Page précédente Table des matières Page suivante


3. Mécanismes destinés à promouvoir de meilleures aptitudes a la gestion financière


On apprend toute sa vie. Apprendre est un processus naturel, instinctif et, consciemment ou inconsciemment, on apprend toujours quelque chose de nouveau. Chacune de nos actions a des conséquences, et si ces conséquences sont souhaitables, il y a des chances que nous répétions ces actions. Nous accumulons ainsi de l’expérience et des connaissances sur nos actes et leurs résultats. Nous apprenons également en observant les effets des actions d’autrui. Le fait d’apprendre comporte plusieurs facettes - il implique des changements dans nos connaissances, nos aptitudes et nos attitudes.

Pour les enfants, l’acquisition de connaissances se fait principalement à la maison, en observant les actes des adultes qui les entourent. Dans les communautés rurales, les enfants doivent souvent commencer très jeunes à travailler, contribuant à la subsistance de la famille. Ainsi, en grandissant, ils absorbent des connaissances, acquièrent des aptitudes et adoptent les comportements de leurs aînés. Aujourd’hui, tous les pays offrent également une éducation formelle aux enfants à travers les écoles, qui sont généralement la propriété de l’État et sont financées ou gérées par lui. La scolarisation est généralement obligatoire, mais la loi est parfois impossible à appliquer et, en particulier dans les régions rurales, la fréquentation scolaire peut être très réduite ou inexistante.

Si nous voulons changer le comportement des adultes vis-à-vis de la gestion financière, il est essentiel que nous examinions d’abord comment l’éducation scolaire peut contribuer à ce processus, puis que nous considérions l’ensemble des méthodes susceptibles d’être employées pour informer les adultes et les encourager dans leur vie professionnelle. Ces méthodes comprennent l’utilisation:

Toutes ces méthodes peuvent être utilisées dans le cadre d’une stratégie de renforcement des aptitudes des agriculteurs et des familles rurales à la gestion financière

Education scolaire

Les écoles offrent d’énormes possibilités de façonner les comportements des jeunes et de leur inculquer des aptitudes pratiques et des connaissances. C’est là que leur horizon peut s’étendre au delà de la famille et du village, que les idées nouvelles sont propagées et que les vieilles pratiques sont remises en cause. Or, dans beaucoup de pays, l’éducation souffre d’une grave insuffisance de fonds; elle est rigide et n’inspire guère. Souvent, les enseignants ne disposent pas des matériels les plus élémentaires, manquent de motivation et utilisent des méthodes périmées. Cela se traduit pour les enfants par une éducation de très faible qualité et sans grand rapport avec leur vie quotidienne. Dans beaucoup de cas, les manuels empruntent davantage au passé colonial qu’à une dynamique axée sur l’avenir. Néanmoins, c’est à l’école que la plupart des gens acquièrent leurs rudiments d’alphabétisme et d’aptitude au calcul.

Comme on l’a vu au Chapitre 2, savoir lire, écrire et compter est extrêmement utile lorsque l’on a à effectuer des transactions monétaires ou à traiter avec des institutions financières. Autrement dit, l’acquisition dans leur enfance d’aptitudes élémentaires à la lecture à travers le système scolaire contribue pour beaucoup à préparer les adultes au développement d’aptitudes à la gestion financière. Cela dit, les aptitudes à la lecture bénéficieraient grandement de l’acquisition de connaissances en vocabulaire et en calcul adaptées à la vie future de la plupart des élèves. Les programmes d’études visent le plus souvent à permettre aux élèves d’accéder à des niveaux d’éducation plus élevés, et ne tiennent pas compte du fait que la plupart d’entre eux, surtout dans les zones rurales, risquent fort d’abandonner l’école après quelques années d’études pour gagner leur vie comme petits entrepreneurs, agriculteurs ou manoeuvres. Ainsi, les programmes de mathématiques ont plus de chances d’inclure les calculs de probabilités que le calcul d’un bénéfice, et les classes de lecture ont davantage tendance à porter sur une visite au zoo qu’à la mutuelle locale d’épargne et de crédit.

Certains des exemples donnés au Chapitre 2 de la façon d’enseigner la lecture et le calcul aux adultes de manière à développer l’aptitude à la gestion financière et à l’analyse pourraient facilement être appliqués à l’école. L’approche participative de l’enseignement dans son ensemble pourrait transformer l’expérience scolaire de nombre d’enfants. Elle mettrait moins l’accent sur un simple transfert de connaissances et tendrait plutôt à privilégier le développement personnel de l’enfant et son aptitude à faire face aux problèmes de la vie.

Les aptitudes à la gestion d’entreprise et à la gestion financière pourraient être intégrées aux programmes scolaires par les moyens suivants:

On a déjà souligné que l’enseignement des mathématiques et du langage pourrait être adapté par l’utilisation d’exemples ayant un rapport avec la vie des enfants et leurs activités économiques futures. Nombre d’écoles enseignent déjà des matières concrètes, telles que l’élevage ou la culture de produits maraîchers, qui s’accompagnent souvent de travaux pratiques dans le potager ou la ferme de l’école. Ces enseignements pourraient être coordonnés avec les classes de langage et de mathématiques et pourraient initier les enfants à la tenue de comptes, au calcul de coûts et de marges bénéficiaires, à la préparation de budgets de trésorerie et à l’analyse de résultats.

L’introduction d’une nouvelle matière ou la tenue d’un atelier spécial permettrait aux élèves de développer leurs aptitudes à la gestion d’entreprise en élaborant leurs propres idées d’activité commerciale. Comme élément de leur processus d’apprentissage, ils pourraient même devenir chefs d’une microentreprise ou gérer une petite affaire commerciale. Dans son ouvrage intitulé "Never mind the millenium. What about the next 24 hours?", Clem Sunter cite l’exemple du Wykeham Collegiate de Pietermaritzburg, en Afrique du Sud, où l’on apprend aux fillettes dès l’âge de huit ans à jouer à des jeux d’initiation au commerce. Elles sont ensuite encouragées à se lancer dans la vente de chips, de boissons non alcoolisées et autres produits à l’école, puis elles commencent à fabriquer des objets, tels que bijoux en plastique pour la vente au public les journées portes ouvertes. Lorsqu’elles arrivent en dernière année, ces élèves sont capables d’établir de véritables plans d’entreprise.

Certains gouvernements ont essayé de développer un sens de l’épargne en vendant des timbres d’épargne aux élèves afin de les habituer à accumuler de l’argent dans un compte d’épargne. Les banques essaient également d’encourager les enfants à devenir clients en leur offrant des coffrets d’épargne et en publiant des bulletins d’information destinés aux jeunes. Au Colorado, Eagle Bank a lancé un programme particulièrement novateur destiné à aider les enfants à s’initier à l’école à la banque et à la gestion monétaire. Ce programme est décrit dans l’Encadré 4.

L’étude de cas présentée à l’Encadré 5 décrit la façon dont les enfants sont encouragés dès l’âge de quatre ans à développer des aptitudes à l’initiative privée aux Philippines.

Les médias

Les médias peuvent servir à attirer l’attention du public, à le sensibiliser aux idées nouvelles et à aviver son intérêt. Ainsi, des histoires, des pièces, des discussions, des rapports et des images peuvent illustrer les questions de gestion monétaire, initier à la notion de rentabilité et mettre en valeur le rôle de l’épargne. L’utilisation de la radio, des journaux, des magazines et des affiches est un moyen relativement peu coûteux d’envoyer des messages à un grand nombre de personnes, mais bien entendu, ces messages peuvent ne pas retenir l’attention ou être mal interprétés. Il n’y a pas de contact personnel. Néanmoins, l’acquisition de nouvelles aptitudes à la gestion financière exige un nouvel état d’esprit de la part des populations rurales, et l’utilisation de la radio et d’autres moyens d’information pour susciter un intérêt pour de nouvelles façons de gérer l’argent pourrait être d’une grande importance.

Encadré 4
La Banque des enfants au Colorado

Eagle Bank est une banque communautaire indépendante détenue par des intérêts locaux au Colorado, qui a lancé un programme de Banque pour enfants dans les écoles locales fondé sur l’idée que si l’on initie les enfants aux concepts de gestion monétaire et aptitudes correspondantes, ils seront mieux préparés pour leur avenir.

Dans chaque école participante, des élèves des classes supérieures se portent volontaires pour recevoir une formation à la conduite d’opérations bancaires en tant qu’administrateurs, guichetiers ou agents commerciaux. Ces élèves rencontrent régulièrement la personne chargée de coordonner le programme de Banque pour enfants d’Eagle Bank, qui est un enseignant accrédité. Lors de ces réunions, ils préparent la campagne publicitaire et élaborent les procédures de leur banque. Ce faisant, ils acquièrent des aptitudes à l’encadrement et à l’animation, et utilisent les connaissances qu’ils ont acquises en mathématiques et en anglais.

