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3.2 Agriculture en sol aride

L'aménagement des bassins versants dans les zones arides des pays en développement doit servir à l'agriculture et en particulier à la production vivrière sur des parcelles individuelles ou villageoises. Bien que la mise en valeur des eaux souterraines puisse être dans certaines zones un aspect important du développement de la petite agriculture, il est rare que l'eau souterraine soit une ressource renouvelable dans les terres arides. L'aménagement des bassins versants est essentiellement axé sur la conservation du sol et sur la mise en valeur des ressources renouvelables. Pour l'agriculture, cela comprend la mise en valeur et la maîtrise des eaux de surface provenant de cours d'eau éphémères pour effectuer de petits captages ou des opérations d'épandage, de l'eau provenant directement des précipitations pour la collecte de l'eau (voir le chapitre consacré à cette question) et l'agriculture en sec sur terre aride.

L'aridoculture est une stratégie de culture non irriguée dans des zones semi-arides qui reçoivent entre 300 et 500 mm de précipitation annuelle. A mesure que la précipitation moyenne diminue, les différences de productivité entre les zones deviennent plus prononcées. La quantité totale de précipitation reçue annuellement n'est cependant pas le meilleur indicateur de l'opportunité de l'aridoculture. Le facteur déterminant est le pourcentage de précipitation annuelle disponible pour les plantes (précipitation utile). Il est fonction de la répartition saisonnière des précipitations, de leur intensité, de la température et de l'importance et de la vitesse du vent. Ce type d'agriculture peut être rentable dans des zones où la précipitation ne dépasse pas 300 mm par an et dépend essentiellement des températures pendant la période de végétation.

Jachère d'été: Cette technique a été mise au point dans l'ouest des États-Unis où la production annuelle de blé était très différente d'une année sur l'autre. Elle consiste à laisser la terre en jachère pendant une partie d'une campagne agricole. Il faut alors biner la terre pendant la saison normale de végétation pour éviter les pertes d'eau dues à la croissance des mauvaises herbes. La jachère d'été a pour but de stocker l'eau du sol et d'accumuler l'azote des nitrates dans le sol pour la campagne suivante. La production de blé d'hiver aux États-Unis, par exemple, s'étend sur une période de 14 à 15 mois, qui commence avec la moisson, généralement en juin ou en juillet, et se poursuit jusqu'à la plantation en septembre de l'année suivante. Elle est soumise à trois contraintes majeures: 1) la précipitation moyenne annuelle doit être suffisante pour humidifier le sol dans tout l'horizon racinaire; 2) le sol doit être assez profond et avoir une capacité de rétention d'eau suffisante pour retenir l'eau disponible pendant la période de jachère et 3) l'espèce cultivée doit avoir un développement racinaire suffisant pour utiliser l'eau stockée. Il peut se produire des pertes d'eau importantes si les mauvaises herbes n'ont pas été éliminées comme il convient pendant la période de binage, mais les pertes sont surtout dues en général à l'évaporation. Il est stocké une plus grande quantité d'eau pendant le premier hiver de la saison suivante, essentiellement parce que le blé a été moissonné l'été précédent et que les pertes par évaporation sont plus faibles en hiver.

Le type de sol influe sur l'efficacité de la jachère, car il doit avoir une capacité de rétention d'eau qui lui permette de bénéficier de l'eau supplémentaire fournie pendant la période de jachère. En général, un sol qui présente une texture légère de limon sableux ou de sable limoneux sur toute la longueur de son profil ne constituera pas un réservoir adéquat pour stocker l'humidité comme le feraient des sols de texture plus lourde.

