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2. Améliorer les aptitudes a la gestion financière


Quatre domaines essentiels offrant des possibilités d’amélioration des aptitudes à la gestion financières seront examinés dans ce chapitre:

L’alphabétisme

L’alphabétisme est simplement un moyen d’enregistrer et de communiquer dans l’espace et le temps. Les illettrés ne sont pas des ignorants - ils ont beaucoup d’aptitudes et connaissent beaucoup de choses. Nombre d’entre eux survivent confortablement sans savoir lire et peuvent ne pas se rendre compte de la nécessité de changer. Néanmoins, le besoin de savoir lire et écrire a pris de plus en plus d’importance dans le monde moderne, et ce savoir est particulièrement utile en ce qui concerne la gestion financière.

Le fait d’écrire aide à mémoriser. La plupart des gens sont particulièrement conscients des possibilités offertes par la mémoire de retenir des chiffres et de se souvenir des événements quotidiens en utilisant les chiffres. Lorsque l’on fait des calculs, on perd le fil des totaux partiels. Les mots et les chiffres ne sont que des symboles sur papier, et la lecture est le moyen de reconnaître ces symboles et de leur donner la signification reconnue. Autrement dit, l’aptitude à lire et à écrire des chiffres, des sommes d’argent, des noms, des instructions et autres facilite l’analyse et l’échange d’informations.

Les procédures employées par les institutions financières impliquent toujours l’utilisation de méthodes de communication écrite. Il est pour le moins utile d’avoir un moyen d’identification personnelle, de pouvoir donner son adresse et d’écrire son nom. Selon le service financier recherché, il peut y avoir un contrat à comprendre, un livret à gérer, des chèques à écrire et à signer, des relevés et des lettres à lire et des règles à suivre. Il est important de pouvoir lire les avis tels les heures d’ouverture et le type de service offert à guichet donné. L’analphabétisme est l’une des grandes raisons de l’embarras qu’éprouvent certaines personnes dans les institutions formelles, et il défavorise ces personnes lorsqu’elles ont à traiter avec le personnel de l’institution.

Dans la gestion des transactions et des affaires financières, il est utile de pouvoir fournir par écrit des renseignements sur les personnes qui nous doivent de l’argent, lire une facture, enregistrer les opérations quotidiennes ou noter et comparer les prix. Si l’on veut analyser la rentabilité d’une entreprise ou mesurer l’impact d’un changement dans ce que l’on fait, il devient vital de pouvoir recueillir, enregistrer et compléter l’information disponible sur les dépenses et les ventes. L’alphabétisme est le premier pas dans l’amélioration des aptitudes à la gestion financière, mais c’est de la façon dont on apprend à lire et à écrire que dépendent la validité et l’utilité de ces aptitudes.

Par exemple, le fait d’apprendre à reconnaître et à écrire les chiffres est des plus utiles lorsqu’il s’agit d’unités monétaires, des poids ou de quantités de produits, de tarifs d’autobus, de distances par la route, des dimensions de terrains, etc. De même, les mots que l’on apprend à lire et à écrire peuvent être particulièrement pertinents pour certains types de documents, avis, instructions et ainsi de suite auxquels on a affaire. Aujourd’hui, nombre de programmes d’alphabétisation comportent aussi un élément de sensibilisation selon les idées de Paulo Freire qui a lié l’alphabétisme au changement social. Freire est celui qui a inventé le mot «conscientisation» pour décrire ce processus d’éveil où l’on encourage les gens à analyser leur situation, y compris dans sa dimension politique, et à se considérer comme capables de la changer. Cela est particulièrement précieux pour la gestion financière car, comme nous l’avons vu au Chapitre premier, les décisions prises sont fortement influencées par les attitudes, les croyances et le rang social de leurs auteurs et peuvent avoir à être reconsidérées et remises en cause si l’on veut adopter une approche axée davantage sur la notion de profit.

Il existe quelques bons exemples d’alphabétisation qui montrent que celle-ci peut améliorer la gestion financière.

Figures for Book-keeping est un ouvrage didactique publié par la FAO en 1993. Le matériel contenu dans cet ouvrage a été conçu à l’origine dans le cadre du projet «Développement intégré de la pêche artisanale» de la FAO, puis perfectionné par le Service des femmes et du développement du Bureau régional de la FAO à Accra, avec l’aide du Service de l’éducation non formelle du Ghana. Cet ouvrage a pour principal but d’enseigner les chiffres arabes, le calcul et l’utilisation de l’argent aux femmes et aux hommes qui travaillent dans l’agriculture, la pêche ou la foresterie ou gèrent une petite entreprise. La Figure 3 présente une illustration du contenu de cet ouvrage.