Les enfants qui s’inscrivent à ce programme et ouvrent un compte d’épargne peuvent effectuer des dépôts et des retraits deux fois par mois en s’adressant directement aux élèves qui font office de guichetiers à l’école même. Eagle Bank offre un taux d’intérêt plus élevé sur les comptes ouverts à la Banque pour enfants que sur ses autres comptes sur livret. Le programme dans son ensemble est supervisé par un banquier affecté spécialement à cette tâche par Eagle Bank.

L’objectif pédagogique de la Banque pour enfants, qui a été approuvée par la Division des opérations de banque du Colorado, est de proposer une formation pratique à la banque et à la gestion monétaire. Les élèves voient leurs pairs gérer la banque. Ils utilisent de véritables documents bancaires et apprennent:

  • à endosser des chèques.

  • à gérer leur argent de façon responsable.

  • l’importance de l’exactitude dans la tenue des comptes.

  • à apurer des états mensuels.

  • à calculer des intérêts composés.

  • la terminologie bancaire

  • l’importance d’une écriture lisible.

Lancée à l’origine dans une école primaire, la Banque pour enfants s’est étendue depuis lors à sept écoles primaires de la région et à un collège. Eagle Bank a même ouvert un guichet ‘pour enfants’ à son siège. Ce programme est amusant pour les enfants qui y participent et leur permet d’apprendre à gérer leur argent et d’apprécier la valeur de l’épargne.

Source: Site internet d’Eaglebank- section Banque pour les jeunes.

Au Royaume-Uni, les agriculteurs peuvent écouter une émission de radio nationale spécialement ciblée intitulée Farming Today, qui est présentée quotidiennement. Les postes locaux présentent souvent des émissions sur des thèmes intéressant les agriculteurs et les communautés rurales de la région qu’ils desservent. Chaque semaine, une émission de télévision est consacrée aux questions concernant l’agriculture et la vie rurale. Il existe même une vieille émission dramatique intitulée The Archers, qui suit la vie d’une communauté rurale fictive. Les principaux personnages sont des agriculteurs, et les événements qui meublent leur vie sont à l’image du monde réel et tendant, par là même, à susciter une prise de conscience des tendances ou des problèmes du jour.

Encadré 5
Expérience de sensibilisation des enfants en bas âge à l’esprit d’entreprise aux Philippines

Deux éducateurs philippins de CEFE[3], conscients que les enfants aux perspectives limitées ont besoin d’apprendre à ne compter que sur eux et à déterminer leur propre avenir s’ils veulent pouvoir s’affranchir de la pauvreté et améliorer leur niveau de vie. En 1987, avec l’appui de l’église locale et de la communauté locale, ils ont ouvert une école maternelle à Old Balara, dans la ville de Quezon, près de Manille.

Cette école maternelle a pour principaux objectifs:

  • De sensibiliser les enfants âgés de quatre à six ans à l’esprit d’entreprise et de leur inculquer les aptitudes nécessaires à cet égard.

  • D’élaborer un modèle et des matériels didactiques pour l’initiation des enfants d’âge préscolaire à l’esprit d’entreprise.

  • De préparer les parents des enfants qui fréquentent cette école maternelle à lancer des activités indépendantes.

  • D’organiser des bazars pour l’achat et la vente des produits des enfants.

L’initiation à l’esprit d’entreprise s’articule autour de deux sujets - ce que mangent les gens et ce qu’ils font. Les enfants sont emmenés en visite dans des endroits où l’on prépare et où l’on vend des aliments. Par l’observation des commerçants du marché local, les enfants s’initient aux transactions commerciales, à la notion d’argent, aux prix et à la vente. Ils voient comment les aliments sont préparés, conditionnés et vendus, et se familiarisent avec le rôle des différents interlocuteurs présents sur le marché. Ils visitent également des entreprises manufacturières locales telles que des fabriques de chaussures. À leur retour en classe, on les encourage à exercer leurs propres aptitudes à la fonction de chef de micro-entreprise en jouant dans des sketches, en participant à des exercices structurés et en s’adonnant à de petites activités commerciales. Dans les ateliers d’initiation à la micro-entreprise, les enfants produisent des friandises et discutent de conditionnement, de prix et des moyens de vendre leurs produits. Ils dessinent des affiches ou des prospectus vantant leurs produits, et vendent ces derniers dans le cadre des bazars organisés par l’école, à des amis et parents, et parfois, à de petites boutiques locales.

Les enseignants choisissent des livres d’images qui racontent des histoires au sujet de chefs de micro-entreprises, qui mettent en lumière certaines notions telles que le développement des aptitudes, l’honnêteté, la créativité et l’épargne. Les enfants apprennent les chiffres et apprennent à compter au moyen de jeux axés sur la vente, l’achat et la réalisation de bénéfices. Ils visitent des communautés et des supermarchés et ont leur propre boutique ‘pour rire’ en classe. L’un des traits importants de l’enseignement dispensé à la maternelle d’Old Balara est la façon dont les jeux et la réalités s’entremêlent constamment. Par ailleurs, des ateliers sont organisés avec la participation des parents des élèves sur la façon de gérer un petit commerce. En 1997, 526 enfants avaient fréquenté cette école, et la demande dépassait le nombre de places disponibles. Les petits commerces informels sont aujourd’hui traités avec plus de respect dans la communauté, et conçus comme un moyen raisonnable de gagner sa vie.

Source: Case Study Philippines - an Annex to Integrating CEFE Components into General and Vocational Training Systems - Options and Limitations. Document de travail préparé par A. Hilpert et S.Bauer et publié sur le site Internet de GTZ.

Les agriculteurs britanniques peuvent aussi acheter des magazines de qualité, contenant des articles et reportages sur certaines méthodes de production et les nouvelles technologies. Ces magazines présentent souvent des études de cas ou des récits d’expériences personnelles d’agriculteurs, ainsi que des conseils ou des articles écrits par des conseillers financiers. Les agriculteurs peuvent entrer dans n’importe quelle banque et prendre des prospectus ou des brochures leur offrant des conseils sur la planification financière ou sur les moyens d’améliorer la gestion de leur exploitation. Nombre de banques publient des brochures spécialement à leur intention. Ainsi, dès 1963, l’ex-Westminster Bank avait publié un petit fascicule intitulé Budgeting on the Farm (le budget des exploitations agricoles) qu’elle a remplacé en 1965 par une version plus étoffée intitulée Farming is a Business (l’exploitation agricole est une entreprise), qui montrait aux agrculteurs, à une époque où cela n’était pas encore courant, que le fait de tenir des comptes, de les analyser et d’établir un budget pouvait contribuer sensiblement à la survie de leur exploitation et de leur mode de vie. La Royal Bank of Scotland avait pour habitude de produire un Manuel sur le budget des exploitations agricoles qui fournissait des informations aux agriculteurs et leur donnait des indications de marge brute typiques d’exploitations agricoles courantes afin de les aider à améliorer leur planification.

L’Encadré 6 présente un extrait d’une brochure produite par des conseillers agricoles d’un gros fournisseur d’intrants et d’une banque commerciale et distribuée gratuitement aux agriculteurs du Royaume-Uni à la fin des années 1980.

De tels prospectus et fascicules peuvent être produits et distribués dans beaucoup d’endroits où ceux qui savent lire et peuvent tirer profit de leur lecturee peuvent se les procurer. Beaucoup de membres des collectivités rurales savent lire, et des brochures bien conçues, rédigées dans les langues locales et utilisant des illustrations pour retenir l’attention et expliquer certains concepts peuvent contribuer utilement à sensibiliser le public aux questions de gestion monétaire. Ces feuillets peuvent être distribués dans les lieux de réunion des villageois, les centres d’information communautaires, les boutiques, les coopératives, les écoles, les banques, les bureaux de l’administration, et ainsi de suite. Des affiches peuvent également attirer l’attention sur ces imprimés, et d’autres méthodes peuvent être employées pour développer les aptitudes à la gestion, par exemple, des réunions ou ateliers communautaires.

Encadré 6
Extrait d’une brochure distribuée gratuitement aux agriculteurs au Royaume-Uni

2 COMMENT ABORDER LE BANQUIER

Si un agriculteur désire emprunter, il doit fournir un certain nombre d’informations sur son exploitation, afin de permettre au prêteur de le conseiller et de lui prêter en connaissance de cause. Il est notamment tenu de produire:

  • Un état de son actif et de son passif.

  • Des comptes ayant fait l’objet d’un audit.

  • Une proposition.

  • Des budgets.

État de l’actif et du passif de l’agriculteur

L’une des premières choses que le prêteur potentiel voudra savoir au sujet de l’exploitation est la façon dont elle est actuellement financée. Le moyen le plus simple de lui fournir cette information est peut-être pour l’exploitant d’établir une liste à jour de son actif et de son passif, un ‘État de l’exploitation’, comme le montre l’Étude de cas présentée au prochain chapitre...