L'ancienne méthode de labour intégral qui laisse la surface du sol exposée à l'érosion est aujourd'hui largement abandonnée. Elle utilisait des charrues qui retournaient la terre et enterraient les résidus végétaux. Une méthode encore plus ancienne qui consistait à pulvériser les 5 cm supérieurs du sol pour rompre la continuité capillaire et réduire ainsi l'évaporation a elle aussi été abandonnée en raison du risque d'érosion éolienne. L'utilisation de paillis de chaume, destinée surtout au début à réduire l'érosion, est devenue de nos jours une pratique courante. Elle consiste à couper les résidus végétaux en dessous de la surface du sol avec un instrument de sous-solage généralement constitué de socs triangulaires d'une largeur variant de 45 à 176 cm. Le type d'instrument utilisé dans les systèmes de paillis de chaume dépend 1) de la quantité de chaume ancrée dans le sol lors de la première opération de sarclage et 2) de la quantité de chaume souhaitée au moment de l'ensemencement. L'enfouissage de tous les résidus au moment de la plantation donne une bonne planche de semis, mais il peut y avoir intérêt plutôt à conserver 1200 à 1800 kg de paille à l'hectare au moment de la plantation afin de protéger le sol contre l'érosion éolienne.

Les principaux inconvénients du paillis de chaume sont les suivants: 1) l'élimination des mauvaises herbes peut être moins efficace que par le labour; 2) un bon ajustement de l'instrument et une bonne vitesse de sarclage sont déterminants; 3) la préparation de la planche de semis et la plantation exigent un type d'instrument bien adapté et beaucoup de soin de la part de l'opérateur.

Bassins de niveau (level pans): Des levées effectuées sur de grands espaces à drainages naturels sur terrain à pente douce ont été efficaces dans certaines zones semi-arides. Leur but est de piéger l'eau de ruissellement et de stocker l'humidité du sol pour les cultures. Ces bassins nivelés peuvent varier de moins d'un demi-hectare à plusieurs hectares. On peut les disposer de telle façon que l'excès d'eau descende d'un niveau au niveau inférieur. Des exutoires herbeux sont nécessaires pour le drainage ainsi que des dérivations pour réduire l'excès d'eau de ruissellement lorsqu'il risque de nuire aux cultures.

La quantité d'eau recueillie dans ces bassins dépend du nombre et de la nature des pluies et du nombre de bassins existant dans le système. Mikelson (1966) a noté que, pour les bassins créés dans les grandes plaines du Colorado aux États-Unis, le rendement du sorgho était supérieur de 115 à 278 kg/ha à celui de l'agriculture classique.

Terrasses: L'aménagement de terrasses est l'une des méthodes le plus souvent recommandées de lutte contre le ruissellement et l'érosion sur les surfaces agricoles des bassins versants dénudés. Ce sont toutefois des travaux coûteux qui nécessitent beaucoup d'entretien et de savoir-faire aussi bien pour la construction que pour l'utilisation. L'introduction de terrasses dans une communauté qui n'en a pas l'expérience est souvent vouée à l'échec. Dans les terres semi-arides, la dépense ne se justifie souvent pas uniquement par l'accroissement des récoltes.

Terrasses de conservation: Ces terrasses, parfois appelées banquettes de niveau, sont conçues pour piéger l'eau de ruissellement et l'épandre sur une zone nivelée qui doit être cultivée de façon intensive. Ces banquettes ont été conçues pour les régions semi-arides tempérées, où elles ont été utilisées avec succès. Elles impliquent une zone nivelée (banquette) le long de la courbe de niveau et la zone avoisinante peut aussi être cultivée, mais moins intensivement ou éventuellement en assolement.

Les banquettes de niveau ont été utilisées avec succès aux États-Unis dans l'est du Colorado, où les précipitations annuelles sont inférieures à 500 mm, dont une partie sous forme de neige Dans cette région, on a constaté qu'un rapport de 2 à 1 entre la pente et la largeur de la banquette était efficace (Mikelson, 1968). Les principaux avantages de ces banquettes étaient de recueillir la neige, d'empêcher le ruissellement de l'eau de fonte des neiges et des pluies torrentielles et d'accroître les rendements des cultures grâce à la conservation de l'eau.

