésorerie partielle est moins utile quune trésorerie qui tient compte de toutes les activités du ménage.
Un budget de trésorerie complet peut indiquer à lintéressé sil aura assez dargent pour exécuter son plan ou sil doit sattendre à être à court dargent durant un mois donné. Si un emprunt est envisagé pour couvrir les périodes de déficit, le budget de trésorerie peut aider lintéressé à déterminer à quel moment il sera à même de rembourser largent emprunté. Quand il nest pas tenu de comptabilité, il faut généralement estimer les dépenses du ménage.
La Figure 13 donne un exemple de budget de trésorerie pour une famille érythréenne qui se propose dacheter une vache à lait pour améliorer son revenu. Les chiffres de cette nouvelle activité sont présentés en italique. La Figure 14 montre comment un prêt et un calendrier de remboursement pourraient rendre cette proposition réalisable. Cet exemple est fondé sur les données recueillies par ACORD dans le cadre du Plan dépargne et de crédit de la Zone Sud de lÉrythrée. On trouvera un complément dinformation sur ce plan au Chapitre 3.
REVENU |
Jan |
Fev |
Mar |
Avr |
Mai |
Juin |
Juil |
Août |
Sept |
Oct |
Nov |
Dec |
Cultures |
450 |
500 |
400 |
|
|
|
|
|
|
|
|
200 |
Salaires |
|
100 |
200 |
200 |
|
|
|
|
|
|
|
|
Métayage |
200 |
|
|
|
|
|
400 |
300 |
|
|
|
300 |
Dons |
100 |
200 |
|
|
|
|
|
|
200 |
|
|
|
Lait |
|
170 |
340 |
340 |
340 |
340 |
340 |
340 |
300 |
300 |
300 |
300 |
Vente dun veau |
|
|
|
|
|
|
|
|
800 |
|
|
|
TOTAL |
750 |
970 |
940 |
540 |
340 |
340 |
740 |
640 |
1 300 |
300 |
300 |
800 |
DÉPENSES |
Jan |
Fev |
Mar |
Avr |
Mai |
Juin |
Juil |
Août |
Sept |
Oct |
Nov |
Dec |
Alimentation |
130 |
195 |
130 |
130 |
130 |
130 |
130 |
95 |
195 |
95 |
120 |
130 |
Scolarité |
7 |
7 |
7 |
7 |
7 |
7 |
7 |
7 |
325 |
7 |
7 |
7 |
Vêtements |
200 |
400 |
|
100 |
|
|
|
|
300 |
|
|
|
Alimentation du bétail |
10 |
25 |
25 |
35 |
50 |
15 |
5 |
5 |
5 |
5 |
5 |
15 |
Impôts |
80 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Autres |
33 |
58 |
33 |
33 |
33 |
33 |
33 |
33 |
58 |
33 |
33 |
33 |
Épargne |
10 |
10 |
10 |
10 |
10 |
10 |
10 |
10 |
10 |
10 |
10 |
10 |
Alimentation de la vache laitière |
180 |
180 |
180 |
180 |
180 |
190 |
200 |
200 |
180 |
180 |
180 |
180 |
Étable |
200 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Vache |
1 000 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
TOTAL |
1 850 |
875 |
385 |
495 |
410 |
385 |
385 |
350 |
1 073 |
330 |
355 |
375 |
SOLDE MENSUEL |
-1 100 |
95 |
555 |
45 |
-70 |
-45 |
355 |
290 |
227 |
-30 |
-55 |
425 |
Solde cumulé |
-1 100 |
-1 005 |
-450 |
-405 |
-475 |
-520 |
-165 |
125 |
352 |
322 |
267 |
692 |
Figure 13: Budget de trésorerie[2]
|
Jan |
Fev |
Mar |
Avr |
Mai |
Juin |
Juil |
Août |
Sept |
Oct |
Nov |
Dec |
SOLDE MENSUEL |
-1 100 |
95 |
555 |
45 |
-70 |
-45 |
355 |
290 |
227 |
-30 |
-55 |
425 |
Montants retirés de lépargne |
200 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Prêt envisagé |
1 000 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Remboursements proposés |
|
|
|
-175 |
-175 |
-175 |
-175 |
-175 |
-175 |
|
|
|
Nouveau solde cumulé |
100 |
195 |
750 |
795 |
550 |
330 |
510 |
625 |
677 |
472 |
417 |
842 |
Figure 14: Planification dun prêt avec Budget de trésorerie2
Pour bien suivre les entrées et sorties de fonds, il est généralement nécessaire dinscrire les recettes et les dépenses. La mémoire nest pas assez bonne pour une analyse et une planification convenables.