Source: The Farmer and the Lender by J.D.Hope and M.E.Hutchings, publié par ICI plc et Midland Bank plc, 1985.

Réunions communautaires

Les réunions communautaires publiques jouent un rôle analogue à celui des médias, mais offrent en plus la possibilité aux participants de faire part à l’assistance de leurs expériences et de leurs avis. Cela rend l’expérience un peu plus personnelle et permet aux intéressés de se reconnaître dans les problèmes posés. Dans ce type de cadre, les discussions peuvent aider à modifier les comportements et peuvent déboucher sur une action collective pour résoudre les problèmes.

Ces réunions sont fréquemment utilisées pour concevoir et mettre en oeuvre les programmes de développement rural, et ce grâce à l’avènement de l’évaluation rurale participative (participatory rural appraisal (PRA)) comme philosophie de développement. Au début des années 1990, la PRA n’était qu’un ensemble de méthodes destinées à aider les professionnels du développement à mieux connaître les conditions de vie des populations rurales. Depuis lors, elle a largement évolué, et se définissait en 1994 comme "un ensemble d’approches et de méthodes destinées à permettre aux populations rurales de partager, améliorer et analyser leurs connaissances de leur mode et conditions de vie, de planifier et d’agir" (Absalom et al., 1995). Dans l’ouvrage intitulé "Whose Reality Counts?", Robert Chambers explique que la PRA repose sur trois conditions essentielles:

Un changement de comportement et d’attitude des spécialistes du développement, qui ne doivent plus chercher à imposer mais à faciliter.

Le passage de méthodes fermées à des méthodes ouvertes, de l’individu au groupe, des mots aux images et de la mesure à la comparaison.

La tendance à privilégier le partenariat et le partage d’informations et de données d’expérience.

Encadré 7
Utilisation des méthodes de PRA pour aider les communautés à discuter de gestion monétaire en Zambie

Le projet "d’amélioration de la sécurité alimentaire et de la nutrition des familles dans la vallée du Luapula en Zambie" a été lancé en janvier 1997. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture est l’agent d’exécution. Elle travaille en collaboration avec le Ministère zambien de l’agriculture, de l’alimentation et de la pêche. Le financement est assuré par le Fonds de survie belge (FSB). Ce projet a pour principaux objectifs de promouvoir une meilleure production vivrière, de mettre en place de meilleures techniques d’emmagasinage et de traitement des produits alimentaires et de renforcer la base des connaissances des communautés et les services de vulgarisation et autres services de soutien en ce qui concerne les questions de sécurité alimentaire des familles. Les méthodes employées comprennent des séances participatives d’identification des problèmes et de planification dans les villages et l’établissement d’équipes communautaires d’alimentation et de nutrition destinées à créer un rapprochement entre le personnel et les communautés.

La Zambie a un long passé de difficultés de recouvrement des prêts dans les zones rurales. C’est pourquoi il a été décidé d’apprendre aux membres du personnel d’appui travaillant à ce projet sur le terrain à considérer les problèmes monétaires des familles d’une façon plus globale et à recourir aux techniques participatives qu’ils connaissent afin d’aider les groupes et les familles à examiner de plus près leurs problèmes monétaires. Cette stratégie a été inaugurée en novembre 1998. Un atelier a été organisé à l’intention de tous les principaux membres du personnel du Ministère de l’agriculture, de l’alimentation et de la pêche et du Ministère du développement communautaire et des services sociaux affectés au projet. Les agents de crédit de l’organisation chargée de gérer le prêt ont également participé à cet atelier.

Plusieurs thèmes ont servi à la présentation des méthodes participatives de discussion des questions d’argent:

· L’argent dans la famille

· Comment gagner plus d’argent

· Planification monétaire

· Gestion monétaire

· L’argent dans la communauté

· Mobilisation de l’argent local

Les diagrammes et autres processus visuels, y compris l’utilsation de tableaux, de matrices, de calendriers et de graphiques, ont été utilisés au maximum. De nombreuses méthodes peuvent convenir pour les personnes illettrées.

Un ensemble de directives ont été établies à l’intention du personnel afin qu’il ait constamment accès à une source de références sur le terrain. Ces directives sont toujours en cours d’élaboration et de perfectionnement en vue de la production d’un document qui sera intitulé "Talking About Money - A Guide for Development Workers" (Parler d’argent - Guide à l’intention des spécialistes du développement) et pourra être utilisé par n’importe quel agent de terrain avec ou sans formation spéciale. Le but visé est de favoriser le développement des aptitudes des familles rurales à l’analyse, à la planification et à la tenue de comptes, afin qu’elles puissent mieux définir leurs besoins en services financiers, gérer une trésorerie variable et améliorer ainsi leur sécurité alimentaire et financière. Il est aussi de promouvoir une meilleure compréhension du rôle de l’épargne dans les communautés villageoises et de permettre la création de groupes locaux d’épargne et de crédit.

L’atelier a permis d’initier les agents de crédit à l’idée de tenir compte de l’économie de la famille dans son ensemble lorsqu’ils examinent les demandes de prêt et les possibilités de remboursement, comme dans l’exemple de l’Érythrée. Il leur a été montré comment établir des budgets de trésorerie et comment les présenter de façon plus visuelle à leurs clients en utilisant des graphiques à barres. La mesure dans laquelle les agents de crédit et les agents de vulgarisation adaptent leurs méthodes de travail en utilisant ces techniques dépend en partie de leur motivation personnelle et en partie de l’empressement de leurs supérieurs à les encourager à adopter ces nouvelles approches.

Source: Rapports de consultants établis sous la direction du Service de commercialisation et de financement rural de la FAO (Rome), à la suite de missions effectuées en août 1997 et en novembre 1998 dans le cadre du Projet

Consultant: Jennifer Heney. Responsable technique: Anthon Slangen.

Ainsi, dans le domaine de la gestion financière, les réunions communautaires fondées sur les principes de la PRA pourraient servir à présenter un grand nombre des concepts ébauchés au Chapitre 2, par exemple la comparaison des marchés, le calcul de la rentabilité d’une entreprise, le rôle des prestataires de services financiers, l’importance de la clarification des buts visés, etc. Certaines questions particulières, telles que l’effet de l’inflation, des taux d’intérêt et des décisions des pouvoirs publics, qui influent sur les décisions financières, pourraient être examinées. Les discussions qui ont lieu lors des réunions communautaires pourraient inciter certains groupes à ouvrir des mutuelles d’épargne et de crédit.

L’Encadré 7 montre comment les spécialistes du développement travaillant en Zambie, qui utilisent les techniques de PRA pour aider les communautés à résoudre leurs problèmes de nutrition et de sécurité alimentaire, ont été encouragés à recourir aux mêmes méthodes pour aider les populations à comprendre et à résoudre leurs problèmes d’argent.

L’Encadré 8 montre comme un jeu a été inventé au Zimbabwe dans le cadre du programme CAMPFIRE afin d’aider des groupes d’habitants des régions rurales à mieux planifier et à mieux gérer leur argent. Ce jeu stimule le débat sur de nombreuses questions financières, et donne en fait aux participants une certaine formation en comptabilité et en établissement de budget.

Encadré 8
Utiliser un jeu pour développer la sensibilité à la gestion financière au Zimbabwe

CAMPFIRE est l’abréviation de Communal Areas Management Programme for Indigenous Resources (Programme de gestion des ressources des espaces communaux au profit des populations autochtones). Ce programme vise à réserver la propriété des ressources naturelles, en particulier de la faune et de la flore sauvages, aux populations qui vivent dans leur voisinage immédiat. Dans le cadre de CAMPFIRE, les conseils des districts ruraux dotés de l’autorité voulue pour la gestion de la faune et de la flore sauvages passent des contrats avec des entreprises pour l’utilisation de leurs ressources naturelles aux fins de consommation (chasse) ou non (tourisme). Les recettes procurées par ces contrats sont alors distribuées aux communes et villages de la région. Il est vite apparu que la gestion des ressources financières découlant de ces contrats posait un sérieux problème aux communautés en question, qui ont alors demandé que le projet leur dispense une formation en gestion financière. Les communes riches en faune et en flore sauvages sont très isolées, et une large part de leurs habitants n’ont pas eu de scolarisation. De ce fait, les niveaux d’alphabétisme sont très faibles. Pour faire face à ce problème et compte tenu des nouvelles approches de la formation fondées sur les techniques d’évaluation rurale participative (PRA), le Programme CAMPFIRE a mis au point un jeu qui met l’accent sur l’apprentissage actif.