L'utilisation et la construction de ces terrasses sont soumises à plusieurs contraintes. La culture pratiquée sur la pente doit être aménagée de façon que les ruissellements violents ne présentent pas de risque d'érosion mais fournissent suffisamment d'eau de ruissellement à la banquette. Les ruissellements légers posent des problèmes d'égalité de la répartition de l'eau sur toute la largeur de la terrasse. Lors de phénomènes importants de ruissellement, les travaux agricoles ont été retardés et les cultures endommagées. La constuction de la terrasse sur la courbe de niveau nécessite beaucoup de savoir-faire.

L'espèce à cultiver dépend en grande partie de la période de l'année où l'eau de ruissellement est reçue. Hass et al. (1966) ont constaté que le rendement du sorgho à graines cultivé annuellement sur les banquettes était supérieur de 4,88 kg/ha aux rendements biennaux sur jachère.

Cultures en bandes: On peut utiliser des bandes alternées de culture et de jachère pour lutter contre l'érosion, mais rien ne prouve que ce système permet un meilleur stockage de l'eau ou une meilleure utilisation de l'eau par les plantes. Les bandes utilisées pour lutter contre l'érosion éolienne sont des bandes rectilignes situées autant que possible perpendiculairement aux vents dominants. La largeur des bandes dépend de la texture du sol; sur les sols érodables, elles doivent être plus étroites que sur les sols qui le sont moins. Lorsque c'est l'eau qui est le principal agent d'érosion, les bandes devront suivre les courbes de niveau de façon à interrompre la pente et à briser l'élan du ruissellement.

Façons culturales: Les rigoles de niveau, "bourrelets" et cuvettes évoqués plus haut constituent aussi de bonnes méthodes pour améliorer la production agricole dans les zones où le climat et le sol le permettent.

Cultures: La plupart des céréales résistant à la sécheresse se prêtent bien à l'aridoculture. Les plus courantes sont le blé d'hiver et de printemps, l'orge d'hiver et de printemps, le sorgho, l'avoine et le mil. Dans le sud-ouest du Colorado, on cultive annuellement les haricots dans les zones où la pluviométrie annuelle est de 330 à 430 mm.

3.3 Foresterie en zone aride

Depuis dix ans, les grands organismes internationaux de développement ont été nombreux à renoncer à la politique de foresterie industrielle à grande échelle pour se tourner vers la petite foresterie de développement rural. L'une des raisons principales de ce changement est l'importance accordée à la protection des bassins versants et de l'environnement et à l'amélioration des conditions de vie des populations rurales par des programmes de foresterie sociale. L'International Cooperation and Development Act de 1979 aux États-Unis stipule par exemple que les programmes d'aide des États-Unis à l'étranger en matière de foresterie doivent mettre l'accent sur les activités de type foresterie sociale.

La raison en est que l'on a pris conscience du fait que, les ressources en terre se raréfiant, le concept de ressource forestière devient socialement inacceptable en dépit d'arguments environnementaux contraires. La politique de foresterie sociale n'est nulle part plus utile que lorsqu'elle répond aux besoins des populations rurales des zones arides, dont la rigueur du climat empêche l'exécution de grands projets consacrés uniquement à la foresterie. L'un des principaux facteurs qui a naturellement conduit à adopter des systèmes à usage multiple et qui encourage leur développement dans l'avenir est la plus grande sécurité de production en environnement marginal que celle que présentent les monocultures.