Figure 3: Exemple d’illustration de l’ouvrage Figures for Book-keeping

La méthode REFLECT conçue par ACTIONAID est fondée sur la théorie de Paulo Freire et fait amplement usage des techniques d’évaluation rurale participative (Participatory Rural Appraisal - PRA). Cette méthode n’est décrite dans aucun manuel. Chaque groupe de personnes ou cercle d’alphabétisation "élabore ses propres matériels didactiques en établissant des cartes, des matrices, des calendriers et des diagrammes qui représentent la réalité locale, systématisent la connaissance des participants et encouragent l’analyse détaillée des problèmes locaux." (REFLECT Mother Manual, 1996).

Figure 4: Arbre illustrant les revenus et les dépenses tiré du REFLECT Mother Manual

L’introduction de ce manuel ajoute: "Ces graphiques peuvent comprendre des descriptions illustrées des familles, de l’utilisation ou du régime d’occupation des sols; des calendriers de travaux ventilés par sexe, des maladies et des revenus; des matrices pour analyser les différentes cultures, des sources de crédit/de leur utilisation ou de la participation aux activités des organisations locales. Un graphique est établi au départ sur le terrain (à l’aide des matériels disponibles sur place) et vise à promouvoir la participation active de chacun. Il est ensuite reproduit sur une grande feuille de papier/sur un tableau à l’aide de simples croquis. Des termes sont ensuite inscrits sur ce graphique, tout d’abord à l’aide d’étiquettes, puis sous forme de commentaires. Ces graphiques sont utilisés pour stimuler le débat, pour inciter les participants à écrire et à compter, et à prendre des mesures pour faire face aux problèmes locaux."

Figure 5: Carte des possibilités et des services extraite du REFLECT Mother Manual

La Figure 4 est un exemple de graphique tiré du REFLECT Mother Manual qui est utilisé pour engager le débat sur les revenus et les dépenses.

Pour pousser ce thème encore plus loin, on peut encourager les membres du cercle d’alphabétisation à établir un calendrier illustrant les variations des revenus et des dépenses mois par mois ou semaine par semaine. Cela permet de calculer les volumes réels de revenus et de dépenses d’un ou de plusieurs mois et de déterminer les profils d’excédent ou de déficit. On peut également encourager la réflexion sur certaines dépenses données, par exemple, pour les achats d’engrais ou de bière ou pour l’éducation. Ainsi, un tel exercice d’usage de l’alphabétisme peut engendrer l’acquisition d’un niveau considérable d’aptitudes à la gestion financière.

La Figure 5 représente une carte qui peut servir de base à l’examen de la localisation des services dans une zone donnée, notamment des prestataires de services financiers, ou à l’évaluation de diverses possibilités de marché ou d’emploi. Les exercices de calcul peuvent porter sur la mesure des distances, la comparaison des prix sur différents marchés, l’évaluation des frais de transport et ainsi de suite.

Aptitudes à l’analyse

L’élément de "conscientisation" inclus dans les programmes d’alphabétisation représente un pas vers le développement des aptitudes à l’analyse. Pour améliorer sa condition, il faut d’abord pouvoir faire le point de sa situation actuelle et savoir clairement où l’on veut aller. Il faut ensuite

Pour améliorer sa condition, il faut faire le point de sa situation actuelle et avoir une idée précise de ce que l’on voudrait atteindre. Il faut ensuite déterminer comment y parvenir et s’assurer de l’appui de sa famille et de ses amis dans la poursuite de cet objectif. On a besoin de faits et d’informations sur sa situation actuelle. On peut ensuite avoir besoin de déterminer quelles sont les causes d’un problème éventuel et si une activité actuelle n’est pas source de perte d’argent. Il peut s’avérer nécessaire d’examiner de près sa base de ressources ou d’analyser d’autres possibilités de marché, et d’évaluer ses éléments de force et de faiblesse, ainsi que les possibilités de faire quelque chose de nouveau.