Le jeu de CAMPFIRE est inspiré du jeu de "Monopoly". Au départ, les participants reçoivent une somme d’argent, et leur but est de circonvenir les communes qui veulent leur faire payer un loyer. Une fois qu’ils sont maîtres de la commune, ils peuvent mettre en valeur son potentiel de ressources naturelles en construisant des hôtels ou des relais de chasse. Les autres joueurs qui "visitent" ces propriétés sont tenues de payer un loyer au propriétaire. D’autres paiements sont prévus par le biais d’un ensemble de cartes de "Chance", qui exigent du joueur qu’il paie des frais de scolarité ou qu’il effectue des travaux de réparation et d’entretien de l’infrastructure, ou qui lui permettent de recevoir de l’argent en vendant des produits de la faune et de la flore sauvages.

Ce jeu amène chaque joueur à effectuer de nombreuses transactions financières, et à payer ou à recevoir des sommes d’argent. Ces transactions ont pour objet de développer les aptitudes des participants à la tenue de comptes. Chaque joueur tient un livre de comptes, délivre de reçus et établit des bons de paiement. Périodiquement, l’instructeur peut interrompre le jeu et demander aux joueurs d’apurer leurs comptes. Si les comptes d’un joueur ne s’équilibrent pas, celui-ci peut les vérifier et en corriger les erreurs. Outre la pratique des mécanismes de la comptabilité, le jeu de CAMPFIRE offre l’occasion aux participants d’acquérir des aptitudes à l’analyse, notamment d’apprendre à identifier des sources de revenus, les investissements fructueux et ceux qui ne le sont pas, et à déterminer combien d’argent ils ont dépensé, et à quoi. Dans une autre de ses phases, le jeu exige des participants qu’ils utilisent leurs comptes pour établir un budget. Lors d’un nouveau jeu, les joueurs doivent gérer leurs finances sur la base de leur budget, et ils doivent tenir un ensemble complet de comptes financiers.

Le jeu de CAMPFIRE ne saurait remplacer les cours de formation à la comptabilité, à l’analyse et au budget, mais il est un outil de simulation qui permet aux joueurs d’exercer leurs aptitudes. Comme il implique la participation, il fait abondamment usage d’arbitres. Ce jeu a été adapté pour des projets similaires en Namibie et en Zambie. Les fonds pour sa conception ont été fournis par l’Agence norvégienne de développement international NORAD.

Source: A board game for financial management training. Étude d’Ivan Bond publiée dans PLA Notes 33 en octobre 1998.

Assistance mutuelle et groupes d’étude

La possibilité d’inclure l’acquisition d’aptitudes à la gestion financière dans le programme des groupes d’alphabétisation a été évoquée au Chapitre 2. De petits groupes d’assistance mutuelle peuvent être formés pour toutes sortes de raisons allant de l’alphabétisation à la gestion d’un puits local ou à l’exploitation d’une entreprise commune. Les questions de gestion monétaire ne peuvent manquer de se poser dans les activités de tels groupes, et elles offrent un moyens aux animateurs ou aux modérateurs de ces groupes d’initier leurs membres à la gestion financière.

La vulgarisation agricole est souvent organisée à l’intention de petits groupes. L’approche suivie permet aux vulgarisateurs d’atteindre davantage de monde et aux agriculteurs participants d’apprendre au contact de leurs pairs en échangeant des données d’expérience. Dans plusieurs pays, les agriculteurs ont pris l’initiative de former des groupes d’étude afin d’apprendre au contact les uns des autres. Ils peuvent visiter les exploitations d’autres membres de leur groupe et discuter des problèmes qui se posent ou de l’expérimentation de méthodes ou de technologies nouvelles. Ils peuvent demander aux vulgarisateurs de leur parler de sujets particuliers qui les intéressent.

En Asie du Sud-Est, l’enseignement à même l’exploitation est devenu un mode de vulgarisation très répandu. Cette formule a pour but d’aider les agriculteurs à acquérir les connaissances, les aptitudes et l’assurance nécessaires pour prendre des décisions concernant la gestion de leur exploitation en se fondant sur leurs observations et leur propre expérience. L’enseignement à même l’exploitation consiste à réunir de 15 à 30 exploitants que l’on divise en groupes de cinq ou six pour effectuer des expériences et des travaux pratiques sur le terrain. Ces groupes se réunissent généralement une fois par semaine et sont encouragés à consigner par écrit les résultats de leurs expériences et de leurs discussions pour les présenter aux autres groupes. Cette formule d’enseignement à même l’exploitation est utilisée principalement pour développer et propager la connaissance des pratiques intégrées de lutte contre les ennemis des cultures.

PRADAN (Professional Assistance for Development Action) (Assistance professionnelle pour une action en faveur du développement) est une organisation non gouvernementale opérant en Inde. L’un des agents de cette organisation travaille actuellement sur une méthode participative destinée à aider les agriculteurs à analyser leur situation en considérant leur actif, leur trésorerie, leurs lacunes, leurs perspectives et leurs points faibles. Il s’agit de les aider à prendre de meilleures décisions en matière de production, d’emprunt, de dépenses, d’investissements, etc. Cette idée a été inspirée par la constatation du fait que les décisions semblent souvent prises de façon irrationnelle. Par exemple, une famille d’agriculteurs, après avoir gagné accès à l’irrigation grâce à l’installation d’une noria, décide d’abandonner l’agriculture, pourtant plus lucrative, au profit d’emplois salariés. Un autre agriculteur peut renoncer à une culture faute de pouvoir réunir la somme modeste dont il avait besoin pour l’achat d’intrants, alors qu’il possède une chèvre qu’il aurait pu vendre pour mobiliser les fonds nécessaires. Or, l’argent que lui aurait procuré cette culture lui aurait pourtant permis de racheter plusieurs chèvres.

Encadré 9
Amélioration de la sensibilité aux considérations financières dans le cadre de Groupes d’alphabétisation au Bangladesh

La méthode REFLECT est une nouvelle approche de l’alphabétisation des adultes lancée par l’organisation non gouvernentale internationale ACTIONAID. Cette méthode a été expérimentée en premier lieu dans le cadre de trois projets en Ouganda, au Bangladesh et en El Salvador et s’est depuis lors étendue à plus de vingt pays à travers le monde. Elle a également été reprise par diverses organisations. Chaque cercle d’alphabétisation élabore ses propres matériels didactiques en établissant des cartes, des matrices, des calendriers et des diagrammes qui facilitent l’analyse détaillée des problèmes locaux.

L’Île de Bhola est située à l’extrême sud du Bangladesh. Elle est peuplée principalement d’agriculteurs. Les femmes ont leur propre univers personnel et vivent dans la maison de leur père ou de leur mari. Très rares sont celles qui ont la possibilité d’aller à l’école, et elles sont très peu nombreuses à savoir lire. ACTIONAID y a entrepris un programme de développement à long terme en 1983 auquel étaient associés tous les groupes féminins d’épargne et de crédit ou "shomitis". L’organisation s’était rendu compte que ces groupes ne pouvaient se gérer d’eux-mêmes car les femmes ne possédaient pas les aptitudes à la lecture nécessaires à cet effet. Elle a également constaté que les femmes n’étaient pas autorisées à gérer elles-mêmes leurs prêts et leurs revenus monétaires.

Un programme d’alphabétisation selon la méthode REFLECT a été lancé en 1994 dans dix shomitis. Les participantes se réunissaient chaque jour ouvrable pendant deux heures. Les animatrices étaient de jeunes femmes choisies par les communautés. Elles recevaient dix jours de formation initiale dispensée par ACTIONAID, puis se réunissaient toutes les deux semaines pour des ateliers. ACTIONAID payait ces femmes au tarif normalement payé localement pour ce genre de travail. Les matériels didactiques qu’elles élaboraient traitaient d’un large éventail de questions concernant l’agriculture, la santé, l’épargne et le crédit, les décisions au sein du ménage, les relations entre hommes et femmes et l’analyse des structures sociales du village.

Une analyse de ce programme a montré qu’après dix mois, les participantes savaient lire et écrire mieux que les participants aux programmes classiques. Les femmes commençaient à utiliser leur connaissance de l’arithmétique pour gérer leurs propres livrets d’épargne. Ce programme a permis d’améliorer les aptitudes à l’analyse. Ainsi, les femmes étaient à présent capables d’élaborer de nouvelles stratégies, par exemple, d’acheter et de stocker en grandes quantités, ou de diversifier leurs activités. Elles avaient également une meilleure maîtrise de l’utilisation de l’argent emprunté, et étaient capables d’investir plus efficacement.

Source: The REFLECT Mother Manual. D.Archer and S.Cottingham
ACTIONAID Mars 1996.

PRADAN constate que ces situations sont particulièrement fréquentes dans les villages éloignés de tout marché. L’organisation reconnaît que l’agriculteur peut trouver sa décision justifiée à plusieurs titres et parfaitement rationnelle. La question que se pose PRADAN est de savoir si l’on peut aider l’agriculteur à envisager un autre point de vue, par exemple, à considérer que le fait de vendre une chèvre aujourd’hui pour investir dans une récolte future plus rémunératrice ne semble pas irrationnel. L’organisation estime que cela est possible si l’on aide les agriculteurs à participer à des exercices de groupe où divers scénarios seraient simulés et visualisés pour les différentes familles. L’élaboration d’une méthodologie de ce type a commencé en 1999, et PRADAN se propose d’apprendre à ses agents à l’utiliser avec les agriculteurs.