L'aspect qui suscite de loin le plus d'intérêt de la part des organismes internationaux donateurs concernés par le problème des terres arides est celui de la production de bois de feu. Cependant, on fait valoir que très peu de communautés rurales du monde en développement font de la pénurie de bois de feu leur principale priorité. Selon Barnes et al (1982), "la plupart des analystes semblent être d'accord pour dire que la pénurie de bois est un problème très localisé". Toujours selon eux, les prix réels du bois de feu dans les pays en développement, qui devraient refléter la rareté de ce matériau, n'augmentent que très lentement ou pas du tout même dans les pays semi-arides comme le Pakistan, le Maroc et le Sénégal. Cette situation semble paradoxale à tous ceux qui ont constaté des pénuries de bois de feu dans les zones limitées (principalement urbaines) où elles sont sévères, mais elle peut aider à expliquer pourquoi certains projets des donateurs en la matière ont eu peu de succès.

L'hypothèse qui semble sous-tendre la plupart de ces programmes est que les populations rurales se préoccupent de leur subsistance et soutiendront par conséquent des projets de foresterie qui les aideront à résoudre leurs problèmes concernant la pénurie de bois de feu et la dégradation de leur environnement. C'est vrai dans certains cas, mais il est plus probable que l'agriculteur rural se sera préoccupé dans l'immédiat de l'insuffisance de son revenu et des perspectives limitées d'amélioration de sa situation économique. Un exemple en est donné par un projet de foresterie en Inde.

Dans l'État de Gujarat en Inde, la Banque mondiale a participé à une campagne du gouvernement de cet État qui visait à produire à la fois du bois de feu et d'autres produits forestiers sur des terres marginales, sur des parcelles villageoises et sur de petites parcelles familiales. Le projet a été diversement accueilli et des problèmes constants ont été rencontrés pour obtenir la participation de la population locale. Il est clair cependant qu'un grand nombre de ceux qui y ont participé l'ont fait non pour produire du bois de feu mais pour produire du bois de construction qu'ils pourraient vendre.

On peut citer un exemple d'utilisation polyvalente au Soudan d'arbres permettant à la fois l'augmentation des revenus personnels et le passage de la subsistance au développement: dans la région de Kordofan, le Programme intégré du Sahel, projet récent du gouvernement soudanais et de l'Union internationale de protection de l'enfance, aurait, à ce qu'on dit, réussi à convaincre les populations des villages de participer à la plantation d'Acacia senegal (arbre qui donne la gomme arabique) sur des parcelles individuelles. La première année, 80% des agriculteurs de 27 villages ont demandé des graines et des plants et la demande a dépassé l'offre malgré une production de plus d'un million de plants (Hammer, 1982). Ce succès obtenu d'emblée a été dû au fait que la population locale connaissait bien la valeur polyvalente de l'arbre, en particulier pour le marché de la gomme arabique, et au fait que le but déclaré du projet était d'intégrer la production arboricole et de fournir de meilleurs services à la population dans les domaines de l'agriculture, de la santé, de l'éducation et de l'exploitation des ressources en eau.

Les trois moyens qui semblent devoir encourager le mieux la pratique de la foresterie en terre aride à usages multiples sont l'agro-foresterie, la plantation de rideaux-abris et l'incitation à la production arboricole dans les communautés riveraines.

Agro-foresterie: Un problème majeur qui se pose dans de nombreux pays arides aux agriculteurs et aux pasteurs de subsistance est de pouvoir disposer toute l'année d'un approvisionnement régulier en denrées alimentaires et/ou d'un revenu. Dans les régions où l'aridoculture peut être possible, le revenu et les denrées alimentaires ne sont obtenues qu'à des intervalles très espacés au moment de la récolte. Dans les régions où les activités pastorales sont les seules possibles, les prix sont sujets à d'importantes fluctuations sur les marchés. La foresterie classique ne présente généralement pas d'intérêt pour les agriculteurs et les pasteurs pour des raisons de trésorerie et de durée d'immobilisation de l'investissement. L'agro-foresterie peut offrir aux agriculteurs et pasteurs de subsistance la possibilité de diversifier leur production de produits du bois et d'autres produits et de conserver un emploi et un revenu régulier pendant les périodes qui séparent les récoltes ou les ventes de bétail, en plus des autres avantages évidents que peuvent procurer les arbres. Ce n'est que récemment qu'on s'est penché de façon scientifique sur la pratique mixte de la foresterie et de l'agriculture.

