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Les mutations récentes dans le secteur forestier

Le secteur forestier est en pleine évolution. Il n'est pas à l'abri des changements causés par la globalisation des économies. Il est également confronté aux nouvelles valeurs qu'attribue la société aux biens et services procurés par les écosystèmes forestiers. Ces mutations qui touchent le secteur forestier exigent des nouvelles qualifications du personnel. Aussi, un examen de ces principales mutations est indispensable pour comprendre les besoins en formation dans le secteur forestier.

ÉVOLUTION DES IDÉES ET DES POLITIQUES FORESTIÈRES

Au cours des années 1990, les pays d'Afrique centrale ont adopté des nouveaux objectifs de développement forestier. Les processus de réforme politique se sont déroulés dans un contexte dominé, au niveau international, par l'émergence du concept de "développement durable" et l'organisation de la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement et le Développement Durable. L'exploitation forestière devrait se faire désormais en respectant le principe de durabilité de la forêt; l'objectif étant de maintenir et d'améliorer l'aptitude de la forêt à remplir au mieux l'ensemble de ses fonctions écologiques, économiques et sociales, en préservant toutes ses potentialités pour les générations futures.

Les ressources et les terres forestières doivent être gérées d'une façon écologiquement viable afin de répondre aux besoins sociaux, économiques, écologiques, culturels et spirituels des générations actuelles et futures.

Des nouvelles politiques forestières ont été formulées dans les différents pays de la sous-région. Les objectifs généraux des ces nouvelles politiques s'articulent, d'une part, autour de la contribution du secteur forestier au développement économique et social et, d'autre part, de la conservation, la protection et la régénération de la forêt afin d'assurer le maintien de la biodiversité et des fonctions écologiques, sociales et économiques remplies par les forêts. Les concepts tels que le domaine forestier permanent et non permanent, l'aménagement durable, la gestion participative, la conservation de la biodiversité, le certification des bois tropicaux constituent aujourd'hui la toile de fond de toutes les politiques et lois forestières dans la sous-région (Koyo, 1999:40).

Ces nouvelles politiques forestières sont aussi caractérisées par la mise en cause de la vision sectorielle de la gestion forestière. Il se dégage une tendance à l'intégration de la foresterie au développement rural, en général. Cette approche holistique s'est nettement imposée ces dernières années dans l'élaboration des stratégies nationales de réduction de la pauvreté4. Une nouvelle direction a été inaugurée en établissant le lien entre la forêt et les problèmes de sécurité alimentaire et de lutte contre la pauvreté. Une attention particulière a été récemment accordée à cette problématique dans la mouvance des travaux préparatoires du dernier Sommet Mondial sur le Développement Durable. La 4ème Conférence sur les Écosystèmes de Forêts Denses et Humides d'Afrique Centrale (CEFDHAC, Kinshasa, 10 au 13 juin 2002) a été d'ailleurs consacrée aux échanges sur la conciliation de la gestion durable des écosystèmes forestiers et la lutte contre la pauvreté.

ÉVOLUTION DES MISSIONS DU "FORESTIER" ET DU MARCHÉ DE L'EMPLOI

Suite à ces nouvelles orientations, l'avenir de la forêt ne devrait pas relever de la seule compétence des "forestiers", mais de toutes les parties prenantes (secteur privé, ONG, populations riveraines, etc.). Aussi, les missions du forestier, du moins dans l'Administration forestière, sont appelées à évoluer. En République Centrafricaine, par exemple, des directives5 ont été prises en vue d'amener les agents des eaux et forêts à perdre leur image d'agents de répression en devenant véritablement des agents de développement dans le monde rural (Mahodé et Mvalé, 2002).

D'une manière générale, nous pouvons convenir avec Bedel (2001) que les missions du forestier ont évolué:

Avec l'application des nouvelles lois forestières, la demande en personnel qualifié (aménagistes forestiers, notamment) devrait augmenter rapidement dans le secteur privé. Il se développe ainsi des nouveaux débouchés non seulement pour les agents en fonction dans l'Administration forestière mais aussi pour les jeunes diplômés des écoles forestières. Cette évolution du marché de l'emploi a été aussi favorisée par le gel des recrutements dans la fonction publique. Les observations suivantes, concernant les quatre dernières promotions d'ingénieurs formés à la FASA, illustrent nettement cette évolution du marché de l'emploi.