Dans "Consultancy for Small Businesses" (Harper, 1977), l’auteur décrit la situation d’un certain nombre de petites entreprises dont les propriétaires estimaient avoir besoin d’un prêt. "Ce dont ces propriétaires avaient besoin par-dessus tout, c’était de conseils en gestion, afin de pouvoir analyser la situation et évaluer leurs propres idées. Cela leur permettait ainsi de redéfinir leurs besoins et de résoudre leurs problèmes de façon plus économique." Harper explique que si chaque situation est différente des autres, dans chaque cas, le premier besoin est un besoin de recherche et d’analyse.

Figure 6: Extrait d’un calendrier saisonnier des revenus et des dépenses

Pour pouvoir effectuer une analyse convenable, il faut disposer d’informations sur la situation actuelle. Très peu de familles rurales telles que celles décrites au Chapitre premier disposent d’informations écrites sur leurs activités et ce, en raison en partie de problèmes d’analphabétisme et en partie parce qu’il n’est pas d’usage de tenir d’écritures. Cela peut être motivé par la crainte du fisc ou d’ingérences dans les affaires familiales si l’on sait déjà "trop" de la situation financière des familles. Cependant, il y a des moyens d’inciter les gens à l’analyse en utilisant des techniques visuelles et des méthodes participatives qui leur donnent l’assurance qu’ils restent maîtres du processus.

Figure 7: Diagrammes illustrant l’évolution de la trésorerie nette

Par exemple, on peut utiliser un calendrier saisonnier pour examiner l’évolution des revenus et des dépenses dans le temps sans avoir à recourir à l’usage de chiffres et de mots. On peut utiliser des symboles pour certains éléments de revenus et de dépenses, et des haricots pour représenter des sommes d’argent. La Figure 6 illustre un exemple d’un tel calendrier mais en remplaçant certains symboles par des mots pour faciliter la compréhension.

Pour faciliter l’analyse de la disponibilité ou de l’insuffisance de fonds, on peut créer un diagramme indiquant les mois ou les semaines d’excédent et les mois ou les semaines de déficit monétaire. Deux exemples sont ainsi présentés à la Figure 7.

Le diagramme de l’économie d’une famille représenté à la Figure 1 pourrait être utilisé pour encourager un particulier ou un groupe familial à examiner l’éventail d’activités rémunératrices auxquelles il s’adonne afin de déterminer lesquelles, selon lui, sont les plus importantes ou lesquelles offrent les meilleures possibilités d’amélioration. Cet exercice pourrait être suivi d’un simple calcul de la marge brute ou des bénéfices de l’entreprise. La Figure 8 montre un exemple de la façon de calculer les bénéfices d’une petite entreprise commerciale. Elle est extraite de la publication de la FAO intitulée "Simple Book-keeping and Business Management Skills" (Meijerink, 1997). Des symboles sont utilisés à la place de mots.

Béatrice achète et vend des oranges. Après avoir acheté ces oranges, elle paie quelqu’un pour l’aider à les porter, puis à les transporter jusqu’au marché. Elle paie également quelqu’un pour l’aider à les vendre. Voici ce que lui coûte une visite au marché:

Figure 8: Comment calculer un bénéfice

Si elle vend toutes ses oranges, son revenu est de:

Et son bénéfice est de:

Cet exemple est extrêmement simple. Toutefois, l’application de ce principe d’évaluation des coûts et des revenus à des entreprises plus complexes n’est pas très difficile. Peu importe que les chiffres ne soient pas totalement exacts - des estimations grossières permettent également d’effectuer une analyse - et il n’est pas nécessaire d’employer le langage spécialisé de la comptabilité.

L’évaluation du bénéfice réalisé pourrait déboucher sur un examen des moyens de l’accroître, par exemple, en réduisant les coûts ou en vendant à un prix plus élevé. La Figure 9 montre comment utiliser une matrice pour aider les familles rurales à comparer leurs décisions commerciales pour différents types de produits. Dans un premier temps, on a demandé aux participants de classer les marchés par ordre de préférence. Leurs avis sont représentés par les haricots figurant à gauche dans chaque case. Ensuite, on leur a demandé de classer les marchés en fonction de leur rentabilité, représentée par les semences figurant à droite dans chaque case. Ce diagramme montre la matrice non encore achevée. Dans la pratique, en cas de problème d’analphabétisme, on utilise des symboles à la place de mots.