Dans les parties plus chaudes et plus sèches des terres arides des pays en développement, l'agro-foresterie implique essentiellement l'intégration de la production forestière et de la production animale. Ce type d'agro-foresterie est pratiqué depuis des millénaires par les pasteurs des terres arides. Leurs troupeaux comprennent à la fois des bêtes qui broutent les feuillages et d'autres qui broutent l'herbe, de façon à remplir artificiellement des niches écologiques et d'utiliser aussi bien les arbres et les arbustes que les graminées et les plantes herbacées.

Cette pratique existe encore aujourd'hui, mais à plus grande échelle. Le fait que des populations croissantes coupent les arbustes et les arbres essentiellement pour le bois de feu et que le feuillage est consommé par un cheptel qui croît en proportion a aujourd'hui réduit ou complètement éliminé sur de vastes étendues les espèces les plus utiles pour le bois de feu et le broutement. Ces espèces sont généralement remplacées par des plantes indésirables et non appétées.

L'utilisation des arbres pour le broutement n'est pas incompatible avec la foresterie. Le fait pour les arbustes et les arbres d'être broutés élimine en général des tissus qui transpirent, ce qui réduit les contraintes hydriques sur le reste du sujet et, dans certains cas, l'aide à survivre. Les animaux qui broutent sont aussi les principaux distributeurs de certaines graines d'arbres. En revanche, une consommation excessive de feuillage élimine des tissus photosynthétiseurs et du matériau structurel indispensables aux fonctions vitales. La stratégie en matière d'agro-foresterie consiste donc à réaliser une combinaison optimale d'arbres et de plantes à brouter compatible avec le nombre et les types de bêtes. Cela reviendra souvent à assurer simplement un bon aménagement de parcours, mais avec une composante verticale comprenant des arbres et diverses plantes appréciées du bétail.

Selon la situation locale, des arbres peuvent être soit disposés de façon éparse sur les terrains de parcours pour fournir du fourrage et de l'ombre, soit plantés autour des champs ou des habitations pour servir de clôtures et/ou de brise-vent. Si les conditions d'humidité sont adéquates, comme par exemple à l'intérieur ou aux alentours de drainages éphémères, il est possible d'installer des bosquets (à protéger du bétail) et de les gérer de façon à fournir du fourrage, du combustible et des matériaux de construction. Les surplus peuvent être commercialisés.

Dans les zones semi-arides qui se prêtent à l'aridoculture, on peut combiner l'agriculture à la culture de légumineuses fixatrices d'azote. On a constaté par exemple au Sénégal que, lorsque le mil est cultivé sous des acacias, le rendement augmentait de 250% et la teneur en protéines de 350% (Ffolliott and Thames, 1983). L'aptitude à libérer des phosphates qu'ont certaines mycorhizes qui poussent sur les racines d'arbres peut elle aussi être utile pour fournir des nutriments essentiels aux cultures associées. Au Niger, on a constaté que sous Acacia albida, l'azote total et le calcium échangeable augmentaient de 100%. Le phosphore assimilable augmentait de 134% et le magnésium échangeable de 70% (Delwaulle, 1977).