Sur 144 ingénieurs (des 4 promotions) formés à la FASA, 71 sont opérationnels: 27 ingénieurs viennent d'être recrutés par le Ministère de la recherche scientifique et technique, 7 travaillent sous contrat au Ministère des finances, 9 sont en formation doctorale et au CRESA-Forêt, 4 sont employés dans les sociétés forestières, 6 sont employés par les ONGs (WWF, Global Witness, SNV), 2 au Projet Pipeline Tchad-Cameroun, 2 sont consultants, et 1 est enseignant au Ministère de l'éducation national.

Foudjet et al. 2002

En plus, ce cas de figure est assez illustratif du phénomène des laissés-pour-compte, ces jeunes diplômés sans emploi.

NOUVELLE RÉPARTITION DE RÔLES ENTRE LES ACTEURS

L'évolution générale du secteur forestier impose une nouvelle répartition des rôles entres les différents acteurs et la promotion des partenariats forestiers. Les investigations menées dans les pays de la sous-région ont permis de noter quatre groupes d'acteurs principaux: les services techniques de l'état représentés par l'Administration forestière, le secteur privé, les ONG et les populations locales.

Les attributions de l'Administration forestière sont fixées par décret. Elles évoluent en fonction de la politique forestière de chaque pays. Ces attributions varient très peu d'un pays à un autre dans la sous-région. D'une manière générale, le rôle des administrations forestières s'articule autour des missions régaliennes de l'État. Au Cameroun, la revue institutionnelle du secteur forestier vient d'identifier cinq groupes de fonctions régaliennes. Il s'agit de :

Ces groupes de fonctions régaliennes de l'Administration forestière sont développés dans le tableau n°1. Il a été identifié également des fonctions partageables (que l'Etat peut sous-traiter à des prestataires privés et des ONG) et des fonctions transférables (que l'Etat ne doit plus faire).

Le secteur privé comprend essentiellement des entreprises affiliées aux Groupes industriels forestiers européens, les petites et moyennes entreprises (PME) d'exploitation forestière et les bureaux d'études.

Les entreprises affiliées aux Groupes industriels forestiers européens sont installées dans tous les pays d'Afrique centrale. Elles sont attributaires de la majorité des concessions forestières mises en exploitation. Elles se réclament être leader dans la promotion de la gestion durable des forêts. Organisées au sein de l'Interafrican Forest Industries Association (IFIA), huit de ces entreprises se sont engagées à respecter le code de déontologie de gestion durable des concessions forestières en Afrique centrale et occidentale (Landrot, 2001).

Les PME forestières sont généralement gérées par les "nationaux". Ce groupe est hétérogène. En fonction du capital social, on distingue généralement les "grands" des "petits" exploitants forestiers. Au Cameroun, cette distinction a conduit à la mise en place deux syndicats: le Syndicat des Exploitants Forestiers du Cameroun et le Syndicat des Jeunes Exploitants forestiers du Cameroun.

Tableau n° 1 : Les 5 groupes de fonctions régaliennes de l'Administration forestière au Cameroun

Les 5 groupes de fonctions régaliennes de l'Administration forestière

Pilotage sectoriel

Élaboration des politiques et stratégies pour formuler, proposer et faire partager une vision du développement du secteur forestier;

Élaboration des cadres législatifs, réglementaires, normatifs pour orienter et cadrer les rôles et pratiques des acteurs dans le sens de la politique forestière;

Planification pour traduire ces politiques et stratégies en plans directeurs cohérents, notamment en termes de mobilisation / allocation des ressources par domaines / acteurs;

Coordination des acteurs intervenant dans le secteur forestier, pour tirer parti des capacités existantes à l'extérieur de l'Administration tout en veillant au respect de la politique forestière;

Maîtrise d'ouvrage des projets et programmes qui vont appuyer la mise en œuvre de la politique forestière;

Suivi-évaluation pour suivre l'avancement de la politique forestière, en évaluer les impacts dans ses dimensions économiques, environnementales et sociales, et la réorienter le cas échéant.