Voici quelques exemples du type de questions pouvant découler de cet exercice:

Figure 9: Évaluation des décisions commerciales à l’aide d’une matrice

On peut se livrer à un exercice similaire pour les achats de facteurs de production.

On peut utiliser des calendriers saisonniers pour comparer les prix tout au long de l’année. La représentation visuelle peut faciliter le débat sur les possibilités de marché. Les problèmes peuvent s’analyser à l’aide d’un diagramme des facteurs causatifs. La Figure 10 est extraite de l’ouvrage intitulé Participatory Farm Management Methods for Needs Assessment: A Manual (Manuel décrivant les méthodes de gestion agricole participative pour l’évaluation des besoins) (Dorward, Galpin and Shepherd, 1997).

Figure 10: Diagramme des facteurs causatifs pour l’analyse du problème des faibles revenus procurés par la culture du coton

Dans cet exemple, extrait d’une analyse plus complète du problème que pose la faible rentabilité de la production cotonnière, on a introduit une méthode d’évaluation qui permet d’indiquer l’importance relative de chaque cause. Ainsi, les agriculteurs estiment que la faible rentabilité est due davantage au faible rendement qu’à la mauvaise qualité et que le faible rendement est causé davantage par les ennemis des cultures que par l’insuffisance d’émergence. Ces conclusions devraient alors déboucher sur un examen spécifique des problèmes que posent les ennemis des cultures, et ainsi de suite.

L’autre question qu’il est extrêmement utile d’analyser est celle de la façon dont le capital est utilisé. Dans Consultancy for Small Businesses, Harper souligne:

"Nous avons constaté que l’un des problèmes les plus courants qui se posent aux responsables des petites entreprises tient au fait qu’ils pensent qu’ils ont besoin de plus d’argent alors qu’en réalité, ils utilisent mal l’argent dont ils disposent. Le premier but de tout diagnostic doit donc être de déterminer comment ils utilisent leur capital."

D’OÙ VIENT L’ARGENT
DONT JE DISPOSE?

QU’AI-JE INVESTI
DANS MON ENTREPRISE?

Emprunts


Biens à conserver

Crédit fournisseurs

55 000

Outils

110 000



Arbres fruitiers

150 000

Prêt d’une banque villageoise

400 000

Silo à grains

180 000

Total

455 000

Total

440 000



Biens à vendre ou à utiliser




Maïs engrangé

280 000



Manioc dans le champ

100 000

Mon propre argent

630 000

Chèvre

90 000



Total

470 000



Liquidité




Créances

10 000



Épargne

100 000



Argent liquide détenu

65 000



Total

175 000

MONTANT TOTAL

1 085 000

ACTIF TOTAL

1 085 000

Figure 11: Bilan

Cela exige la préparation d’un bilan, qui énumère les postes de l’actif et du passif de l’entreprise ou du ménage. Les termes actif et passif sont des termes de comptabilité qui peuvent sembler difficiles à comprendre, mais on peut utiliser un langage plus compréhensible pour expliquer leur signification. La brochure et le film intitulés The Balance Sheet Barrier (Jay, 1977) offrent d’excellents exemples de moyens de simplifier les choses, comme en témoigne l’extrait ci-dessous.

"Il vous faut savoir deux choses essentielles à propos de votre argent: D’où vient-il? Et où est-il allé?

Quand vous démarrez une activité commerciale, vous ne pouvez vous procurer de l’argent qu’à deux sources:

1. En puisant dans vos propres ressources.
2. En empruntant.

Quand vous démarrez une activité commerciale, vous ne pouvez dépenser votre argent que pour deux types de dépenses:

1. Pour l’achat de biens que vous entendez garder (immobilisations).
2. Pour l’achat de biens que vous comptez vendre (fonds de roulement ou actif réalisable)."

(The Balance Sheet Barrier)

La brochure et le film développent ces points en utilisant des diagrammes et des croquis. Ces techniques peuvent être utilisées n’importe où, et les mots peuvent être remplacés par des symboles.

Un bilan peut s’établir très simplement au moyen de questions et par l’observation, et il donne une image utile prise sur le vif de l’entreprise. Il révèle le résultat des diverses décisions prises jusque là et indique le volume de ressources disponible pour l’avenir et le degré de dépendance à l’égard de l’emprunt.