On a vu au Chapitre premier que lun des problèmes qui se posent souvent aux familles rurales est la tendance à traiter largent reçu comme revenu disponible, quil soit ou non nécessaire pour couvrir les dépenses de lentreprise. Dautres personnes ont du mal à garder le contrôle de leur vente de biens à crédit.
Plusieurs méthodes simples ont été mises au point pour permettre aux gens de tenir les comptes de leurs transactions monétaires, même sils ne savent pas lire. Comme il faut une certaine auto-discipline et la volonté de tenir ces comptes régulièrement, les intéressés doivent être motivés par le désir daméliorer leur niveau de revenu, voire de saffranchir de leurs dettes.
Figure 15: Livre de comptes simple
La Figure 15 montre un exemple de livre de comptes tiré de Simple Bookkeeping and Business Management Skills (op cit). À la place de mots, des symboles ont été utilisés.
On peut aider les gens à tenir leurs comptes sans avoir à écrire de chiffres. Par exemple, des colonnes peuvent être prévues pour les différentes coupures, et les montants prélevés ou dépensés sur certains articles peuvent être inscrits à laide de symboles dans la colonne pertinente.
Lexemple de livre de comptes présenté ci-dessus peut être un premier pas vers lamélioration des aptitudes à tenir des comptes. Le livre de comptes plus détaillé présenté à la Figure 16 est encore préférable, car il permet dinscrire les recettes et les dépenses sous des titres distincts pour chaque entreprise ou chaque type de produit, et de connaître le total des recettes et des dépenses réalisées. Ce système prévoit des méthodes pour évaluer les transactions qui sont réglées en partie en nature et pour séparer les transactions en espèces de celles qui passent par la banque.
Le fait dapprendre à utiliser un livre de comptes de ce type permet de suivre les budgets de plus près. Ayant établi un plan et layant exécuté, il est très précieux de prendre le temps de comparer ce qui a effectivement été acheté et dépensé à ce que lon avait prévu dacheter et de dépenser. Au lieu dêtre acculé à la ruine pour navoir pas remarqué de graves discordances, celui qui suit ses entrées et sorties de fonds est mieux à même de prédire les difficultés et de prendre des mesures pour les éviter.
Date |
Détails |
Total |
Maïs |
Ignames |
Poisson |
Volaille |
Salaire |
Aliments cuisinés |
2/2 |
Produits agricoles vendus au marché |
10,50 |
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10,50 |
|
|
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|
5/2 |
ufs vendus au marché |
14,80 |
|
|
14,80 |
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10/2 |
Travail occasionnel pour M. Hamsa |
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25,00 |
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15/2 |
Produits agricoles/alimentaires vendus au marché |
18,20 |
10,20 |
|
|
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|
8,00 |
19/2 |
Poisson vendu à un commerçant |
15,00 |
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15,00 |
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Figure 16: Page des recettes dun livre de comptes analytique
RECETTES |
Budget |
Réelles |
Budget |
Réelles |
Etc. |
Poisson |
75,00 |
92,00 |
|
|
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Arachides |
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|
200,00 |
212,56 |
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Riz |
300,00 |
236,70 |
|
84,10 |
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Aliments cuisinés |
120,00 |
98,30 |
120,00 |
105,80 |
|
Figure 17: Suivi dun budget
Figure 18: Enregistrement des transactions à crédit
Les activités commerciales posent souvent le problème de la gestion des dettes. Si des biens sont vendus à crédit aux clients, il faut tenir un livre des comptes de crédit avec un compte spécial pour chaque client. En inscrivant la valeur des biens vendus à crédit et les montants remboursés, on peut contrôler le recouvrement des créances.