Allocation des ressources

Délivrance et gestion des agréments dans le domaine forestier (exploitants mais aussi bureaux d'étude avec les professions liées à l'aménagement) et fauniques (guides de chasse, captureurs);

Attribution des titres d'exploitation dans le domaine forestier (concessions, forêts communautaires et communales, VC) et faunique (ZIC et ZICGC affermées, permis de capture);

Etude et approbation des conventions provisoires et définitives État / privé ou communauté.

Classement et zonage

Élaboration du plan de zonage, pour prévoir la vocation des différentes zones (valorisation / protection forestière et faunique pour le DP, mise en valeur agro-forestière, pastorale, minière, industrielle, ... pour le DNP), sachant qu'il est quasiment achevé;

Classement du domaine permanent, qui consiste à traduire le plan de zonage en actes juridiques définissant la vocation et les limites des différentes parties du domaine permanent.

Suivi-contrôle

Suivi / contrôle du respect de la réglementation forestière par les exploitants légaux (disposant de titres valides dans les concessions forestières, les VC et les forêts communautaires);

Suivi / contrôle du respect de la réglementation faunique par les opérateurs légaux (disposant de titres valides dans les ZIC et ZICGC, permis de capture, ...);

Suivi / contrôle de l'exploitation forestière illégale dans le domaine permanent concédé et le domaine non permanent;

Suivi / contrôle de l'exploitation faunique illégale, notamment en matière de lutte anti-braconnage ;

Protection du domaine non concédé: parcs, réserves forestières ou fauniques, forêts de protection et de recherche, sanctuaires, ... non concédés ;

Fiscalité forestière (en collaboration avec le MINEFI), avec la tenue de la base d'émission des factures (SIGIF), le suivi du recouvrement fiscal et le pilotage conjoint du PSRF;

Établissement des procès-verbaux selon les infractions relevées, puis transactions ou poursuites judiciaires selon les cas (incluant le calcul des dommages et intérêts),

Application effective des sanctions retenues et suivi du contentieux pour qu'elles se traduisent effectivement par un paiement des amendes ou un retrait éventuel du titre d'exploitation.

Financement

Préparation, négociation, mobilisation et gestion des ressources publiques internes (budget de l'Etat et Fonds Spéciaux);

Identification, négociation et mobilisation des appuis financiers extérieurs liés à l'aide internationale;

Prospection et mobilisation des nouveaux mécanismes de financement international liés aux services environnementaux.

SOURCE: REVUE INSTITUTIONNELLE DU SECTEUR FORESTIER AU CAMEROUN/ RAPPORT DE SYNTHÈSE/JUIN 02

A ces acteurs, s'ajoutent les opérateurs économiques du secteur de la faune. Il s'agit surtout des Guides de chasse qui s'occupent de la chasse sportive et des captureurs de perroquets.

Les Bureaux d'Études agissent comme des prestataires de services. Certains ont leur siège social en Occident. D'autres regroupent des nationaux, en particulier des anciens fonctionnaires.

Le rôle attendu du secteur privé est souvent précisé dans les conventions signées avec l'Administration forestière. Ce rôle a évolué considérablement. De simple "coupeurs de bois", les exploitants forestiers sont appelés à devenir des gestionnaires de concessions forestières.

Il faut donc, pour le concessionnaire, par l'intermédiaire de l'aménagement, passer, sous peine d'épuiser la ressource, d'un système minier, à un comportement productif respectueux de l'écosystème et de l'environnement.

Estève, 2001:15

Ils ont l'obligation contractuelle de mettre sous aménagement les concessions forestières. En pratique, plusieurs entreprises se sont engagées dans la création d'une Cellule d'aménagement. Cette Cellule aura à réaliser ou à participer à l'ensemble des travaux, selon que la préparation du plan sera confiée ou non, pour tout ou partie, à un bureau d'études spécialisé.