Aptitudes à la planification

Les familles qui tirent leur revenu de l’agriculture ou de petites entreprises ne peuvent améliorer leur mode de vie qu’en réalisant davantage de profit. C’est pourquoi il importe avant tout d’examiner leurs activités et de rechercher les moyens d’accroître leurs revenus ou de diminuer leurs dépenses. La difficulté de réunir des données ne manquera probablement pas de faire ressortir le besoin de tenir des comptes, ce qui sera traité dans la prochaine section de ce chapitre. Toutefois, s’il est apparu des idées nouvelles ou de nouvelles solutions aux problèmes qui se posent, il importe de les examiner de près afin de s’assurer qu’elles débouchent sur les résultats attendus. Cela implique une planification de la mise en oeuvre de toute activité nouvelle ou modifiée et le calcul de ses répercussions financières à l’aide d’un budget.

Dans un tel exercice de planification, la première chose à faire est de préciser les buts et objectifs. On a vu au chapitre premier que les gens subissent de nombreuses influences dans leur vie et font partie d’un réseau social complexe. Il importe donc qu’ils soient conscients de cet état de choses et qu’ils décident à quel point il sont prêts à modifier leur mode de vie afin d’accroître leur revenu.

L’Encadré 3 présente une étude de cas extraite de Consultancy for Small Businesses (op cit). Il illustre utilement la nécessité de voir plus clairement le rapport entre les obligations sociales et commerciales et de reconnaître que le changement et une nouvelle vision de l’avenir peuvent être bénéfiques

Encadré 3
L’étude de cas du menuisier

Un menuisier fabriquait un mobilier simple qu’il vendait de son atelier aux habitants de sa localité. Il se plaignait de ne pouvoir se mettre sur les rangs pour la fabrication de pupitres et de bancs d’écoliers car il n’avait pas assez d’argent pour acheter la quantité de bois nécessaire à une telle opération.

Après un examen de la comptabilité de ce menuisier, il est apparu qu’il réalisait un profit mensuel raisonnable, qui était plus que suffisant pour couvrir ses besoins modestes. En discutant avec un conseiller, il finit par admettre qu’il distribuait l’argent qui lui restait à divers membres de sa famille qui ne cessaient de le harceler de leurs demandes d’aide.

Le menuisier était persuadé qu’il serait dans l’intérêt à long terme de sa famille comme de lui-même de développer son affaire et que s’il refusait de répondre à ces demandes d’aide intempestives, il aurait vite fait de pouvoir fabriquer davantage de meubles et de gagner plus d’argent, dans l’intérêt de tous. Il ouvrit un compte bancaire sur lequel il commença à effectuer régulièrement des dépôts. En l’espace de quelques mois, il put soumissionner et emporter des contrats scolaires, et son entreprise connut une rapide expansion.

Il pensait qu’il avait besoin de plus de capital, mais que sa famille s’emparerait probablement de tout l’argent en excédent qu’il pourrait gagner. Il avait réellement besoin d’aide pour prendre du recul et se placer dans une perspective à long terme. Cela lui permit de se rendre compte que l’intérêt à long terme de sa famille passait par l’acceptation de sacrifices à court terme et par une saine gestion financière.

Lorsqu’une idée de changement implique un accroissement ou une diversification de la production, il importe ensuite d’évaluer de la demande du marché. Aucun budget judicieux ne peut être établi sans une idée précise de la quantité d’un produit ou d’un service qui peut se vendre, et à quel prix. L’aptitude à l’étude du marché est indispensable aux petits producteurs, même s’il ne s’agit que d’observer le marché local ou de demander l’avis d’autres personnes.

Une fois que le potentiel a été déterminé, la planification implique la mobilisation et l’énumération de toutes les ressources nécessaires à l’activité nouvelle ou modifiée. On peut ensuite procéder à une estimation du bénéfice, généralement dans le cadre d’un budget partiel. Comme pour tous les exemples donnés jusqu’ici, ce type de budget peut être établi simplement et sans jargon. Cela dit, les mots exacts, lorsqu’ils sont connus, facilitent la communication. Ainsi, certains termes tels que coûts fixes ou coûts variables et investissement de capital sont utiles, une fois qu’ils sont compris. La Figure 12 présente une simple estimation des bénéfices pour la production de tomates. Il faut bien entendu choisir une période appropriée pour ce type de budget.

Revenu





50kg de tomates vendus à $EU 2 le kg.