Ainsi, les groupes d’assistance mutuelle, les groupes d’étude et l’enseignement à même l’exploitation pourraient tous offrir un moyen d’aider des populations à développer leurs aptitudes à l’analyse et à la gestion financière. L’Encadré 9 décrit une application de l’approche REFLECT de l’alphabétisation des adultes qui a été utilisée au Bangladesh. En même temps qu’ils apprennent à lire et à écrire, les participants à ce programme acquièrent de nombreuses autres aptitudes, notamment l’aptitude à l’analyse financière.

L’Encadré 10 décrit la façon dont le service de vulgarisation au Burkina Faso a utilisé une méthode de groupe pour initier les agriculteurs à la gestion agricole.

Encadré 10
Conseils en gestion agricole dispensés à des groupes au Burkina Faso

Au Burkina Faso, l’agriculture est dominée par les petites exploitations familiales. Dans l’ouest du pays, où le sol et le climat sont favorables, l’agriculture s’est rapidement modernisée. Toutefois, depuis la fin des années 1980, la détérioration des termes de l’échange pour le coton, le maïs et l’élevage posent des problèmes aux agriculteurs. Par ailleurs, il a été estimé que ceux-ci avaient besoin de savoir calculer leurs marges bénéficiaires et comparer diverses techniques de production ou divers niveaux d’intensification, et que les services de vulgarisation agricole ne parvenaient pas à leur dispenser ce genre de conseils. En 1992 a été élaborée une nouvelle approche de ces services, fondée sur la fourniture de conseils en gestion agricole à des groupes d’agriculteurs. Cette approche participative se concentre d’abord sur l’économie des familles d’agriculteurs, puis sur les innovations techniques.

La fourniture de conseils en gestion agricole à des groupes d’agriculteurs se caractérise avant tout par une formation participative. Les cours ont lieu toutes les deux semaines et durent environ trois heures. Ils sont consacrés à la formation en matière de diagnostic agricole, à l’enseignement des principes élémentaires de la gestion agricole et à l’initiation au calcul des facteurs de production et de la production, ainsi qu’à des visites sur le terrain. Les données relatives à la gestion de l’exploitation sont recueillies par les participants pendant les cours et consignés dans un livre de comptes spécialement conçu à cet effet. Les textes distribués sur les pratiques améliorées, rédigés en langue locale, sont expliqués et discutés par le groupe. Les pratiques préconisées sont examinées à la lumière de la situation d’une exploitation donnée, gérée par l’un des participants, et sont analysées par le groupe. Ainsi, les participants apprennent à faire des choix en connaissance de cause, en se fondant sur des calculs financiers qui tiennent compte de leurs propres contraintes et de leurs préférences.

Lorsque cette approche est utilisée pour la première fois, elle s’adresse aux membres de la communauté qui savent lire. Ensuite, les membres les plus instruits du groupe sont encouragés à assumer le rôle "d’animateurs" et à initier à cette approche les membres de la communauté qui ne savent pas lire. Des études d’impact indiquent le succès obtenu, exprimé sous les formes suivantes:

Une meilleure compréhension des notions de revenus et de dépenses - "nous savons où notre argent est allé, et à hauteur de quel montant";

Une connaissance de la façon de mesurer la production et le rendement et de caculer les quantités d’intrants et les coûts;

Une meilleure aptitude à planifier et à estimer la production vivrière, les besoins de la consommation et les excédents destinés à la vente.

La méthode de Fourniture de conseils en gestion agricole à des groupes d’agriculteurs a été élaborée par des chercheurs de l’INERA (Institut d’Études et de Recherches Agricoles) et du SNVA (Système National de Vulgarisation Agricole) au Burkina Faso. L’assistance technique a été dispensée par le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement et;es coûts de fonctionnement ont été financés de 1993 à 1996 par un don du Ministère français de la coopération. Après une phase pilote, il a été convenu que cette nouvelle approche pourrait facilement être intégrée aux activités courantes du service de vulgarisation agricole (SNVA). À l’exception d’une recherche et d’une formation spécifiques au début, elle ne nécessite pas de surcroît de personnel ou de financement.

Comparée aux pratiques actuelles en matière de vulgarisation, la fourniture de conseils en gestion agricole à des groupes d’agriculteurs introduit une nouvelle dimension économique; elle fournit aux agriculteurs et aux vulgarisateurs des moyens d’analyser dans un cadre participatif leur production agricole, leur utilisation de facteurs de production, leurs recettes et leurs dépenses, et la possibilité de lier les résultats obtenus par l’introduction d’innovations appropriées. Ainsi, les agents de vulgarisation deviennent de véritables conseillers en gestion agricole, qui apprennent comment faire face aux variations des pratiques agricoles et comment adapter leurs conseils aux besoins et aux potentialités spécifiques des différents agriculteurs. À l’avenir, on pense que les agents de vulgarisation pourraient devenir des employés des Organisations d’agriculteurs de plus en plus nombreuses au Burkina Faso. Ces organisations sont des institutions indépendantes qui devront aider leurs membres à améliorer leurs revenus agricoles en utilisant des instruments des gestion agricole simples et compréhensibles.

Source: Using Farm Management Group Counselling (FMGC) to Improve Agricultural Extension Efficiency. Étude de G.Faure, P.Kleene, S.Ouedraogo et G.Raymond publiée sur le site Internet Vulgarisation de la Banque mondiale.

Stages

Les stages ou ateliers spécialement conçus pour les besoins de la population visée sont une autre forme d’éducation des adultes. Tous les aspects de la gestion financière suggérés au Chapitre 2 peuvent être faire l’objet d’une instruction formelle. On peut offrir des cours d’une durée variant de la demi-journée à plusieurs semaines. Pour attirer les gens vers ce genre de cours, il faut que les objectifs de la formation soient très clairs, que les cours soient offerts à des heures convenables et à des endroits accessibles, et que les avantages soient évidents pour les participants en puissance. Même dans ces conditions, il faut beaucoup de motivation de la part d’un chef de famille rurale pour qu’il envisage d’assister un un cours formel. L’avantage de cette formule est qu’elle permet aux participants d’exercer certaines aptitudes spéciales, par exemple, la tenue de comptes financiers, la préparation d’un état financier ou d’un budget de trésorerie sous l’oeil de l’animateur. Les ateliers de formation sont probablement la façon la plus économique d’aider les adultes à acquérir certaines techniques particulières de gestion financière.

L’Encadré 11 décrit un stage offert aux chefs de micro-entreprises d’Afrique du Sud. Ce stage vise principalement les personnes vivant dans un cadre urbain, mais ce concept pourrait s’appliquer dans les zones rurales. La formation est offerte dans différentes régions du pays par un certain nombre d’organismes de formation, en étroite collaboration avec les banques, en ce sens que les personnes qui terminent ce stage avec succès peuvent ouvrir un compte en banque et demander un prêt. Cela représente un bon exemple de coopération entre prestataires de services financiers et non financiers. Les stagiaires qui obtiennent un prêt doivent verser une contribution à un fonds lorsqu’ils remboursent leur prêt; cette contribution est destinée à couvrir en partie le coût de leur formation.

Encadré 11
Stage de formation pour chefs de micro-entreprises en Afrique du Sud

Le Fonds de financement de capital de lancement (Start-Up Fund) a été établi en 1995 par un expert-comptable travaillant pour une ONG, qui dispensait une formation commerciale aux chefs de micro-entreprises de townships d’Afrique du Sud. Ce fonds a pour objet de consentir des prêts aux personnes qui ont terminé un stage et souhaitent monter leur propre entreprise. Ce stage, appelé "Township MBA" ("Maîtrise en gestion d’entreprise des Townships"), permet aux participants d’acquérir les rudiments de gestion commerciale dont ils ont besoin pour améliorer leurs revenus.

Au cours de ce stage, les participants doivent travailler sur une série de huit cahiers de travaux pratiques, qui leur sont donnés dans la langue locale, avec l’appui d’un animateur qui répond à leurs questions et leur donne des encouragements. Ces cahiers couvrent les sujets suivants:

  • Étude de marché

  • Utilisation d’une calculatrice pour la gestion de l’entreprise

  • Achats

  • Détermination des coûts et tarification

  • Vente

  • Établissement d’un plan d’entreprise

  • Gestion monétaire

  • Gestion des stocks

Le cahier de TP sur la gestion monétaire est particulièrement important pour les chefs de micro-entreprises. Il leur apprend à remplir un formulaire hebdomadaire de gestion monétaire, qui comprend des sections où inscrire les prélèvements, les paiements et les dépenses de chaque jour, ainsi que les achats d’équipement et les dettes. Ce formulaire comprend également une section qui doit aider l’intéressé à déterminer comment utiliser le revenu net de la semaine, en estimant de combien il a besoin pour le fonds de roulement de la semaine à venir et pour les remboursements (éventuels) de son prêt et, par conséquent, de combien il dispose pour les dépenses du ménage et pour mettre de l’argent de côté.