La Figure 18 présente un exemple de page dun livre de compte de crédit tiré de Simple Book-keeping and Business Management Skills (op cit).
Dans ce chapitre, nous nous sommes efforcés de présenter un éventail daptitudes que pourraient acquérir les familles rurales et qui rendraient leurs pratiques en matière de gestion financière conformes aux attentes et aux intérêts des prestataires de services financiers. Lalphabétisme conféreraient la confiance et laptitude à sacquitter de simples formalités bancaires telles que la lecture de relevés et létablissement de chèques.
Les aptitudes à lanalyse permettraient aux intéressés de se faire une idée précise de leur situation actuelle, de se fixer des objectifs pour lavenir et de comparer divers types daction possibles. Lévaluation des marchés et des besoins des clients devient essentielle à la gestion dune entreprise commerciale, au même titre que la compréhension des notions de coûts et de marge bénéficiaire. Les aptitudes à la planification, qui permettent de prédire les résultats et les conséquences de différentes décisions et denregistrer, de suivre et de contrôler les transactions financières, donneraient en outre aux institutions financières les informations dont elles ont besoin pour ouvrir et gérer les comptes de leurs clients.
Il faut à quiconque une grande motivation pour tenter dacquérir ces aptitudes et de les mettre en pratique dune manière systématique. Personne ne peut entreprendre de tels efforts sans la volonté de sintégrer au monde du commerce et le désir daméliorer ses revenus en accroissant la rentabilité dune ou de plusieurs de ses activités. Pour ceux qui ont ce désir et cette motivation, ce chapitre a montré quil existe des méthodes qui peuvent être adaptées de manière à permettre aux personnes sachant ou non lire et écrire de développer leurs aptitudes à la gestion financière.
Pour les prestataires de services financiers, le marché rural devrait être un débouché non encore exploité. Dénormes quantités de personnes vivant en milieu rural ont besoin dinstruments dépargne, de prêt et dassurance. Jusquici, les banques commerciales nont pas jugé rentable de sintéresser aux marchés ruraux quelles considèrent très risqués et coûteux. La place a été laissée aux pouvoirs publics et aux donateurs, qui se sont employés à mettre en place des services de microfinancement dans le cadre defforts de lutte contre la pauvreté ou de programmes de développement rural. Daprès Harper et al. (1998), les banques devraient se lancer sur ces marchés. "Ce qui est absolument nécessaire, cest un changement dattitude; les banquiers doivent apprendre à regarder les pauvres non pas comme lobjet doeuvres de charité, mais comme une possibilité supplémentaire dinvestissement et de profit (Magill, 1994). Les services financiers offerts à ce marché ne doivent pas être perçus comme un ensemble dactions non financières telles que la lutte contre la pauvreté, la coopération sociale ou lémancipation des femmes (Rutherford, 1995), mais comme une activité bancaire légitime, susceptible de permettre aux banques de développer leur clientèle de façon rentable et daider en même temps les pauvres à devenir moins pauvres."
Les réticences des banques à légard de cette clientèle en puissance disparaîtraient au moins en partie si lon pouvait relever ses niveaux dalphabétisme et de compréhension de la gestion commerciale. Les coûts des transactions seraient moins élevés si les clients potentiels se montraient capables de donner les renseignements voulus à la banque et navaient pas peur de sexpliquer. Enfin, les risques se trouveraient diminués si les clients pouvaient optimiser leurs possibiltés de marché et maîtriser leurs transactions financières.
Dans le prochain chapitre, nous examinerons les possibilités daider les familles rurales à améliorer leurs aptitudes à la gestion financière, et les organisations qui pourraient jouer un rôle dans ce processus.
[2] Chiffres extraits de PRA
and Microfinance: Conceptual and Methodological Problems with Appraisal and
Impact Assessment of Micro-enterprises (Sorensen, 1998). |