$EU

100

Revenu total


$EU

100

Coûts variables





Semences

$EU

10




Engrais

$EU

25




Produits chimiques

$EU

15




Sacs

$EU

10



Coûts fixes





Patente

$EU

5




Transport

$EU

11




Fraction du coût des outils (amortissement)

$EU

4



Coûts totaux


$EU

80

   

Bénéfice


$EU

20

Figure 12: Budget partiel

+

-

REVENU SUPPLÉMENTAIRE

Possibilité de vendre ou de consommer des produits nouveaux ou supplémentaires si l’on fait ce changement.

MANQUE À GAGNER

Produits dont on ne disposera plus ou que l’on ne pourra plus vendre si l’on fait ce changement.

ÉCONOMIE SUR LES COÛTS

Choses que l'on cessera d'acheter comme résultat du changement.

On n'épargnera qu'une partie du coût de l'équipement qui durera au delà du budget.

COÛTS SUPPLÉMENTAIRES

Choses que l’on devra acheter du fait de l’activité nouvelle ou modifiée.

N’inclure qu’une partie du coût total des biens d’équipement qui dureront au delà de la période budgétaire.

On peut encourager davantage de débat en utilisant la méthode d’établissement d’un budget partiel illustrée ci-dessous, qui comporte un examen de l’effet produit sur d’autres activités. Cela peut être très important dans le cas d’une famille rurale dont les activités multiples réclament le temps et l’attention des membres de la famille.

Un budget établissant un bénéfice indique à quel point un changement peut être utile si les quantités vendues et les prix supposés se concrétisent. Il peut être sage de recalculer le budget en partant d’hypothèses de prix et de quantités différentes, afin de voir si un bénéfice est encore possible. Si les tomates de la Fig. 12 ne se vendent qu’à $1 le kg, ou si l’entreprise n’en vend que la moitié, la perte pourrait être de $30.

La dernière opération de planification financière a trait à l’établissement d’un budget de trésorerie. Ce budget permet d’indiquer à quel moment les ventes apporteront un revenu et à quel moment il faudra acheter des facteurs de production. Lorsqu’un nouvelle activité est lancée, beaucoup de gens établissent une trésorerie qui ne comprend que les dépenses et les recettes de cette activité. Cette trésorerie partielle est moins utile qu’une trésorerie qui tient compte de toutes les activités du ménage.

Un budget de trésorerie complet peut indiquer à l’intéressé s’il aura assez d’argent pour exécuter son plan ou s’il doit s’attendre à être à court d’argent durant un mois donné. Si un emprunt est envisagé pour couvrir les périodes de déficit, le budget de trésorerie peut aider l’intéressé à déterminer à quel moment il sera à même de rembourser l’argent emprunté. Quand il n’est pas tenu de comptabilité, il faut généralement estimer les dépenses du ménage.

La Figure 13 donne un exemple de budget de trésorerie pour une famille érythréenne qui se propose d’acheter une vache à lait pour améliorer son revenu. Les chiffres de cette nouvelle activité sont présentés en italique. La Figure 14 montre comment un prêt et un calendrier de remboursement pourraient rendre cette proposition réalisable. Cet exemple est fondé sur les données recueillies par ACORD dans le cadre du Plan d’épargne et de crédit de la Zone Sud de l’Érythrée. On trouvera un complément d’information sur ce plan au Chapitre 3.

REVENU

Jan

Fev

Mar

Avr

Mai

Juin

Juil

Août

Sept

Oct

Nov

Dec

Cultures

450

500

400









200

Salaires


100

200

200









Métayage

200






400

300




300

Dons

100

200







200




Lait


170

340

340

340

340

340

340

300

300

300

300

Vente d’un veau









800




TOTAL

750

970

940

540

340

340

740

640

1 300

300

300

800

DÉPENSES

Jan

Fev

Mar

Avr

Mai

Juin

Juil

Août

Sept

Oct

Nov

Dec

Alimentation

130

195

130

130

130

130

130

95

195

95

120

130

Scolarité

7

7

7

7

7

7

7

7

325

7

7

7

Vêtements

200

400


100





300




Alimentation du bétail

10

25

25

35

50

15

5

5

5

5

5

15

Impôts

80












Autres

33

58

33

33

33

33

33

33

58

33

33

33

Épargne

10

10

10

10

10

10

10

10

10

10

10

10

Alimentation de la vache laitière

180

180

180

180

180

190

200

200

180

180

180

180

Étable

200












Vache

1 000












TOTAL

1 850

875

385

495

410

385

385

350

1 073

330

355

375

SOLDE MENSUEL

-1 100

95

555

45

-70

-45

355

290

227

-30

-55

425

Solde cumulé

-1 100

-1 005

-450

-405

-475

-520

-165

125

352

322

267

692

Figure 13: Budget de trésorerie[2]