Le but de l'agro-foresterie est d'offrir une solution de remplacement dont la productivité soit au moins égale à celle de tout autre système. Les avantages principaux sont les suivants: 1) réduction du risque de pertes catastrophiques qui peuvent se produire lorsqu'il y a une succession d'années sèches, grâce à une source de revenu et/ou d'alimentation animale de remplacement; 2) avantages économiques directs que procurent le bois de feu, les pieux pour les clôtures, les poteaux et autres produits forestiers qui évitent d'avoir à les acheter ou à les transporter d'ailleurs; 3) possibilité accrue d'abandonner des utilisations destructives de la terre qui ne peuvent produire de bénéfices qu'à court terme au profit de pratiques procurant des bénéfices à long terme sans diminuer la productivité; 4) amortissement rapide de l'investissement économique constitué par l'implantation de cultures arboricoles grâce au revenu tiré du fourrage, du bois et du combustible obtenus par élagage et taille de la frondaison. L'agro-foresterie peut aussi permettre de protéger les bassins versants en modifiant le micro-climat par la réduction des extrêmes de température, l'augmentation du taux d'humidité, la réduction de la vitesse du vent et la diminution de la force d'impact des précipitations et du ruissellement de surface.

Outre les contraintes imposées par le climat, les systèmes d'agro-foresterie sont également soumis à d'autres contraintes. L'agro-foresterie implique des associations complexes et ne se prête donc pas facilement à l'expérimentation. À ce problème s'ajoute la rareté de personnel formé capable d'améliorer les systèmes existants ou d'élaborer de nouveaux systèmes. Dans certains cas, les rendements économiques des systèmes d'agro-foresterie peuvent être inférieurs à ceux des systèmes pastoraux ou agricoles, même si les avantages environnementaux à long terme peuvent être importants. Dans d'autres, l'utilité conjuguée des arbres et du bétail et des cultures associées peut finalement être plus grande que celle du bétail et des cultures seules. Mais les ruraux pauvres peuvent être réticents à planter et à gérer des arbres dont les produits ne pourront se concrétiser que longtemps après. Par ailleurs, les possibilités offertes par l'agro-foresterie sont généralement mal connues. Sans une expérience adéquate, l'échec de projets fondés sur des informations insuffisantes risque de susciter des ressentiments aussi bien au niveau de la population rurale qu'à celui des décideurs. L'élaboration de projets inspirés par des histoires d'arbres "miraculeux" en est un exemple.

Le but ultime de l'agro-foresterie est la conservation du sol et des ressources en eau des bassins versants en même temps que la satisfaction des besoins en aliments, combustibles et revenu des populations rurales. Pour réussir, l'agro-foresterie dépend non seulement de la quantité et de la qualité des produits mixtes qu'elle peut fournir, mais aussi, pour une large part, des stratégies socio-politiques des projets.

Rideaux-abris: L'érosion éolienne pose un problème grave dans la plus grande partie de l'Afrique du Nord et dans d'autres environnements arides. Le vent accélère en outre l'évapotranspiration. Le remède consiste à réduire la vitesse du vent en accroissant l'inégalité de la couche d'air près du sol et à protéger la surface de celui-ci. Les rideaux-abris sont le moyen le plus courant et souvent le plus économique d'y parvenir.

Les rideaux-abris se sont révélés efficaces dans les climats semi-arides tempérés depuis le milieu du l9ème siècle dans le monde occidental. En Chine, leur usage remonte à des milliers d'années. Ils ont permis d'améliorer le microclimat, de réduire l'érosion éolienne, d'accroître les rendements de l'agriculture et de l'élevage, de réduire le coût du chauffage et d'obtenir du fourrage, du bois de feu et d'autres produits ligneux. Il a été également prouvé que les rideaux-abris pouvaient être encore plus efficaces dans les conditions plus rudes des terres arides plus chaudes où les essences d'arbres économes peuvent être encore plus utiles que d'autres produits de l'exploitation de la terre.

Les rideaux-abris (on ne fait ici pas de distinction entre brise-vent et rideaux-abris) peuvent se composer d'une seule à une douzaine environ de rangées parallèles d'arbres. Ceux constitués par cinq rangées sont généralement efficaces et faciles à entretenir mais, pour en mesurer la valeur économique, il faut prévoir la possibilité d'usages multiples. Il peut être important par exemple de prendre en considération les produits du bois, l'abri des animaux et des abeilles, l'alimentation et le couvert de la faune sauvage et le fourrage pour le bétail. Il peut alors être souhaitable d'installer des rideaux-abris de plus de cinq rangées. Ceux composés d'une seule rangée ne sont pas efficaces et risquent de canaliser le vent mais, dans les régions où les terres agricoles sont limitées, des rangées uniques au bord de petits champs peuvent accroître la rugosité de la surface globale de l'ensemble de la zone.