L’inscription à ce stage ne nécessite qu’un paiement symbolique de la part de l’intéressé. Après avoir terminé le stage, celui-ci ouvre un compte en banque et peut obtenir un prêt du Fonds de financement de capital de lancement. Les prêts initiaux sont modestes, et des prêts plus conséquents sont consentis par la suite, une fois que le prêt intial a été remboursé. Les clients remboursent le montant de leur prêt majoré d’une redevance additionnelle, qui est utilisée en partie à titre de contribution à un Fonds d’indemnisation de groupe (Group Indemnity Trust (GIT)), et en partie pour une contribution au Fonds initial de formation (Start-Up Training Trust (SUTT)) afin de couvrir les coûts du "Township MBA". À l’occasion, des ateliers sont organisés pour permettre aux usagers du Fonds de venir discuter des problèmes auxquels ils peuvent se heurter dans la gestion de leur affaire.

Le Start-Up Fund, avec le GIT, dont le niveau est suffisant pour couvrir le niveau probable des défauts de paiement, et le SUTT, qui a permis de couvrir pleinement le coût de la formation et du suivi, ont été conçus pour être autonomes et ne pas nécessiter de subvention. À la fin de 1996, le Fund avait financé l’octroi de prêts à quelque 4 800 chefs de micro-entreprise. Au moins vingt organismes de formation ont servi à établir le premier contact client, à dispenser la formation, le suivi ou l’encadrement, et leurs services ont été financés sur les ressources du SUTT.

Source: Profit for the Poor Chapter 17. Malcolm Harper ITP, 1998.

Au Paraguay, l’État a lancé un programme d’un genre nouveau, destiné à encourager les chefs de micro-entreprises à suivre des stages de formation. Quiconque est intéressé peut obtenir un bon du gouvernement à utiliser pour payer sa participation à un stage. Chacun est libre de choisir la formation qui lui paraît le mieux répondre à ses besoins, à condition que la personne qui dispense cette formation ait été officiellement agréée par le programme. On espère que cette formule suscitera un plus vif intérêt pour la formation et qu’elle cessera d’être simplement perçue comme un moyen d’obtenir un prêt. On espère également que la concurrence entre les instructeurs favorisera l’émergence de stages pertinents et pratiques, répondant véritablement aux besoins des chefs de petites entreprises.

L’Encadré 12 décrit l’initiative d’une organisation en Uruguay fondée sur l’expérimentation en milieu rural de la méthode de formation CEFE (Competency-based Economies through Formation of Enterprise) (Économies favorisées par le développement des compétences à travers la formation d’entreprises). La méthode de formation CEFE, conçue par GTZ, est fondée sur le principe de l’interaction au sein d’un groupe de travail à travers l’action et l’apprentissage par l’expérience, complétée par une forte composante de réflexion, d’expérience et de progrès individuels. Axée sur le principe d’un développement continu des aptitudes techniques, personnelles et inter-personnelles, la formation CEFE vise ce qui est réalisable dans le cadre social et économique de l’individu. Elle fait appel à un large éventail d’instruments pédagogiques et didactiques et est utilisée dans beaucoup de pays à travers le monde. Toutefois, le transfert de cette méthode aux communautés rurales n’en est encore qu’à un stade de développement préliminaire.

Encadré 12
Formation de chefs d’entreprises agricoles en Uruguay

FUNDASOL (Fundación Uruguaya de Cooperación y Desarrollo Solidarios) est une organisation qui vise à promouvoir le développement de la petite entreprise en Uruguay. Depuis 1986, elle expérimente l’application de la méthode de formation CEFE (Competency-based Economies through Formation of Enterprise) (Économies favorisées par le développement des compétences à travers la formation d’entreprises) en milieu rural. Elle travaille avec des groupes d’agriculteurs afin d’améliorer l’aptitude de ceux-ci et de leur famille immédiate à travailler comme chefs d’entreprise agricole. Ce processus se déroule par étapes, et commence par des activités de sensibilisation destinées à inciter les agriculteurs à s’engager à changer leur situation. Dans un deuxième temps, on s’efforce de développer leurs capacités à plusieurs égards:

1. Ce qu’ils savent de la situation du marché et de leurs produits.

2. Leur connaissance et leur maîtrise des techniques de production et de traitement, et la façon dont celles-ci peuvent être modifiées et incorporées à leur entreprise familiale.

3. Leurs connaissances et leur aptitude à s’organiser pour traiter et vendre ce qu’ils produisent et pour obtenir accès à un financement.

4. Leur connaissance des ressources dont ils ont besoin et des techniques, afin de décider s’ils veulent ne rien changer à leur situation, lancer une nouvelle activité, demander une action à leur coopérative ou conclure un accord avec une entreprise manufacturière ou commerciale

Le processus de formation comporte quatre phases qui sont répétées systématiquement tout au long du cycle de production. La Phase 1 comprend l’analyse de chaque exploitation agricole, la définition d’un ou de plusieurs objectifs, l’élaboration d’un plan d’action et l’estimation des ressources nécessaires à sa mise en oeuvre. La Phase 2 est la phase de production proprement dite, au cours de laquelle l’agriculteur doit appliquer les méthodes comptables afin de suivre les coûts, coordonner l’utilisation des équipements, traiter avec les fournisseurs d’intrants, etc. La formation dispensée pendant la phase 2 peut porter sur la gestion et les techniques de production. La Phase 3 a trait à la commercialisation et à la vente des produits de l’exploitation. Au cours de la Phase 4, des techniques analytiques sont appliquées pour évaluer les résultats économiques de l’exploitation et pour tirer des conclusions pour le prochain cycle. L’exploitant doit identifier ses points forts et ses points faibles, de même que les possibilités et les risques encourus, puis formuler de nouveaux objectifs et de nouveaux plans sur la base de cette analyse.

FUNDASOL n’a pas encore défini de système pour financer ce programme de formation au delà de sa phase pilote dans les zones rurales. La Fondation estime que les agriculteurs ne peuvent financer ce programme. La coopération internationale est une solution, ou encore, le gouvernement pourrait faire appel à des institutions de développement privées pour exécuter ce programme.

Source: Business Training for Farmers. Étude préparée par Raul Bidart et publiée dans Brainstorm (le magazine de la méthode CEFE) Vol 2 1998.

Conseils à des particuliers

L’offre de conseils à des particuliers ou la discussion en tête à tête présentent beaucoup d’avantages pour l’éducation des adultes. Elles permettent de traiter exclusivement des besoins et de la situation de l’intéressé et offrent au conseiller la possibilité de tenir compte de cette sitution unique lorsqu’il prodigue ses conseils ou donne des informations. L’échange idées que permettent les entretiens en tête à tête est un moyen très utile d’aider les gens à réévaluer leur situation et à modifier leurs attitudes à l’égard des problèmes et de leurs solutions. Lorsqu’il s’agit de questions d’argent, qui sont très personnelles, rares sont ceux qui acceptent d’en discuter dans le détail avec quelqu’un d’autre qu’une personne en qui ils ont entière confiance. Cette confiance est possible lorsque l’on a affaire à un conseiller particulier. Il est certes possible d’inculquer certaines aptitudes pratiques à la gestion financière lors de tels entretiens particuliers, mais cela demande beaucoup de temps pour une seule

Les conseillers agricoles, les consultants en gestion commerciale et les conseillers financiers ont amplement recours aux entretiens particuliers avec leurs clients, qui sont leur principale méthode de travail. Lorsque quelqu’un veut emprunter de l’argent, l’institution financière doit évaluer la situation et les projets de l’intéressé afin de pouvoir décider en connaissance de cause de lui accorder ou non le prêt demandé, de fixer le montant à prêter et les échéances du remboursement. Chaque fois que ce genre d’entretien a lieu, il y a une possibilité de faciliter l’acquisition de connaissances.

Malheureusement, l’attitude des personnes qui travaillent dans les banques ou comme consultants ou vulgarisateurs est souvent teintée d’arrogance, de sorte que la personne qui demande le prêt n’est généralement réduite qu’à répondre à des questions et n’est pas invitée à participer activement à l’analyse des données ou à la préparation du budget. Les calculs de bénéfices et les budgets de trésorerie ont plus de chances de rester dans les fichiers de l’institution financière que d’arriver dans les mains de l’entrepreneur. C’est là une occasion manquée d’améliorer les aptitudes des clients à la gestion financière et de les associer aux calculs et aux décisions concernant leur propre entreprise. De même, les visites de suivi aux clients sont autant d’occasions, dans le cadre du processus d’examen de leur prêt, de développer leurs connaissances en les encourageant à la tenue de leurs comptes et au contrôle de leur budget.