Dans le domaine de l'industrie du bois, le rôle des entreprises est d'accroître la part du bois transformé sur place et d'améliorer le rendement matière. Au Gabon, il prévu de transformer localement 75% de la production en 2005 (Sambo et Ndoutoume, 2002).

Les organisations non gouvernementales (ONG) qui interviennent dans le secteur forestier sont relativement nombreuses. On distingue généralement les ONG internationales (UICN, WWF, WCS, WRI, etc.) des ONG nationales.

Le champ d'action des ONG est large. Il couvre aussi bien la facilitation du dialogue politique au niveau national et sous-régional que l'appui aux initiatives de gestion des aires protégées et des concessions forestières, en passant par la production et la diffusion des outils, la circulation de l'information, le lobbying, etc.

Le rôle dévolu aux ONG n'est pas bien spécifié dans tous les pays de la sous-région. Il y a cependant un consensus sur l'action des ONG en matière d'appui-conseil et de "bonne gouvernance".

Sur le plan des fonctions d'appui-conseil, les ONG auront à accompagner les communautés locales, les communes rurales, les services étatiques sur le terrain, etc. dans leur participation à la gestion durable des écosystèmes forestiers. Les ONG sont aussi appelées à se positionner en médiateur ou en facilitateur pour promouvoir les partenariats forestiers.

Sur le plan de la "bonne gouvernance", les ONG agiront comme contre-pouvoir pour alerter la collectivité et les pouvoirs publics sur les dysfonctionnements éventuels et faire pression sur les services forestiers et les autorités pour y remédier. Elles pourront ainsi remonter des informations du terrain pour déclencher systématiquement la chaîne de contrôle (qui partira des populations). Cependant, cette fonction n'est pas perçue positivement par tous les acteurs, en particulier le secteur privé, qui qualifie souvent d'extrémistes les ONG qui s'investissent dans les opérations de lobbying.

L'implication des populations dans la gestion forestière est reconnue dans tous les pays. Les bases politiques et réglementaires ont été posées. Il est prévu d'impliquer les populations dans l'élaboration des plans d'aménagement des forêts de production et des aires protégées. Certains pays, le Cameroun, la Guinée Équatoriale et récemment le Gabon, offrent aux populations les possibilités d'accéder aux forêts communautaires. Au Congo, la nouvelle loi forestière autorise aux populations de créer des plantations communautaires. Toutefois, le rôle des populations reste encore imprécis.

Dans le domaine de la gestion durable des concessions forestières, par exemple, une répartition des responsabilités techniques et financières entre partenaires a été proposée par Estève (2001). Il ressort des données collectées dans les différents pays que cette répartition de rôle peut se présenter aussi de la manière suivante.

Tableau n° 2 : Répartition des rôles entre acteurs dans la gestion des concessions forestières

Acteur

Administration

Secteur privé

ONG

Populations

Rôle

- Élaborer les normes d'aménagement

- Suivre la rédaction du plan d'aménagement

- Approuver le plan d'aménagement

- Contrôler, Suivre et Évaluer

- Mettre en place un système d'incitations/sanctions

- réaliser les études écologiques et socio-économiques

- réaliser l'inventaire d'aménagement

- définir les directives d'aménagement en collaboration avec les autres acteurs

- rédiger le plan d'aménagement

- mettre en œuvre le plan d'aménagement

- suivre (suivi interne) la réalisation du plan d'aménagement

- appui aux entreprises forestières dans la réalisation des études préliminaires

- gestion des conflits

- faciliter les négociations des directives d'aménagement

- appui aux populations riveraines dans l'utilisation des bénéfices

- participer à la négociation des directives d'aménagement des forêts de production

- respecter les directives d'aménagement des forêts de production

- élaborer les plans simples de gestion des forêts communautaires

- utiliser les bénéfices dans le financement des projets d'intérêts communautaires



4 Voir par exemple celui du Cameroun.

5 Décret n°95.273 en date du 02 novembre 1995.

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