Les rideaux-abris sont le plus souvent prévus de façon à avoir une section triangulaire, les arbres les plus grands au centre étant flanqués par des arbres plus courts et des buissons situés sur les bords. L'espacement des rangées dépend en partie des espèces d'arbres et d'arbustes plantées ainsi que du type de gestion à appliquer une fois qu'elles seront adultes. En général, les plants sont placés à proximité les uns des autres afin d'obtenir apidement un rideau compact. L'espacement final entre les arbustes d'une même rangée doit être de 1 à 1,5 m et entre les arbres de 2 à 3 m. La distance entre les rangées doit être de 3 à 4 m pour permettre les labours ultérieurs.

La conception des systèmes de rideaux-abris dépend beaucoup de la vitesse et de la direction des vents locaux. S'il existe des vents réellement dominants, il faudra implanter des rideaux-abris parallèles, perpendiculairement à la direction des vents, mais pas à moins de 45 degrés en tout cas par rapport à cette direction. Le plus souvent, les vents soufflent de différentes directions, ce qui exigera une implantation en échiquier. Dans certains cas, on pourra planter des rideaux-abris en travers des principales directions du vent et moins denses en travers des directions secondaires.

Dans les zones irriguées, les rideaux-abris devront être plantés principalement le long des canaux. En terrain ondulé, ils sont plus efficaces s'ils sont plantés sur les crêtes. Il est donc parfois nécessaire d'adopter une solution de compromis qui tienne compte à la fois de la direction des vents et des caractéristiques culturales et physiques de la zone considérée.

Pour abriter le bétail, on peut utiliser un brise-vent compact en U. en V, en X ou bien en carré Autour des bâtiments, on les plante souvent en L en travers des vents dominants.

Dans les climats arides, les rideaux-abris sont généralement conçus en fonction des essences qui peuvent pousser dans une zone donnée sans irrigation. Théoriquement, les espèces utilisées doivent non seulement résister à la sécheresse mais posséder aussi les qualités suivantes:

- résistance au vent;

- fortes racines pivotantes (les espèces à racines latérales entreront en concurrence avec la végétation des pâturages ou des champs);

- frondaisons denses et uniformes, croissance rapide, feuillage persistant et hauteur suffisante;

- résistance aux maladies, aux insectes et à la chaleur;

- valeur des produits du bois et autres.

Il est rare qu'une seule essence réunisse toutes ces qualités. Il est donc souvent nécessaire d'en planter deux ou plus pour assurer une protection adéquate. La faible hauteur de nombreux acacias par exemple les désigne pour les rangées extérieures; les rangées intérieures pourront se composer d'essences plus hautes: tamaris, casuarina ou eucalyptus. On peut parfois aménager et gérer des essences uniques, en particulier celles qui produisent des rejets, de façon

à assurer un abri vertical total en alternant l'abattage et la repousse des rangées extérieures.

En climat aride, il peut être nécessaire d'irriguer après la plantation. Le nombre d'arrosages et la quantité d'eau dépendent du climat, de l'espèce et des sols. Dans une zone par exemple où le sol est composé de terre végétale sableuse qui reçoit 150 à 200 mm de pluie et où la saison sèche dure 8 mois, six applications environ de 10 litres d'eau par plant sont probablement suffisantes pour assurer la survie. Des rigoles ou tranchées de niveau ou d'autres traitements culturaux décrits dans le chapitre sur l'amélioration des parcours faciliteront la survie des arbres et leur croissance. Outre leur rentabilité économique, les principaux avantages qu'offrent les rideaux-abris consistent à modérer les effets du vent qui provoquent une érosion, endommagent la végétation, déssèchent les plantes et les sols, nuisent à la santé des animaux et diminuent le confort des humains.