Encadré 13
Associer les Clients à l’évaluation des prêts en Érythrée

Le Southern Zone Savings and Credit Scheme (Programme d’épargne et de crédit de la Zone Sud) a été lancé en 1993 par ACORD dans les Hauts Plateaux de l’Érythrée. Conçu à l’origine selon l’approche de groupe de type Grameen (Grammen style group approach), il s’est transformé peu à peu en une fédération moins rigide de banques villageoises semi-autonomes gérées par leurs propres membres. En 1998, les groupes comptaient plus de 4 000 membres vivant aussi bien en milieu rural qu’urbain - pour la plupart paysans et petits commerçants. Les problèmes posés par les remboursements tardifs de nombreux clients ont incité les organisateurs à chercher à élaborer un système d’évaluation des prêts assorti de calendriers de remboursement plus réalistes et suceptible d’être compris et mis en oeuvre tant par les clients que par les comités des groupes d’épargnants.

Les organisateurs de ce programme ont pris conscience de la nécessité de tenir compte de l’économie des ménages ainsi que de leurs nouveaux projets d’investissement lors de la préparation d’un prêt. Ils ont estimé également que les techniques participatives d’évaluation en milieu rural pourraient être adaptées de manière à créer des méthodes d’analyse de l’économie et des propositions d’investissement des ménages faciles à comprendre. La méthode qu’ils ont mise au point tenait compte du fait que nombre de clients ne savaient ni lire ni compter et faisaient toute leur planification par calcul mental.

Cette méthode s’articule en quatre étapes:

1. Établissement d’un diagramme en arbre indiquant les sources de revenu et les dépenses du ménage (voir Fig. 4). Ces sources de revenu et ces dépenses sont inscrites sur des fiches de deux couleurs différentes. Les membres de la famille classent ensuite ces fiches en deux colonnes, par ordre de priorité. Des prix et des montants sont alors attribués à chacune. Les membres de la famille peuvent définir ces montants en valeurs journalières, hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. Tous ces montants sont ensuite convertis en chiffres annuels.

2. Les chiffres des revenus et des dépenses sont fractionnés en douze colonnes mensuelles pour l’établissement d’un budget de trésorerie, avec un chiffre net cumulé indiquant les mois d’excédent et les mois de déficit de trésorerie.

3. Les membres de la famille sont invités à exposer leurs idées d’un plan d’investissement

à court terme. Ils doivent ensuite établir un budget de trésorerie correspondant en utilisant les mêmes méthodes visuelles qu’auparavant.

4. Enfin, les deux budgets de trésorerie sont combinés, et le budget qui en résulte est alors utilisé pour déterminer le montant du prêt nécessaire et son calendrier de remboursement. Souvent, des diagrammes à barres sont tracés pour permettre aux intéressés de visualiser les effets de différentes décisions de trésorerie.

Tous les diagrammes et budgets qui sont ainsi établis sont laissés à la famille. Le facilitateur recopie les données essentielles sur un carnet qu’il classe dans le dossier du client dans son bureau. Ce processus est perçu comme un exercice d’apprentissage, les ménages essayant, souvent pour la première fois, de planifier leurs activités économiques d’une façon systématique. Les membres du groupes qui ont jusqu’ici participé à ce processus estiment qu’ils tirent à présent quelque chose de leurs discussions avec le personnel du programme et ont une opinion très favorable de ce processus. Ils n’aimaient pas la formule utilisée auparavant, selon laquelle les agents leur demandaient de fournir des informations, et effectuaient eux-mêmes les études de faisabilité depuis leurs bureaux.

La mise en oeuvre de cette méthode nécessite deux ou trois séances d’environ deux heures chacune avec la famille cliente, en plus du temps de déplacement du personnel du programme. Ce temps est considéré comme un investissement par les agents, qui estiment que les chefs de famille initiés à cette méthode peuvent alors la faire connaître eux-mêmes à d’autres membres de leur groupe. Cette formule n’est expérimentée que depuis 1998, et l’on n’a pas encore de preuve de la durabilité de son succès.

Source: PRA and Micro-finance. Étude de Christian Sorensen, Coordonnateur du Programme - ACORD - Erytrhée, 1993-98.

Le personnel des institutions financières a plus de raisons que quiconque d’aider les gens à améliorer les aptitudes à la gestion financière. Toutefois, les agents de vulgarisation agricole pourraient aussi jouer un rôle vital dans ce domaine dans les régions rurales. Le principal problème, c’est que leur connaissance des techniques agricoles et de la gestion financière est nettement insuffisante. Cette situation pourrait s’améliorer si les vulgarisateurs recevaient une formation qui leur permette non seulement d’initier les communautés ou les groupes de discussion aux questions de gestion monétaire, mais aussi d’utiliser des techniques similaires pour aider les particuliers et les ménages.

L’Encadré 13 décrit la façon dont un programme d’épargne et de crédit parrainé par une ONG en Érythrée a permis de définir une approche de l’évaluation des prêts qui associe les clients au processus et tient compte de l’ensemble de l’économie du ménage lors de l’évaluation d’une proposition financière. Ce programme n’en est encore qu’aux débuts de son exécution, mais déjà les familles participantes ont remarqué qu’elles retiraient quelque chose de leurs entretiens avec le personnel, ce qui n’était pas le cas auparavant.

L’Encadré 14 décrit le système de crédit en partenariat de la Sudanese Islamic Bank, qui est un exemple d’institution financière travaillant en étroite collaboration avec ses clients afin de les aider à développer avec succès leur entreprise.

Encadré 14
Collaboration de la Sudanese Islamic Bank avec ses Clients

L’interdiction de percevoir un intérêt imposée au système bancaire islamique a donné naissance à un certain nombre d’opérations d’investissement d’un genre différent. L’une de ces formules est la musharaka ou crédit en partenariat. Au Soudan, la Sudanese Islamic Bank (SIB) concentre ses activités sur les "familles productives", définies comme celles qui ont la volonté de mener à leur modeste échelle une activité économique et de fournir des biens et des services à leur communauté et qui possèdent une expérience dans ce domaine. La banque cherche entre autres à promouvoir la connaissance de l’activité bancaire, à susciter une attitude favorable à l’égard de l’épargne et à encourager les citoyens à recourir au système bancaire.

Lorsque quelqu’un présente une proposition de financement en partenariat à la Sudanese Islamic Bank, celle-ci s’efforce tout d’abord de recueillir des informations sur la personne et sur son expérience professionnelle. Ensuite, un représentant de la section des investissements et des affaires familiales rend visite à la famille et effectue une étude socio-économique, au terme de laquelle une forme de financement appropriée est suggérée. Si cette forme est la musharaka, une co-entreprise se crée entre la Banque et le client ou partenaire. L’une et l’autre contribuent au capital en finançant les immobilisations ou les frais d’exploitation et se partagent les bénéfices et les pertes selon des ratios spécifiques, établis avant le démarrage des opérations.

Sur la base de ce financement en partenariat, la Sudanese Islamic Bank a apporté une aide financière à un certain nombre d’agriculteurs jeunes et inexpérimentés des régions rurales. Outre les installations de commercialisation et de stockage, elle leur fournit la plupart des intrants agricoles - location de tracteurs, pompes à eau, carburant, semences, etc. L’agriculteur pour sa part apporte la terre, son travail et sa gestion, et couvre une partie des frais d’exploitation. La participation de la Banque à l’entreprise agricole commence au moment où la proposition est examinée pour la première fois, de sorte qu’elle en connaît très bien le détail. Les contributions, les décaissements et le produit des ventes sont contrôlés conjointement, et les paiements sont effectués selon le contrat. Ainsi, l’agriculteur apprend à gérer convenablement ses ressources financières. Les accords de partenariat sont souples, et chaque partenaire peut prodiguer divers types de conseils et d’assistance. Par exemple, la Banque peut offrir conseils et assistance concernant l’épargne et la gestion financière du ménage.

Source: Dr Badr-El-Din A. Ibrahim, écrivant dans Partnership Financing for Small Enterprises, ed. Malcolm Harper ITP 1997 et dans sa correspondance.

Qui donne? Qui paie?

La variété des études de cas présentées dans ce chapitre montre clairement les possibilités pour les organisations tant gouvernementales que non gouvernementales de jouer un rôle et d’aider les familles rurales à renforcer leurs aptitudes à la gestion financières par une multitude d’approches. Aucun mécanisme n’est meilleur qu’un autre, et pour apporter une amélioration considérable à la vie de beaucoup de gens, il n’y a aucune raison de ne pas employer toutes les méthodes disponibles.