Jan

Fev

Mar

Avr

Mai

Juin

Juil

Août

Sept

Oct

Nov

Dec

SOLDE MENSUEL

-1 100

95

555

45

-70

-45

355

290

227

-30

-55

425

Montants retirés de l’épargne

200












Prêt envisagé

1 000












Remboursements proposés




-175

-175

-175

-175

-175

-175




Nouveau solde cumulé

100

195

750

795

550

330

510

625

677

472

417

842

Figure 14: Planification d’un prêt avec Budget de trésorerie2

Aptitudes à tenir des comptes

Pour bien suivre les entrées et sorties de fonds, il est généralement nécessaire d’inscrire les recettes et les dépenses. La mémoire n’est pas assez bonne pour une analyse et une planification convenables.

On a vu au Chapitre premier que l’un des problèmes qui se posent souvent aux familles rurales est la tendance à traiter l’argent reçu comme revenu disponible, qu’il soit ou non nécessaire pour couvrir les dépenses de l’entreprise. D’autres personnes ont du mal à garder le contrôle de leur vente de biens à crédit.

Plusieurs méthodes simples ont été mises au point pour permettre aux gens de tenir les comptes de leurs transactions monétaires, même s’ils ne savent pas lire. Comme il faut une certaine auto-discipline et la volonté de tenir ces comptes régulièrement, les intéressés doivent être motivés par le désir d’améliorer leur niveau de revenu, voire de s’affranchir de leurs dettes.

Figure 15: Livre de comptes simple

La Figure 15 montre un exemple de livre de comptes tiré de Simple Bookkeeping and Business Management Skills (op cit). À la place de mots, des symboles ont été utilisés.

On peut aider les gens à tenir leurs comptes sans avoir à écrire de chiffres. Par exemple, des colonnes peuvent être prévues pour les différentes coupures, et les montants prélevés ou dépensés sur certains articles peuvent être inscrits à l’aide de symboles dans la colonne pertinente.

L’exemple de livre de comptes présenté ci-dessus peut être un premier pas vers l’amélioration des aptitudes à tenir des comptes. Le livre de comptes plus détaillé présenté à la Figure 16 est encore préférable, car il permet d’inscrire les recettes et les dépenses sous des titres distincts pour chaque entreprise ou chaque type de produit, et de connaître le total des recettes et des dépenses réalisées. Ce système prévoit des méthodes pour évaluer les transactions qui sont réglées en partie en nature et pour séparer les transactions en espèces de celles qui passent par la banque.

Le fait d’apprendre à utiliser un livre de comptes de ce type permet de suivre les budgets de plus près. Ayant établi un plan et l’ayant exécuté, il est très précieux de prendre le temps de comparer ce qui a effectivement été acheté et dépensé à ce que l’on avait prévu d’acheter et de dépenser. Au lieu d’être acculé à la ruine pour n’avoir pas remarqué de graves discordances, celui qui suit ses entrées et sorties de fonds est mieux à même de prédire les difficultés et de prendre des mesures pour les éviter.

Date

Détails

Total

Maïs

Ignames

Poisson

Volaille

Salaire

Aliments cuisinés

2/2

Produits agricoles vendus au marché

10,50


10,50





5/2

Œufs vendus au marché

14,80



14,80




10/2

Travail occasionnel pour M. Hamsa





25,00



15/2

Produits agricoles/alimentaires vendus au marché

18,20

10,20





8,00

19/2

Poisson vendu à un commerçant

15,00



15,00




Figure 16: Page des recettes d’un livre de comptes analytique

RECETTES

Budget
Première
semaine

Réelles
Première
semaine

Budget
Deuxième
semaine

Réelles
Deuxième
semaine

Etc.