Les rideaux-abris doivent être plantés à une distance suffisante des bâtiments en raison des courants d'air descendants qui proviennent du côté sous le vent.

Lorsqu'ils sont bien conçus, les rideaux-abris font sentir leurs effets sur 10 à 25 fois la hauteur des arbres, l'effet le plus important se situant au voisinage du côté sous le vent. Dans les climats chauds et secs, des rideaux-abris denses placés trop près des bâtiments peuvent se traduire par une chaleur étouffante. Ils doivent être perméables et situés à 30 - 45 m au moins (mais pas à plus de 90 - 120 m) des bâtiments.

La principale contrainte à laquelle il faut faire face pour installer des rideaux-abris, outre la nécessité de trouver les essences appropriées, est l'utilisation d'une eau qui pourrait être plus rentable si on l'utilisait pour augmenter le fourrage ou la production agricole. Sur le plan environnemental, les rideaux-abris peuvent aussi avoir des effets négatifs s'ils abritent des oiseaux, insectes, animaux ou organismes pathogènes nuisibles pour les cultures et le bétail. Avant de prévoir la mise en place de rideaux-abris, il faut bien peser tous ces facteurs.

Foresterie ripicole: Dans de nombreuses terres arides, les seuls lieux qui conviennent pour cultiver les arbres sont les bords des oueds, des cours d'eau et des rivières qui constituent une source d'eau. Cependant, là où les sols conviennent pour l'agriculture et où il n'y a pas de grand problème d'inondation, il peut y avoir conflit avec l'agriculture. En outre, les communautés de végétaux phréatophytes qui ont besoin d'une nappe souterraine peu profonde telle qu'on la trouve généralement près des cours d'eau peuvent consommer jusqu'à 2,5 m par an dans certaines régions.

Au Pakistan par exemple, la foresterie et l'agriculture dans la plaine d'inondation de l'Indus et de ses affluents permettent depuis des siècles de faire vivre toute la région qui constitue maintenant le Pakistan. À l'heure actuelle, les arbres riverains de ces communautés phréatophytes constituent plus de 12% des terres forestières productives du pays. Ce n'est que récemment que des actions de reboisement et d'aménagement de ces forêts ont été entreprises dans une optique de produits multiples: fourrage, brout, bois de feu, bois d'oeuvre, résines, gommes, produits médicinaux et faune sauvage (Shah et Thames, 1985).

Sélection d'essences pour la foresterie en terre aride: Il existe de par le monde de nombreux exemples d'espèces introduites qui ont dépassé les essences locales par leur vitesse de croissance et leurs produits de qualité. L'utilisation d'arbres locaux est cependant une stratégie moins risquée des points de vue biologique, écologique et de l'acceptation sociale, surtout lorsqu'il s'agit de nouveaux projets dans des régions où les espèces exotiques n'ont pas été bien expérimentées. La sélection d'une ou plusieurs essences ou l'encouragement à les adopter peuvent se faire sur la base de divers critères dont certains sont énumérés au Tableau 1. Cette liste n'est pas complète. Aucune espèce ne peut répondre à elle seule à toutes les conditions que l'on peut souhaiter voir remplies pour une zone donnée. L'objectif est d'accorder avant tout la priorité aux critères qui sont les plus souhaitables pour répondre aux conditions et aux besoins locaux et de classer les espèces en conséquence. Mais le critère le plus important pour déterminer que telle ou telle espèce convient pour la foresterie en zone aride est son aptitude à pousser, à survivre et à fournir les produits nécessaires. Dans la plupart des cas, le produit demandé est le bois de feu.


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