Toutes ces méthodes ont leur prix. Il faut engager du personnel pour préparer les dossiers, rédiger des articles ou présenter des démonstrations, assister aux réunions, animer des stages, faciliter les activités de groupe, enseigner ou faire fonction de conseillers. Par conséquent, les salaires sont le principal élément de dépense, mais il y a également les coûts d’achat de matériaux, de transport, de location d’installations, d’entretien de bâtiments, de gestion de l’appareil administratif, etc. Qui doit supporter ces coûts, et pourquoi? Il y a essentiellement quatre possibilités:

Tous les gouvernements sont censés rechercher le développement économique et l’amélioration du niveau de vie de leur population. Utilisant les recettes fiscales et l’emprunt, ils s’efforcent de donner forme à leur vision du progrès social par la réglementation, la facilitation et la prestation de services. La plupart reconnaissent l’importance de l’alphabétisation et sont de plus en plus sensibles au rôle de l’esprit d’entreprise, car il apparaît clairement qu’en l’absence de possibilités d’emploi suffisantes, de larges segments de leur population ne peuvent survivre qu’en créant de petites entreprises. C’est ce qui justifie l’école publique et les services de conseils tels que la vulgarisation agricole et les programmes d’appui à la petite entreprise.

La question clé qui se pose à tout gouvernement, local ou national, est de savoir comment fixer les priorités en matière de dépenses. Les gouvernements quels qu’ils soient n’ont jamais assez d’argent pour financier toutes les activités qu’ils peuvent juger utiles pour l’amélioration des conditions de vie de leurs citoyens. Par ailleurs, nombre d’activités financées peuvent très bien ne pas atteindre les résultats attendus et avoir besoin d’être améliorées, abandonnées ou modifiées d’une manière ou d’une autre. Certains programmes subventionnés par l’État peuvent être financés indéfiniment, comme les écoles ou les services de vulgarisation agricole, ou à titre temporaire, le gouvernement espérant que l’impact espéré se perpétuera de lui-même, comme dans le cas des campagnes de sensibilisation par les ondes, la affiches ou les prospectus.

En ce qui concerne l’amélioration des aptitudes des familles rurales à la gestion financière, les gouvernements pourraient avoir une influence en encourageant des changements dans les programmes scolaires et les méthodes pédagogiques et en faisant en sorte que les vulgarisateurs agricoles aient des connaissances et des compétences plus appropriées, sans avoir pour autant à dépenser considérablement plus qu’ils ne le font actuellement.

Les institutions non gouvernementales d’aide au développement sont financées en grande partie par des subventions et des dons de sources diverses. Certaines sont de très grandes organisations internationales, tandis que d’autres peuvent être de très petites institutions locales. La raison d’être de chacune dépend des objectifs de ses fondateurs, qui peuvent être des églises, des chambres de commerce et des fondations caritatives privées. Un grand nombre de ces organisations s’efforcent de combattre la pauvreté et ont été amenées par leur travail à s’occuper de questions de gestion monétaire.

Les études de cas citées dans ce chapitre montrent que les institutions non gouvernementales d’aide au développement ont un rôle de premier plan à jouer dans les efforts en vue d’améliorer des aptitudes des familles rurales à la gestion financière. En règle générale, leurs initiatives découlent de la perception d’un besoin ressenti dans le cadre de leurs autres activités de développement, par exemple, de la promotion des groupes d’épargne et de crédit, de la lutte contre la malnutrition ou de la protection de la flore et de la faune sauvages. Un grand nombre de ces initiatives sont très récentes, et rares sont celles qui sont assez anciennes pour permettre une évaluation de leur succès. La plupart d’entre elles semblent tributaires de l’éducation des adultes, à travers les réunions communautaires, les groupes d’assistance mutuelle, les ateliers de formation et les conseils dispensés aux particuliers ou aux ménages. Ces organisations font amplement usage des méthodes PRA.

L’un des attraits des organisations non gouvernementales est leur grande souplesse et leur aptitude à répondre aux problèmes locaux. Les dépenses peuvent souvent être couvertes si les institutions de financement estiment que la nouvelle activité peut contribuer à la réalisation des objectifs d’ensemble de l’organisation. Cependant leur financement n’est pas nécessairement assuré et peut souvent être de courte durée, lié à la durée de vie du projet. Autrement dit, le rôle clé de ces institutions d’aide au développement est souvent de concevoir de nouveaux matériels et de nouvelles approches et d’initir le personnel d’autres organisations permanentes à l’exécution du travail.

Les organisations commerciales sont parfois appelées à dispenser une assistance technique et une formation à leurs clients. Cette formule se justifie par le fait que la société a intérêt à ce que ses clients tirent un profit de l’achat et de l’utilisation de ses produits. De la sorte, ils ont des chances de rester clients, et peut-être même d’accroître leurs achats. Le coût de prestation de conseils techniques est généralement couvert par une majoration des prix des produits. En matière de gestion financière, les banques sont les fournisseurs les plus courants d’aide et de conseils. On a vu des exemples de la façon dont elles peuvent produire de simples brochures pour expliquer l’analyse financière ou le budget à leurs clients, y compris des matériels spécialement conçus à l’usage des agriculteurs. Elles peuvent également prodiguer des conseils durant les entrevues accordées à l’occasion d’une demande de prêt.

Il y a une certaine logique à ce que les institutions de services financiers dispensent une formation en gestion financière. Cela permet à leurs clients d’utiliser à profit les produits de l’institution, tels que les prêts ou les comptes d’épargne. Cela devrait également les aider à élargir leur clientèle, dans la mesure où davantage de familles rurales apprennent à utiliser les comptes bancaires et autres instruments financiers. Le coût de cette formation, que ce soit par des brochures ou des conseils lors de rencontres avec les clients, doivent être couverts à l’aide des revenus de l’institution. Autrement dit, celle-ci doit ajuster ses taux d’intérêt ou percevoir certaines redevances spécifiques. Dans un certain sens, le fait de dispenser une formation ou des conseils aux emprunteurs éventuels peut réduire les coûts de l’institution en diminuant le nombre de cas de défaut de paiement.

Les organisations commerciales peuvent financer la fourniture de conseils et de formation en faisant payer ces services à leur clientèle. Les coûts de ces services ou produits sont dissimulés dans leurs prix. Rares sont les familles rurales des pays moins avancés qui, en dehors des frais de scolarité, qui sont largement acceptés, accepteraient de payer directement des conseils ou une formation. En revanche, dans les pays industrialisés, les agriculteurs se sont faits à l’idée de payer les conseils, à mesure que les services de vulgarisation financés par l’État leur étaient retirés.

Les moyens d’améliorer leurs aptitudes à la gestion financière que les bénéficiaires pourraient éventuellement accepter de payer seraient leur participation à des stages ou l’offre de conseils à titre individuel. Une chose est certaine: personne n’est prêt à payer conseils ou formation sans la certitude d’en tirer directement un profit. On a vu deux exemples de cas où les chefs de micro-entreprise étaient prêts à payer leur formation. Dans un cas, l’incitation était la perspective d’obtenir un prêt, et dans l’autre, le gouvernement a distribué des bons destinés à couvrir une partie des coûts de la formation. Les méthodes de formation CEFE sont fortement personnalisées, dans la mesure où elles font une large place à la réflexion et à l’analyse individuelles des participants, ce qui rend la formation plus utile aux yeux des ceux-ci.

Les conseils dispensés à titre individuel répondent aux besoins des intéressés comme nulle autre méthode. Étant donné que les conseils dispensés selon cette méthode sont exactement adaptés aux besoins de l’intéressé, celle-ci est celle qui, en fin de compte, peut le mieux "se vendre" comme service. Telle est la logique des services conseils aux petites entreprises, dont l’action est motivée par la notion de profit. Si le gouvernement voulait un jour "vendre" ses conseils aux familles rurales, les vulgarisateurs devraient alors offrir des conseils "sur mesures" en matière de gestion agricole. Les gens ont besoin de croire qu’ils vont pouvir tirer un profit ou améliorer de quelque autre manière leur niveau de vie avant de consentir à payer des conseils ou informations.

Il est à présent entendu que le fait d’aider les gens à analyser leurs stratégies en matière de revenus, à clarifier leurs objectifs, à établir des plans financiers et à gérer leurs affaires financières peut apporter une importante contribution à l’amélioration de leurs conditions de vie. Armés d’une meilleure connaissance et plus confiants, ils ont davantage de chances de comprendre les services financiers et de les utiliser efficacement. Pour promouvoir ce changement auprès de grands nombres de familles rurales, il faudra une action concertée de nombreuses organisations travaillant dans les domaines de l’éducation et du développement. Ces actions sont résumées dans le dernier chapitre, consacré aux orientations recommandées.


[3] CEFE est le sigle de Competency-based Economies through Formation of Enterprise. C’est une méthode de formation conçue pour développer et renforcer la compétence des entrepreneurs existants et potentiels, afin qu’ils puissent favoriser la création d’un climat propice au développement de l’initiative privée.

Page précédente Début de page Page suivante