Poisson

75,00

92,00




Arachides



200,00

212,56


Riz

300,00

236,70


84,10


Aliments cuisinés

120,00

98,30

120,00

105,80


Figure 17: Suivi d’un budget

Figure 18: Enregistrement des transactions à crédit

Les activités commerciales posent souvent le problème de la gestion des dettes. Si des biens sont vendus à crédit aux clients, il faut tenir un livre des comptes de crédit avec un compte spécial pour chaque client. En inscrivant la valeur des biens vendus à crédit et les montants remboursés, on peut contrôler le recouvrement des créances.

La Figure 18 présente un exemple de page d’un livre de compte de crédit tiré de Simple Book-keeping and Business Management Skills (op cit).

Conclusion

Dans ce chapitre, nous nous sommes efforcés de présenter un éventail d’aptitudes que pourraient acquérir les familles rurales et qui rendraient leurs pratiques en matière de gestion financière conformes aux attentes et aux intérêts des prestataires de services financiers. L’alphabétisme conféreraient la confiance et l’aptitude à s’acquitter de simples formalités bancaires telles que la lecture de relevés et l’établissement de chèques.

Les aptitudes à l’analyse permettraient aux intéressés de se faire une idée précise de leur situation actuelle, de se fixer des objectifs pour l’avenir et de comparer divers types d’action possibles. L’évaluation des marchés et des besoins des clients devient essentielle à la gestion d’une entreprise commerciale, au même titre que la compréhension des notions de coûts et de marge bénéficiaire. Les aptitudes à la planification, qui permettent de prédire les résultats et les conséquences de différentes décisions et d’enregistrer, de suivre et de contrôler les transactions financières, donneraient en outre aux institutions financières les informations dont elles ont besoin pour ouvrir et gérer les comptes de leurs clients.

Il faut à quiconque une grande motivation pour tenter d’acquérir ces aptitudes et de les mettre en pratique d’une manière systématique. Personne ne peut entreprendre de tels efforts sans la volonté de s’intégrer au monde du commerce et le désir d’améliorer ses revenus en accroissant la rentabilité d’une ou de plusieurs de ses activités. Pour ceux qui ont ce désir et cette motivation, ce chapitre a montré qu’il existe des méthodes qui peuvent être adaptées de manière à permettre aux personnes sachant ou non lire et écrire de développer leurs aptitudes à la gestion financière.

Pour les prestataires de services financiers, le marché rural devrait être un débouché non encore exploité. D’énormes quantités de personnes vivant en milieu rural ont besoin d’instruments d’épargne, de prêt et d’assurance. Jusqu’ici, les banques commerciales n’ont pas jugé rentable de s’intéresser aux marchés ruraux qu’elles considèrent très risqués et coûteux. La place a été laissée aux pouvoirs publics et aux donateurs, qui se sont employés à mettre en place des services de microfinancement dans le cadre d’efforts de lutte contre la pauvreté ou de programmes de développement rural. D’après Harper et al. (1998), les banques devraient se lancer sur ces marchés. "Ce qui est absolument nécessaire, c’est un changement d’attitude; les banquiers doivent apprendre à regarder les pauvres non pas comme l’objet d’oeuvres de charité, mais comme une ‘possibilité supplémentaire d’investissement et de profit’ (Magill, 1994). Les services financiers offerts à ce marché ne doivent pas être perçus comme ‘un ensemble d’actions non financières telles que la lutte contre la pauvreté, la coopération sociale ou l’émancipation des femmes’ (Rutherford, 1995), mais comme une activité bancaire légitime, susceptible de permettre aux banques de développer leur clientèle de façon rentable et d’aider en même temps les pauvres à devenir moins pauvres."

Les réticences des banques à l’égard de cette clientèle en puissance disparaîtraient au moins en partie si l’on pouvait relever ses niveaux d’alphabétisme et de compréhension de la gestion commerciale. Les coûts des transactions seraient moins élevés si les clients potentiels se montraient capables de donner les renseignements voulus à la banque et n’avaient pas peur de s’expliquer. Enfin, les risques se trouveraient diminués si les clients pouvaient optimiser leurs possibiltés de marché et maîtriser leurs transactions financières.

Dans le prochain chapitre, nous examinerons les possibilités d’aider les familles rurales à améliorer leurs aptitudes à la gestion financière, et les organisations qui pourraient jouer un rôle dans ce processus.


[2] Chiffres extraits de PRA and Microfinance: Conceptual and Methodological Problems with Appraisal and Impact Assessment of Micro-enterprises (Sorensen, 1998).

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